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{{TitrePoeme|[[Émaux et camées]]|Théophile Gautier|
[[Catégorie:Poésie|Bûchers et tombeaux]]
[[Catégorie:XIXe siècle|Bûchers et tombeaux]]
[[Catégorie:Émaux et camées|Bûchers et tombeaux]]
[[Catégorie:Théophile Gautier|Bûchers et tombeaux]]
Le squelette était invisible,<br>
Au temps heureux de l’Art païen ;<br>
L’homme, sous la forme sensible,<br>
Content du beau, ne cherchait rien.<br>
<br>
Spectre hideux de l’être cher,<br>
Comme d’un vêtement qui tombe<br>
Se déshabillant de sa chair,<br>
<br>
Et, quand la pierre se lézarde,<br>
Parmi les épouvantements,<br>
Montrait à l’œil qui s’y hasarde<br>
Une armature d’ossements ;<br>
<br>
Mais au feu du bûcher ravie<br>
Une pincée entre les doigts,<br>
Résidu léger de la vie,<br>
Qu’enserrait l’urne aux flancs étroits ;<br>
<br>
Ce que le papillon de l’âme<br>
Laisse de poussière après lui,<br>
Et ce qui reste de la flamme<br>
Sur le trépied, quand elle a lui !<br>
<br>
Entre les fleurs et les acanthes,<br>
Dans le marbre joyeusement,<br>
Amours, aegipans et bacchantes<br>
Dansaient autour du monument ;<br>
<br>
Tout au plus un petit génie<br>
Du pied éteignait un flambeau ;<br>
Et l’art versait son harmonie<br>
Sur la tristesse du tombeau.<br>
<br>
Les tombes étaient attrayantes :<br>
Comme on fait d’un enfant qui dort,<br>
D’images douces et riantes<br>
La vie enveloppait la mort ;<br>
<br>
La mort dissimulait sa face<br>
Aux trous profonds, au nez camard,<br>
Dont la hideur railleuse efface<br>
Les chimères du cauchemar.<br>
<br>
Le monstre, sous la chair splendide<br>
Cachait son fantôme inconnu,<br>
Et l’œil de la vierge candide<br>
Allait au bel éphèbe nu.<br>
<br>
Seulement pour pousser à boire,<br>
Au banquet de Trimalcion,<br>
Une larve, joujou d’ivoire,<br>
Faisait son apparition ;<br>
<br>
Des dieux que l’art toujours révère<br>
Trônaient au ciel marmoréen ;<br>
Mais l’Olympe cède au Calvaire,<br>
Jupiter au Nazaréen ;<br>
<br>
Une voix dit : Pan est mort ! - L’ombre<br>
S’étend. — Comme sur un drap noir,<br>
Sur la tristesse immense et sombre<br>
Le blanc squelette se fait voir ;<br>
<br>
Il signe les pierres funèbres<br>
De son paraphe de fémurs,<br>
Pend son chapelet de vertèbres<br>
Dans les charniers, le long des murs,<br>
<br>
Des cercueils lève le couvercle<br>
Avec ses bras aux os pointus ;<br>
Dessine ses côtes en cercle<br>
Et rit de son large rictus ;<br>
<br>
Il pousse à la danse macabre<br>
L’empereur, le pape et le roi,<br>
Et de son cheval qui se cabre<br>
Jette bas le preux plein d’effroi ;<br>
<br>
Il entre chez la courtisane<br>
Et fait des mines au miroir,<br>
Du malade il boit la tisane,<br>
De l’avare ouvre le tiroir ;<br>
<br>
Piquant l’attelage qui rue<br>
Avec un os pour aiguillon,<br>
Du laboureur à la charrue<br>
Termine en fosse le sillon ;<br>
<br>
Et, parmi la foule priée,<br>
Hôte inattendu, sous le banc,<br>
Vole à la pâle mariée<br>
Sa jarretière de ruban.<br>
<br>
A chaque pas grossit la bande ;<br>
Le jeune au vieux donne la main ;<br>
L’irrésistible sarabande<br>
Met en branle le genre humain.<br>
<br>
Le spectre en tête se déhanche,<br>
Dansant et jouant du rebec,<br>
Et sur fond noir, en couleur blanche,<br>
Holbein l’esquisse d’un trait sec.<br>
<br>
Quand le siècle devient frivole<br>
Il suit la mode ; en tonnelet<br>
Retrousse son linceul et vole<br>
Comme un Cupidon de ballet<br>
<br>
Au tombeau-sofa des marquises<br>
Qui reposent, lasses d’amour,<br>
En des attitudes exquises,<br>
Dans les chapelles Pompadour.<br>
<br>
Mais voile-toi, masque sans joues,<br>
Comédien que le ver mord,<br>
Depuis assez longtemps tu joues<br>
Le mélodrame de la Mort.<br>
<br>
Reviens, reviens, bel art antique,<br>
De ton paros étincelant<br>
Couvrir ce squelette gothique ;<br>
Dévore-le, bûcher brûlant !<br>
<br>
Si nous sommes une statue<br>
Sculptée à l’image de Dieu,<br>
Quand cette image est abattue,<br>
Jetons-en les débris au feu.<br>
<br>
Toi, forme immortelle, remonte<br>
Dans la flamme aux sources du beau,<br>
Sans que ton argile ait la honte<br>
Et les misères du tombeau !<br>
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