« L’Auberge de l’Ange Gardien » : différence entre les versions

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{{sc|Moutier}}. — Ce qui n’empêche pas que c’est, après vous, au général que je la dois, et un bienfait de ce genre fait pardonner bien des imperfections.
 
{{TextQuality|100%}}==XX. Le contrat.==
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Le jour de la noce approchait. Le général ne tenait plus en place ; il sortait et rentrait vingt fois par jour. Il faisait apporter une foule de caisses de l’auberge Bournier : il avait voulu faire venir la robe, le voile et toute la toilette de mariée d’Elfy. Il avait exigé de Moutier qu’il se fitfît faire à Domfront un uniforme de zouave en beau drap fin ; il l’avait mené à cet effet chez le meilleur tailleur de Domfront et avait fait la commande lui-même. Le placement des dix mille francs de Torchonnet était terminé ; le versement de cent cinquante mille francs qu’il donnait au curé pour l’église, le presbytère, les sœurs de charité et l’hospice était fini. Torchonnet, bien guéri, avait été transféré chez les frères de Domfront. Les caisses du trousseau et les cadeaux étaient arrivés. À l’exception de celles qui contenaient les toilettes du contrat et du jour de noce que le général ne voulait livrer qu’au dernier jour, elles avaient été ouvertes et vidées, à la grande joie d’Elfy qui pardonnait tout au général, et à la grande satisfaction de Mme Blidot, de Moutier, des enfants et de Dérigny : Mme Blidot, parce qu’elle trouvait un grand supplément de linge, de vaisselle, d’argenterie et de toutes sortes d’objets utiles pour leur auberge ; Moutier, parce qu’il jouissait de la joie d’Elfy plus que de ses propres joies ; les enfants, parce qu’ils aidaient à déballer, à ranger et que tout leur semblait si beau, que leurs exclamations de bonheur se succédaient sans interruption ; Dérigny, parce qu’il ne vivait plus que par ses enfants, que toutes leurs joies étaient ses joies et que leurs peines lui étaient plus que les siennes. Le général ne touchait pas terre ; il était leste, alerte, infatigable, il courait presque autant que Jacques et Paul. Il riait, il déballait ; il se laissait pousser, chasser. Ses grosses mains maladroites chiffonnaient les objets de toilette, laissaient échapper la vaisselle et autres objets fragiles.
 
De temps à autre il courait à l’auberge Bournier, sous prétexte d’avoir besoin d’air, puis aux ouvriers des prés et des bois, pour avoir, disait-il, un peu de fraîcheur. On le laissait faire, chacun était trop agréablement surpris pour gêner ses allées et venues.
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« Ne vous occupez de rien, ne vous tourmentez de rien ; c’est moi qui me charge de tout, qui fais tout, qui paye tout. »
 
MADAME{{sc|Madame BLIDOTBlidot}}. — Mais, mon cher bon général, ne faut-il pas au moins préparer des tables, de la vaisselle, des rafraîchissements, des flambeaux ? Je n’ai rien que mon courant.
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — C’est très bien, ma chère madame Blidot ! Soyez tranquille ; ayez confiance en moi.
 
Mme Blidot ne put retenir un éclat de rire auquel se joignirent Elfy et Moutier ; le général, enchanté, riait plus fort qu’eux tous.
 
MADAME{{sc|Madame BLIDOTBlidot}}. — Mais, mon bon général, pour l’amour de Dieu, laissez-nous faire nos invitations pour le dîner du contrat et pour le jour du mariage ; si nous ne faisons pas d’invitations, nous nous ferons autant d’ennemis que nous avons d’amis actuellement.
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — Bah ! bah ! ne songez pas à tout cela ; c’est moi qui fais tout, qui règle tout, qui invite, qui régale, etc.
 
MADAME{{sc|Madame BLIDOTBlidot}}. — Mais, général, vous ne connaissez seulement pas les noms de nos parents et de nos amis ?
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — Je les connais mieux que vous, puisque j’en sais que vous n’avez jamais vus ni connus.
 
— Mon Dieu ! mon Dieu ! que va devenir tout ça ! s’écria Mme Blidot d’un accent désolé.
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — Vous le verrez ; demain c’est le contrat : vous verrez, répondit le général d’un air goguenard.
 
MADAME{{sc|Madame BLIDOTBlidot}}. — Et penser que nous n’avons rien de préparé, pas même de quoi servir un dîner !
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}, ''riant''. — À tantôt, ma pauvre amie ; j’ai besoin de sortir, de prendre l’air.
 
Et le général courut plutôt qu’il ne marcha vers la maison Bournier. Les ouvriers avaient tout terminé ; on achevait d’accrocher au-dessus de la porte une grande enseigne recouverte d’une toile qui la cachait entièrement. Une foule de gens étaient attroupés devant cette enseigne. Le général s’approcha du groupe et demanda d’un air indifférent :
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« Qu’est-ce qu’il y a par là ? Que représente cette enseigne voilée ? »
 
UN{{sc|Un HOMMEhomme}}. — Nous ne savons pas, général. (On commençait à le connaître dans le village.) Il se passe des choses singulières dans cette auberge ; depuis huit jours on y a fait un remue-ménage à n’y rien comprendre.
 
LE{{sc|Le GÉNÉRALgénéral}}. — C’est peut-être pour le procès.
 
UNE{{sc|Une BONNEbonne FEMMEfemme}}. — C’est ce que disent quelques-uns. On dit que les Bournier vont être condamnés à mort et qu’on prépare l’auberge pour les exécuter dans la chambre où ils ont manqué vous assassiner, général.
 
Le général comprima avec peine le rire qui le gagnait. Il remercia les braves gens des bons renseignements qu’ils lui avaient donnés, continua sa promenade et revint lestement à l’auberge par les derrières sans être vu de personne. Il entra, regarda et approuva tout, encouragea par des généreux pourboires les gens qui préparaient diverses choses à l’intérieur, et s’esquiva sans avoir été aperçu des habitants de Loumigny.