« Contre l’antisémitisme » : différence entre les versions

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[[Catégorie:Histoire de l'antisémitisme]]
== PRÉFACEPréface ==
 
Il m'a paru bon de réunir les articles que j'ai publiés dans le ''Voltaire'' sur l'antisémitisme et sur celui qui en prétend être le chef. J'ai rappelé en même temps les circonstances qui ont provoqué la polémique dont on connaît l'issue. En lisant cela, on verra comment un Juif a entendu la discussion, et comment un ''Français de France,'' catholique, a su y répondre. L'opinion publique jugera. Elle dira de quel côté a été la courtoisie, l'urbanité, le respect de soi-même, la logique et la raison. Si toutefois on trouve légitime que les injures soient la seule réplique à des arguments, je ne m'inclinerai pas devant un tel verdict. Je protesterai toujours contre des mœurs, qui tendent à rendre impossibles, entre adversaires, tous rapports, autres que des rapports brutaux, et contre des procédés que je n'estime dignes ni de penseurs, ni d'écrivains.
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J'étais fort naïf en ce temps-là. Mieux éclairé, mieux averti, j'ai affirmé, et j'affirme encore que les antisémites sont les défenseurs du capital chrétien, je veux dire du capital catholique, et je les défie toujours de prouver le contraire. J'élargis cette affirmation. Les antisémites combattent non seulement pour défendre le capital catholique, mais encore pour conquérir pour les citoyens catholiques, aux dépens des autres citoyens, des avantages, des privilèges et des prébendes. Ils rêvent la reconstitution de l'État chrétien, celui qui ne conférera des avantages qu'aux fils soumis de l'Église. Quel antisémite osera le nier ? Aucun. Je proteste donc maintenant contre l'antisémitisme, au nom de la liberté, au nom du droit, au nom de la justice. Serai-je le seul à élever la voix ? J'espère que non.
 
== HISTOIREHistoire Dd'UNEune POLÉMIQUEpolémique ==
 
'''''Le Figaro''' du 16 mai publia sous le titre de « Pour les Juifs » un très brave, très courageux, très noble article de M. Émile Zola.''
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== CONTREContre Ll'ANTISÉMITISMEantisémitisme ==
 
M. Émile Zola vient de commettre une action abominable. Il a défendu les Juifs ou plutôt il a attaqué l'antisémitisme. Qu'attendre d'un homme qui a du sang italien dans les veines ? Un Français de France n'eût point osé faire chose semblable. Sarcey lui-même a renoncé à intervenir en faveur de cette tribu de déicides qui, chacun le sait, dévore les petits enfants chrétiens, tombe en des convulsions de rage au saint nom de Jésus-Christ, un des rares Juifs qui ne soient pas maltraités par les antisémites, et dispose d'une puissance si formidable qu'elle écraserait en un jour l'antisémitisme si elle le voulait, ce dont chacun s'aperçoit.
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''Dans le '''Voltaire '''du 24 mai, je répondis à M. Drumont.''
 
== RÉPONSERéponse Àà M. DRUMONTDrumont ==
 
Je demandais, il y a quelques jours, à M. Drumont, de me répondre. Il faut à mon tour que je réponde à M. Drumont. Je lui ai posé quelques questions précises, il les a éludées en cherchant à me mettre en contradiction avec moi-même. Je les lui poserai une fois encore, le laissant libre de croire qu'en lui demandant une explication nette, je désire simplement avoir « un peu de la notoriété qui s'attache à tout ce qui vient » de lui. Je n'avais pas encore vu M. Drumont dans ce rôle de dispensateur de gloire, et il me sera permis de dire que je n'avais pas fait fonds sur lui pour recueillir un peu de cette renommée qu'il aime.
Avant tout je dois reconnaître que M. Drumont a souvent écrit que je n'étais pas un sot et qu'il m'a attribué du talent. C'était, dit-il, pour être aimable envers moi et il regrette maintenant d'avoir eu ''cette faiblesse.'' Je croyais qu'il n'avais fait qu'exprimer une conviction sincère sur mon compte. Je me serai donc trompé, et à l'avenir peut-être M. Drumont me jugera-t-il plus mal qu'il ne l'a fait jusqu'à présent. Je le regretterai pour lui. Il paraît qu'aujourd'hui je profite de son amabilité pour lui être ''« désagréable »'' à propos de son article sur Zola et il ajoute : « Que voulez-vous ? La race est comme cela... » J'avoue que je ne comprend pas. Qu'est-ce que M. Drumont attendait de moi, et quel service m'a-t-il rendu qui dût contraindre ma reconnaissance à m'abstenir de toute critique à son égard ?
 
D'abord quelle raison aurais-je d'être agréable à M. Drumont ? Je suis Juif et, en tant que Juif, il désire me renfermer dans un ghetto, me priver de mes droits d'homme et refaire de moi un paria. Pense-t-il donc me consoler ou m'adoucir en me disant : « Mon ami, vous ne manquez pas de talent » ? Cela serait vraiment insuffisant.
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Mais si je n'ai aucun motif pour être agréable à M. Drumont, je n'en ai pas non plus pour lui être désagréable. Il me fera peut-être l'honneur de croire que ce sont des mobiles plus hauts et plus graves qui me poussent.
 
Je n'ai jamais varié d'opinion sur M. Drumont. Dans mon livre sur l’''Antisémitisme, son histoire et ses causes<ref>— ''[[L'antisémitismeAntisémitisme, son histoire et ses causes]].'' Léon Chailley, éditeur, 42 rue de Richelieu.</ref>'' — dans lequel il a trouvé quelques pages qui lui semblaient « empreintes d'une certaine impartialité » — j'ai écrit (page 241) : « M. Drumont est le type de l'antisémite assimilateur qui a fleuri ces dernières années en France et qui a pullulé en Allemagne. Polémiste de talent, vigoureux journaliste et satiriste plein de verve, M. Drumont est un historien mal documenté, un sociologue et surtout un philosophe médiocre. » J'ajoutais en parlant de quelques historiens, économistes et philosophes qui professaient l'antisémitisme : « Il ne peut, sous aucun rapport, être comparé à des hommes de la valeur de H. de Treitschke, d'Adolphe Wagner, et d'Eugène Duhring. » A cette époque, M. Drumont me répondit qu'il ne connaissait aucun de ceux dont je parlais. — Cela ne me surpris pas et il y a bien d'autres choses encore qu'il ignore. — Il voulut bien, néanmoins, me dire que malgré cela, il les aimait, parce qu'ils détestaient les Juifs, mais qu'il leur était certainement supérieur puisqu'il était Français.
 
Avec un raisonnement semblable, on arrive facilement à considérer Meilhac comme supérieur à Shakespeare, et Jean Aicard à Gœthe.
 
Ce que je disais dans mon livre, je l'ai redit dans une brochure qui s'appelait ''Antisémitisme et Révolution<ref>— Lettres ''prolétariennes. Antisémitisme et Révolution'' (Paris, mars 1895)</ref>,'' J'écrivais là : M. Drumont est « ''perturbé par l'hystérie religieuse et, d'autre part, s'il fait illusion avec de gros fatras, il est sur bien des points ignorant comme une carpe, et sa façon d'écrire l'histoire vaut bien celle du père Loriquet<ref>—; ''Antisémitisme et Révolution'' (p.14) </ref>''. » Ces diverses appréciations n'avaient pas altéré la bienveillance de M. Drumont à mon égard, et j'ignore vraiment pourquoi mon dernier article me l'a fait perdre. Qu'importe, je m'en consolerai, mais je ne pourrai, malgré tout, que maintenir les jugements que j'ai portés sur lui. Pas plus aujourd'hui qu'hier je ne croirai à sa science, à sa sociologie et à sa gloire immortelle. Veut-il me dire qui étaient Lampon et Isidore, qui étaient Eisenmenger et Wagenseil ? Les deux premiers agitèrent Alexandrie et firent se ruer la populace grecque contre les Juifs. Les deux seconds ont écrit contre les Juifs des livres plus gros que la ''France Juive'' et plus savants. Leur nom n'est même pas connu des antisémites ; c'est peut-être encore moi qui les leur apprendrai. L'oubli dans lequel ils sont tombés pourrait servir à M. Drumont de sujet de méditation. Je le lui affirme : il y aura encore des Juifs dans le monde que son nom aussi sera oublié, à moins qu'un Josèphe ne le conserve comme fut conservé le nom d'Appion.
 
Mais c'est assez sur ce sujet et je veux reprendre les pseudo-réponses de M. Drumont : ''« Une autre facétie, écrit-il, à laquelle se livre volontiers M. Lazare, c'est de soutenir que je veux faire massacrer le petit Juif qui gagne quarante sous par jour. Or, en admettant que le petit Juif qui gagne quarante sous par jour ne soit pas un mythe, je n'ai jamais nourri contre lui les noirs desseins que me prête M. Lazare, et M. Lazare serait bien en peine de me montrer la page où j'ai poussé à l'égorgement de ce petit Juif. »''
 
Je passerai sur le doute qu'émet M. Édouard Drumont touchant à la situation économique de certains Juifs<ref> —; Si M. Drumont connaissait les questions dont il veut parler, il saurait que, s'il y a huit millions de Juifs dans le monde, les 7/8 sont ou des prolétaires, ou des pauvres.
</ref>.
 
De deux choses l'une : ou il est mal renseigné et il n'en a pas le droit, puisqu'il s'occupe des Juifs, ou l'aveu de la misère des sept huitième des Juifs du monde gênerait ses polémiques et sa doctrine et il affecte d'ignorer cette misère. Venons au reste. Je n'ai pas écrit que M. Drumont excitait directement à l'égorgement des petits Juifs, mais j'aurais pu l'écrire et j'aurais eu raison, même en ne citant pas de lui une page où il ait poussé sd'une façon formelle à cet égorgement. Lorsque son journal injurie tous ceux dont le nom est sémite, lorsque ses amis, qu'il approuve et félicite en les haranguant, crient « Mort aux Juifs ! », ils ne me paraissent pas s'adresser uniquement aux financiers cosmopolites. Est-ce contre les financiers cosmopolites qu'ils manifestaient, dimanche dernier, devant la porte de quelques commerçants juifs ? Est-ce contre ces financiers que se forment, soutenues par le clergé, ces ligues de Lyon, de Valenciennes et de Lille dont le mot d'ordre est : « N'achetez rien aux Juifs ! » Quand on prend comme devise : « Guerre aux Juifs », il devient de mauvaise foi de soutenir qu'on ne s'attaque qu'à une certaine catégorie d'entre eux, et qui est dans la vérité, vous, Drumont, qui affirmez ne pas vouloir de mal à ceux d'entre les Israélites qui n'appartiennent pas à la finance, ou moi qui soutiens qu'avec votre système, on laisserait en paix les capitalistes chrétiens en se ruant sur tous les Juifs indistinctement, puisque le signe qui distingue, de votre propre aveu, vos ennemis, est non pas une fortune disproportionnée, mais un nez crochu ?
 
''« Je ne me suis pas placé sur le terrain confessionnel, poursuivez-vous, et M. Bernard Lazare sait mieux que personne que l'antisémitisme n'est pas une question religieuse, puisque les Arabes, qui adorent Mahomet, ont plus de haine encore pour les Juifs que les Chrétiens qui adorent Jésus. »'' Si M. Drumont connaissait les Arabes, il ne dirait pas, d'abord, qu'ils adorent Mahomet, il ne soutiendrait pas ensuite que les raisons de leur haine contre les Juifs, de même que les mobiles de leur haine contre les chrétiens, ne sont pas religieux. Je me permets de renvoyer M. Drumont à mon livre qu'il a sans doute mal lu. S'il l'avait bien lu, en effet, il ne ferait pas de moi un de ses auxiliaires, même temporaire.
 
C'est ici, d'ailleurs, le point important, pour M. Drumont, de son article. D'un ouvrage de 400 pages, il extrait ''trente-six lignes'' et, en les isolant, il dénature toute ma pensée. J'ai écrit qu'il y avait à l'antisémitisme universel des raisons profondes et sérieuses. Je le dis encore et pas plus aujourd'hui qu'hier je ne soutiens que Drumont l'a inventé. Drumont n'a rien inventé. J'ai écrit qu'il ne fallait pas croire que les manifestations antisémites furent, dans le passé, simplement dues à une guerre de religion. Je le maintiens encore. J'ai écrit que la raison de l'antisémitisme dans l'histoire fut que « partout et ''jusqu'à nos jours''le Juif fut un être insociable ». Je le dis toujours. Mais à la suite de cette constatation qui se trouve dans le premier chapitre de mon livre, je déclarais que mon but était d'examiner « si ces causes générales persistent encore et si ce n'est pas ailleurs qu'il nous faudra chercher les raisons de l'antisémitisme moderne. ». Ces raisons je les ai étudiées minutieusement. J'ai constaté que le Juif n'était insociable que dans les pays comme la Roumanie, la Russie, la Perse, etc., où on le met hors la loi et où on l'oblige à se renfermer dans un ghetto qui lui crée un exclusivisme intellectuel et moral. J'ai établi que le reproche que fait l'antisémitisme moderne aux Juifs modernes, ce n'est pas d'être insociables, mais d'être trop sociables ; ce n'est pas de se livrer uniquement à l'usure ou à la finance, mais au contraire de porter leur activité sur d'autres points et de se mêler à toutes les manifestations de la vie contemporaine. Enfin, en terminant ce livre j'ai écrit (page 389 et 390) : « Les causes de l'antisémitisme sont nationales, religieuses, politiques et économiques, ce sont des causes profondes qui dépendent non seulement des Juifs, non seulement de ceux qui les entourent mais encore et surtout de l'état social ».
 
Je récrirais aujourd'hui ce livre que j'aurais sans doute bien des choses à y changer, bien des choses à y ajouter, mais si je me fais un reproche, c'est justement de n'avoir pas précisé les causes religieuses de l'antisémitisme, c'est de n'avoir pas suffisamment montré combien elles servent les intérêts économiques de certains capitalistes.
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== CECe QUEque VEUTveut Ll'ANTISÉMITISMEantisémitisme ==
 
Décidément, M. Drumont est un sociologue qui n'aime pas à discuter sociologie. C'est un homme prudent, il connaît sa faiblesse, et quand on lui pose des questions qui l'embarrassent, il préfère garder le silence. Vous lui demandez si l'association antisémite et cléricale des négociants et industriels, dont la devise est : « N'achetez rien aux Francs-Maçons et aux Juifs » a pour but de sauver la France ou de faire de meilleures affaires. Il vous répond qu'on a ouvert un plébiscite pour savoir s'il appartenait à la race de Sem, et il affirme qu'il a été baptisé, comme Halévy et Erlanger. En quoi veut-il que cela m'intéresse ?
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== LALa QUATRIÈMEquatrième Àà M. DRUMONTDrumont ==
 
Il faut savoir reconnaître ses erreurs. J'avais dit dans mon dernier article que sans doute le concours organisé par la ''Libre Parole''sur les moyens « d'anéantissement de la puissance juive » était indéfiniment remis. Je m'étais trompé. Le concours aura lieu. M. Édouard Drumont a bien voulu me le faire savoir, et il m'a écrit que je faisais toujours partie du jury. Je l'en ai remercié, lui déclarant que j'étais fort heureux de cela, et que j'espérais trouver dans les travaux qui me seront soumis une réponse aux questions que je me pose.