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voisine de l’appartement d’Élisabeth Prokofievna. Ivan Fédorovitch lui-même, quand ses occupations le lui permettaient, assistait à ce repas d’un caractère tout intime. Il y avait sur la table du thé, du café, du fromage, du beurre, du miel, des côtelettes, certains beignets que la générale affectionnait, etc. On servait même du bouillon chaud. Le matin où commence notre récit, toute la famille réunie dans la salle à manger attendait le général, qui avait promis sa présence pour midi et demi. S’il avait été en retard, ne fût-ce que d’une minute, ou l’aurait aussitôt envoyé chercher, mais il arriva exactement. En s’approchant de sa femme pour lui souhaiter le bonjour et lui baiser la main, il remarqua cette fois dans sa physionomie un je ne sais quoi d’inquiétant. Dès la veille, il avait pressenti qu’il en serait ainsi aujourd’hui à cause d’une « anecdote » (c’était le mot dont il aimait à se servir), et le soir, avant de s’endormir, il s’était tracassé l’esprit à ce propos, mais le fait, pour être prévu, ne l’en alarma pas moins. Les jeunes filles vinrent embrasser leur père ; quoiqu’elles ne fussent point fâchées contre lui, il semblait aussi y avoir chez elles quelque chose de particulier. Certaines circonstances, il est vrai, avaient rendu le général fort suspect aux siens, mais, comme c’était un père adroit et un époux expérimenté, il prit immédiatement ses mesures.
voisine de l’appartement d’Élisabeth Prokofievna. Ivan Fédorovitch lui-même, quand ses occupations le lui permettaient, assistait à ce repas d’un caractère tout intime. Il y avait sur la table du thé, du café, du fromage, du beurre, du miel, des côtelettes, certains beignets que la générale affectionnait, etc. On servait même du bouillon chaud. Le matin où commence notre récit, toute la famille réunie dans la salle à manger attendait le général, qui avait promis sa présence pour midi et demi. S’il avait été en retard, ne fût-ce que d’une minute, ou l’aurait aussitôt envoyé chercher, mais il arriva exactement. En s’approchant de sa femme pour lui souhaiter le bonjour et lui baiser la main, il remarqua cette fois dans sa physionomie un je ne sais quoi d’inquiétant. Dès la veille, il avait pressenti qu’il en serait ainsi aujourd’hui à cause d’une « anecdote » (c’était le mot dont il aimait à se servir), et le soir, avant de s’endormir, il s’était tracassé l’esprit à ce propos, mais le fait, pour être prévu, ne l’en alarma pas moins. Les jeunes filles vinrent embrasser leur père ; quoiqu’elles ne fussent point fâchées contre lui, il semblait aussi y avoir chez elles quelque chose de particulier. Certaines circonstances, il est vrai, avaient rendu le général fort suspect aux siens, mais, comme c’était un père adroit et un époux expérimenté, il prit immédiatement ses mesures.


Au risque de nuire à l’ordonnance de notre récit, force nous est d’intercaler ici une longue parenthèse pour expliquer la situation de la famille Épantchine au moment où commence celle histoire. Quoique le général n’eût point fait d’études et se fût, suivant son expression, instruit lui-même, il ne laissait pas d’être, comme nous venons de le dire, un époux expérimenté et un père adroit. Tandis que la plupart des gens à qui le ciel a accordé une nombreuse progéniture féminine ne songent qu’à la marier le plus vite possible, Ivan Fédorovitch avait, au contraire, pour système de ne point pousser ses filles au mariage, de n’exercer aucune pression sur elles, et il était même parvenu à faire partager sa
Au risque de nuire à l’ordonnance de notre récit, force nous est d’intercaler ici une longue parenthèse pour expliquer la situation de la famille Épantchine au moment où commence cette histoire. Quoique le général n’eût point fait d’études et se fût, suivant son expression, instruit lui-même, il ne laissait pas d’être, comme nous venons de le dire, un époux expérimenté et un père adroit. Tandis que la plupart des gens à qui le ciel a accordé une nombreuse progéniture féminine ne songent qu’à la marier le plus vite possible, Ivan Fédorovitch avait, au contraire, pour système de ne point pousser ses filles au mariage, de n’exercer aucune pression sur elles, et il était même parvenu à faire partager sa