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s’il est utile aux hommes d’être trompés ?

laisse le peuple maître de raisonner sur la morale, et qu’on y ajoute seulement des motifs faux, on tombe dans une étrange contradiction : on avoue, d’un côté, qu’il a assez d’esprit pour démêler ce qui est juste, et pas assez pour savoir qu’il a intérêt d’être juste : or, c’est tout le contraire ; je n'aurai point de protecteurs, mes voisins m'auront en aversion, les lois me puniront si je fais telle action : sont des idées plus sinples que celles dont un homme aurait besoin pour savoir qu’une telle action est juste ou injuste.

Enfin, qu’on examine la plupart des hommes qui commettent des crimes, ce n’est pas en général faute d’avoir été élevés à reconnaître des motifs étrangers d’être justes. Le nombre des coupables parmi les hommes à préjugés est en plus grande proportion avec le nombre total des hommes, que celui des coupables dans la classe de ceux qui sont au-dessus des préjugés, n’est au nombre total de ceux qui la composent. Combien peu de crimes le défaut de ces motifs ferait-il commettre de plus ! Comparons donc l’effet de ces crimes à celui des horreurs que ces motifs ont fait commettre, à la Saint-Barthélémy, aux massacres d’Irlande, etc. Songeons que si un peuple, animé par ces motifs, est trompé, ou se trompe sur la morale, ils deviennent alors un instrument de crimes, et de ces grands crimes qui font le malheur des nations et la ruine des enpires.

Je n’ignore pas que, dans l’état actuel de l’Europe, le peuple n’est pas capable peut-être d’avoir une véritable morale : mais la stupidité du peuple est l’ouvrage des institutions sociales et des superstitions. Les