« Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aubertin » : différence entre les versions

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AUBERTIN (Edme), en latin Edmundus Albertinus, ministre de l’église de Paris, au XVIIe. siècle, a été un très-savant homme [* 1]. Il était né à Châlons-sur-Marne, l’an 1565. Il fut reçu ministre au synode de Charenton, l’an 1618, et donné à l’église de Chartres, d’où il fut transféré à Paris, l’an 1631 [a]. Il n’a fait, à proprement parler, qu’un livre (A) ; mais il s’est acquis plus de réputation par ce seul livre, que d’autres habiles gens n’en acquièrent par l’impression de cent volumes. Cet ouvrage roule sur la controverse de l’Eucharistie. Il parut en l’année 1633, sous le titre de l’Eucharistie de l’ancienne Église. Les agens du clergé de France attaquèrent M. Aubertin au conseil du roi (B), et obtinrent prise de corps contre lui, à cause qu’il s’était qualifié pasteur de l’église réformée de Paris. Ce procès n’eut point de suites : le temps n’était point encore propre à pousser bien loin ces sortes d’affaires [b]. Or, soit que la bonté du livre sans le secours de cet incident le fit rechercher, soit que l’on conclût qu’il fallait qu’il fût bien fort, puisque le clergé ne l’attaquait que par la voie du bras séculier [* 2], il est certain que l’auteur eut sujet d’être content du succès de son ouvrage (C). C’est ce qui l’obligea à le revoir, à l’augmenter, et à le perfectionner, avec tant d’application, qu’il semblait avoir consacré à cela tous ses travaux et toutes ses veilles. Il voulut que son nouvel ouvrage fût en latin ; mais il n’eut pas la satisfaction de le voir sortir de dessous la presse. On l’imprima à Deventer, après sa mort, par les soins de David Blondel [c]. Lorsque ce livre commençait à s’effacer de la mémoire des hommes, il s’éleva une querelle entre MM. de Port-Royal et Claude, qui fit connaître le nom d’Aubertin, et le caractère de son ouvrage (D), à une infinité de gens qui n’en avaient jamais ouï parler, ou qui ne s’en souvenaient plus. M. Claude eut mille occasions de parler du mérite de ce livre (E). M. Aubertin mourut à Paris le 5 d’avril 1652, âgé de cinquante-sept ans. Il fut exposé dans son agonie, aux vexations du curé de Saint-Sulpice (F) ; et malgré l’assoupissement qui avait été l’un des principaux symptômes de sa maladie, il eut l’esprit assez libre pour déclarer, lorsque ce missionnaire le questionna, qu’il mourait persuadé des vérités qu’il avait toujours professées. Il avait eu beaucoup d’accès auprès du duc de Verneuil, qui était en ce temps-là abbé de Saint-Germain-des-Prés. Ce prince le voulait avoir souvent à sa table ; il le trouvait de bonne conversation, fort universel, bien versé dans la culture des arbres fruitiers et des fleurs, dans la musique, etc. Un des fils de M. Aubertin a été ministre d’Amiens.

  1. * De ce que Bayle ne parle pas des parens d’Aubertin, Leclerc conclut qu’il était né dans le sein de l’église catholique.
  2. * Ce ne fut, dit Leclerc, que sur le titre du livre et non sur le fond qu’on attaqua l’auteur.
  1. Préface de son livre de Eucharistiâ, faite par David Blondel.
  2. J’ai ouï dire que depuis, pour quelque mot qui lui était échappé en chaire, la cour lui défendit de prêcher deux ou trois ans.
  3. L’an 1654. C’est un in-folio qui a près de 1000 pages à deux colonnes.

(A) Il n’a fait, à proprement parler, qu’un livre. ] Car l’essai qu’il donna sur saint Augustin [* 1], pour montrer que les sentimens de ce père, touchant l’Eucharistie, n’étaient point conformes à ceux de l’église romane, mais à ceux des protestans[1], ne doit être regardé que comme un petit avant-coureur du livre qu’il publia in-folio, l’an 1633. Je dis cela après le docte Blondel. Augustinum quem obtorto collo in partes trahere conabatur Perronius, abducenti fortiter extorsit, vindicatumque in Dei castra feliciter reduxit. Hoc insigni virtutis specimine dato, et tirocinio, ut sic dicam, posito, de patrum universorum causâ asserendâ seriò cogitans, antiquæ ecclesiæ Eucharistiam nobis accuratiore studio repræsentavit [2]. Je n’ai jamais vu les Observations qu’il fit pour l’amour de M. l’abbé de Marolles, sur un livre de M. de la Milletière, qui le pressait de répondre à des questions difficiles ; mais on m’a dit que c’est un ouvrage de 226 pages, qui fut imprimé l’an 1648, et qui regarde la controverse de l’Eucharistie. M. l’abbé de Marolles en fait mention dans la liste des présens qu’il a reçus des auteurs.

(B) Les agens du clergé de France l’attaquèrent au conseil du roi. ] Ils exposèrent dans leur requête, que maître Edme Aubertin, ministre de la religion prétendue réformée à Charenton, avait fait imprimer un livre, où il prenait qualité de pasteur de l’église réformée de Paris, et adressait sa Préface aux fidèles de l’église réformée dudit Paris, et qu’en l’approbation de ce livre, les autres ministres de Charenton prenaient qualité de pasteurs des églises de l’Île-de-France, Champagne et pays Chartrain, et en leurs seings se qualifiaient de Maistrezat et Drelincourt, pasteurs de l’église réformée de Paris, et Dallié [3] ministre du saint évangile de ladite église. Les mêmes agens se plaignirent de ce que les cardinaux Bellarmin et Duperron avaient été appelés adversaires de l’Église dans le titre de l’ouvrage. Le roi ordonna qu’Aubertin fût pris au corps, et amené ès prisons du Fort-l’Evesque, si pris et appréhendé pouvoit estre ; sinon, qu’il seroit crié à trois briefs jours, ses biens saisis et annottez suivant l’ordonnance, pour lui estre son procès fait et parfait, et que lesdits Maistrezat, Drelincourt et Dallié seroient adjournez à comparoir en personnes pour estre ouïs et interrogez sur les faits mentionnez en la requeste. Sa Majesté enjoignit aux ministres et autres faisant profession de la religion prétendue réformée, de prendre la qualité à eux attribuée par les édicts et non autre, avec défenses d’appeler les catholiques adversaires de l’Église[4]. Cet arrêt fut donné au conseil privé du roi, le 14 de juillet 1633[5]. L’auteur de l’Histoire de l’Édit de Nantes nous apprend[6] que cette affaire, qui fit beaucoup de bruit et peu d’effet, se termina presque aussitôt qu’elle fut née, et ne produisit pour cette fois, que des défenses verbales[7]. Il ajoute que le livre n’en fut que plus recherché, et que le succès encouragea son auteur à le revoir, à le grossir, et à traiter cette matière à fond dans un gros volume latin, qui n’a vu le jour qu’après sa mort, et que les docteurs catholiques non suspects n’ont jamais osé réfuter pied à pied.

(C) Il eut sujet d’être content du succès de son ouvrage. ] Nous venons de voir ce qu’en a jugé l’auteur de l’Histoire de l’Édit de Nantes. Il n’a fait que se conformer au jugement de M. Daillé le fils, dont voici les paroles : Le nom de M. Aubertin demeure immortel ici-bas, et vivra toujours dans ce grand et incomparable ouvrage de l’Eucharistie qui, jusqu’a présent, est demeuré au-dessus de toutes les attaques de ceux de l’autre communion, dont pas un n’a osé le combattre de bonne guerre, ni l’entreprendre tête à tête, s’il faut ainsi dire. Ceux-là mêmes qui passent parmi eux pour des colomnes et des chefs de parti, n’ont pu faire autre chose que lui porter quelques coups obliques, selon les règles de ce nouvel art qu’ils ont inventé, et que le désespoir de leur cause leur a fait mettre en pratique sous le nom spécieux de méthode de prescription[8]. M. Daillé désigne là les théologiens de Port-Royal, qui, dans leur livre de la Perpétuité de la Foi, ne combattirent de tout l’ouvrage de M. Aubertin, que l’Histoire du changement de créance : encore ne combattirent-ils cette histoire que par des raisonnemens, et non pas en opposant preuves de fait à preuves de fait. Voyez le IIe. chapitre du Ier. livre de la grande Réponse de M. Claude, où il montre que l’auteur de la Perpétuité de la Foi attaqua le livre de M. Aubertin d’une manière oblique et indirecte.

(D) Une querelle entre MM. de Port-Royal et M. Claude... fit connaître le nom d’Aubertin et le caractère de son ouvrage. ] L’auteur de la Perpétuité de la Foi ne choisit à réfuter dans le gros ouvrage de ce ministre, que l’Histoire de l’Innovation. Cela fournit assez d’occasions de produire sur la scène le nom et le travail d’Aubertin. Voici un passage de la Perpétuité de la Foi. « Aussi Aubertin, ayant bien vu qu’il n’y avait pas moyen de soutenir une folie si visible [9], a cru devoir réformer ce plan. Et voici à quoi se réduit ce que ce ministre, qui a consumé malheureusement sa vie à chercher dans les écrits des anciens de quoi obscurcir la vérité, a trouvé de plus plausible, pour rendre vraisemblable le prodigieux renversement de l’ancienne foi qu’il est obligé d’admettre, afin de ne passer pas lui-même pour novateur. » M. Arnauld l’a traité beaucoup plus désobligeamment, quoiqu’il avoue[10] qu’il serait fort à souhaiter que quelque personne habile travaillât à réfuter les livres des nouveaux ministres, et entre autres celui d’Aubertin et ceux de M. Daillé. Il soutient « que l’ouvrage d’Aubertin est un ouvrage très-méprisable ; que ce ministre était un homme de peu d’esprit, qui n’avait qu’une basse critique sans élévation et sans jugement, qui a lu beaucoup parce qu’il ne faut pour cela que des yeux et du loisir, mais qui a lu sans discernement et sans lumières, qui ne distingue point entre les bonnes et les mauvaises raisons ; qui se récrie à tout moment sur les preuves les plus faibles ; qui s’est corrompu le sens commun, par l’accoutumance de répéter toujours les mêmes absurdités, et qui, bien loin d’avoir remporté une belle victoire sur l’école de Rome, n’a fait que découvrir la faiblesse des calvinistes[11]. »

(E) M. Claude eut mille occasions de parler du mérite du livre d’Aubertin. ] En faveur de ceux qui, sans autre peine que celle de lire cet article, souhaiteront de savoir le plan d’Aubertin, je copierai ces paroles de M. Claude : « Tout le livre d’Aubertin est un corps de disputes sur le sujet de l’Eucharistie, qui est divisé en trois parties. Dans la première, il traite la matière par l’Écriture Sainte et par le raisonnement humain. Il produit ses passages et ses argumens, il réfute les réponses qu’on y fait ; il rapporte les passages et les argumens de ceux de la communion de Rome, il y satisfait ; et il répond à peu près à tout ce que les controversistes ont dit jusqu’ici de plus considérable sur ce sujet. Dans la seconde, il examine la créance de l’Église durant six cents ans, par une discussion exacte de tous les passages de part et d’autre, et il fait voir que la transsubstantiation et la présence réelle sont des dogmes inconnus pendant tout ce temps-là. Dans la troisième, il fait l’histoire de l’introduction de ces doctrines[12]. » M. Claude avait déjà dit dans sa première Réponse, que M. Aubertin, après avoir traité à fond toutes les questions de l’Eucharistie par l’Écriture Sainte et par le raisonnement, et avoir remporté une belle victoire sur toutes les subtilités de l’école romaine, examine fort au long tous les passages des saints pères qui ont été jusqu’ici produits sur cette matière de part et d’autre, faisant voir par ce moyen à toute la terre le changement que l’église romaine a fait ; en faisant lui-même une perpétuelle comparaison de la créance ancienne et de la nouvelle ; à quoi il ajoute l’histoire de la naissance et des progrès de la transsubstantiation et de la présence réelle[13].

(F) Il fut exposé dans son agonie aux vexations du curé [* 2] de Saint-Sulpice. ] Il se présenta à la porte du malade, avec le bailli de Saint-Germain, à neuf heures du soir. La canaille, au nombre de quarante personnes, le suivait avec des armes. Celui qui frappa à la porte contrefit la voix du médecin afin qu’on ouvrît. Dès que la porte fut ouverte, toute la troupe se jeta impétueusement dans la maison, et se mit à dire que le malade souhaitait de faire son abjuration entre les mains d’un curé, mais qu’on l’en empêchait ; qu’on venait donc pour délivrer de cet esclavage sa conscience. Le fils aîné du ministre agonisant défendit autant qu’il put les montées ; mais enfin pour empêcher que cette canaille ne rompît les portes des chambres, on consentit que le curé et le bailli entrassent seuls à la chambre du malade. Les cris et les huées de leur escorte firent un peu revenir M. Aubertin de son assoupissement léthargique, si bien qu’il déclara fort distinctement sa persévérance dans la religion réformée. Le curé et le bailli sortirent, et eurent bien de la peine à faire retirer la canaille. Elle revint peu après, cria qu’on avait fait sortir par force le curé, et aurait enfoncé et pillé toute la maison, si deux notables n’eussent interposé leurs prières. Viciniam non latuit extrema hæc calamitas, quæ pii viri spirans adhuc spolium cujusvis illudere parati injuriæ exponebat. Lamentabili ista occasione infeliciter usus præfervidi sed tumultuosi zeli vir Joannes Jacobus Ollerius, basilicæ S. Sulpitii curatus, et sodalitatis quæ de propagandâ fide dicitur primipilus, etc.[14]. Peut-on songer à cela sans se souvenir de ce triste mot de Lucrèce ?

Tantum religio potuit suadere malorum !


Un zèle furieux de religion de quoi n’est-il point capable :

Tristius haud illo monstrum, nec sævior ulla
Pestis et ira deûm Stygiis sese extulit undis[15].


Il ne laisse pas même mourir les gens en repos. Après les avoir tourmentés pendant leur vie, il va leur tendre des piéges jusque dans les bras d’une maladie qui ôte l’usage de la raison. Il se prévaut des momens où l’âme est aussi malade que le corps, et où

Claudicat ingenium, delirat linguaque mensque[16].

  1. * Cet Essai, dit Leclerc, est un gros livre et la première édition du livre imprimé en 1633. Cette première édition est intitulée : Conformité de la créance de l’église et de saint Augustin sur le sacrement de Eucharistie opposée à la réfutation des cardinaux du Perron, Bellarmin et autres, divisée en trois livres, 1626, in-8o. de 42 et 516 pages.
  2. * Ce curé était J.-J. Olier Sulpicien dont le père Giry, minime, a composé la Vie, 1687, in-12. Le Maire, dans sa Défense de la foi catholique, fait une scène d’édification de ce dont Bayle fait une scène de scandale. Leclerc et Joly rapportent le texte de le Maire et adoptent son récit.
  1. Ce livre fut imprimé l’an 1626, et a pour titre : Conformité de la créance de l’église avec celle de saint Augustin sur le sacrement de l’Eucharistie. Il contient plus de 500 pag., in-8o.
  2. David Blondellus, in Præf. libri Albertini de Eucharistiâ.
  3. Ils copiaient mal les noms de Mestrezat et Daillé.
  4. Voyez la remarque (B) de l’article de Bochart (Matthieu), à la fin.
  5. Il est dans le Recueil des arrêts obtenus pour les affaires du clergé durant l’agence et à la poursuite des sieurs abbé de Paimpont et prieur de Moustiers.
  6. Tome II, pag. 534.
  7. Cela ne doit point s’entendre des défenses contenues dans l’arrêt du 14 juillet 1633.
  8. Vie de M. Daillé, pag. 28.
  9. Il entend la supposition de Blondel, que la transsubstantiation était née long-temps après Bérenger.
  10. Dans la préface de la Perpétuité défendue.
  11. Perpétuité défendue, liv. I, chap. I, pag. 5.
  12. Claude, Réponse au Livre de M. Arnauld, liv. I, chap. II, pag. 25.
  13. Claude, Réponse au IIe. Traité, chap. I.
  14. David Blondellus, Præfat. lib. Albertini de Eucharistiâ.
  15. Virgil., Æneid., lib. III, vs. 214.
  16. Lucret., lib. III, vs. 454.

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