« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Serrurerie » : différence entre les versions

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serrurerie qui sont fixées sur les vantaux des portes, soit pour les maintenir
fermées, soit pour les tirer à soi.
 
==== Frémures ====
(<i>loquets</i>, <i>poignées</i>, <i>serrures à bosse</i>, <i>targettes</i>, <i>verrous</i>,
<i>verte-velles</i>).<br>
Les plus anciennes serrures que nous connaissions ne datent guère
que du XII<sup>e</sup> siècle: ce sont des serrures dites <i>à bosse</i>,
c'est-à-dire dont la
boîte, relevée au marteau, avec bords en biseau, est posée sur un <i>pallâtre</i><span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]],
et dont le <i>pêle</i><span id="note9"></span>[[#footnote9|<sup>9</sup>]] ou la <i>gâchette</i> est en dehors du pallâtre, de telle sorte
que la bosse est à l'extérieur du vantail et le pêle à l'intérieur.
 
L'entrée alors est percée dans le pallâtre, au-dessus du pêle.
 
La figure 23 présente une de ces serrures<span id="note10"></span>[[#footnote10|<sup>10</sup>]]. Le pêle A glisse entre
deux filets rivés sur l'entrée et est maintenu par deux embrasses B également
rivées. La gâche G reçoit le bout de ce pêle, lorsqu'on ferme la
porte. Une poignée mobile P sert à tirer la porte, lorsque le pêle est sorti
de la gâche G. Le petit bouton C sert à tirer le pêle, ou à le pousser,
lorsque l'on a tourné la clef pour lever le cramponnet. La boîte ou bosse
 
[Illustration: Fig. 23.]
 
est entaillée dans le vantail V. Des filets sont rivés sur le pallâtre pour
le renforcer et aussi pour guider la clef, si l'on veut ouvrir la porte dans
l'obscurité. Bien entendu, tout ceci est posé à l'intérieur. Si la porte est
épaisse, la boîte est noyée dans cette épaisseur et ne se voit point extérieurement.
Si le vantail est mince, le fond de cette boîte est apparent à
l'extérieur. Ces sortes de serrures n'ont généralement qu'une seule
entrée. La figure 24 présente le mécanisme très-simple de ces serrures.
La boîte est circonscrite par les lettres <i>abcd</i>. Le pêle intérieur <i>p</i> tient
au pêle extérieur P' par deux forts rivets qui glissent dans une coulisse
percée à travers le pallâtre, quand on veut ouvrir ou fermer la gâchette
au moyen du bouton dont nous avons parlé tout à l'heure. Si l'on veut
que le pêle ne puisse plus glisser, un tour de clef fait descendre le cramponnet
<i>c</i>, ainsi que l'indique la figure, et arrête ce pêle. Si l'on veut que
la gâchette P' puisse demeurer mobile comme un verrou, un tour de
clef de <i>e</i> en <i>f</i> appuie sur le ressort <i>r</i>, et
dégage le cramponnet, qui, étant
relevé, permet le jeu du pêle intérieur. Rien n'est plus simple que ce
mécanisme, encore employé aujourd'hui. Ces serrures à gâchette sont
les plus ordinaires, et ne changent guère de forme jusqu'au XV<sup>e</sup> siècle.
 
Alors le pallâtre qui sert d'entrée, et sur lequel glisse la gâchette visible
à l'extérieur, est parfois décoré d'ornements de fer battu et finement
découpés. Entre ces ornements de fer battu et le pallâtre, est apposé un
morceau de drap rouge maintenu par les rivets qui retiennent les découpures.
 
[Illustration: Fig. 24.]
 
Il existe encore beaucoup de serrures de ce genre, et nous en donnons
(fig. 25) un exemple provenant d'une des grilles de la crypte de Saint-Sernin
de Toulouse<span id="note11"></span>[[#footnote11|<sup>11</sup>]]. Ici la gâchette est enfermée dans une gaine ou coque
(voy. la coupe en <i>ab</i>). En A, est le bouton en forme de coquille, qui permet
de faire mouvoir le verrou, lorsque le tour de clef est donné. On aperçoit
les petits rivets qui servent à fixer les feuilles de fer battu sur la plaque
du fond <i>d</i>. Le morceau de drap interposé est donc visible entre les découpures.
Les bords du pallâtre sont, comme dans les exemples précédents,
renforcés par une baguette en façon de torsade. En B, est la poignée de tirage, et en C, le profil du bouton A. Ce genre d'ornementation
produit beaucoup d'effet à peu de frais, car rien n'est plus aisé à faire,
pour un ouvrier habile, que ces feuilles de fer battu et modelé au marteau,
à froid. Dans cet exemple, pas de soudures, tout est rivé, excepté
le bouton A et l'embase de la poignée. Les petites feuilles de la poignée B
elles-mêmes sont maintenues à la boucle par des <i>langues-de-carpe</i> latérales,
qui ont été prises dans des grains d'orge, en courbant le fer de la
boucle à chaud, avant de souder ses extrémités à l'embase. Mais, avant
d'aller plus loin, il est nécessaire de dire que ces sortes de <i>frémures à
gâchette</i> n'étaient pas les seules serrures fabriquées pendant le moyen
 
[Illustration: Fig. 25.]
 
âge. La serrure <i>à bosse</i>, avec pêle manœuvrant intérieurement au moyen
de la clef, comme ce que nous appelons aujourd'hui serrures à <i>pêne
dormant</i>, était déjà en usage vers le milieu du XII<sup>e</sup> siècle. Il y avait
de ces serrures à un ou deux tours; elles étaient de celles qu'on appelle
<i>treffières</i>, c'est-à-dire ne pouvant s'ouvrir que par un côté, ou quelquefois
<i>bénardes</i>, c'est-à-dire ayant deux entrées. La serrure que nous
donnons ici (fig. 26), et que nous avons trouvée encore attachée à la
porte d'une maison d'Angers datant de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, est à deux
entrées. La porte, battant en feuillure, sans bâti dormant, et cette feuillure
étant large et profonde (0<sup>m</sup>,05, voyez en <i>a</i>); pour que la main ne soit point
 
[Illustration: Fig. 26.]
 
gênée par le tableau lorsqu'on tourne la clef, la boîte de la serrure est
éloignée de la rive de la porte (voyez la section horizontale A), et le pêle
glisse dans une gaine ou coque extérieure B, avant de s'engager dans la
gâche C. La serrure est posée à l'intérieur du vantail, et, à l'extérieur,
est une entrée de fer battu. La coque du pêle D est, par conséquent,
posée de même en dedans du vantail. La boîte ou bosse, biseautée sur
trois côtés, est rivée au pallâtre E, lequel est maintenu sur le vantail par
un grand nombre de clous passant par les trous percés dans ses débords
découpés. Les rivets qui maintiennent les ressorts et leurs brides sont
piqués dans le pallâtre, mais ceux des estoquiaux sont rivés également
sur la bosse de la serrure, et se combinent avec sa décoration, consistant
en des brindilles, des filets et des gravures. Une brindille en forme de V
guide le panneton de la clef dans son entrée; une autre brindille, soudée
à sa base sur un filet inférieur en torsade, donne de la force à la boîte et
de la prise aux rivures des estoquiaux, car alors on n'employait point
de vis dans les serrures.
 
En G, est présenté l'intérieur de la serrure; en <i>b</i>, l'entrée du panneton
avec ses fouets piqués sur le pallâtre; en <i>c</i>, les estoquiaux
qui servent à
maintenir la bosse de la serrure sur le pallâtre; en <i>d</i>, le pêle avec ses
cramponnets et ses ressorts. Le pêle est supposé fermé à un tour.
 
Dès le XV<sup>e</sup> siècle, on trouve déjà des serrures dites <i>à clenche</i>
ou <i>loquet</i>.
Ces serrures possèdent, outre le pêle dormant, un loquet monté sur le
pallâtre, au-dessous du pêle, et s'ouvrant au moyen d'un bouton ou d'une
bascule. Il existe encore une serrure de ce genre sur la porte de fer qui
donne entrée dans le cabinet de Jacques Cœur, dépendant de l'hôtel de
ce nom, à Bourges. Sur le pallâtre est monté un pêle dans le genre de
celui décrit ci-dessus, mais à un seul tour, et au-dessous du pêle
manœuvre
un loquet à ressort, s'ouvrant du dedans par une bascule, mais
pouvant s'ouvrir du dehors que par une clef; si bien que du dehors,
tirant la porte à soi, elle est fermée sans qu'il soit besoin de donner
un tour de clef pour pousser le pêle dans la gâche.
 
Il existait même des serrures qui ne se composaient que d'un loquet
pouvant, au besoin, être rendu immobile, et qui tenaient lieu de nos
serrures appelées <i>à tour et demi</i>.
 
[Illustration: Fig. 27.]
 
Voici (fig. 27) une assez jolie serrure de ce genre, datant de la fin du
XIV<sup>e</sup> siècle, et que nous avons dessinée sur une porte d'une maison de la
ville de Lalinde (Dordogne). Le mécanisme que donne notre figure se
compose d'un loquet à fléau A monté sur un tourillon <i>a</i>. Un ressort B
maintient ce loquet dans la position horizontale; alors son extrémité <i>c</i> est
engagée dans une gâchette retournée et montée sur le dormant ou dans
la feuillure. Si l'on veut que la porte reste fermée comme elle le serait
au moyen d'un pêle, on donne un tour de clef de <i>d</i> en <i>g</i>, et alors on a
fait descendre le râteau <i>h</i> de telle sorte qu'il appuie sur la queue du
loquet en <i>i</i>; dès lors ce loquet ne peut basculer. Si l'on veut que le loquet
reste mobile, on donne un tour de clef de <i>g</i> en <i>d</i>. Le râteau <i>h</i> se relève
en pivotant sur son axe <i>s</i>, et le fléau est mobile, comme l'est le pêle
d'une serrure <i>demi-tour</i>. Il suffit de relever la queue <i>e</i> du fléau pour que
son extrémité <i>c</i> échappe la gâchette. Poussant le vantail, la serrure se
ferme seule. Voici (fig. 28) la boîte de cette serrure à clenche. On voit
en A la queue du fléau qui, dépassant la boîte ou bosse de la serrure,
permet de faire échapper le pêle <i>a</i> de la gâchette <i>b</i> que nous avons
figurée au-dessous de sa place pour faire voir l'extrémité du fléau. La
bosse de la serrure étant posée en dedans de la pièce, il y a en dehors
une bascule B' (B' en profil), qui permet de relever la queue du fléau
lorsque le tour de clef ne l'a pas rendu immobile dans sa gâchette. En D,
est tracée la platine sur laquelle est montée la bascule B. Comme dans
les exemples précédents, les ornements qui garnissent la bosse reçoivent
les rivures des pièces intérieures et leur donnent plus de force que si
elles étaient faites simplement sur le fond de la boîte. Les bords de
celle-ci sont encore garnis de filets saillants dentelés au burin, qui lui
donnent une grande résistance.
 
Ces ouvrages de serrurerie ne sortent pas de l'ordinaire, et nous les
choisissons exprès parmi les exemples de fabrication commune. Nos
musées renferment encore bon nombre de serrures du XV<sup>e</sup> siècle qui
sont d'une richesse de composition et d'une perfection d'exécution bien
supérieures à ces derniers exemples. Mais nous ne devons envisager l'art
de la serrurerie qu'au point de vue de son application à l'architecture,
et, par conséquent, ne pas chercher à reproduire des œuvres
exceptionnelles
réservées pour des meubles de luxe. Il s'agit de faire ressortir les
procédés de fabrication employés par les serruriers pendant le moyen
âge, et de donner l'idée des formes qu'ils avaient su donner à la matière
employée.
 
C'est peut-être dans les ouvrages de serrurerie que l'on trouve
l'expression
la plus nette de l'esprit logique des artistes et artisans du moyen
âge. Le fer n'est point une matière qui se prête facilement aux
à-peu-près.
Dans l'art du serrurier, chaque partie doit avoir sa fonction, posséder le
degré de force nécessaire, sans excès, car le travail de ce métal est cher
et pénible, surtout si l'ouvrier ne possède aucun des engins puissants
qui sont aujourd'hui à notre disposition, et qui trop souvent viennent
suppléer aux défauts de conception du maître ou à la maladresse du forgeron.
 
[Illustration: Fig. 28.]
 
Quand le serrurier n'avait ni la lime, ni les machines à raboter,
ni les cylindres, ni même la vis, et qu'il lui fallait assembler des pièces
offrant une très-faible prise, son esprit était naturellement porté à s'ingénier,
à chercher des procédés compatibles avec la matière et la façon de
l'employer. Nous ne prétendons pas dire qu'il faille repousser les moyens
mécaniques que fournit l'industrie moderne, mais il est fâcheux souvent
que l'étendue et la puissance de ces ressources rendent l'esprit du constructeur
paresseux, s'il s'agit de combiner des ouvrages de serrurerie en
raison de la matière et des principes de structure que sa nature impose
forcément.
 
Les habitudes introduites dans l'architecture, depuis le XVII<sup>e</sup> siècle,
par le faux goût classique, nous ont appris, avant toute chose, à mentir.
Simuler la pierre ou le bois avec le plâtre, le fer forgé avec la fonte, la
charpente de bois en employant la ferronnerie; dissimuler les nécessités
de la structure; torturer toute matière pour lui donner une apparence
qui ne lui convient point, c'est à peu près ce en quoi consiste l'art de
l'architecte pour un certain nombre d'artistes et pour une grande partie
du public; et il faut avouer que les développements de l'industrie appliquée
aux travaux de bâtiment favorisent ces supercheries. Ayant moins
de ressources matérielles à leur disposition, nos artisans du moyen âge
étaient bien forcés de demander à leur intelligence ce que ne pouvait
leur fournir une industrie dans l'enfance. Au total, l'art n'y perdait pas.
L'œuvre de pacotille, vulgaire quant à la forme, vulgaire quant à la
conception, n'existait pas et ne pouvait exister. Elle était simple ou riche,
pauvre ou luxueuse, mais elle était toujours le produit d'un effort de
l'intelligence développée en raison de l'objet propre, et cet effort se reproduisait
chaque jour, et chaque jour avec un perfectionnement ou une
plus complète expérience. Il ne s'agissait pas de livrer à une machine
un morceau de matière qu'elle rend brutalement sous la même forme,
il fallait que l'intelligence et la main de l'artisan se missent à l'œuvre;
et ne fût-ce que pour obéir à ce sentiment naturel à l'homme qui le
pousse à chercher sans cesse le mieux, cet artisan, même en se copiant,
introduisait sans cesse dans son œuvre, soit une idée plus complète, soit
un calcul plus judicieux, soit une exécution plus logique, plus simple
et plus près de la perfection. Nous ne demandons pas qu'on brise les
machines, mais nous voudrions qu'elles ne prissent pas la place de l'intelligence.
 
Plus la matière est revêche, plus, lorsque l'homme la travaille,
doit-elle
s'empreindre de la marque de sa volonté. Elle n'exprime la puissance
de cette volonté que si l'artisan tient compte des propriétés mêmes de
cette matière, que s'il la rend docile en manifestant clairement ces propriétés.
Si l'homme, à force d'industrie, parvient à nous faire prendre un
morceau de fer pour un morceau de bois, et, du détail à l'ensemble,
une œuvre de ferronnerie ou de charpente pour une œuvre de maçonnerie,
nous disons qu'il emploie mal son intelligence, et qu'il abuse de la
matière au lieu de l'utiliser.
 
Dans tous les exemples de serrurerie présentés plus haut, on a pu
observer
que jamais les pentures, les attaches ou entrées des serrures, etc.,
ne sont entaillées dans la menuiserie. Le bois reste intact, la serrurerie
se pose à la surface sans l'entamer. Il y avait dans cette méthode un
avantage au point de vue de la fabrication, c'est qu'il fallait que ces ouvrages de serrurerie, destinés à rester apparents, fussent façonnés avec
soin et fussent solides: au point de vue de l'art, l'avantage était au moins
aussi important, car l'artisan s'ingéniait à trouver les combinaisons décoratives
convenables en raison de la matière, de l'objet et de la place. La
forme adoptée, étant <i>vue</i> toujours, devait être agréable et indiquer la
fonction. Si, au contraire, on noie dans le bois la plus grande partie des
objets de serrurerie fine, ce que nous appelons aujourd'hui la quincaillerie,
il importe peu que ces objets revêtent une forme convenable
ou agréable; il devient même assez difficile de reconnaître si ces objets
sont bien fabriqués, ou grossiers ou vicieux, car l'architecte ne peut voir
une à une toutes les paumelles, équerres, ou serrures d'un grand bâtiment,
avant leur pose. Les attaches de ces objets étant noyées dans la
menuiserie, puis recouvertes de peinture, les défauts sont masqués et ne
se dévoilent que par les accidents qu'ils occasionnent. Ainsi, en arrivant
à dissimuler une bonne partie des objets de serrurerie aux yeux, on a provoqué
les malfaçons, les négligences, la fraude. À menteur, menteur et
demi: c'est trop naturel. Pour satisfaire aux règles imposées par le classicisme
majestueux qui nous dominait si fort, l'architecte dissimulait et dissimule
encore des escaliers, des tuyaux de cheminée, des conduites d'eau
et (descendant aux détails) des ferrures nécessaires. Jugeant, non sans
raison, que ce qui doit être dissimulé ferait tout aussi bien de ne pas
être, ou tout au moins de n'exister qu'à l'état incomplet, les metteurs en
œuvre ne se font pas faute de falsifier ou d'omettre cette marchandise
qu'une majestueuse pudeur voudrait soustraire aux regards. Aussi
est-il
souvent nécessaire, aujourd'hui, de rappeler les serruriers dans une bâtisse
nouvellement terminée, pour réparer toute la quincaillerie si bien
dissimulée sous la peinture et même la dorure<span id="note12"></span>[[#footnote12|<sup>12</sup>]]: car, après tout, il faut
qu'une porte ou une croisée roule sur ses gonds, ses charnières ou ses
paumelles; qu'un verrou et une serrure fonctionnent; que les vis aient
de la prise, et les fers de la quincaillerie une épaisseur convenable pour
résister à l'usage.
 
Lorsque toutes les parties de la serrurerie fine étaient apparentes;
lorsque même, étant apparentes, elles contribuaient à la décoration,
force était de leur donner une forme en harmonie avec leur destination,
et de veiller à la bonne exécution d'ouvrages que l'œil le moins exercé
pouvait vérifier sans cesse. Moins préoccupés du majestueux que nous ne
le sommes, les maîtres du moyen âge cherchaient, pour les ouvrages de
quincaillerie, les combinaisons les plus simples, sans jamais les dissi-*
muler, et parfois ces ouvrages sont de véritables chefs-d'œuvre, en
ne considérant
que la forme d'art adaptée à l'usage.
 
[Illustration: Fig. 29.]
 
En fait d'objet de serrurerie, rien n'est plus simple que l'ancien
loquet
à battant ou fléau; et cependant, pour qu'un de ces loquets fonctionne
bien et longtemps, il faut qu'une platine garnisse le vantail, afin
d'empêcher le frottement du fléau sur le bois; que la bascule ou pouçoir
agisse sans effort sous la pression du doigt; que le fléau ait un poids
convenable pour retomber dans son mentonnet, etc. Dans l'exemple que
nous donnons ici (fig. 29)<span id="note13"></span>[[#footnote13|<sup>13</sup>]], le fléau pivotant sur le boulon A, muni d'une double rondelle, l'une sur le bois, l'autre sous la tête du boulon,
tombe dans son mentonnet B, si l'on pousse le vantail, en glissant sur
le plan incliné de ce mentonnet. Un support C, rivé à la platine, muni
d'un double œil, reçoit le pouçoir D. À l'extérieur, un autre pouçoir E,
figuré en E', passe à travers le vantail, et vient poser son
<i>pied-de-biche</i>
sous le fléau, à côté de celui de l'intérieur. Du dehors il suffit d'appuyer
sur le pouçoir E et de pousser la porte, pour l'ouvrir; mais à l'intérieur,
comme il faut tirer le vantail à soi, le support C permet de passer l'index
entre lui et la platine, d'appuyer le pouce sur le pouçoir D, et de tirer la
porte en même temps que l'on fait lever le fléau. La platine est découpée
de façon à composer une ornementation qui s'accorde avec la place des
clous. En G, nous donnons deux autres formes de pouçoirs, et en H,
deux pouçoirs qui, au lieu d'être posés l'un à côté de l'autre, agissent,
celui du dehors sous le pied-de-biche de celui du dedans.
 
Quoique presque toute la quincaillerie ancienne ait été détruite, il nous
en reste encore des exemples assez nombreux pour faire connaître avec
quel soin relatif elle était, traitée même dans les bâtisses les plus ordinaires.
Des serrures, des poignées, des loquets que l'on découvre encore
attachés à de vieilles portes de maisons, d'hôtels et d'églises du moyen
âge, dévoilent une industrie pleine de ressources. La variété des formes
de ces objets est assez grande pour qu'il nous soit impossible de présenter
à nos lecteurs un spécimen de chacun d'eux; nous devons nous borner
aux plus essentiels. Peut-être même pensera-t-on que nous nous
étendons
trop sur ces ouvrages de serrurerie fine; mais on est si disposé
à croire à l'imperfection grossière des industries du moyen âge, qu'il nous
a paru nécessaire d'en montrer les produits, non point destinés à des
monuments luxueux, mais à des habitations ordinaires. L'industrie de la
quincaillerie était très-développée déjà en France au XIV<sup>e</sup> siècle, mais
aussi en Suisse, en Bavière, en Bohême, sur les bords du Rhin, tandis
qu'à cette époque elle était encore restée barbare en Italie. Ce ne fut
que vers le milieu du XV<sup>e</sup> siècle que les villes italiennes se mirent à leur
tour à fabriquer des objets de fer d'une grande finesse d'exécution et
d'une assez bonne composition. Il faut dire cependant que jamais, dans
la Péninsule, cette belle industrie ne sut allier l'art à la nécessité, au
besoin, comme surent le faire les artisans de France. Les formes de la
serrurerie fine d'Italie, très-heureuses souvent, ont le défaut de ne s'accorder
nullement avec l'objet. Pour notre part, dans tout ce qui touche
à l'art de l'architecture, nous pensons qu'une exécution séduisante seule,
si le raisonnement n'est pas intervenu, si la concordance entre la forme
et le besoin tracé fait défaut, ne saurait constituer une œuvre complète.
Nous avons pour nous les Grecs de l'antiquité; tous les objets qu'ils nous
ont laissés sont profondément pénétrés de ce double caractère: une
expression très-vive et très-juste; une exécution en rapport avec l'objet
et sa destination.
 
Cette serrure à bosse et à pêle dormant (fig. 30), dont le pallâtre est
 
[Illustration: Fig. 30.]
 
découpé de manière à bien s'attacher au vantail, dont la face externe est
décorée de feuilles de fer battu, avec tigettes guidant la clef dans l'entrée,
avec embase renforcée pour résister à une pesée, ainsi que le fait
voir la section A, a certainement une forme parfaitement appropriée à
l'objet et à la nature de la matière employée. Ces feuilles donnent de la
prise aux rivures du mécanisme, et décorent la plaque de tôle en la ma-*
riant, pour ainsi dire, au bois qu'elle recouvre. L'entrée B, légèrement
entaillée dans le vantail, ainsi que le montre la section C,
n'est-elle point
une jolie composition indiquant bien la matière employée, se prêtant
exactement à la fonction qu'elle remplit? Les artisans du XV^e siècle qui
ont fabriqué ces objets usuels ne nous font-ils pas voir qu'ils ont raisonné,
qu'ils ont laissé sur ces morceaux de fer assemblés la trace de
leur intelligence et de leur goût<span id="note14"></span>[[#footnote14|<sup>14</sup>]]?
 
[Illustration: Fig. 31.]
 
Cet anneau de tirage {fig. 31), dont le fond, sous les feuillages de fer
battu, est garni de drap rouge, n'est-il pas une composition charmante,
décorative<span id="note15"></span>[[#footnote15|<sup>15</sup>]]?
Un morceau de drap rouge garnit égalemeht le fond sous le feuillage
de l'embase de la serrure précédente (fig. 30).
 
[Illustration: Fig. 32.]
 
Outre les divers genres de serrures dont nous venons de présenter des
exemples, on employait encore, pour fermer les vantaux de grandes
portes, de longs verrous, avec moraillon. Ces verrous, poussés en dedans,
ne pouvaient, bien entendu, s'ouvrir du dehors, comme les serrures à
double entrée. Ils servaient à barrer les portes charretières, les
grandes
portes d'églises, les vantaux de portes d'enceintes, et ne laissaient rien
apparaître au dehors. La barre horizontale, formant verrou, glisse dans
deux pitons ou deux embrasses fortement attachées au vantail, et
s'engage
dans une gâche, si le vantail bat en feuillure, ou dans un troisième piton, si les vantaux sont doubles. Le verrou poussé, l'auberon
du moraillon tombe dans une auberonnière percée dans la boîte de la
serrure, au-dessus de l'entrée. Un pêle passe dans l'auberon au moyen
d'un tour de clef, si l'on veut que le verrou reste fixe. Ces sortes de verrous
avec serrure à bosse avaient nom <i>vertevelles</i>. La figure 32 présente
une vertevelle. Le verrou A est forgé à pans et non cylindrique, ce qui
facilite le glissement dans les embrasses ou pitons. L'auberon est
supposé
entrer dans l'auberonnière, et la serrure fermée. Si la porte est à
un seul vantail, à la place du piton B est une gâche scellée dans la
feuillure de pierre, ou fixée au dormant de bois. Après que l'embrassé B''
a été coulée dans la barre, la tête C de celle-ci a été forgée et burinée.
Cette tête sert à tirer le verrou, lorsque le moraillon est soulevé. Un
arrêt E, forgé avec la barre, arrête le verrou, de façon que son extrémité
D ne puisse échapper l'œil de l'embrasse F.
 
Ces vertevelles ne sont pas rares, et beaucoup de vieilles portes en
possèdent encore. Celle-ci était placée à l'intérieur de la porte de l'église
de Savigny-en-terre-pleine (Yonne)<span id="note16"></span>[[#footnote16|<sup>16</sup>]]; mais le verrou tombait dans une gâche scellée au trumeau.
 
Outre ces verrous horizontaux formant barres, il fallait munir les vantaux,
qu'ils fussent simples ou doubles, de verrous bas, verticaux, tombant
dans une gâche scellée dans le seuil, tant pour empêcher les vantaux
de gauchir que pour rendre une effraction beaucoup plus difficiles.
Ces verrous se composent d'une barre de fer verticale glissant dans deux
embrasses rivées sur des platines. À sa partie supérieure, la barre est
munie d'un anneau mobile qui permet de la soulever et de faire sortir
son extrémité inférieure de la gâche.
 
[Illustration: Fig. 33.]
 
La figure 33 présente un de ces verrous, dont la forme est bien connue.
 
Lorsqu'il est soulevé et qu'on ouvre le vantail, pour que la partie inférieure
de la barre ne traîne pas sur le sol, on passe l'anneau dans le
crochet A<span id="note17"></span>[[#footnote17|<sup>17</sup>]]. On façonnait aussi des verrous hauts, pour maintenir la partie
supérieure du vantail, dont l'anneau était remplacé par un moraillon, ou
par un piton dans lequel entrait la barre du verrou horizontal. Mais ces
verrous hauts se manœuvraient difficilement, on leur préférait les fléaux
horizontaux ou verticaux.
 
On apportait, pendant le moyen âge, une attention particulière à la
ferrure des vantaux de portes fortifiées. Il n'est resté en place qu'un bien
petit nombre de ces ferrures antérieures au XVI^e siècle; mais, par les
scellements, on peut juger de l'importance des moyens de fermeture
employés pendant les XIII<sup>e</sup>, XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles pour les portes de villes et
de châteaux. Certains vantaux<span id="note18"></span>[[#footnote18|<sup>18</sup>]] étaient maintenus au moyen de deux
barres de bois rentrant dans le mur, d'une barre fixe tenant à un
vantail
(voyez BARRE), d'un verrou haut, d'un verrou bas et d'une vertevelle.
L'emploi fréquent des engins de guerre pour lancer des projectiles, la
manœuvre des ponts à bascule, des ponts-levis, des herses, avaient
familiarisé
les serruriers avec certains moyens mécaniques assez simples
comme principe, ingénieux cependant, puissants et pratiques. Alors on
ne songeait pas, comme aujourd'hui dans la serrurerie fine, à cacher les
mécanismes; ils étaient au contraire apparents, et à cause de cela
même d'un entretien facile. L'habitude que l'on avait prise, dans toute
place forte, de faire manœuvrer de grandes pièces de charpente avec
rapidité, exigeait une certaine précision dans les ouvrages de serrurerie
et une grande solidité. Les grands verrous à crémaillère, pour fermer
des vantaux de portes très-lourds et d'une hauteur de 4 à 5 mètres, étaient usités. Nous avons vu de ces verrous attachés, il y a
quelque
vingt ans, à des vantaux de portes de villes, notamment à Verdun.
Il en existe encore en Allemagne, à Nuremberg. La figure 34 explique
le système adopté. Un lourd verrou de fer carré est maintenu au
sommet
du montant du vantail par quatre embrasses <i>a</i>. Sur les flancs de ce
verrou sont fortement cloués deux paliers <i>b</i>, recevant entre eux un levier
à engrenage <i>c</i>, lequel roule sur un axe <i>d</i>. Deux dents d'engrenage tiennent
au verrou et s'engagent entre les trois dents du levier. À l'extrémité
de celui-ci est un boulon traversant la fourchette d'une tige <i>t</i> de fer tordu,
descendant à portée de la main et terminée à sa partie inférieure par
une poignée <i>p</i>, munie d'un moraillon <i>e</i>. En tirant la tige de haut en bas,
on fait naturellement glisser le verrou, qui entre alors dans sa gâche <i>g</i>;
en poussant au contraire la tige de bas en haut, on fait sortir le verrou de
sa gâche. Quand le verrou est poussé dans sa gâche, on enfonce
l'auberon <i>e</i>
 
[Illustration: Fig. 34.]
 
du moraillon dans l'auberonnière d'une serrure qui reçoit également
l'auberon d'un verrou horizontal. Un tour de clef empêche qu'on
ne puisse faire manœuvrer et ce verrou et la tige. Ce n'est là, de fait,
qu'une sorte de crémone puissante dont le mécanisme agit
perpendiculairement
à la face du vantail, au lieu d'agir parallèlement à cette face.
En A, est figuré le mécanisme en perspective, la tige ayant été tirée de haut
en bas pour faire glisser le verrou dans sa gâche. Deux petits cylindres <i>h</i>,
ou rouleaux libres sur un axe, noyés dans le vantail, sous le verrou, empêchent
le frottement de celui-ci sur le bois, occasionné par la pression de
l'engrenage, et facilitent singulièrement la manœuvre, soit pour ouvrir,
soit pour fermer. La torsion du fer carré de la lige <i>t</i> donne à celle-ci
le roide nécessaire pour qu'elle ne ploie pas, si elle est longue, lorsqu'il
s'agit de la pousser de bas en haut pour ouvrir le verrou. À coup sûr,
tout cela n'est pas de la mécanique bien avancée, mais c'est
ingénieux,
solide, apparent, facile à réparer, et pouvant être exécuté par le
premier
forgeron venu.
 
On ne saurait trop regretter la disparition journalière de tous ces objets
de serrurerie du moyen âge dans nos anciens édifices civils, religieux
ou militaires. On en trouvait encore beaucoup il y a vingt et trente ans;
ils sont aujourd'hui devenus très-rares. Usés, hors de service, attachés à
des bois vermoulus, on les jette à la ferraille habituellement,
lorsqu'on
fait des réparations. Il eût été cependant intéressant et utile de recueillir
ces objets dans un musée, qui serait très-riche maintenant et fort instructif
pour nos artisans de ferronnerie. Mais nous n'en sommes pas arrivés à
considérer les musées comme des collections d'une utilité réelle pour
notre industrie, ce ne sont encore en France que des amas d'objets destinés
à satisfaire la curiosité des amateurs ou des archéologues, ou
encore
des lieux d'étude pour les artistes, peintres et statuaires. L'art ne
vit cependant chez un peuple que quand il a pénétré partout, quand
on le trouve aussi bien sur la cheminée d'un grand seigneur que sur la
table de cuisine de l'ouvrier, sur le marteau de la porte d'un palais
que sur la targette de l'humble croisée du petit bourgeois, sur la
poignée de l'épée du général que sur la plaque de ceinturon du soldat.
Si vulgaires que soient les objets de serrurerie du moyen âge, l'art approprié
à la matière, y trouve sa place; l'art était un besoin pour tous,
non une affaire de luxe réservée pour quelques privilégiés. Ce qu'on
ne trouvait point alors, c'est l'art de pacotille, l'apparence du luxe donnée
à un objet de peu de valeur.
 
Nous avons montré un certain nombre d'exemples de fermetures de
vantaux de portes. Les exemples de fermetures de croisées sont beaucoup
plus rares; cette menuiserie, plus légère que celle des vantaux, plus exposée
aux intempéries, a été détruite plus rapidement. Il nous faudra
fouiller dans les vieilles ferrailles pour trouver quelques restes de fermetures
de croisées. L'intérêt qui nous a toujours paru s'attacher à
l'ancienne
fabrication du fer, alors même qu'on vendait partout les plus
belles ferronneries forgées, pour leur substituer des fontes d'un si triste
goût, nous a poussé, il y a déjà longtemps, à recueillir bon nombre de
dessins de ces vieilles ferrures si fort méprisées, ferrures qui ont disparu
sous la main de la plupart des restaurateurs de châteaux depuis trente ans.
C'est ainsi qu'au château de Chastellux, près de Carré-les-Tombes (Yonne),
on voyait encore en 1839 des châssis de croisées du XIV<sup>e</sup> siècle armés de
leurs grands verrous. Il est vrai que ces ferrures étaient hors de service,
les châssis étant complétement pourris et doublés par des volets fixes,
mais les pièces de leur mécanisme très-simple étaient toutes conservées.
Ces verrous..., plutôt ces crémones (fig. 35), consistaient en une tige de
 
[Illustration: Fig. 35.]
 
fer méplat de 0<sup>m</sup>,02 (9 lignes) sur 0<sup>m</sup>,011 (5 lignes). À cette tige était
adaptée une poignée <i>a</i> (voyez l'ensemble A). En <i>bb</i>, la tige formait des
boucles dans lesquelles passaient les queues en volutes de deux
loqueteaux.
En haussant la tige, on faisait échapper les loqueteaux de leurs
mentonnets;
en la baissant au moyen de la poignée <i>a</i>, on faisait rentrer ces
loqueteaux dans leurs mentonnets: alors le pied de la tige, formant verrou,
entrait dans une gâche inférieure <i>d</i>. Des embrasses <i>e</i> retenues par deux
pattes, et des embrasses <i>f</i> retenues par une seule, maintenaient la tige et
dirigeaient son mouvement. Des détails vont faire saisir le système adopté
dans la façon de cette crémone. En B, est la section du montant du
châssis, avec la boucle de la tige en E, la queue du loqueteau passant
dedans en F, le boulon à clavette servant de pivot à ce loqueteau en C, et
le mentonnet en D. En G, est tracée la face d'un des loqueteaux avec sa
queue passant dans la boucle de la tige. Le tracé ponctué indique la position
que prend le loqueteau, lorsqu'on fait glisser la tige de bas en
haut par le moyen de la poignée P. En G', est tracée la coupe du loqueteau
avec la boucle de la tige, et en <i>g</i> le mentonnet. En H, est figurée
une embrasse à deux pattes; en I, à une seule patte, la section de celle-ci
étant en <i>i</i>. On observera que ces embrasses à une seule patte sont
ainsi façonnées pour ne prendre que le plein bois du châssis. En K, est
représentée l'extrémité inférieure de la crémone avec son embase L
servant de gâche et clouée sur la traverse basse du dormant. Un tracé
perspectif M explique la position du loqueteau et de sa queue engagée librement dans la boucle de la tige.
 
Cette crémone maintenait donc le châssis dans son dormant au moyen
de trois fermetures, deux loqueteaux latéraux et un verrou bas. À l'aide
des mentonnets et de la gâche inférieure, ce châssis pouvait même être
<i>rappelé</i>, s'il venait à gauchir. Le forgeron avait donné à la poignée P une
forme qui permettait de faire glisser la tige aussi bien de bas en haut, pour
ouvrir, que de haut en bas, pour fermer. Les tiges étaient forgées assez
grossièrement entre les parties destinées à couler dans les embrasses,
mais la poignée, les loqueteaux, les embrasses, étaient façonnés au marteau
et au burin avec le plus grand soin.
 
La figure 36 présente divers fragments de serrurerie appartenant au
milieu du XV<sup>e</sup> siècle environ. En A, est un débris de crémone
dépendant
très-probablement d'une croisée<span id="note19"></span>[[#footnote19|<sup>19</sup>]]; une poignée B, dépendant de
la même crémone, faisait mouvoir les deux bielles <i>a</i> attachées à un axe
O, et, par suite, les deux tiges C C' en sens inverse. En appuyant sur la
poignée de haut en bas, la tige C s'élevait et s'enfonçait dans une gâche
supérieure; la tige C' s'abaissait et tombait dans une gâche inférieure,
comme le font les tiges de nos crémones modernes. En D, est tracé le
profil du mécanisme, avec le boulon et sa clavette; en B', la face de la
poignée; en E, une des embrasses très-finement composées et forgées.
 
Une autre embrasse avec platine, appartenant également au XV<sup>e</sup> siècle
et ayant dû servir à diriger une tige de verrou ou de crémone, est figurée
en G<span id="note20"></span>[[#footnote20|<sup>20</sup>]].
 
En H, nous présentons encore un excellent système de loqueteau à
bascule employé fréquemment au XIV<sup>e</sup> et au XV<sup>e</sup> siècle pour fermer de
 
[Illustration: Fig. 36.]
 
petits châssis de croisée. Le mentonnet est entaillé et fortement cloué
sur le côté du dormant, dans sa feuillure. La main a une grande force
pour ouvrir ou fermer ce loqueteau à bascule, par le moyen de ce levier
détourné, et saillant assez pour éviter le froissement des doigts contre le
bois du châssis. De plus, ces loqueteaux rappellent très-énergiquement
les châssis dans leur feuillure.
 
Le tracé perspectif K donne une très-jolie poignée de porte de la
même époque et attachée sur un vantail intérieur de l'église
Saint-Pierre,
à Strasbourg. Ces sortes de poignées, assez communes en Alsace, se
composent de deux tiges horizontales <i>hh</i>, qui passent à travers le vantail
et sont rivées de l'autre côté sur une platine. Un cylindre de fer battu <i>l</i>,
orné de moulures et de divers ornements, est, d'autre part, rivé à ces
deux tiges horizontales. Un rinceau à travers lequel passent les tiges tient
lieu intérieurement de platine et est cloué sur le vantail. En L, nous
donnons le profil du cylindre, et en N le plan du bouquet supérieur <i>n</i>,
lequel est composé de deux petites plaques de fer battu rivées en croix
et formant bouton, et de quatre feuilles découpées dans un cornet
également de fer battu. Sur chacune des folioles est rivée une fine tigette
avec un bouton, à peu près comme la graine du tilleul est attachée
à son support. Tous ces derniers ouvrages de serrurerie sont exécutés avec une grande perfection.
 
Il nous reste à parler, en fait de suspension et de fermeture d'huis,
des targettes, des paumelles, charnières, équerres, etc. On donne le nom
de targettes à de petits verrous adaptés à des châssis de croisée, lorsqu'ils
n'ont qu'une faible dimension; à des vantaux de volets ou d'armoires.
Très-rarement, pendant le moyen âge, jusqu'au XV<sup>e</sup> siècle, les
châssis de croisée avaient-ils des dimensions dépassant en hauteur trois
ou quatre pieds sur deux ou trois pieds de largeur, puisque les fenêtres
étaient divisées par des meneaux verticaux et des traverses de pierre
(voyez FENÊTRE, MENUISERIE). Dès lors, pour fermer des châssis d'une
dimension si médiocre, il n'était besoin que de targettes, et l'emploi des
crémones ou grands verrous hauts et bas n'était guère commandé. Aussi
les targettes sont-elles beaucoup plus communes, dans les édifices
publics
ou privés anciens, que les crémones ou fléaux. Quant aux fermetures
auxquelles on donne le nom d'<i>espagnolettes</i>, leur emploi ne date, en
France, que du XVIII^e siècle. Les espagnolettes remplacèrent, pour fermer
les châssis de croisée d'une grande dimension et à deux vantaux,
les verrous hauts et bas, les fléaux, les barres, les crémones combinées
comme celles présentées ci-dessus. Il ne faut point oublier que pendant
le moyen âge, on ne faisait pas de châssis de croisée à deux vantaux,
puisque les fenêtres étaient garnies de meneaux de pierre, si elles dépassaient
une dimension médiocre. Les crémones que nous avons données
figures 35 et 36 étaient posées sur des châssis à un seul vantail, et
les retenaient dans leur dormant, ou simplement dans la feuillure de
pierre du meneau. De nos jours on a abandonné l'espagnolette pour
revenir aux crémones, qui ne sont point cependant d'invention moderne,
et qu'on n'a jamais cessé d'employer en Italie et dans certaines parties
de l'Allemagne.
 
Les targettes donc étaient la fermeture ordinaire des châssis d'une
petite dimension; on en plaçait une ou deux dans la hauteur du
battement,
et quelquefois ces targettes fermaient en même temps et la croisée
et le volet intérieur, ainsi que nous le verrons tout à l'heure. On trouve
une grande variété de targettes, et il semble que les serruriers se soient
plu à donner à cet ustensile vulgaire les formes les plus originales et les
plus gracieuses.
 
[Illustration: Fig. 37.]
 
Voici (fig. 37) quelques exemples de ces targettes fixées à des châssis
de croisée. La targette A<span id="note21"></span>[[#footnote21|<sup>21</sup>]] se compose d'une coque à section trapézoïde,
dans laquelle glisse un pêle à section pareille, ont les angles aigus sont
abattus. La coque est fendue sur sa face, de manière à laisser passer
un piton tenant au pêle auquel est rivée librement une poignée mobile.
Deux filets-embrasses, avec talons <i>a</i>, renforcent la coque le long de ses
rives, et permettent de la fixer au battement de la croisée au moyen des
pointes <i>b</i> qui sont rabattues en dehors. Le pêle entre simplement dans
une platine à gâche fixée au meneau, car ici la croisée ne possède pas
de dormant. Cette autre targette B est dans le même cas: son pêle tombe
dans une platine à gâche; sa coque est maintenue, comme la précédente,
à la traverse du châssis par deux embrasses à pointes. La poignée,
au lieu d'être mobile, consiste en un animal finement forgé et buriné,
qui, étant bien en main, facilite le tirage ou la poussée<span id="note22"></span>[[#footnote22|<sup>22</sup>]]. En <i>d</i>, la targette
est présentée de profil; en <i>e</i>, de face (l'animal étant supposé enlevé). Le
tracé <i>g</i> donne sa section. Le piton de la poignée mobile de la targette A
et la poignée fixe de la targette B sont ri vés aux pêles avant que les platines
formant fond aient été elles-mêmes rivées aux coques: cela est
tout simple.
 
La targette C appartenait à un châssis de croisée muni d'un dormant,
puisque la gâche <i>h</i> existe<span id="note23"></span>[[#footnote23|<sup>23</sup>]], et était encore fixée à ce dormant. La poignée,
en façon de jambe, est mobile (voyez la section <i>l</i>). La coque n'a pas la
forme d'un trapèze, mais d'un parallélogramme; elle n'est plus fixée par
des embrasses à pointes, mais par des clous passant à travers les débords
de la platine de fond, à laquelle sont rivées les embrasses. Comme précédemment,
cette platine de fond n'a été fixée que quand le pêle a été
ajusté dans le devant de la coque et que le piton portant la goupille de
la poignée a été rivé. Ces objets sont délicatement travaillés, en bon fer
et solidement faits.
 
Mais les châssis de croisée, pendant le moyen âge, étaient le plus
habituellement
munis de volets intérieurs qui se fermaient par parties, de
manière à donner plus ou moins de jour dans les appartements (voyez
MENUISERIE, fig. 20). Ces volets étaient ferrés sur les dormants, mais
plus habituellement sur les châssis ouvrants, de manière qu'il ne fût
pas nécessaire de développer le vantail préalablement, pour ouvrir la
fenêtre. Dans le premier cas, les targettes étaient disposées de telle manière
qu'il fallait absolument ouvrir les volets pour ouvrir la fenêtre, afin
de ne pas risquer, par inadvertance, de forcer les paumelles ou les pivots
du châssis de croisée; mais aussi ces targettes fermaient-elles, au besoin,
le châssis de croisée et les volets, soit un, soit deux, suivant le besoin.
 
La figure 38 nous montre une de ces targettes<span id="note24"></span>[[#footnote24|<sup>24</sup>]]. Cette fois, le pêle ne glisse pas dans une coque, mais, fendu dans sa longueur, des deux côtés
de la poignée, il laisse passer dans chacune de ses coulisses deux clous-guides
<i>a</i>, terminés par une pointe double rivée sur le bois de la traverse
du châssis, en dehors. La gâche <i>b</i> est fixée au dormant, mais de façon
que le pêle de la targette dépasse la largeur de cette gâche de la course <i>ef</i>.
Ce pêle est muni de deux oreilles <i>h h'</i> (voyez la section en
h'') évidées
par-dessous. Quand on veut fermer un volet <i>v</i>, on a poussé la targette
au bout de sa course, comme le montre le tracé; on fait battre le vantail
du volet, dont les angles sont munis de pannetons <i>p</i>; puis on ramène la
targette en arrière de la portion de course <i>fe</i>: alors l'oreille <i>h'</i> appuie
sur le panneton <i>p</i>. Voulant fermer les deux portions de volets à la fois,
l'oreille <i>h</i> appuiera de même sur le panneton de l'angle inférieur du volet
supérieur. Il est clair que dans ce cas, pour ouvrir la fenêtre, il faut ouvrir
les volets, puisque l'épaisseur de ceux-ci empêche le pêle de la
targette
de sortir de sa gâche. En A, est tracée la section de cette targette
avec l'un des volets fermés, et en B, la façon dont le panneton est fixé
par des clous à l'angle du volet.
 
[Illustration: Fig. 38.]
 
Il n'est guère besoin de dire que, dans ces sortes de châssis de croisée,
il y a une traverse entre chaque volet, et qu'il y a autant de targettes qu'il
y a de traverses. Le pêle à coulisses glisse sur une platine dont les débords
<i>d</i> sont munis de clous.
 
Quand les volets sont ferrés sur le châssis de croisée, et non sur le dormant,
ils sont maintenus souvent par des targettes spéciales qui
permettent
d'ouvrir la croisée sans développer les volets.
[Illustration: Fig. 39.]
 
Voici encore (fig. 39) un système de fermeture de croisées avec volets,
qui était adopté au XV<sup>e</sup> siècle, dans les provinces du Nord, où, à cette
époque, l'industrie de la quincaillerie était fort développée. Ce système
consiste en une tige verticale (voyez l'ensemble du battement de croisée
en A), munie à ses extrémités de pignons qui font mouvoir deux
targettes,
l'une haute, l'autre basse, à crémaillère. Des mentonnets, au
nombre de quatre, rivés à la tige, entrent dans des boucles attachées aux
angles des deux volets fermant séparément les deux panneaux vitrés de
la croisée. Une poignée permet de faire tourner la tige verticale sur son
axe suivant un quart de cercle. En tournant, cette tige pousse les targettes
dans leurs gâchettes scellées dans la feuillure de pierre, et engage les
mentonnets dans les boucles des volets, si l'on veut les fermer, comme le
faisaient les espagnolettes dont on se servait encore il y a peu d'années.
 
En B, est tracée de face l'extrémité supérieure de la tige verticale, avec
son pignon, sa targette à crémaillère et l'un des mentonnets. En C, la
tige est présentée de profil avec le battement de la croisée. En D, une
section horizontale fait comprendre le mécanisme. En E, est présenté un
des pitons maintenant la tige et dans lesquels elle pivote. On voit, en F,
une des boucles des volets, et en G, la poignée de face et de profil. Sur
la section D est indiqué en <i>aa'</i> le mouvement imprimé à la poignée pour
faire pivoter la tige, pousser les targettes, et faire tomber les mentonnets
dans les boucles.
 
La tige verticale est renforcée aux points où elle reçoit, en mortaises,
les pignons, les mentonnets et la poignée, cette dernière rivée. Entre les
pitons dans lesquels elle tourne, cette tige, forgée carrée, est tordue en
spirale, ce qui lui donne du roide. En H, est figurée une autre poignée
dont l'attache vient saisir la tige et est fixée par deux goupilles. Le fer,
aplati en palette, est gondolé (voyez la section horizontale h), puis enroulé
autour d'un bâtonnet également de fer.
 
Les pitons à deux pointes rabattues en dehors du battement (voyez en <i>d</i>)
passent à travers une platine <i>p</i> clouée sur le bois, afin que le mouvement
de la tige ne puisse agrandir peu à peu le trou pratiqué dans le montant.
Aux extrémités, ces platines reçoivent encore, en rivure, les embrasses
des targettes (voyez en <i>g</i>).
 
Ces ferrures, provenant de débris recueillis dans nos villes du Nord et
en Belgique, devaient présenter bien d'autres variétés; nous ne pouvons
avoir la prétention de les donner toutes, il faudrait pour cela un traité
spécial. Peut-être pensera-t-on que nous n'insistons que trop sur cette
branche de l'industrie du bâtiment? mais le peu d'attention que l'on a
prêté généralement à notre ancienne ferronnerie, dont la forme est toujours
si bien adaptée à la matière; l'ignorance qui a fait jeter à la vieille
ferraille tant d'objets propres à exciter l'intelligence de nos artisans; les
idées erronées que l'on entretient parmi les architectes sur ces industries
où nous aurions tant à prendre; les abus que la facilité des moyens d'exécution
introduit dans la ferronnerie moderne, tout cela nous entraîne à
multiplier les exemples.
 
Nous dirons donc encore quelques mots sur les paumelles, charnières,
 
 
 
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<span id="footnote7">[[#note7|7]] : D'un fragment de pentures (commencement du XV<sup>e</sup> siècle) d'une maison à Gallardon.
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : Le <i>pallâtre</i> (<i>pallastre</i>, <i>palâtre</i>) est la plaque de fer battu ou de tôle sur laquelle
sont <i>piquées</i>, c'est-à-dire montées et rivées les pièces du mécanisme de la serrure. <i>Pallâtre</i>
est aujourd'hui féminin, mais Jousse le fait masculin. <i>Palliastrum</i>, qui peut être
l'étymologie de <i>pallastre</i>, et qui signifie <i>manteau grossier</i>, est neutre; nous conserverons
le genre masculin à ce mot.
 
<span id="footnote9">[[#note9|9]] : On dit aujourd'hui <i>pêne</i>, mais le mot <i>pesle</i> qu'emploie Jousse nous semble devoir
être maintenu dans cet article sur l'ancienne serrurerie. <i>Pesle</i>, en effet, vient de <i>pessulus</i>
(pièce de bois pour barrer une porte), et, conformément à la méthode de contraction
de la langue française, devait s'écrire <i>pesle</i>, et non <i>pelle</i>, comme l'écrit Jousse; mais <i>pessulus</i>
n'a pu faire <i>pêne</i>.
 
<span id="footnote10">[[#note10|10]] : De la porte de la sacristie de l'église de Montréal (Yonne), commencement du
XIII<sup>e</sup> siècle.
<span id="footnote11">[[#note11|11]] : Cette grille et sa serrure ont été replacées au XVI<sup>e</sup> siècle, mais appartiennent à la fabrication du milieu du XV<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote12">[[#note12|12]] : Les vis sont certainement une invention excellente pour fixer la serrurerie fine sur
de la menuiserie, et l'emploi des vis dans la quincaillerie ne date que de la fin du
XV<sup>e</sup> siècle. Mais, grâce au soin que l'on prend aujourd'hui de cacher toutes les attaches
des ferrures, les ouvriers enfoncent les vis à coups de marteau dans des trous faits au poinçon.
Mieux vaudraient des clous. C'est ainsi qu'un perfectionnement devient une cause
de malfaçon, quand on n'accuse pas franchement son emploi.
 
<span id="footnote13">[[#note13|13]] : D'une porte d'une maison à Saint-Antonin, XIV<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote14">[[#note14|14]] : Cette serrure est un modèle que l'on retrouve
très-fréquemment dans les bâtiments
du XV<sup>e</sup> siècle, des bords du Rhin, de la Suisse et de la Bavière. L'entrée provient d'une
porte de la cathédrale de Prague (partie bâtie par l'architecte français Mathieu d'Arras,
XIV<sup>e</sup> siècle). Une entrée semblable se voit à un tabernacle de la cathédrale d'Augsbourg;
une autre, à peu près pareille, à un vantail de l'église Saint-Pierre de Strasbourg.
 
<span id="footnote15">[[#note15|15]] : De l'église de Saint-Pierre de Strasbourg. Même anneau à un vantail d'armoire de la cathédrale de Munich.
 
<span id="footnote16">[[#note16|16]] : L'église de Savigny-en-terre-pleine date des dernières
années du XII<sup>e</sup> siècle. La vertevelle, figure 32, paraît appartenir au milieu du XIII<sup>e</sup>.
 
<span id="footnote17">[[#note17|17]] : Ce verrou provient d'une porte de l'église de Semur en Brionnais, et appartient à la
serrurerie du XIV<sup>e</sup> siècle. D'ailleurs on en peut voir encore un assez grand nombre en
place, dans nos anciennes églises.
 
<span id="footnote18">[[#note18|18]] : Notamment ceux de la porte Narbounaise, à Carcassonne.
 
<span id="footnote19">[[#note19|19]] : Débris recueillis chez un marchand de ferrailles à Rouen.
 
<span id="footnote20">[[#note20|20]] : Provenant également d'un dépôt de ferrailles.
 
<span id="footnote21">[[#note21|21]] : D'un vantail de croisée d'une maison à Flavigny
(Côte-d'Or), XIV<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote22">[[#note22|22]] : Trouvée à Cahors, attachée à un vantail d'armoire moderne. Cette targette paraît appartenir au milieu du XIV<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote23">[[#note23|23]] : Dessinée en 1841 dans l'ancien palais des comtes de Nevers, à Nevers, aujourd'hui palais de justice, fin du XV<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote24">[[#note24|24]] : D'une fenêtre de l'ancien évêché d'Auxerre, aujourd'hui préfecture. Cette targette paraissait appartenir au XIV<sup>e</sup> siècle. Nous l'avons dessinée en 1843; elle tenait encore à
un vieux châssis déposé dans le beau grenier lambrissé dépendant de l'ancienne grand'salle.