« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Serrurerie » : différence entre les versions

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occuperons
donc d'abord de cette partie de la serrurerie fine de bâtiment.
 
 
==== PENTURES ====
On désigne ainsi des bandes de fer clouées et boulonnées
aux vantaux des portes, munies d'un œil entrant dans un gond,
destinées
à suspendre ces vantaux et à permettre de les faire pivoter
facilement
sur ces gonds.
 
Jousse<span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]], dans son traité de la <i>serrurerie</i>, si précieux aujourd'hui en ce
qu'il nous retrace une partie des procédés employés par les ouvriers du
moyen âge, s'exprime ainsi à propos des pentures: «Ce sont des barres
de fer plat, qu'il faut percer tout au long, pour les attacher contre la
porte avec des clous rivez, ou bien avec un crampon qui passe
par-dessus
le collet de la bande, lequel crampon passe au travers de la
porte et est rivé par l'autre costé sur le bois. Le bout de la dite bande
se replie en rond, de la grosseur du mamelon du gond, qui est le bout
qui sort dehors la pierre ou bois, où il est posé; lequel bout du gond
entre dedans le reply de la dite bande, qui sera soudé si on veut, et
arrondi en façon que le gond tourne aisément dedans. Autres y font
des bandes flamandes pour porter les dites portes. Ces bandes sont
faites de deux barres de fer soudées l'une contre l'autre et replyées en
rond comme la précédente pour faire passer et tourner le gond. Après
qu'elles sont soudées, on les ouvre et sépare l'une de l'autre, autant
que la porte a d'épaisseur, puis on les recourbe, le plus quarrément
que l'on peut pour les faire joindre et serrer des deux costez de la
porte, principallement du costé de debors: ceste façon de bandes
vaut mieux que les communes parce qu'elles prennent les deux costez
de la porte. On y en met trois pour l'ordinaire; on y met quelquefois
deux de ces bandes flamandes, ou d'autres droictes, avec un pivot au
bas qui prend souz la porte qui vaut encore mieux, pourveu qu'il soit
bien fait et mis comme il faut...» En effet, les pentures de portes
pendant le moyen âge étaient exactement fabriquées ainsi que Jousse
l'indique encore au commencement du XVII<sup>e</sup> siècle. Ces pièces de fer ont,
au point de vue de l'art du forgeron, une importance considérable. L'ouvrier
qui peut forger une penture dans le genre de celles que nous
trouvons
si fréquemment attachées aux portes des édifices des XII<sup>e</sup> et
XIII<sup>e</sup> siècles, atteint les dernières limites de son art et peut façonner les
pièces les plus difficiles.
 
La figure 1 montre divers genres de pentures. En A, est la penture simple
avec son œil en <i>b</i>, son collet en <i>c</i>, le crampon d'attache derrière le
renflement du collet en <i>d</i>. B est le géométral de la penture en coupe sur
le vantail; <i>d'</i> est le crampon avec sa double rivure en <i>e</i>; en <i>f</i>, le scellement
du gond. La ligne <i>ops</i> indique la feuillure du jambage. Souvent la
rive du vantail est entaillée pour arriver à fond de feuillure, et l'œil de la
penture est détourné, ainsi qu'on le voit en <i>m</i>, détail C. Alors l'œil a moins
de champ que le plat de la penture, pour ne pas trop affamer le bois,
conformément au tracé perspectif G. Une rondelle <i>g</i> est interposée entre
le renfort carré <i>h</i> du gond et cet œil. Les pentures flamandes à doubles
bandes sont façonnées suivant les tracés I et K. Les pentures les plus
anciennes ont, soudé à leur collet, un arc de fer qui embrasse puissamment
les frises du vantail près de la rive (voyez en L). Ce système, adopté
dès le XI<sup>e</sup> siècle, présente une difficulté de soudure, car il faut refouler le
fer de manière à en faire sortir les deux souches des branches, afin de
souder celles-ci, puis laisser une queue suffisante pour rouler l'œil, le
souder et courber l'extrémité (voyez en C). Ces opérations demandent du
soin, pour ne pas brûler le fer et pour que les soudures des deux branches
courbes soient largement faites, le fer ayant juste le degré de
chaleur
convenable. Mais ces difficultés ne sont rien, comparées à celles qui
résultent de la soudure des branches nombreuses dont se composent
souvent ces pentures et qui sortent de la tige principale. Il ne faudrait
pas croire que les branches multipliées soudées à la bande des pentures
sont de simples ornements. Ces branches, percées de trous, permettant
de multiplier les clous, maintiennent fortement les frises de bois entre
elles, forment sur les vantaux comme une sorte de réseau de fer, et empêchent
les bandes de <i>donner du nez</i>, c'est-à-dire de fléchir sous le poids
des frises. Les forgerons trouvèrent dans cette nécessité de structure un
motif d'ornementation. Les plus anciennes pentures sont, en effet, composées
 
[Illustration: Fig. 1.]
 
de telle façon, qu'en suspendant les vantaux sur les gonds, elles
retiennent, sur un espace assez large, les frises les plus rapprochées du
collet ou de l'œil. Ainsi, trouve-t-on encore assez fréquemment des pentures
de la fin du XI<sup>e</sup> siècle qui affectent la forme d'un C (fig. 2),
soudé au collet, de telle sorte que les deux branches A clouées sur les
frises les maintiennent fortement de B en C. Bientôt une bande
indépendante
de la penture, et appelée fausse penture, rend toutes les frises
du vantail solidaires. On voit des pentures de ce genre à l'une des portes
de la cathédrale du Puy en Velay, à Ébreuil (Allier). Ces dernières sont
fort belles, et nous en donnons (fig. 3) le dessin; elles datent du commencement du XII<sup>e</sup> siècle. Le collet de la penture en forme de C passe
à travers le bois et est soudé, ainsi que l'indique le détail A. En B, est la
section d'une branche sur <i>ab</i>.
 
[Illustration: Fig. 2.]
 
[Illustration: Fig. 3.]
 
La composition de l'ensemble des ferrures de la porte principale de
l'église d'Ébreuil est assez remarquable. Chaque vantail n'est suspendu
que par deux pentures; sept fausses pentures garnissent les frises et les
maintiennent entre elles. La fausse penture du milieu, plus riche que
les six autres, forme une double palmette d'un beau caractère. Ces ferrures
sont posées sur des peaux marouflées sur le bois et peintes en
rouge vif. Deux anneaux attachés à des mufles de lion de bronze
facilitent
le tirage des vantaux.
 
L'art de souder le fer au marteau arrivait déjà, au commencement du
XII<sup>e</sup> siècle, à une grande perfection. Les exemples abondent, et nous n'avons
que l'embarras du choix. Quand il s'agit seulement de souder à une
branche principale des rameaux secondaires, la besogne n'est pas
très-difficile
pour un forgeron habile; mais si l'on prétend réunir des rinceaux
à un centre, composer des sortes d'entrelacs, le travail exige une grande
pratique et une main aussi leste qu'habile. Ces fausses pentures, par
exemple, provenant de la porte de l'église de Neuvy-Saint-Sépulcre
(fig. 4) présentent un travail de forge d'une difficulté réelle. Pour obtenir
les soudures A et B, surtout celles A, l'ouvrier, s'il n'est
très-adroit,
risque fort de brûler son fer, car il lui faut remettre la pièce au feu plusieurs fois,
et cela sur un seul point. Il commence par forger et souder
une pièce C à laquelle il soude les huit branches l'une après l'autre; or, la
branche <i>a</i> étant soudée, s'il veut souder celle <i>b</i>, il faut que son feu et son
soufflet soient dirigés seulement sur le bout <i>b</i>, sans chauffer au rouge la
pièce <i>a</i>. Pour les soudures B, les deux branches E,G, étant forgées, on les
chauffait toutes deux en <i>g</i>, puis on les battait pour les souder ensemble
sur une doublure <i>h</i> (voyez cette doublure ornée <i>h</i>, préparée avant la soudure).
Nous verrons tout à l'heure avec quelle adresse les forgerons
arrivèrent,
à la fin du XII<sup>e</sup> siècle, à façonner des pièces bien autrement
compliquées. Les extrémités des branches sont enroulées, ainsi que le
montre le tracé H, de manière à laisser un œil pour passer la tige du clou
à tête carrée <i>p</i>.
 
Mais ces sortes de pentures étaient assez riches d'ornementation déjà,
et exigeaient un grand nombre de soudures, car tous ces bouquets devaient
être forgés à part et soudés aux tiges principales. On employait souvent
un procédé plus simple, et qui cependant permettait une ornementation
assez brillante. Ce procédé consistait à détacher certaines parties d'une
bande de fer à chaud, et à leur donner un galbe particulier. Ainsi
(fig. 5) soit une bande de fer plat A: on fendait à chaud, le long de ses
rives, des languettes de fer <i>a</i>; on courbait à chaud cette bande de fer sur
son champ, ainsi que l'indique le tracé B, puis on galbait chacune des
brindilles refendues, en volutes <i>a'</i>. L'œil de chacune de ces volutes était
destiné à laisser passer une tige de clou <i>c</i> dont la tête pressait les bords
du fer (voyez en <i>b</i>). On soudait alors la branche courbe, en D, à la bande
droite de la penture.
 
Cet exemple provient d'une porte de l'église de Blazincourt (Gironde),
et date du XII<sup>e</sup> siècle. Les bouts E des branches courbes se terminent en
façon de têtes, ainsi que l'indique le profil F. Pour obtenir ce renfort,
le fer a été refoulé, puis fendu et façonné au marteau, avant de courber
la branche et ses volutes.
 
[Illustration: Fig. 4.]
 
Voici en G une autre penture forgée d'après le même principe et
provenant
de l'église de Saint-Saturnin, de Moulis (Gironde)<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]]. On voit en <i>g</i>
comment le forgeron a refendu et préparé la bande droite de la penture
pour obtenir les petites volutes <i>h</i>. Rien n'était plus simple que ce genre
de travail, qui n'exigeait d'autres soudures que celles des deux
branches
 
[Illustration: Fig. 5.]
 
courbes avec la tige droite. Ces volutes étaient naturellement les attaches
des clous, et évitaient les trous dans les bandes ou branches, trous dont
[Illustration: Fig. 6.]
 
multiplicité affame le fer et provoque souvent des brisures. Les portes
de l'église de Saint-Martin, à Angers, sont garnies encore de fausses
pentures qui, comme travail de forge et de soudure, sont une œuvre
assez remarquable. La figure 6 donne l'une de ces fausses pentures. Il
n'est pas fort aisé de souder le cercle milieu avec les quatre branches
de la croix. Ces bandes ont été battues à chaud l'une sur l'autre,
puis découpées
à l'étampe et au burin. En A est la section faite sur <i>ab</i>, et en B le
détail d'une des feuilles extrêmes C. Quand il s'agit de souder ainsi deux
pièces de fer croisées ou rapportées l'une sur l'autre, on fait chauffer au
rouge cerise la pièce du dessous et au rouge blanc la pièce du dessus,
puis on martèle à petits coups d'abord, et à coups plus forts à mesure
que le fer refroidit. Si les deux pièces étaient chauffées au rouge blanc,
on risquerait, au premier coup de marteau, de ne plus rien trouver sur
l'enclume. C'était par les différents degrés de chauffage que les forgerons
pouvaient arriver à souder un grand nombre de pièces, comme
nous le verrons tout à l'heure.
 
[Illustration: Fig. 7.]
 
Les fausses pentures de Saint-Martin, à Angers, datent du XII<sup>e</sup> siècle,
et présentent, pour l'époque, cette particularité curieuse des évidements
ménagés dans les bandes et découpés après la soudure des pièces.
Le battage des deux fers superposés, du cercle et des deux branches de
la croix, donnait après l'opération la forme D, --cette forme D étant
la réunion E,--car la double épaisseur du fer, sous le marteau, s'était
étendue en remplissant les angles. Ces angles étaient élégis au burin,
sans le secours de la lime, qui n'était pas employée à cette époque. Il
était plus rationnel de donner cependant plus d'épaisseur ou de largeur
aux parties soudées, et de profiter ainsi du procédé pour contribuer à
l'ornementation. C'est dans cet esprit que sont fabriquées les jolies pentures
du XII<sup>e</sup> siècle attachées à la porte méridionale de l'ancienne
cathédrale
de Schlestadt, et dont nous donnons le dessin figure 7. Le collet A
est soudé aux deux branches C au moyen d'un renfort, ainsi qu'on le voit
sur le profil en B. La tige elle-même possède un renfort D sous lequel
est soudée l'embase G de la bande principale, cette embase étant
élargie
pour faciliter l'opération de soudure. Le renfort D a été élégi au burin
après le martelage. Les branches extrêmes E sont soudées sur l'extrémité
F, également élargie, de la bande droite. Ainsi le fer refoulé latéralement
par le martelage à chaud a été utilisé dans l'ornementation. En H, est
tracée à une plus grande échelle la tête du boulon passant à travers le
renfort du collet; cette tête de boulon possède deux rondelles étampées.
En I, est tracée la section de la bande faite sur <i>ab</i>. On remarquera les
coups de burin donnés sur les soudures et formant gravure. Ces coups
de burin frappés au moment où le fer se refroidit et n'est plus que rouge
sombre, raffermissent encore les soudures et dissimulent les
inégalités
produites par le martelage sur une surface plane. On voit également
des coups de burin en <i>g</i>, aux extrémités des soudures longitudinales des
branches.
 
Les exemples que nous avons donnés ne montrent que des pentures
forgées simples, c'est-à-dire composées d'une simple épaisseur de fer
plus ou moins travaillé. Mais les serruriers, lorsqu'ils façonnaient des
pentures d'une grande dimension, étaient obligés de donner à la bande
principale une très-forte épaisseur près du collet, ce qui rendait les soudures
des branches difficiles et les pentures très-lourdes; ou de renforcer ces bandes par des doublures, des nerfs, qui, sans augmenter
beaucoup
leur poids, ajoutaient singulierement à leur force. Ces doublures,
ces nerfs, n'étaient soudés au corps principal que de distance en
distance,
au moyen d'embrasses, de telle sorte que ces bandes superposées
conservaient une grande élasticité et une roideur extraordinaire.
 
[Illustration: Fig. 8.]
 
En effet, si sur une bande de fer d'un centimètre d'épaisseur (fig. 8),
nous soudons une doublure seulement au moyen des deux embrasses A
et B, en laissant d'ailleurs ces deux fers libres, ainsi que le montre la
section C, nous obtenons une tige plus roide et moins sujette à être brisée
que si la doublure était réunie à la bande dans toute sa longueur. Si
même (fig. 9) nous formons la bande principale au moyen de plusieurs tiges juxtaposées et soudées seulement par des embrasses, nous
obtiendrons également une résistance plus grande et nous aurons moins
à craindre les brisures. En supposant donc la bande principale D formée
de trois tiges E, F, G (voyez la section H) soudées par les embrasses I,
K, cette bande aura autant de roide qu'une barre pleine, sera moins
sujette à se briser et sera plus légère.
 
[Illustration: Fig. 9.]
 
Les forgerons adoptent ces méthodes dès la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, et nous
en avons un exemple bien remarquable dans la fabrication des belles
pentures des deux portes latérales de la façade occidentale de
Notre-Dame
de Paris, qui datent de cette époque. Ces pentures sont forgées, en
grande partie, au moyen de faisceaux de tiges, tant pour les bandes que
pour les branches, faisceaux quelquefois soudés dans toute leur
longueur,
quelquefois sur certains points, mais toujours solidement réunis
au moyen d'embrasses riches, renforcées par des appendices qui ajoutent
à la solidité de l'œuvre aussi bien qu'à son ornementation.
 
Inutile de répéter ici les opinions singulières qui ont été émises sur la
fabrication de ces pentures, pendant le dernier siècle et de nos jours
encore. Les uns ont prétendu qu'elles étaient fondues, d'autres qu'elles
étaient en partie évidées à la lime, plusieurs qu'elles étaient composées
de brindilles de fonte soudées par un procédé inconnu. Disons tout de
suite que les serruriers forgerons ne se sont jamais mépris sur le mode
de fabrication de ces ferrures; mais dans les questions de cette nature,
on préfère souvent écrire des pages entières dans son cabinet à consulter
le premier praticien venu.
 
Réaumur, cependant, avait indiqué le véritable mode employé pour
forger les pentures de Notre-Dame de Paris... «Quoi qu'on en dise»,
écrit-il dans la note insérée dans l'<i>Encyclopédie</i>, «le corps des pentures
et les ornements sont de <i>fer forgé</i> et faits, comme on les ferait aujourd'hui,
de divers morceaux soudés tantôt les uns sur les autres,
tantôt les uns au bout des autres; ce qu'il y a de mieux n'est pas même
la façon dont ils l'ont été, les endroits où il y a eu des pièces rapportées
sont assez visibles à qui l'examine avec attention: on n'a pas pris
assez de soin de les réparer, quoique cela fût aisé à faire.»
 
En effet, les soudures se voient sur bien des points et n'ont pas été
réparées au burin ou à la lime, elles n'en sont pas moins
très-habilement
faites; mais peut-être Réaumur a-t-il voulu parler de certaines pièces
rapportées au XV<sup>e</sup> siècle pour réparer des dommages, et simplement
clouées à côté des fragments anciens?... «Quoi qu'il en soit»,
ajoute-t-il,
«ces pentures sont certainement un ouvrage qui a demandé un
temps très-considérable et qui a été difficile à exécuter. Il n'est pas
aisé de concevoir comment on a pu souder ensemble toutes les pièces
dont elles sont composées: il y a cependant apparence que toutes
celles d'une penture l'ont été avant qu'elle ait été appliquée sur la
porte, car on aurait brûlé le bois en chauffant les deux pièces qui devaient
être réunies.» (Il faut avouer que cette dernière observation ne
manque pas de naïveté.) «...On n'a pas mis non plus une pareille masse
à une forge ordinaire; il paraît nécessaire que dans cette circonstance
la forge vint chercher l'ouvrage... On s'est apparemment servi de soufflets
portatifs, comme on s'en sert encore aujourd'hui en divers cas; on
a eu soin de rapporter (souder) des cordons, des liens, des fleurons, etc.,
dans tous les endroits où de petites tiges et des branches menues se
réunissaient à une tige ou branche plus considérable.
 
«Les pièces rapportées (soudées par dessus) cachent les endroits où les
autres ont été soudées (bout à bout): c'est ce qu'on peut observer en
plusieurs endroits où les cordons ou fleurons ont été emportés; ces
cordons et fleurons avaient sans doute été rapportés et réparés après
avoir été soudés...» Bien que cette appréciation de l'œuvre de ferronnerie
qui nous occupe ici soit assez exacte, cependant Réaumur
n'avait point évidemment consulté un forgeron. Ces pièces qu'il indique
comme rapportées sont soudées, et n'ont pas été étampées après la soudure,
mais avant; leurs embrasses ont été retouchées parfois au burin,
mais à chaud.
 
Du reste, examinons ces pentures en laissant de côté ces appréciations
plus ou moins rapprochées de la vérité; comme nous en avons fait fabriquer
d'absolument pareilles<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]], nous pouvons en parler avec une connaissance
exacte des moyens employés ou à employer.
 
Naturellement, la première opération consiste à dessiner un carton de
la penture qu'on prétend faire forger, grandeur d'exécution; carton qui
sert de patron pour forger et étamper d'abord toutes les brindilles et tiges
développées; après quoi on soude les brindilles ensemble, suivant le dessin,
pour en former les bouquets; puis on soude ces bouquets ou groupes
de feuilles aux tiges, puis on soude les tiges à la bande principale,
puis on donne aux tiges la courbe voulue. Autant pour masquer que
pour consolider les soudures, on rapporte à chaud, et l'on soude par
conséquent, d'autres feuilles ou des embrasses, bagues, embases et ornements
sur le plat de ces soudures premières.
 
Nous ne pourrions donner, dans cet ouvrage, l'ensemble des pentures
de Notre-Dame de Paris; d'ailleurs ces ensembles ont été publiés en entier
dans la <i>Statistique monumentale de Paris</i> d'après de très-bons dessins
de M. Bœswilwald, et en partie dans l'ouvrage de M. Gailhabaud. Ce n'est
pas là ce qui importe pour nous, mais bien les détails de la fabrication.
C'est donc sur ce point que nous insisterons.
 
Les bandes de ces pentures n'ont pas moins de 0<sup>m</sup>,16 à 0<sup>m</sup>,18 de largeur
au collet, sur une épaisseur de 0<sup>m</sup>,02 environ, et elles sont composées,
comme nous l'avons dit ci-dessus, de plusieurs bandes réunies et
soudées de distance en distance au moyen d'embrasses qui ajoutent
une grande force à l'ouvrage et qui recouvrent les soudures des branches
recourbées. Pour faciliter l'intelligence du travail de forge, nous
procéderons du simple au composé.
 
Le carton tracé, dont nous donnons (fig. 10) un fragment, un bouquet,
terminaison d'un enroulement, le forgeron a commencé par forger
séparément chacune des brindilles: celle A, par exemple, ainsi que l'indique
le détail <i>a</i>, celle B, ainsi que l'indique le détail <i>b</i>; celle C, ainsi
que l'indique le détail <i>c</i>, etc. Il a eu soin de laisser à la queue de chacune
de ces brindilles un talon de fer <i>t</i> qui a permis de chauffer au rouge
blanc ces renforts et de les souder par le martelage. Il a donc obtenu à
la base du bouquet, les brindilles étant soudées, une surface plate dont
il a coupé les bords au burin, quand le fer était encore rouge. La queue
de ce bouquet a été remise au feu, ainsi que l'extrémité D de la branche,
puis le bouquet a été soudé à la branche. Pour masquer cette surface
battue DG, une première brindille avec feuille E a été soudée, ainsi qu'on
le voit en E'; puis par-dessus, l'embrasse H, portant les feuilles K, a été
soudée à son tour. Cette embrasse, mise au feu, n'était qu'un talon de
fer épais; c'est au moyen d'une étampe que le forgeron lui a donné sa
forme régulière et l'a soudée. Puis au burin il a nettoyé les bords et les
bavures sur la branche. Il faut dire que ces dernières pièces avaient dû
être chauffées au rouge blanc, tandis que le plat DG, destiné à les recevoir,
n'était chauffé qu'au rouge. Le dessous offrait ainsi une consistance
assez grande pour ne pas être déformé par le martelage sur la queue de
la foliole E, et par les coups violents donnés sur l'embrasse par le marteau
sur l'étampe.
 
Mais peut-être quelques-uns de nos lecteurs ne savent pas ce que nous
entendons par <i>étampe</i>. C'est une matrice de fer trempé, un coin auquel
on a donné en creux la forme de l'objet à étamper. Ainsi, toutes les folioles,
 
[Illustration: Fig. 10.]
 
les boutons de ce bouquet, ont été obtenus au moyen d'étampes.
Le forgeron a façonné au marteau la tigette L, par exemple, à l'extrémité
de laquelle il a laissé une masse de fer un peu aplatie. Cette masse, mise
au feu, a été apposée sur l'étampe ayant la forme <i>b</i>, en creux, puis
elle a été fortement frappée d'un ou plusieurs coups de marteau, suivant
la saillie des reliefs à obtenir ou l'étendue de l'ornement. Le fer ainsi
s'est trouvé moulé, et les bords de l'ornement ont été enlevés facilement.
L'habileté du forgeron consiste à faire chauffer le fer à étamper au
degré convenable. Trop chaud, il s'échappe sous le coup du marteau, et
celui-ci, rencontrant la matrice, peut la briser; pas assez chaud, on frapperait
vainement sur le fer pour obtenir un bon moulage, et alors la
brindille est à recommencer, car le fer, déjà aplati, remis au feu et
soumis une seconde fois au coup du marteau, ne pourrait pas remplir
les creux de la matrice et ne donnerait qu'une épreuve indécise.]
 
On concevra qu'il est plus aisé de façonner, de souder un bouquet de
ce genre, que de réunir des branches qui déjà sont chargées de bouquets,
de brindilles et de folioles contre-soudées sur ces branches. Le forgeron
des pentures de Notre-Dame de Paris a commencé par façonner à part
chacune des brindilles entrant dans la composition générale; il a groupé
ces brindilles en bouquets, il a soudé ces bouquets aux branches secondaires;
puis il a soudé ces branches secondaires ainsi chargées, sinon
contournées suivant leur galbe définitif, aux branches principales, puis
celles-ci à la bande principale, qui est le corps de la penture, comme le
tronc est le corps de l'arbre. Ces dernières opérations sont de beaucoup
les plus difficiles, tant à cause de la précision qu'elles exigent pour donner
à ces branches la longueur convenable en les soudant, que par le poids
de ces pièces qu'il faut manier rapidement, et par le degré de chaleur
qu'il convient de donner à chaque partie à souder.
 
Voici (fig. 11) un autre fragment des pentures de la porte
Sainte-Anne<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]],
qui présente la réunion des deux branches secondaires, celles A et
B, et des brindilles <i>a,b,c,d</i>, à une branche principale C. Comme la branche
D est la continuation de la branche principale C, ces trois branches
A,B,D, ont été d'abord soudées ensemble en E, avec un prolongement
EG finissant en ciseau. Sur ce plat de la soudure E a été soudé d'abord
le groupe de feuilles H, puis la grosse branche C terminée par l'embase K
et sa foliole, mais cette foliole a été étampée, ainsi que l'embase K, sur le
fer de dessous E chauffé au rouge; la branche C elle-même a été soudée
sur le prolongement EG et étampée en nervures, à chaud, après le premier
martelage. Sur le corps des branches, quand on superpose des folioles,
ainsi que le montrent les détails M, le point de soudure de ces
folioles donne un renfort que le forgeron dispose à l'étampe en rosette,
comme on le voit en O, ou en façon d'embase, comme on le voit en P.
La difficulté est aussi d'obtenir, dans ces réunions de branches, des
courbes qui se suivent régulièrement sans jarreter. Pour cela, l'ouvrier
a tracé son carton sur une pierre ou une plaque de plâtre, et il rapporte,
après chaque soudure, sa penture sur ce patron, pour être bien certain
qu'il conserve exactement les courbes, les longueurs, les distances de
chacune des parties.
 
Si nous décrivons maintenant les procédés employés pour la façon de
la bande ou du corps principal de la penture, nous aurons rendu
compte, autant qu'il est nécessaire de le faire, de la fabrication des
grandes pentures de Notre-Dame de Paris. Cette dernière pièce est la
plus difficile à forger, surtout auprès du collet. La bande n'est pas faite
d'une seule pièce de fer, mais d'un très-grand nombre de pièces soudées
côte à côte et bout à bout.
 
[Illustration: Fig. 11]
 
Si nous prenons l'une de ces pentures, celle basse, au vantail de la
porte Sainte-Anne que chacun peut examiner de très-près, nous verrons
que cette penture se compose de cinq pièces principales (fig. 12): 1º le
collet A; 2º le premier membre B; 3º le second membre C; 4º le troisième
membre D; 5º le bouquet E. Chacun de ces membres a été
assemblé séparément avec ses branches principales, ses branches secondaires,
ses brindilles. De plus, la bande ou le corps de la penture se compose,
pour le collet, de quatre barres; pour le premier membre, de trois
barres; pour le second membre, de même; et pour le quatrième
membre, de trois barres aussi, mais plus minces. Ces barres, parallèles
et jointives, ne sont soudées entre elles qu'à leurs extrémités, en <i>a, b, c</i>,
<i>d</i>, etc. Ces soudures se terminaient en palettes quelque peu amincies
aux extrémités, en façon de ciseau. Lorsqu'il a fallu réunir ces cinq
parties en une seule, les extrémités <i>g, h</i>, préparées, ont été chauffées et
soudées, puis la soudure renforcée par une embrassure soudée. Les
extrémités <i>e, d</i>, de même, et ainsi de suite jusqu'au collet.
 
[Illustration: Fig. 12.]
 
Analysons donc cette dernière opération, la plus difficile et la plus
pénible de toutes, à cause du poids considérable de la pièce, de l'étendue
de la soudure et de son importance, puisque de la perfection de l'ouvrage
résulte toute la force de la penture.
 
La figure 13 représente la soudure du collet A avec le premier membre
B. Cette soudure faite (voyez le profil P), les brindilles C et D ont été
soudées par dessus; puis l'embrassure E, qui portait déjà, avant l'application,
les cinq folioles F et ses deux tigettes G. L'embrassure soudée
sur la face et en retour, le profil H a été étampé et nettoyé au burin;
de même sur la face et sur les côtés. On voit en I la section des quatre
barres composant le collet et réunies par la soudure en K; en L, la section
des trois barres composant la bande du premier membre, et en M la
section des branches soudées préalablement à la souche de cette bande.
 
Il n'est pas nécessaire d'insister, pensons-nous, sur les difficultés que
présente ce travail pour ne pas brûler le fer, et pour lui donner rigoureusement
le degré de chaleur qu'exige une bonne soudure. Il est évident
que cette triple opération de battage à chaud, que ces superposi-*
 
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<span id="footnote1">[[#note1|1]] : <i>De la fidelle ouverture de l'art de serrurier</i>, par Mathurin Jousse, 1627.
 
<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Ces dessins nous ont été fournis, grandeur d'exécution, par M. Durand fils, architecte à Bordeaux.
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : Par l'habile serrurier M. Boulanger.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : Cette porte est celle de droite, sur la façade occidentale de Notre-Dame de Paris.