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nouveaux essais sur l’entendement

§ 28. Ph. Quant à la connexion dont la connaissance nous manque dans les idées que nous avons, j’allais vous dire que les affections mécaniques des corps n’ont aucune liaison avec les idées des couleurs, des sons, des odeurs et des goûts, de plaisir et de douleur, et que leur connexion ne dépend que du bon plaisir et de la volonté arbitraire de Dieu. Mais je me souviens que vous jugez qu’il y a une parfaite correspondance, quoique ce ne soit pas toujours une ressemblance entière. Cependant vous reconnaissez que le trop grand détail des petites choses qui y entrent nous empêche de démêler ce qui est caché, quoique vous espériez encore que nous y approcherons beaucoup ; et qu’ainsi vous ne voudriez pas qu’on dise avec mon illustre auteur, § 29, que c’est perdre sa peine que de s’engager dans une telle recherche, de peur que cette croyance ne fasse du tort à l’accroissement de la science. Je vous aurais parlé aussi de la difficulté qu’on a eue jusqu’ici d’expliquer la connexion qu’il y a entre l’âme et le corps, puisqu’on ne saurait concevoir qu’une pensée produise un mouvement dans le corps, ni qu’un mouvement produise une pensée dans l’esprit. Mais, depuis que je conçois votre hypothèse de l’harmonie préétablie, cette difficulté dont on désespérait me paraît levée tout d’un coup, et comme par enchantement. § 30. Reste donc la troisième cause de notre ignorance, c’est que nous ne suivons pas les idées que nous avons ou que nous pouvons avoir, et ne nous appliquons pas à trouver les idées moyennes : c’est ainsi qu’on ignore les vérités mathématiques, quoiqu’il n’y ait aucune imperfection dans nos facultés, ni aucune incertitude dans les choses mêmes. Le mauvais usage des mots a le plus contribué ai nous empêcher de trouver la convenance et disconvenance des idées ; et les mathématiciens qui forment leur pensée indépendamment des noms et s’accoutument à se présenter et leur esprit les idées mêmes au lieu des sons, ont évite par là une grande partie de l’embarras. Si les hommes avaient agi dans leurs découvertes du monde matériel, comme ils en ont usé à l’égard de celles qui regardent le monde intellectuel, et s’ils avaient tout confondu dans un chaos de termes d’une signification incertaine, ils auraient disputé sans fin sur les zones, les marées, le bâtiment des vaisseaux, et les routes ; on ne serait jamais allé au delà de la ligne, et les antipodes seraient encore aussi inconnus qu’ils étaient lorsqu’on avait déclaré que c’était une hérésie de les soutenir.

Th. Cette troisième cause de notre ignorance est la seule blâmable.