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nocha apprit la nouvelle résolution du comte, aussi déploya-t-il une prodigieuse activité dans les préparatifs du départ. Toutefois, le crépuscule commençait déjà à voiler de ses teintes indécises et grises les environs du rancho, lorsque l’hidalgo annonça que l’on pouvait se mettre en route.

— Rien ne nous presse, dit la jeune femme, nous attendrons à demain.

— Pourquoi ce retard, chère Antonia ? lui demanda M. d’Ambron lorsqu’ils se trouvèrent seuls. Tu semblais tantôt si impatiente…

— Mon impatience est toujours aussi vive, Luis, mais je ne veux pas que notre éloignement ressemble à une fuite.

— Merci, Antonia !…

Les dernières ombres de la nuit disparaissaient devant les premières lueurs du crépuscule, lorsque la petite caravane quitta le lendemain le rancho.

Les jeunes époux n’emmenaient avec eux que Panocha et un pion. Deux mules de charge portaient les ustensiles nécessaires à un campement. Le comte, le visage à moitié caché par les plis de son zarape, dans lequel il s’était drapé, maintenait son cheval à côté de celui d’Antonia. Le jeune homme gardait un profond silence.

— Tu souffres, Luis ? lui dit-elle à voix basse et en se penchant vers lui. Je t’en conjure, parle-moi.

— J’ai pu t’obéir, mais je ne saurais mentir : oui, je souffre, Antonia ! Cette fuite, car il ne faut pas nous dissimuler que notre départ précipité, de quelque nom que nous le décorions, n’est qu’une fuite, froisse cruellement mon légitime orgueil ! À la pensée que moi, d’Ambron, je me sauve levant M. de Hallay, des larmes de rage brûlent, sans les mouiller, mes paupières ! Que Dieu me donne la force d’accomplir mon sacrifice ! De ma vie, Antonia, je n’ai autant souffert !

Le regard de reconnaissance passionnée que la jeune femme attacha sur le comte parut apporter un peu de calme à M. d’Ambron.

— Où allons-nous ainsi, Antonia ? reprit-il après une légère pause.

— À Buenavista, Luis.

— Qu’est-ce que Buenavista ?

— Une ferme que les Apaches ont incendiée lors de leur dernière excursion à la frontière.

— Pourquoi as-tu choisi cet endroit de préférence à tout autre, Antonia ? dit M. d’Ambron presque machinalement et du ton d’un homme qui essaye de se distraire de ses pensées importunes en causant.

— Pour plusieurs raisons, Luis : d’abord, parce que les murs de ce rancho nous offrent un abri et, au besoin, une défense ; ensuite, parce que Buenavista est situé complètement en dehors de la route que devra suivre l’expédition de M. de Hallay… Partout ailleurs nous aurions couru le danger d’être rencontrés par les maraudeurs de sa troupe.

— Le danger ?… Au fait, c’est vrai, Antonia. Tu as raison !… Quand un homme se résigne à se sauver, c’est bien le moins qu’il s’entoure de toutes les précautions possibles pour assurer sa sécurité…

— Luis, tu es fâché contre moi !… Ta parole exprime la douleur et le sarcasme…

— Je t’aime et je t’admire, Antonia. Seulement, en me soumettant dans cette circonstance à ta volonté, j’ai trop compté sur mon courage. Je te le répète : que Dieu me donne la force d’accomplir mon sacrifice !

Le soleil venait d’apparaître radieux et resplendissant à l’horizon. La journée promettait d’être magnifique ;

— Ces ruines, que j’aperçois d’ici ; ne sont-elles point celles de Buenavista ? demanda M. d’Ambron.

— Oui, Luis, dans un quart d’heure au plus nous serons arrivés à notre destination. Mais pourquoi donc Andrès n’avance-t-il plus ? Qui le retient ainsi immobile au milieu du chemin ?

En effet, le señor don Andrès Morisco y Malinche avait arrêté son cheval, et, levé presque debout sur ses étriers, il semblait chercher, en plaçant sa main devant ses yeux frappés par le soleil, à distinguer un objet dans le lointain. Tout à coup il tourna bride, et éperonnant vigoureusement sa monture, il rejoignit les deux jeunes mariés.

— Que se passe-t-il donc Andrès ? s’écria Antonia ; tu as l’air tout bouleversé.

— Quelle singulière découverte mon Dieu ! dit le Mexicain en étendant le bras vers Buenavista ! Ne voyez-vous point, senora ?…

— Je ne vois rien, Andrès…

— Quoi, señora, ne distinguez-vous point cette légère colonne de fumée qui s’élève en tournoyant dans l’espace ?

— Non… Ah ! si fait !… Eh bien ?

— Eh bien ! señora, cette fumée signifie tout bonnement que Buenavista est habitée… Or, je vous le demande, quelle sorte de gens doivent se trouver dans ces ruines ? Des gens de la pire espèce, sans nul doute.

— Pourquoi cela ? Ce sont probablement des voyageurs égarés.

— Non, señora, c’est impossible ! Des voyageurs, et ils sont assez rares dans nos parages, n’auraient pas confondu la route qui conduit tout droit à la Ventana avec le sentier qui oblique dans la direction de Buenavista. Et puis, des voyageurs égarés seraient trop inquiets pour rester après le lever du soleil dans leur campement provisoire, au lieu de chercher leur chemin. Non, non, le feu dont nous apercevons la fumée a été certainement allumé par des gens qui ont fait de Buenavista leur séjour. Or, il faut, pour habiter cet endroit isolé et dénué de toutes ressources, ou que l’on soit absolument forcé de se cacher, ou que l’on médite un mauvais coup.

La perspective d’un danger avait momentanément distrait M. d’Ambron de sa tristesse.

— Toutes ces suppositions sont inutiles, dit-il ; la réalité est devant nous, avançons.

Joignant aussitôt l’exemple à la parole, le jeune homme rendit la bride à sa monture, qui prit un trot allongé ; Antonia s’empressa de le suivre ; quant à Panocha, honteux de la faiblesse qu’il avait montrée devant sa maîtresse, et désireux de se réhabiliter, il lança son cheval à fond de train.

Le Mexicain avait à peine franchi la distance de quelques centaines de pas, qu’il s’arrêta de nouveau. Il venait de voir une espèce de géant sortir des ruines de Buenavista, et ce géant, circonstance aggravante et qui donnait beaucoup à réfléchir à l’hidalgo, portait à la main une longue carabine.

Cette apparition si peu sympathique à Panocha avait été également aperçue par M. d’Ambron ; seulement elle avait