« L’Auberge de l’Ange Gardien » : différence entre les versions

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Mme Blidot appela sa sœur Elfy, qui lavait la lessive, lui raconta l’aventure qui venait d’arriver et la pria de venir l’aider à préparer, pour les enfants, le cabinet près de la chambre où elles couchaient toutes deux.
 
« C’est le bon Dieu qui nous envoie ces enfants, dit Elfy ; la seule chose qui manquait pour animer notre intérieur ! Sont-ils gentils ? Ont-ils l’air de bons garçons, d’enfants bien élevés ? »
 
{{sc|Madame Blidot}}. — S’ils sont gentils, bons garçons, bien élevés ? Je le crois bien ! Il n’y a qu’à les voir ! Jolis comme des Amours, polis comme des demoiselles, tranquilles comme des curés. Va, ils ne seront pas difficiles à élever ; pas comme ceux du père Penard, en face !
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{{sc|Elfy}}. — Bon ! Où sont-ils, que je jette un coup d’œil dessus. On aime toujours mieux voir par ses yeux, tu sais bien. Sont-ils dans la salle ?
 
{{sc|Madame Blidot}}. — Non, je les ai envoyés au jardin. »
 
Elfy courut au jardin ; elle y trouva Jacques occupé à arracher les mauvaises herbes d’une planche de carottes ; Paul ramassait soigneusement ces herbes et cherchait à en faire de petits fagots.
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{{sc|Elfy}}. — Ha, ha, ha ! est-il drôle, ce petit ! Et comment m’empêcherais-tu de prendre les légumes du jardin ?
 
{{sc|Paul}}. — Moi prendrais un gros bâton, puis moi dirais à Jacques de m’aider à chasser vous, et voilà ! »
 
Elfy se précipita sur Paul, le saisit, l’enleva, l’embrassa trois ou quatre fois, et le remit à terre avant qu’il fût revenu de sa surprise et avant que Jacques eût eu le temps de faire un mouvement pour secourir son frère.
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{{sc|Jacques}}. — Oh non ! au contraire ! Mais je suis fâché que M. Moutier s’en aille ; il a été si bon pour Paul et pour moi !
 
{{sc|Elfy}}. — Il reviendra, sois tranquille ; et puis il ne va pas partir aujourd’hui : tu vas le voir tout à l’heure. »
 
Le petit Jacques essuya ses yeux du revers de sa main, reprit son air animé et son travail interrompu par Elfy. Capitaine, qui faisait la visite de l’appartement, trouvant la porte du jardin ouverte, entra et s’approcha de Paul, assis au milieu de ses paquets d’herbes. Capitaine piétinait les herbes, les dérangeait ; Paul cherchait vainement à le repousser, le chien était plus fort que l’enfant.
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« Je t’en prie, mon bon chien, va-t’en. Je t’en prie, laisse mon pauvre Paul jouer tranquillement ; tu vois bien que tu le déranges, que tu es plus fort que lui, qu’il ne peut pas t’empêcher… ni moi non plus », ajouta-t-il découragé en cessant ses efforts pour faire partir le chien.
 
Capitaine se retourna vers Jacques, et, comme s’il eût compris ses paroles, il lui lécha les mains, donna un coup de langue sur le visage de Paul, les regarda avec amitié et s’en alla lentement comme il était venu ; il retourna près de son maître.

Moutier était resté, après le départ de l’hôtesse, les coudes sur la table, la tête appuyée sur ses mains : il réfléchissait.
 
« Je crains, se disait-il, d’avoir été trop prompt, d’avoir trop légèrement donné ces enfants à la bonne hôtesse… Car, enfin, elle a raison ! je ne la connais guère !… et même pas du tout… Le curé m’en a dit du bien, c’est vrai ; mais un bon curé (car il a l’air d’un brave homme, d’un bon homme, d’un saint homme !), un bon curé, c’est toujours trop bon ; ça dit du bien de tout le monde ; ça croirait pécher en disant du mal… et pourtant… il parlait avec une chaleur, un air persuadé !… il savait que ces deux pauvres petits orphelins seraient à la merci de cette hôtesse, Mme Bli…, Blicot, Blindot… Je ne sais plus son nom… j’y suis ; Blidot ! C’est ça !… Blidot et sa sœur… Pardi ! je veux en avoir le cœur net et m’assurer de ce qu’elle est. J’ai le temps d’ici au dîner, et je vais aller de maison en maison pour compléter mes observations sur Mme Blidot. Ces pauvres petits, ils sont si gentils ! et Jacques est si bon ! Ce serait une méchante action que de les placer chez de mauvaises gens, faire leur malheur ! Non, non, je ne veux pas en avoir la conscience chargée. »
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Le boucher regardait Moutier d’un air étonné, moitié souriant, moitié inquiet.
 
« Quoi donc ? qu’est-ce donc ? » dit-il enfin.
 
{{sc|Moutier}}. — Voilà ! C’est que je voudrais avoir votre avis sur Mme Blidot, aubergiste ici à côté.
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{{sc|Moutier}}. — Ça suffit. Grand merci, Monsieur, et pardon de l’indiscrétion.
 
{{sc|Le boucher}}. — Pas d’indiscrétion. C’est un plaisir pour moi que de rendre un bon témoignage à Mme Blidot. »
 
Moutier salua, sortit et alla à deux portes plus loin, chez le boulanger.
 
« Ce n’est pas du pain qu’il me faut, Monsieur, dit-il au boulanger qui lui offrait un pain de deux livres ; c’est un renseignement que je viens chercher. Votre idée sur Mme Blidot, aubergiste ici près, pour lui confier des enfants à élever ? »
 
{{sc|Le boulanger}}. — Confiez-lui tout ce que vous voudrez, brave militaire (car je vois à votre habit que vous êtes militaire) ; vos enfants ne sauraient être en de meilleures mains ; c’est une bonne femme, une brave femme, et sa sœur la vaut bien ; il n’y a pas de meilleures créatures à dix lieues à la ronde.
 
{{sc|Moutier}}. — Merci mille fois ; c’est tout ce que je voulais savoir. Bien le bonjour. »
 
Et Moutier, satisfait des renseignements qu’on lui avait donnés, allait retourner chez Mme Blidot, quand l’idée lui vint d’entrer encore chez l’aubergiste qui tenait la belle auberge à l’entrée du village.
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« Assez, dit-il en se levant ; je ne veux pas de votre dîner ; ce n’est pas pour m’établir chez vous que je suis venu, mais pour avoir des renseignements sur Mme Blidot. Ceux que vous m’avez donnés me suffisent ; je la tiens pour la meilleure et la plus honnête femme du pays, et c’est à elle que je confierai le trésor que je cherchais à placer. »
 
L’aubergiste gonflait de colère à mesure que Moutier parlait ; mais lorsqu’il entendit le mot de ''trésor,'' sa physionomie changea ; son visage de fouine prit une apparence gracieuse et il voulut arrêter Moutier en lui prenant le bras. Au mouvement de dégoût que fit Moutier en se dégageant de cette étreinte, Capitaine s’élança sur l’aubergiste, lui fit une morsure à la main, une autre à la jambe, et allait lui sauter à la figure quand Moutier le saisit par son collier et l’entraîna au loin. L’aubergiste montra le poing à Moutier et rentra précipitamment chez lui pour faire panser les morsures du vaillant Capitaine. Moutier gronda un peu son pauvre chien de sa vivacité, et le ramena à ''l’Ange-Gardien''.
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