« Souvenirs d’une actrice » : différence entre les versions
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Le mariage de Fabre d'Églantine.
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Dans une de ces soirées, dont Fabre d'Églantine faisait souvent partie, on se racontait toutes sortes d'anecdotes. Un jour que l'on parlait à Fabre de son mariage avec mademoiselle Lesage, il nous raconta d'une façon fort plaisante comment l'opéra du
Le
Un tuteur garde avec soin une jeune et belle fille qui lui a été confiée. Son père, en partant pour les Indes, a transmis tous ses droits sur sa fille et sur ses biens au seigneur Aldobrandin. Le laps de temps qui s'est écoulé, sans qu'on n'en ait reçu aucune nouvelle, fait croire que ce père n'existe plus. D'après cela, Aldobrandin, qui convoite la fortune, cherche à se l'assurer en épousant sa pupille. Comme presque toutes les pupilles de comédie, elle ne connaît que son tuteur ; plus docile, elle s'est résignée à sa volonté ; mais ce fripon d'amour, qui n'a jamais fait autre chose que de se jouer des jaloux, vient traverser ses projets.
Un beau seigneur, connu à Florence par sa richesse, sa bonne mine et sa générosité, qui l'a fait surnommer le
Le lendemain, il
On pense que le seigneur Aldobrandin trouve cette somme exorbitante, et qu'il aime mieux renoncer au cheval que de le posséder à ce prix. Après plusieurs pourparlers, par l'entremise de Fabio, Octavio, voyant l'extrême envie du tuteur, et cherchant à l'exciter, se résume ainsi : «J'ai entendu vanter la beauté de la pupille du seigneur Aldobrandin, je désirerais savoir si son esprit est égal à ses charmes ; qu'il me permette de causer un quart-d'heure avec elle, en sa présence, mais sans qu'il puisse nous entendre, et mon cheval est à lui.»
Le tuteur, choqué de la proposition, la rejette avec indignation; cependant il s'en occupe. Fabio, qui trouve qu'un quart-d'heure de conversation pour un cheval de dix mille ducats est un marché excellent, l'engage beaucoup à l'accepter ; il lui chante même à ce sujet un morceau très bien fait sur les détails de la beauté et des qualités du cheval, l'assurant qu'il n'a point vu de plus fier animal[55]. Enfin, à force d'y réfléchir, le tuteur trouva un moyen de concilier son avarice et sa jalousie, après avoir fait prier le Magnifique de venir chez lui afin de connaître s'il peut lui permettre de
Causer, jaser, en tout honneur,
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Et vous vous tiendrez à dix pas.
Les choses bien convenues, l'heure prise, le tuteur est assez embarrassé de s'en expliquer avec sa pupille ; il cherche d'abord à exciter son indignation, l'assure qu'il n'a consenti que pour punir ce jeune homme de sa présomption, et qu'il attend d'elle qu'elle lui témoignera son mépris en ne répondant pas un mot aux discours qu'il pourra lui tenir : d'ailleurs il sera présent et observera attentivement.
L'acte commence. Clémentine est placée près d'une table sur laquelle l'on voit une corbeille de fleurs ; elle tient à sa main une rose. Le Florentin arrive, la salue profondément ; il est paré de tout ce que le désir de plaire a pu lui suggérer de plus élégant. Le tuteur se place à dix pas, il tient à sa main une montre ; Octavio remet la sienne à Fabio, et le quart-d'heure commence (je joins ici les paroles pour l'entente de la scène):
Pardonnez, ô belle Clémentine,
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Et je désire, hélas! par un juste retour,
Voir votre main avec la mienne unie.
Répondez moi, je vous en prie ?
Quoi! pas un mot, pas un seul mot! Dieu! quel silence !
Oh! ciel ! que faut-il que je pense ?
Serait-ce du mépris ? Non, non. Que pourrait-ce être ?
Clémentine tourne languissamment la tête vers son tuteur.
Ah! je le vois,
Votre tuteur vous fait la loi !
Il vous force, par sa présence.
À garder ce cruel silence.
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Tombez aux pieds de mon vainqueur,
Devenez l'organe du coeur,
Devenez pour nous éloquente ;
Et que la plus charmante fleur,
De la beauté la plus charmante,
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Soit l'interprète, etc., etc.
Il sollicite la belle Clémentine assez
Ah! grand Dieu ! qu'il est
Il faut savoir, maintenant, comment cet opéra contribua au mariage de Fabre d'Églantine.
Il était dans une ville du Languedoc, où il jouait les rôles de Molé et de Larive, assez médiocrement, dit-on; il rêvait déjà poésie et littérature, où il devait mieux réussir que dans la comédie. Il eût été heureux pour lui qu'il n'eût jamais
Fabre, dont l'esprit avec beaucoup d'invention (il nous l'a bien prouvé dans son
— Ne pourrais-je pas, lui dit-il un jour, entreprendre de jouer l'opéra ? j'aurais au moins l'occasion de lui parler pendant les ritournelles.
Fabre court chercher la partition, et le voilà essayant son _quart-d'heure_. On baisse le ton, cela n'allait pas trop mal; d'ailleurs il se liait sur le dialogue, qui est assez important: un comédien médiocre dit mieux qu'un chanteur habile. Le jour arrivé, il redoubla de courage. Ses costumes étaient superbes. Comme il était fort aimé des jeunes gens, ils l'applaudirent. Quand vint le fameux _quart-d'heure_, il trouva moyen, pendant la première ritournelle, d'instruire la jeune personne de la moitié de son projet, et, pondant la seconde, de le lui dire tout à fait. On peut penser avec quelle expression il chanta:▼
— Mais, lui répondait l'autre, tu n'es pas musicien, et tu ne saurais pas tirer parti de ton peu de voix.
— Tu me donnerais des leçons.
— L'administration s'opposerait à tes projets; il n'y aurait que pour un bénéfice d'acteur que cela serait possible.
— Eh bien! je prierai le premier chanteur de me laisser jouer le rôle du Magnifique dans sa représentation; il est mon ami, il appréciera mon motif et il consentira.
— Es-tu fou? le rôle du Magnifique! et le _quart-d'heure_, qui en est recueil!
— C'est justement sur le ''quart-d'heure'' que je compte pour expliquer à ma Clémentine mon projet ; la rose, tombant d'un côté convenu, sera le signal de son consentement.
— Fort bien, si tout cela pouvait se faire en parlant, mais en chantant !
— Tu verras, tu verras, l'amour rend capable de tout.
— Mais l'amour ne fait pas chanter ceux qui n'ont pas de voix!
▲Fabre court chercher la partition, et le voilà essayant son
Tombez, tombez, rose charmante.
C'était au point que le chef d'orchestre était sur les épines, et tremblait qu'il n'en perdit ton et mesure. Tout fut convenu entre eux ; il enleva la demoiselle, et ils partirent sur-le-champ pour Avignon, espèce de _Gretna green_[57] où l'on était marié, grâce au nonce du pape. Ils écrivirent de là pour obtenir leur pardon. La famille ne pouvait plus refuser, et ils revinrent ratifier leur mariage. Cela fit un tel bruit dans la ville, qu'on voulut les revoir dans cet opéra, source de leur bonheur, et on leur jeta ces vers sur la scène:
Le Magnifique à l'amour le dispose,
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