« L’Espagne en 1835 » : différence entre les versions

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- Frappez! frappez! -C'est un factieux ! - Tuez-le ! tuez-le! - Et en fulminant ces violens anathèmes, une troupe d'''urbanos'' en uniforme bleu, revers jaunes, traînaient, par le collet, un homme d'assez mauvaise mine, qu'ils accablaient de coups.
 
Cette scène se passait à la porte de Valence au milieu d'un combat de taureaux; c'était un dimanche, le 2 août de l'année dernière, en pleine canicule, et malgré une effroyable chaleur de trente-trois degrés, le cirque était comble. Mais la fête avait mal répondu à tant d'empressement; la ''corrida'' était détestable; les taureaux n'étaient que des novices, de véritables ''novillos''; les toréadors et les ''picadores'' avaient mal travaillé, et le ''matador'' porté si gauchement ses coups, que la foule indignée avait crié à l'assassinat. C'est au milieu de cette confusion, de ces murmures, que les cris de ''Mort aux factieux''! avaient tout à coup retenti; l'attention populaire avait changé d'objet : au lieu d'un taureau, on vit un homme au milieu de l'arène, au lieu de toréadors des ''urbanos'', et un grand drôle à moustaches était tout prêt à jouer sur la victime humaine le rôle de ''matador''. Il agitait dune main son sabre et de l'autre un ruban rouge, qu'il disait avoir trouvé sur l'accusé; c'étaient la pièce de conviction et l'instrument du crime, car le rouge est la couleur des absolutistes, comme le vert est celle des constitutionnels; et les cris : - Tuez !1 tuez! mort au factieux! - continuaient à gronder dans l'amphithéâtre.
 
Toutefois, le peuple était fort tiède et paraissait, à vrai dire, moins sympathique aux sacrificateurs qu'à la victime; or, la victime était un boulanger, un ancien royaliste, à ce que je compris, dont on voulait faire justice. Les ''urbanos'' l'avaient traîné jusque sous la loge de l''l'ayuntamiento'' (municipalité), et ils demandaient à grands cris sa tête au ''corrégidor'' qui présidait la cérémonie. C'était de leur part une singulière condescendance; la vie d'un homme est tenue pour si peu de chose de l'autre côté des Pyrénées, qu'aujourd'hui même encore, je m'étonne qu'on n'en ait pas fini du premier coup avec le patient. Le ''corrégidor'' refusait par signes, car sa voix était couverte par les clameurs; mais son refus, qui l'honore, avait peu de force, n'ayant pour auxiliaires qu'une poignée d'''escopeteros'' drapés silencieusement dans leurs manteaux bruns et rouges, et une vingtaine de dragons tout au plus, cloués sur leur selle, à la porte du cirque.
 
Cette porte, et il n'y en avait pas d'autres, était assiégée par le torrent des fuyards; les femmes et toute la partie neutre de l'assemblée s'y ruaient pour gagner le large. Plus d'un banc déjà avait cédé sous le poids, l'édifice craquait de toutes parts, et le désastre de Fidènes était imminent, car ce cirque n'était qu'un échafaudage de planches grossièrement improvisé; mais le bataillon des fuyards fonçait toujours : les cris d'effroi sortis de ses rangs ajoutaient au tumulte de l'arène.