Souvenirs politiques, Vol 1/Chapitre troisième

Dussault & Proulx, Imprimeurs (1p. 95-139).


CHAPITRE TROISIÈME

1878

Session de 1878 — Élection de l’Orateur — Chapleau, la Minerve, le Canadien et le Nouveau-Monde — Long débat sur l’adresse — Émeute à Québec. — Mort de M. Bachand — Son portrait — M. Mercier lui succède — Élections générales fédérales — Le gouvernement MacKenzie est écrasé — Les conservateurs commencent à agiter le coup d’État Letellier — Pétition adressée au Gouverneur-général. M. Mousseau prend l’initiative devant la Chambre — La maison bleue à Ottawa — La motion Mousseau est adoptée — Le marquis de Lorne refuse de signer la démission de M. Letellier — Joly et Langevin en Angleterre — Décision du gouvernement impérial — Indignation des libéraux — Parachèvement du chemin de fer du Nord — Mort de M. P.-A. Tremblay — Son portrait — M. Théodore Robitaille succède à M. Letellier — Le Conseil législatif refuse de voter les subsides — Campagne des libéraux contre le Conseil législatif — Ajournement des Chambres au 28 octobre — Défection de cinq partisans de M. Joly — Motion Lynch — Résignation du cabinet Joly — M. Letellier se retire dans la vie privée — Sa mort — Son portrait.

La session fut ouverte le 4 juin 1878, avec la solennité ordinaire. La première question sur laquelle les deux partis politiques allaient essayer leurs forces respectives, c’était celle de l’élection de l’orateur. Si le candidat des ministres était défait, c’était la preuve qu’ils ne commandaient pas la majorité dans la Chambre, et, dans ce cas, il ne leur restait qu’une chose à faire : offrir leur résignation.

La population de Québec si sympathique au nouveau ministère s’était rendue en foule pour assister à cette épreuve décisive. Elle accueillit avec une grande joie l’élection de M. Arthur Turcotte, député des Trois-Rivières.

M. Chapleau, le chef de l’opposition, injuria M. Turcotte ; il l’accusa de trahison, de lâcheté, etc., etc. M. Turcotte depuis longtemps déjà, bien que conservateur, avait donné des marques non équivoques d’indépendance ; c’est là ce qui avait engagé M. Joly à lui offrir la position d’Orateur, position qui avait autrefois été occupée avec honneur par le père du député des Trois-Rivières. M. Chapleau qui insistait si fortement sur la fidélité que l’on doit à son parti mettait en oubli les déclarations qu’il avait faites l’année précédente, dans un grand discours sur le progrès. Il trouvait alors qu’il n’y avait pas de crime à s’associer aux libéraux :

« Le gouvernement de Québec, disait-il, n’est lié à aucun parti, et le seul désir de ses membres est de faire le bonheur du peuple. Notre gouvernement n’est pas un gouvernement de parti, c’est le gouvernement de tous, pour le bonheur de tous… Soyons le parti du progrès, quand bien même ce parti s’appellerait libéral. Il serait heureux de voir son ami M. Laurier concourir avec lui au bonheur du pays. »

Il n’aurait pourtant pas dû l’oublier, car ce discours avait soulevé une tempête dans le camp conservateur. La Minerve défendit M. Chapleau contre les attaques du Canadien et du Nouveau-Monde. Elle disait :

« Prétendre que les conservateurs du Bas-Canada ne doivent jamais s’allier aux libéraux du Bas-Canada, c’est de l’esprit de parti pris qui touche à la coterie ; c’est un simple entêtement condamné par le public, odieux surtout à notre honnête et paisible population ; et si le parti conservateur portait sur son programme pas d’entente, pas d’union, le peuple briserait ce parti comme un vase condamné. »

M. Turcotte repoussa victorieusement les attaques dirigées contre lui. Il déclara qu’il avait toujours été conservateur et qu’il l’était encore : qu’en acceptant la charge d’orateur, il ne désertait pas les rangs de son parti, qui n’avait jamais trouvé en lui un partisan esclave. En agissant comme il le faisait, il se conformait au désir que le pays venait de manifester en élisant une majorité favorable au présent gouvernement. Il n’y avait, dit-il, ni lâcheté ni trahison de sa part en respectant le verdict du pays rendu le 1er mai dernier.

Le Constitutionnel, un journal conservateur publié à Trois-Rivières prit la défense de M. Turcotte. « M. Turcotte, disait-il, en agissant ainsi n’a fait que suivre l’exemple d’un très grand nombre de conservateurs honnêtes, qui désirent depuis longtemps en finir avec les misérables divisions du parti, qui n’ont plus leur raison d’être. »

En justice pour M. Turcotte, je dois dire ceci : M. F. Langelier avait été chargé de l’organisation politique du district de Trois-Rivières. Or, les libéraux de la ville ne voulaient pas faire d’opposition à M. Turcotte qui avait déclaré à quelques uns de nos chefs que si M. Joly remportait les élections, il lui donnerait son appui. D’un autre côté des conservateurs importants étaient prêts à s’unir aux libéraux pour les aider à battre M. Turcotte. Ils lui en voulaient à cause de l’indépendance qu’il avait montrée dans les sessions précédentes. Comme on le voit, M. Joly pouvait parfaitement lui offrir la position d’orateur, sans qu’il y eut rien de déshonorant ni pour l’un ni pour l’autre.

Le débat sur l’adresse se prolongea pendant une semaine. Il fut vigoureux et intéressant, car la Chambre qui venait de sortir des urnes électorales comptait des hommes de haute valeur. De notre côté, nous avions MM. Joly, F. Langelier, Irvine, Brousseau, Flynn, C.-A.-E. Gagnon, Racicot, Marchand, Pâquet, Shehyn, Ross et Watts. Les conservateurs avaient pour soutenir leur cause MM. Chapleau, Loranger, Taillon, Church, Lynch, Mathieu, Tarte et Würtele, tous des debaters de premier ordre. Aussi, la session de 1878 est-elle l’une des plus brillantes que nous ayions eue à Québec. M. Chapleau était alors dans toute la force de son talent. C’était un orateur merveilleux, sa voix était une véritable musique qui charmait l’oreille. On l’écoutait malgré soi. Ce qu’il a déployé d’éloquence, d’activité et de travail pendant cette session est vraiment extraordinaire.

Le onze juin, le ministère s’était trouvé en présence d’une difficulté très sérieuse. L’opposition ayant proposé un amendement à l’effet que le ministère « avait persisté à rester au pouvoir sans avoir été appuyé par la majorité de l’Assemblée Législative, lors de son entrée en office et sans être encore appuyé par cette majorité », les ministres se trouvèrent en minorité. Cela était dû au vote de M. Price qui s’était abstenu de voter sur cette question. Mais le gouvernement se fit sur le champ donner un vote de confiance dans les termes suivants : « La Chambre croyant de son devoir dans les circonstances, de donner son support général et indépendant au ministère, de manière à ce que les mesures qu’il proposerait fussent soumises au jugement de la Chambre. » Cette fois, M. Price vota avec le ministère et la situation fut sauvée.

Pendant que l’opposition faisait ainsi une chaude lutte au ministère sur le parquet de la Chambre, des difficultés d’un autre genre l’assaillaient au dehors. Les ouvriers, soudoyés, disait-on, par M. Xavier Cimon, l’entrepreneur du nouveau Palais Législatif, se mirent en grève ; ils parcoururent les rues de la ville dans une attitude menaçante. Nous étions en pleine émeute. Il fallut l’intervention des troupes pour mettre fin à ces désordres.

On tenait, bien entendu, parmi les conservateurs, le gouvernement Joly responsable de cet état de choses. M. Chapleau, voulant jeter de l’huile sur le feu avait dit en pleine Chambre : « Si le gouvernement voulait protéger la classe ouvrière réduite à la dernière misère, les pauvres ouvriers au lieu de recevoir un écu par jour, pourraient gagner $2 à $2.50 par jour. »

Celui qui était véritablement à blâmer, ce n’était pas le gouvernement, mais bien M. Cimon qui tenait son contrat du gouvernement DeBoucherville. Dévoué à M. Chapleau, il ne demandait pas mieux que de causer des ennuis aux ministres. Il fut question à un moment, de casser le contrat de M. Cimon et de confier les travaux à un autre entrepreneur. Cette menace eut un bon effet : M. Cimon donna de meilleurs gages à ses ouvriers, et la grève cessa.

Des désordres sérieux eurent lieu pendant cette grève : le magasin de M. J.-B. Renaud fut défoncé et mis à sac par les émeutiers. Le Colonel Strange qui commandait alors à la citadelle, les repoussa avec sa troupe. Le chef des grévistes, un communiste français qui était depuis quelques mois à Québec fut tué dans la mêlée. Tout ce qui s’est passé alors a été bien décrit par Salluste : « Toujours dans la cité ceux dont les ressources sont nulles haïssent les bons, exaltent les méchants, détestent les choses anciennes en haine de leur propre situation, appellent de tous leurs vœux un bouleversement universel, et se repaissent sans inquiétude de troubles et de séditions parce qu’il est aisé à l’indigence de se retirer d’affaires sans rien perdre. »

Cette session si mouvementée se termina le vingt juillet. M. Joly avait rempli les engagements qu’il avait pris en réduisant les dépenses. En effet, en comparant les estimés pour 1878-79 préparés par M. Church, le trésorier du gouvernement DeBoucherville et ceux du nouveau trésorier M. Bachand, l’on trouve les chiffres suivants :

Réduction dans les dépenses $283,180
Taxes abolies 175,000

$458,130

M. Chapleau avait fait sans succès de grands efforts pour empêcher le vote des subsides. À la première lecture du bill, la Chambre s’était divisée, 26 contre 26, et le vote de l’orateur avait fait rejeter l’amendement. Une scène toute puérile eut lieu à la seconde lecture : le parti de l’opposition quitta la Chambre pour ne pas voter. Seul, M. Würtele resta à son siège et vota avec le gouvernement. Appuyé sur son pupitre il faisait mine d’être occupé à écrire afin de ne pas voir ses amis qui de la porte lui faisaient signe de les suivre. Il n’en fit rien, à leur grande déconvenue. Il n’abandonna pas son poste. Il trouvait dérogatoire à la dignité de la Chambre de se sauver pour ne pas voter les subsides.

Durant toute cette session, les ministres furent sur l’alerte. Aussitôt qu’un député ministériel s’absentait on était sûr que l’opposition proposait un vote. Un jour M. McShane fut obligé de venir de Montréal en train spécial ; pendant tout ce temps-là les députés ministériels et les ministres furent obligés de parler contre le temps, pour me servir de l’expression parlementaire, afin de retarder le vote jusqu’à l’arrivée du convoi.

Il n’y a pas de doute qu’une pareille majorité n’était pas suffisante pour conduire les affaires. Mais durant la vacance, les tribunaux ayant annulé les élections de Chambly et de Rouville, deux libéraux furent élus dans ces comtés représentés par des conservateurs, ce qui porta à quatre voix la majorité du gouvernement Joly. Ces élections étaient la preuve évidente que la politique ministérielle était favorablement accueillie par le peuple. À part ces élections deux autres eurent lieu, l’une pour remplacer M. Bachand décédé, à St-Hyacinthe, et l’autre à Verchère. M. Brousseau qui fut élu pour ce dernier comté avait perdu son siège parce qu’il ne possédait pas la qualification foncière alors exigé par la loi. M. Joly les remporta toutes les deux, ce qui était un indice certain que le vent populaire soufflait dans ses voiles.

M. Bachand était un homme d’un solide talent, bon avocat et très versé dans les affaires. Il déploya une habilité remarquable dans l’exposé financier qu’il eut à faire à la première session du gouvernement Joly. Sa mort fut pour son parti une perte réelle. Voici le portrait que faisait de lui M. Achintre dans ses Portraits parlementaires :

« C’était vers le milieu de la session de 1869, l’hon. M. Dunkin achevait à peine l’exposé d’un budget assez obscur, lorsque, des bancs de la gauche, un député se leva et prit la parole. De petite taille, très brun, tout de noir habillé, le député commença d’abord d’une voix grêle à féliciter l’honorable trésorier ; puis, l’organe gagnant en amplitude, en fermeté, suivirent quelques aphorismes financiers : tout budget, disait l’orateur, est l’art de déterminer les besoins de l’état politique et social, de percevoir le revenu public avec le plus d’économie pour le trésor et le moins de dommage pour le contribuable ; extraire le revenu public de l’état général du revenu du pays, etc., etc. La voix s’échauffait, le diapason montait, et tandis que la Chambre attentive, enchaînée à cette parole nette et claire, suivait l’analyse minutieuse du budget, examinait les pièces de cette machine compliquée, l’honorable trésorier, anxieux, à chaque total corrigé par son contradicteur, sursautait comme sous le coup d’une vive piqûre. Gouvernement civil, justice, éducation, intérêts de la dette, toutes les dépenses y passèrent, les colonnes de chiffres officiels si brillamment allignées furent renversées, et la Chambre si satisfaite quelques minutes auparavant du superbe édifice élevé par l’hon. M. Dunkin, demeura sous le coup d’une déconvenue pleine d’embarras, ne sachant trop sur lequel des deux orateurs reposer sa confiance ébranlée.

« Les collègues avertis, le gouvernement censuré, le public prévenu, le membre de l’opposition avait accompli sa tâche, et, le député de St-Hyacinthe, M. Bachand, car c’était lui, s’asseyait au milieu des félicitations de ses amis, ayant conquis en un seul jour le titre et la réputation d’un financier.

« Les travaux de M. Bachand ont depuis confirmé cette renommée ; ses aptitudes le portent en effet vers les matières de finances ;

« Soigneux de sa personne et de sa mise, le député de St-Hyacinthe porte le goût méthodique et scrupuleux dans les affaires. Il aime les chiffres, se complaît aux opérations qu’il enfante, et son intelligence aussi vive que sûre, embrasse avec une égale facilité l’ensemble et les détails d’un plan. »

C’est M. Honoré Mercier qui devait plus tard jouer un rôle prépondérant dans notre politique, qui fut élu à St-Hyacinthe comme successeur de feu M. Bachand. Quelques mois auparavant, aux élections fédérales, il avait été défait par M. Tellier dans ce même comté. C’était à la débâcle du 17 septembre 1878.

Le coup d’État Letellier avait depuis des mois vivement agité l’opinion publique. Après la session l’attention fut attirée dans une autre direction. Le gouvernement MacKenzie ayant annoncé les élections générales pour le 17 septembre, de part et d’autre on se jeta dans la lutte avec la ferme détermination de remporter la victoire. Il existait à ce moment une grande dépression commerciale qui répandait la gêne dans tout le pays ; il fut facile aux adversaires du gouvernement de faire croire aux masses que cet état de choses était le fruit de la politique ministérielle. M. MacKenzie persista à ne pas vouloir élever le tarif qui n’était alors que de 17 ½ %, et les conservateurs arborèrent le drapeau de la protection qu’ils prétendaient être une panacée capable de guérir tous les maux. Le résultat des élections fut un désastre pour le parti libéral. Et, chose singulière, malgré ce revirement d’opinion si inattendu, les deux chefs conservateurs, Sir John MacDonald et Sir Hector Langevin, furent défaits quand leur parti avait été partout triomphant. On les fit élire un peu plus tard, le premier en Colombie et le second à Trois-Rivières.

Ce succès inespéré du parti conservateur lui inspira le désir plus ardent que jamais, d’obtenir la tête de M. Letellier. Pour stimuler le zèle de ses partisans, le Canadien avait annoncé avant les élections, que Sir John avait promis de destituer M. Letellier s’il reprenait le pouvoir.

La presse conservatrice de cette province entreprit une campagne féroce contre le Lieutenant-Gouverneur. Elle réclamait sa démission même avec menace. MM. Chapleau, Church et Angers, trois des anciens ministres adressèrent une pétition à Sir Patrick McDougall qui remplaçait Lord Dufferin, parti pour l’Angleterre. Dans cette pétition datée du 7 novembre 1878, on prétendait que le renvoi du gouvernement DeBoucherville avait été injustifiable, imprudent et subversif de la position accordée aux aviseurs de la Couronne depuis la concession du principe du gouvernement responsable aux colonies de l’Amérique Britannique du Nord. On ajoutait que dans ses communications avec Son Excellence le Gouverneur-Général au sujet de ce renvoi d’office, et dans les raisons qu’il prétendait l’avoir porté à opérer ce renvoi, le Lieutenant-Gouverneur avait fait des déclarations qui ne se soutenaient pas et que contre-disaient les documents relatifs à cette affaire.

Enfin, les pétitionnaires prétendaient que la conduite du Lieutenant-Gouverneur était de nature à mettre en péril la paix et la prospérité du Canada et à compromettre la dignité de la Couronne, etc., etc.

En réponse à cette pétition, M. Letellier adressa un mémoire à l’Administrateur du Canada dans lequel il protestait contre les accusations portées contre lui, puis il ajoutait pour sa défense :

Que M. DeBoucherville ne l’avait pas consulté avant de soumettre à la Chambre son bill des chemins de fer et le discours de son trésorier qui annonçait des nouvelles taxes. L’autorisation qu’il avait envoyée par télégramme de la Rivière Ouelle permettait simplement de mettre devant la Chambre « la question financière » ; que cette autorisation n’était pas suffisante pour permettre de présenter un bill de chemin de fer qui contenait des dispositions substituant à la judicature, le Lieutenant-Gouverneur en Conseil, comme un tribunal chargé de décider de la responsabilité des municipalités pour le paiement des sommes quelles pouvaient devoir ;

Qu’il n’avait jamais été consulté, ni au sujet des nouvelles taxes proposées, ni au sujet du bill des chemins de fer, et, quant à ce qui concerne cette dernière mesure, M. DeBoucherville était pleinement prévenu, parceque le Lieutenant-Gouverneur lui avait dit à propos de l’affaire de Montmorency à savoir qu’il avait des objections insurmontables à la substitution de l’exécutif aux tribunaux légalement établis.

Qu’il ne connaissait pas la vive opposition que rencontrait le bill des chemins de fer, vu qu’on lui avait caché les pétitions contre celui-ci et qu’il n’en avait pris connaissance qu’après sa demande de renseignements, en date du 25 février ;

Qu’en présence d’une pareille opposition de la part des municipalités intéressées, il était venu à la conclusion qu’il serait peu sage de sanctionner une telle législation et qu’il était devenu nécessaire de renvoyer M. DeBoucherville.

Sir Patrick McDougall ne voulut prendre aucune action dans cette affaire qu’il ajourna jusqu’à l’arrivée du Marquis de Lorne qui débarqua à Halifax le 25 novembre. C’est la question la plus difficile, la plus épineuse que le noble lord fut appelé à décider pendant son administration. Il est certain qu’il a fait tous ses efforts pour empêcher la destitution de M. Letellier : il n’a consenti à signer l’arrêté en conseil que sur les instructions positives qui lui furent envoyées par le ministre des colonies. Il répugnait à Sir John lui-même de faire cette destitution. Après avoir gagné les élections il semblait vouloir laisser tomber l’affaire. Mais, ses partisans de la province de Québec étaient sans merci ; ils menaçaient de lui retirer leur appui s’il ne leur donnait pas la tête de M. Letellier. En l’obtenant, ils espéraient pouvoir reconquérir le pouvoir à Québec. De là les efforts incroyables qui ont été faits.

Sir John était trop perspicace pour ne pas entrevoir les conséquences que pourrait entraîner cet acte politique. Il y voyait un danger pour l’autonomie et l’indépendance des provinces. Les journaux à sa dévotion, comme le Mail de Toronto laissaient percer son sentiment sur cette question. On disait même dans le temps que trois de ses collègues étaient opposés à la démission. Cependant, les promesses qu’il avait faites aux conservateurs de Québec qui étaient nombreux dans la députation, le forcèrent à céder bien à contre-cœur.

« C’est M. Mousseau, dit M. P.-B. Casgrain dans Letellier de St-Just et son Temps, qui prit l’initiative d’une démarche qui incombait au ministère lui-même et dont il devait assumer la responsabilité officielle. Par cette tactique (suggérée par Sir John) il jouait le marquis de Lorne, en faisant faire indirectement par d’autres, ce que le marquis ne lui aurait pas permis de faire comme ministre, et il évitait du même coup le péril dont les siens le menaçaient. On voit qu’il joignit à un manque de courage, dans une occasion aussi grave, une duplicité coupable vis-à-vis du Gouverneur. Il comptait, pour forcer la main au marquis, se retrancher derrière le vote de la Chambre dont le résultat était sûrement prévu, et dont la responsabilité ne retombait pas sur personne. Ce plan ainsi combiné ne lui réussit que trop bien. »

Une fois engagé dans cette voie, il était difficile pour Sir John de reculer. Il confia à M. Mousseau le soin d’amener la question devant la Chambre. Comme ce député manquait d’expérience parlementaire, on lui adjoignit M. Dalton McCarthy, un avocat de haute valeur, et un vieux parlementaire.

Le parlement avait été convoqué pour le 13 février 1879. Au grand lever qui eut lieu le soir dans la salle du sénat, un incident assez significatif se produisit. On sait que tous les hauts personnages de l’État prennent part à cette cérémonie sociale. La fête avait beaucoup d’éclat vu que c’était la première réception officielle donnée par le marquis de Lorne et la Princesse Louise. M. Letellier de St-Just était au nombre des invités. Quand ce fut son tour d’aller présenter ses hommages, le Marquis et la Princesse descendirent le degré du trône et l’accueillirent avec une bienveillance particulière. La chose fut d’autant plus remarquée, qu’il fut le seul personnage pour lequel ils montrèrent une pareille déférence.

Quelques jours plus tard, M. Mousseau saisit la Chambre de la question Letellier. Ce discours bien préparé, exposait les griefs des ministres du cabinet DeBoucherville. On reconnaissait dans ce travail l’œuvre conjointe de MM. Angers, Dansereau, Tarte, Ross, Senécal, etc., etc., qui étaient les plus actifs dans la campagne contre le Lieutenant-Gouverneur.

Pour se bien tenir en contact avec la députation conservatrice, les meneurs avaient établi à Ottawa un pied à terre que l’on a dans le temps appelé la Maison-Bleue. C’était, a-t-on dit, M. L.-A. Senécal qui payait les frais de cette installation où l’on menait joyeuse vie. On y entraînait les députés que les discours n’avaient pas réussi à convaincre, et, quand ils sortaient de là, leur opinion était bien formée : M. Letellier avait eu tort de protéger les municipalités contre la tentative du gouvernement DeBoucherville de les prendre à la gorge !

M. Laurier avait à la session précédente, exprimé son sentiment sur cette motion de M. Mousseau. Il prétendit, entr’autres choses, que si le peuple avait ses droits, il ne fallait pas oublier non plus les prérogatives de la Couronne. L’état le mieux organisé est celui où les droits de la Couronne et ceux du peuple sont clairement définis et hautement respectés. Il n’était pas, disait-il de la compétence du parlement central de critiquer l’acte de M. Letellier. L’adoption de cette motion serait de la part du gouvernement fédéral un empiétement direct sur les droits des provinces. Il s’agissait de l’autonomie de la province de Québec et le parlement fédéral n’avait pas le droit d’intervenir dans une question qui touchait à cette autonomie. Le remède restait entre les mains des électeurs de la province. Ils pouvaient renverser les présents aviseurs de la Couronne et condamner ainsi la conduite du Lieutenant-Gouverneur.

Le débat de la dernière session avait laissé clairement voir que les ministres fédéraux hésitaient à justifier l’acte de M. Letellier dans l’exercice extrême de ses prérogatives. D’un autre côté Sir John lui-même montrait de la répugnance à déclarer absolument inconstitutionnelle la conduite du Lieutenant-Gouverneur. La motion qu’il avait faite en 1878 se bornait simplement à dire que M. Letellier avait manqué de sagesse, et bien que poussé par M. MacKenzie, il refusa d’aller plus loin. Il est certain qu’il était loin d’être en sympathie avec ses partisans de la province de Québec.

Quand plus tard, il sacrifiera M. Letellier, ce sera contre son sentiment intime et pour céder à des exigences de parti.

La Chambre de Québec, mise au. courant de ce qui s’était passé à Ottawa, adopta le 9 juillet 1879 une adresse au Gouverneur-Général. Dans cette adresse elle protestait contre la tentative de la part du gouvernement fédéral de démettre le Lieutenant-Gouverneur en se basant sur un vote de parti de la Chambre des Communes et du Sénat, comme un empiètement sur les droits de la province.

C’était, disait cette adresse, à la province de Québec directement intéressée à juger de l’apropos et de la sagesse de l’acte par lequel le Lieutenant-Gouverneur avait retiré l’administration des affaires de la province des mains du ministère DeBoucherville pour la confier à un autre. Depuis la dernière session, trois élections partielles, avaient eu lieu dans les comtés de St-Hyacinthe, Rouville et Chambly, et dans ces trois collèges électoraux, le peuple avait approuvé par de grandes majorités l’acte de Son Honneur le Lieutenant-Gouverneur.

Cette adresse fut votée par 31 contre 28.

La campagne de presse fut menée avec habileté et vigueur par MM. Dansereau et Tarte, deux journalistes de haute valeur. Ils avaient pour les seconder dans leurs efforts la ténacité de M. Angers et la dévorante activité de M. Sénécal qui était l’agent extérieur, l’homme d’action par excellence. Cet homme, d’une nature très sympathique, libéral, généreux, ne connaissait pas ce que voulait dire le mot « impossible ». Bon camarade, insinuant, peu scrupuleux, il avait pardessus tout une audace à toute épreuve. Nous verrons plus tard la raison de son grand zèle à demander la démission de M. Letellier : c’était pour donner le pouvoir aux conservateurs et mettre la main sur le chemin de fer du Nord.

Le chef de l’opposition M. MacKenzie, prit la défense de M. Letellier. Sir John, pour empêcher l’opposition d’exprimer son opinion fit proposer la question préalable par M. Ouimet, alors député de Laval. Par cette procédure parlementaire on empêchait la députation libérale de voter sur un amendement. C’était, on l’admettra, peu chevaleresque, quand il s’agissait d’une question d’une importance aussi considérable. M. MacKenzie exprima l’opinion que c’était à la province de Québec seule qu’il appartenait de juger du cas de M. Letellier. Or, ajoutait-il, le gouvernement Joly s’est maintenu, il a même remporté plusieurs élections partielles, ce qui prouve que l’opinion publique est avec lui. Il fit aussi ressortir avec force le manque de courage des ministres qui n’avaient pas voulu prendre l’initiative d’une mesure aussi importante, aimant mieux la laisser à la Chambre.

Après un débat qui dura trois jours et trois nuits, la motion Mousseau fut votée par 136 voix contre 51. Ce fut un strict vote de parti. Dans le parlement précédent, la majorité de la Chambre avait appuyé la position prise par M. Letellier.

Fort de ce vote de la Chambre, Sir John aborda de nouveau le Gouverneur-Général et il lui demanda la destitution de M. Letellier. Le Marquis de Lorne refusa de se rendre à cette demande, donnant pour raison que ce serait établir un précédent dangereux. M. Joly avait assumé la responsabilité de la conduite du Lieutenant-Gouverneur, la province ayant par son vote ratifié cet acte, cela mettait fin à cette question. En outre, il y avait un doute sérieux dans l’interprétation de l’Acte de l’Amérique Britannique du Nord : la destitution, si elle devait avoir lieu, était-elle du ressort du Gouverneur seul ? C’était la première fois qu’une question semblable se présentait, et, comme elle était de nature à affecter sérieusement pour l’avenir les relations entre les gouvernements d’Ottawa et des provinces, le Marquis ne voulait pas procéder à la légère. Il résolut de soumettre toute l’affaire au gouvernement impérial.

Ceux qui réclamaient la destitution de M. Letellier s’imaginaient que le Marquis de Lorne prenait cette voie à l’encontre du vœu de ses aviseurs. De là de violentes attaques à son adresse. La Minerve alla jusqu’à dire « que le jeune homme de Rideau-Hall ne valait pas mieux que le forban de Spencer-Wood. » Mais, un peu plus tard, il fut connu qu’il en avait agi ainsi à la suggestion de ses ministres.

Sir Hector Langevin et M. Joly se rendirent tous deux en Angleterre, le premier pour insister sur la démission du Lieutenant-Gouverneur et obtenir la signature du Gouverneur à l’arrêté en conseil, et le second pour défendre le coup d’État dont il avait assumé la responsabilité.

Le secrétaire des colonies, exprimant l’opinion du gouvernement impérial décida que « le Lieutenant-Gouverneur d’une province avait le droit indiscutable de renvoyer ses ministres s’il se croit justifiable de le faire. » Néanmoins, il ajoutait que dans l’exercice de ce droit, comme dans toutes ses fonctions, il devait se montrer impartial entre les partis politiques rivaux, ce qui était nécessaire pour le bon accomplissement des devoirs de sa position, et qu’il était directement responsable au Gouverneur-Général. Il est bien vrai que l’acte de la Confédération ne dit pas « par et avec l’avis de ses ministres », et c’est un argument qui ne manque pas d’importance. Toutefois le gouvernement Impérial ne trouva rien pour le justifier de s’écarter de la règle générale que le Gouverneur doit suivre l’avis de ses ministres qui sont responsables de la paix et du bon gouvernement dans le pays.

Cette décision ne laisse guère de pouvoirs entre les mains du Lieutenant-Gouverneur qui est abandonné à la merci de l’hostilité du cabinet fédéral. Si les élections qui ont suivi le coup d’État avaient été favorables aux nouveaux ministres, M. Letellier n’avait pas d’autre alternative que de résigner ou d’être démis. Mais, du moment que les électeurs de la province avaient ratifié son action, il faut admettre que la démission forcée de M. Letellier fut un acte arbitraire de la part du gouvernement fédéral.

Chose singulière ! Ce même M. Angers qui avait proclamé si haut en 1879 le respect de la constitution, fut le premier à violer ces principes sacrés dont il s’était constitué le défenseur. En 1892, en effet, il occupait à son tour le poste de Lieutenant-Gouverneur à Québec : il n’hésita point à renvoyer le gouvernement Mercier qui venait de sortir des élections avec une grande majorité. Il lui refusa même la convocation des Chambres et une enquête parlementaire. Sa conduite outrageusement inconstitutionnelle ne lui attira aucune censure pour la raison que ses amis politiques occupaient le pouvoir à Ottawa. S’il a été absous par ceux-ci, il n’en a pas été de même du peuple qui lui a voué une significative exécration qui l’a toujours poursuivi depuis. L’injure et l’outrage éclatèrent comme la vengeance sur son nom. Ce fut le débordement de l’âme irritée d’un parti.

L’arrêté en conseil qui révoquait de ses fonctions M. Letellier fut passé le 25 juillet. C’est M. Édouard Langevin, le frère du ministre qui fut chargé de lui signifier cette nouvelle dans le cours de l’après-midi. M. Letellier ne fut pas trop surpris, car l’acharnement de ses ennemis lui avait enlevé tout espoir de succès. Après avoir pris communication du document officiel, il le passa à un ami qui se trouvait avec lui, en disant : « Je m’y attendais et si c’était à refaire, je recommencerais. » Paroles qui font bien voir combien M. Letellier avait été sincère dans l’exercice de la prérogative qu’il avait exercée !

Aussitôt après avoir reçu la nouvelle officielle de sa démission M. Letellier fit mander M. Joly pour lui communiquer la chose. Ce dernier en informa la Chambre qui s’ajourna aussitôt. La nouvelle de la démission de M. Letellier causa à Québec la plus vive impression, car il y jouissait d’une grande popularité. Il avait su pendant son court séjour à Spencer-Wood conquérir l’estime et le respect de tout le monde, en dehors des fanatiques qui avaient réclamé sa tête. Au premier janvier, tous les citoyens s’étaient fait un devoir d’assister à la réception officielle, afin de bien faire sentir combien ils sympathisaient avec M. Letellier dans la persécution organisée contre lui.

La députation libérale toute entière se rendit en corps à Spencer-Wood pour offrir ses sympathies à M. Letellier et l’assurer de son respect, de son dévouement. Voici comment M. Casgrain dans Letellier et son Temps raconta cette scène.

« Avant de dire adieu à la députation, il exposa dans une allocution calme et pleine de dignité, qui fit une profonde impression, et même arracha des larmes à plusieurs, les sacrifices que l’homme public est appelé à faire pour ses concitoyens. Il avait pesé d’avance et calculé, dit-il, les suites de la détermination qu’il avait prise et l’éventualité qui venait de se réaliser ; il s’y soumettait, car il n’avait pas hésité un seul instant, dès lors à sacrifier sa position pour accomplir un devoir qu’il croyait être pour le plus grand bien de la province. Il était convaincu que le peuple était avec lui et que le peuple avait répondu à son appel et l’avait approuvé, ainsi qu’il venait de le déclarer par la voix de l’Assemblée Législative. »

Il s’éleva de toutes parts de vives protestations contre l’intervention fédérale dans les affaires de la province. L’indignation était si grande que bien des gens voulaient que M. Letellier restât quand même à Spencer-Wood. Ç’aurait été la répétition de ce qui se faisait au temps de la féodalité. Quand un seigneur se sentait assez fort pour résister au roi, il s’installait dans son chateau et refusait d’en sortir, à moins d’en être expulsé de force. M. Letellier avait un trop grand sens pour prêter un instant l’oreille à une semblable irritation. On lui nomma comme successeur le Dr. Théodore Robitaille, et il quitta la résidence des Lieutenants-Gouverneurs pour entrer dans la vie privée. Il aurait pu couler des jours heureux, à Spencer Wood, s’il avait voulu adopter la politique du « laisser faire », mais cela n’était ni dans sa nature, ni dans ses goûts. Il n’a jamais voulu admettre la théorie qu’un Lieutenant-Gouverneur est une simple machine à signer. Il avait une idée plus élevés des importantes fonctions qu’il remplissait.

Il est certain, je le répète, — et c’est le témoignage de tous les libéraux importants avec lesquels j’en ai causé — qu’en faisant le coup d’État M. Letellier n’a pas été mu par le secret désir de promouvoir les intérêts de son parti. En effet, si les libéraux ont alors pris le pouvoir, cela est dû à M. DeBoucherville lui-même ; s’il eut alors recommandé M. Chapleau pour lui succéder, M. Letellier l’aurait certainement appelé à former le nouveau cabinet, car il entretenait une admiration sincère pour le beau talent de Chapleau qui professait des idées assez libérales. Dans la session qui avait précédé son renvoi d’office, il avait prononcé un discours sur le progrès dans lequel il tendait la branche d’olivier à ses adversaires. Ce discours avait profondément scandalisé un groupe important du parti conservateur. M. DeBoucherville tout en appartenant au même parti que Chapleau ne naviguait pas précisément dans les mêmes eaux. Il appartenait à ce qu’on appelait alors l’école des Castors, et M. Chapleau détestait celle-ci, qui du reste, le lui rendait bien. Faire arriver Chapleau au premier rang, c’eut été grandir son influence, et M. DeBoucherville n’était pas disposé à le faire. Nous verrons plus tard qu’en 1893, lorsque M. Chapleau succéda à M. Angers à Spencer Wood, M. DeBoucherville abandonna sa position de premier-ministre pour ne pas servir sous lui. Personne n’ignorait dans le temps, qu’il ne voulait pas servir sous Chapleau.

Sans doute, M. Letellier n’avait pas songé à avancer les affaires de son parti : mais tout de même, il n’en est pas moins vrai qu’il lui a rendu un service signalé. Le parti conservateur était alors tout puissant dans la province ; dans la Chambre on pouvait compter sur les doigts les membres de l’opposition libérale.

Ce parti ne possédait que quelques journaux pour prendre sa défense et le clergé le battait encore en brèche. L’arrivée au pouvoir du parti libéral eut pour effet de secouer l’opinion publique engourdie. Il fallut faire la discussion des questions politiques dans tous les comtés, dans tous les villages ; les orateurs libéraux eurent ainsi l’occasion de prêcher partout leurs idées. Ils firent une lutte gigantesque pour assurer la victoire à M. Joly. On peut donc dire que c’est M. Letellier qui a sérieusement commencé l’œuvre de la « libéralisation » de la province, laquelle a été complétée plus tard par M. Mercier. C’est lui qui a achevé de dissiper tous les préjugés que l’on avait depuis des années accumulés contre le parti libéral. Hélas ! les ministres libéraux ne se sont guère souvenu de M. Letellier après qu’il fut descendu dans la tombe ! Il avait laissé ses enfants dans la pauvreté, et ils n’ont jamais pu obtenir la moindre faveur de ceux qui avaient tant profité du travail de leur père. Que les partis politiques sont ingrats ! Ils ne savent reconnaître que les services actuels : ceux rendus dans le passé ne compte plus, on les oublie afin d’avoir moins de scrupule à ne pas les récompenser !

Pendant le temps qui s’était écoulé depuis la clôture de la session en 1878, M. Joly avait poussé avec vigueur le parachèvement des travaux du chemin de fer du Nord entre Québec et Montréal. Il avait aussi pris possession de la partie terminée du chemin entre cette dernière ville et Ottawa et exploitée par l’entrepreneur M. McDonald. Le gouvernement était sorti victorieux d’un procès en injonction que lui avait institué ce dernier. Le 7 février 1878, M. Joly arrivait à Québec à bord du premier convoi régulier du chemin de fer du Nord circulant entre Montréal et Québec. Ce fut tout un événement que l’accomplissement de cette œuvre que les québecquois attendaient depuis si longtemps.

Dans le mois de décembre précédent, le parti libéral avait éprouvé un deuil cruel causé par la mort de M. P.-A. Tremblay. Il occupait à ce moment la position de directeur de l’Éclaireur, cette modeste feuille qui faisait si vaillamment les combats du parti libéral. M. Tremblay est mort victime d’une maladie qu’il avait contractée durant sa campagne électorale.

Peu d’hommes ont contribué plus que lui à l’avancement du parti libéral. Dans le parlement fédéral comme dans la législature locale il a exposé avec un rare talent les doctrines de son parti. Il est l’auteur de plusieurs lois qui ont eu pour résultat de mettre fin à ces gigantesques fraudes électorales dont si souvent les libéraux avaient eu à souffrir. Travailleur infatigable, doué d’une énergie capable de vaincre tous les obstacles, il était constamment sur la brèche. Il n’écrivait pas précisément avec élégance, mais il mettait dans ses articles une vigueur et une sincérité qui empoignaient et qui jetaient la conviction dans les esprits.

M. Tremblay possédait de profondes convictions religieuses qu’il mettait en pratique sans ostentation. Il déplorait l’intervention du clergé dans la politique, parce qu’il y voyait un danger pour son influence comme pour le respect dont il devait être entouré par les populations. Il eut beaucoup à souffrir de la part du clergé du comté de Charlevoix qui le dénonça comme un homme indigne de la confiance publique. Pour se protéger, il eut à le combattre et dans la presse et devant les tribunaux. Ses démêlés contribuèrent pour une large part à l’intervention de Rome et à nous assurer la paix religieuse dont nous jouissons aujourd’hui. Il voulait que l’Église restât l’Église, que résignée à poursuivre sa carrière de consolation purement spirituelle, elle ne permit pas à ses ministres de semer la haine et la discorde, l’insinuation calomnieuse dans nos populations. Il voyait dans son attitude un véritable péril. M. Tremblay était l’une des figures les plus en vue du parti libéral qui le comptait parmi les plus vaillants de ses soldats. Il mourut pauvre avant d’avoir reçu la juste récompense de son désintéressement, comme de ses longs états de services. C’était un homme personnel, une nature fortement trempée, un caractère comme il s’en rencontre rarement. Comme il aurait condamné, certaines compromissions et certaines palinodies dont nous avons été témoins ! Il mourut comme il avait vécu, en catholique convaincu. Dans les derniers jours de sa maladie. Mgr. Taschereau se rendit auprès de lui pour le consoler et le bénir. Sa mort fut vraiment édifiante. Avant de s’endormir pour toujours, il publia dans l’Éclaireur la lettre suivante qui est si éloquente et si touchante :

« En face de l’Éternité où bientôt, peut-être, Dieu me donnera l’ordre d’entrer ;

Me souvenant du précepte de charité qui oblige le chrétien de n’avoir point d’ennemis, et l’invite à pardonner les offenses reçues, comme aussi à réparer celles que lui-même aurait commises envers ses frères ;

Pour m’assurer de plus en plus les grâces de Dieu, et sa miséricorde au moment solennel de la mort ;

Je désire faire en toute humilité et sincérité chrétienne les déclarations suivantes :

1.o — Je pardonne de grand cœur à tous ceux qui, dans ma vie privée, ou publique, en paroles, en actes, m’auraient causé offense, injure ou ressentiment quelconque ;

2.o — Je demande moi-même pardon aux personnes que, dans la vie privée ou publique, dans les luttes politiques ou les écrits sortis de ma plume, j’aurais pu offenser en paroles ou en actes. Si la chaleur de la discussion ou l’amertume du moment m’ont parfois entrainé au-delà des bornes de la modération et de la charité, je le regrette sincèrement et le désavoue de tout cœur ;

3.o — Si enfin contre mon intention et les sentiments de respect et d’obéissance filliale que j’ai toujours eu pour la Sainte Église ma mère, il m’était échappé dans mes paroles ou mes écrits, des choses que l’on pourrait regarder comme moins favorables à l’esprit de soumission et d’amour qu’un chrétien doit avoir pour celle qu’il considère comme la Maîtresse de la Vérité et son unique organe autorisé sur la terre, je les désavoue complètement, et j’exprime franchement mon désir de les regarder comme non avenues ;

Dans la situation je me trouve aujourd’hui, en face de l’Éternité qui s’avance, l’homme juge mieux de la valeur des choses humaines. S’il éprouve des regrets, c’est d’avoir donné trop d’affection aux affaires de ce monde et d’avoir poursuivi avec trop d’ardeur ce qui pour le chrétien devrait toujours être subordonné aux grands intérêts de l’Éternité ;

Que mes amis, que ceux qui furent mes adversaires politiques prient pour moi le Père commun des chrétiens, et si Dieu m’appelle à lui, qu’ils ne refusent pas à mon âme la charité de leurs prières. »

P. A. Tremblay.
26 décembre 1878.

Cette lettre si admirable fut accueillie par le public avec une profonde émotion. Les adversaires eux-mêmes n’eurent que des paroles élogieuses pour des sentiments si nobles, si élevés. Il n’y eut qu’une exception : ce fut le Canadien. M. Tarte écrivit un article outrageant à l’adresse de M. Tremblay. Il commit la faute impardonnable de frapper sur un moribond incapable de se défendre. Sa conduite fut condamnée par tous les gens de cœur.

Les restes de M. Tremblay reposent à la Malbaie. En passant près du modeste cimetière de cette paroisse, on aperçoit une colonne en granit qui dépasse un peu la hauteur du mur d’enceinte de ce champ des morts. C’est la dernière demeure du brave citoyen qui s’appelait P.-A. Tremblay. Jamais, l’été, pendant mes séjours à la Malbaie, je n’ai passé à cet endroit sans me rappeler avec une admiration véritable les luttes de cet homme si courageux. Paix à ses cendres ! Respect à sa mémoire !

La destitution de M. Letellier avait fait naître chez les conservateurs un violent désir de reprendre le pouvoir. Le premier expédient auquel ils eurent recours ce fut de faire refuser les subsides au gouvernement par le conseil législatif, à la date du 2 septembre. Aussitôt, la Chambre élective s’empressa de protester contre l’acte du conseil : ces résolutions furent votées par 24 contre 21. C’était la preuve indiscutable que M. Joly possédait encore la confiance de la députation. Le conseil avait agi d’une façon arbitraire et inconstitutionnelle. Il voulait embarrasser les ministres en leur coupant les vivres. En face d’une situation aussi compliquée, M. Joly ajourna les Chambres au 28 octobre. Pendant cette vacance de nombreuses assemblées publiques furent tenues pour protester contre la conduite du conseil législatif. À la rentrée des Chambres, les ministres proposèrent des résolutions pour blâmer l’acte du conseil. C’était le dernier jour du gouvernement Joly. La trahison avait fait son œuvre pendant l’ajournement : tout avait été mis en mouvement pour enlever le pouvoir aux libéraux. M. Alexandre Chauveau donna le premier l’exemple de la défection en sortant du gouvernement afin de lui causer un nouvel embarras. Sa place fut offerte à M. Flynn qui la déclina : il était déjà gagné au parti ennemi ainsi que M. Théodore Pâquet, député de Lévis.

Sûr de la majorité, M. Lynch proposa, appuyé par M. Flynn, l’amendement que voici :

« Que vu la position critique et difficile de la province, agissant par patriotisme et sans prévention de parti, dans le but de mettre fin à un règne de conflit et d’agitation politiques et au dead-lock actuel, qui sont grandement préjudiciables aux intérêts de la province, il est du devoir de tous les membres de cette Chambre qui ont à cœur les véritables intérêts du pays, d’unir tous leurs efforts pour former, au lieu du gouvernement actuel, une administration forte et effective composée d’hommes qui, dans un esprit de conciliation seront capables de proposer et de faire accepter par le peuple de cette province un programme modéré et énergique qui satisfasse aux exigences de la situation ; d’hommes qui pourront commander la confiance du pays et d’une majorité ferme et active des représentants du peuple. »

M. Mercier proposa en sous-amendement :

« Qu’une humble adresse soit présentée à Sa Très Gracieuse Majesté La Reine, lui exposant respectueusement ce qui suit :

« 1o Que dans les circonstances, l’existence du conseil législatif de la province de Québec est devenu un danger menaçant pour le gouvernement responsable et les institutions constitutionnelles que les sujets de Sa Majesté dans cette colonie ont appris à respecter et à chérir ;

2o Que l’Acte de l’Amérique Britannique du Nord de 1867 devrait être amendé de manière à abolir le conseil pour mieux nous assurer l’existence du gouvernement responsable. »

Cet amendement fut rejeté et la motion principale fut adoptée par 35 contre 29. La défection des députés Chauveau, Paquet, Racicot, Flynn et Fortin avait mis le gouvernement en minorité.

Pour essayer de justifier la désertion de ces cinq députés, M. Chapleau avait parlé de conciliation. M. Mercier lui répondit avec éloquence, puis, s’adressant aux députés lâcheurs, il leur lança cette sanglante apostrophe :

« On parle de conciliation : Ah ! M. le président, au temps où Lafontaine luttait comme nous aujourd’hui, pour la revendication des droits populaires et des libertés publiques, l’action que vous allez commettre n’eut pas été appelée de la conciliation, mais de la trahison ! »

Le ton, l’attitude, le geste qui soulignèrent cette phrase firent tressaillir la Chambre. Et les acclamations de son parti s’élevèrent bruyantes et enthousiastes, pendant plusieurs minutes après que le brillant orateur se fut assis. M. Mercier avait raison. Quand on a suivi un chef qui tombe il ne reste qu’une chose à faire à ses partisans, à ses compagnons de fortune, c’est de tomber avec lui.

C’était la fin du drame politique qui se continuait depuis près de deux ans. Que faire avec un Lieutenant-Gouverneur qui se prêtait aux menées sournoises des adversaires de ses ministres, avec une majorité décidément hostile dans le gouvernement fédéral ? M. Joly demanda un appel au peuple qui lui fut refusé par le Lieutenant-Gouverneur, sous le ridicule prétexte que ce serait accorder deux dissolutions à un même cabinet et l’exercice extraordinaire de la plus précieuse des prérogatives royales. C’était M. Chapleau, évidemment, qui lui avait mis ces raisons dans la bouche. Au lieu d’aider ses ministres à sortir de cette impasse, comme c’était son devoir constitutionnel, il complotait leur déchéance avec l’opposition. Quelle triste page dans notre histoire politique !

Tous les moyens suggérés par la constitution étant épuisés, M. Joly remit sa résignation le 30 octobre 1879. L’opinion publique a justement flétri les cinq hommes dont la trahison avait entraîné la défaite d’un ministère qui avait la confiance de l’électorat, malgré la volte-face de ces députés.

L’œuvre accomplie par le gouvernement Joly dans moins de deux ans avait été considérable. Il avait réduit les dépenses du service civil, grâce aux sages économies qu’il avait pratiquées, il avait remboursé à la Banque de Montréal l’emprunt de $500,000 à 7 pour cent, contracté par le gouvernement DeBoucherville ; il avait trouvé l’argent requis pour payer les travaux nécessaires au parachèvement du Chemin de Fer du Nord qu’il avait ouvert à la circulation ; il avait rétabli notre crédit dans les banques qui lui avaient prêté tout l’argent dont il avait eu besoin, et cela, dans d’excellentes conditions. Enfin, un syndicat composé d’hommes d’affaires de premier ordre et de riches capitalistes avait été formé dans le but d’affermer le Chemin de Fer du Nord et de l’exploiter à ses frais. Ce syndicat aurait payé au gouvernement un loyer annuel de $200,000. C’était le salut de la province. Malheureusement cet esprit de parti qui nous a fait tant de mal a brisé ce gouvernement pour satisfaire, non pas les légitimes ambitions, mais les appétits d’un petit nombre.

Après sa démission M. Letellier se retira dans la vie privée. L’énervante anxiété dans laquelle il avait vécu depuis des mois avait fini par ébranler cette constitution pourtant si forte. Il s’en alla vivre dans sa vieille paroisse natale, la Rivière-Ouelle, qui avait été témoin de ses jours ensoleillés, comme des heures sombres de sa carrière politique. C’est là qu’il s’éteignit au mois de janvier 1881 entre les bras de son curé, M. l’abbé Dion, et entouré de sa famille. Il mourut en vrai chrétien, en pardonnant à ses ennemis qui lui avaient fait tant de mal !

Pendant trente ans M. Letellier avait joué un rôle politique prépondérant dans le pays. Il était entré dans la vie publique comme député libéral en 1851, sous le ministère Lafontaine-Baldwin. Toute sa vie il est resté fidèle aux opinions qu’il s’était formées dans sa jeunesse. Il s’est trouvé à entrer dans cette carrière en même temps qu’une brillante pléiade d’hommes dont les noms figurent aujourd’hui avec honneur dans notre histoire ; ces jeunes hommes s’appelaient John-A. Macdonald, Geo. Brown, Geo.-Et. Cartier, P.-J.-O. Chauveau, Jos. Cauchon, A.-N. Morin, J.-C. Taché et J.-C. Chapais. Ce dernier fut le premier adversaire qu’il eut à combattre en 1851. Cette élection fut chaudement contestée : M. Letellier était pauvre, tandis que l’autre, en outre de son talent, disposait d’une fortune assez considérable par sa femme, la fille du seigneur Dionne. Mais, le premier était un tribun d’une force et d’une puissance irrésistibles auprès des foules. Bâti comme un Hercule, possédant une voix capable de dominer de tumulte des masses, il en imposait par sa superbe prestance. On accourait même de très loin pour entendre le grand orateur. On peut donc affirmer qu’il se faisait élire par la force de son éloquence contre l’argent de ceux qui le combattaient. Il était de l’école des Dorion, des Fournier, des Geoffrion, de ces vieux libéraux qui, dans la discussion devant le peuple dédaignaient les injures et se bornaient à discuter, à plaider leur cause comme ils l’auraient fait devant des juges. C’était le vrai moyen d’éclairer les électeurs, de répandre la conviction dans l’esprit de ceux-ci et de jeter cette semence qui devait plus tard produire ses fruits. S’il est une chose que ces hommes possédaient à un haut degré, c’était la conviction et sincérité. C’est avec ces armes qu’ils ont défendu leur cause, qu’ils ont tenu haut et ferme le drapeau libéral, sans faiblesse comme sans concession humiliante. On les battait souvent mais on ne les décourageait jamais. Ils s’étaient proposé un but vers lequel ils ont toujours marché avec un courage qui les honore et qui leur a conquis l’admiration et l’estime de tous les vrais libéraux.

M. Letellier kit plusieurs luttes dans le comté de Kamouraska, après celle de 1851, et il fut toujours vaincu ; ces luttes sont restées légendaires dans le bas du fleuve. Enfin, en 1860 il se porta candidat dans la division Grand-ville, pour le conseil législatif qui était alors électif. Ce collège électoral comprenait un territoire immense, il se composait des comtés de Témiscouata, Kamouraska et l’Islet. Cette campagne électorale dura six mois : M. Letellier en sortit victorieux. Il avait eu à subir une guerre violente et déloyale de la part du clergé. C’est à cette époque qu’on inventa la fameuse maxime le ciel est bleu et l’enfer est rouge, pour effrayer les populations et les attirer sous les étendards des conservateurs. Dans ce temps là, les orateurs bleus croyaient avoir tout dit lorsqu’ils avaient jeté à la figure de leur adversaire cette apostrophe : « Vous êtes un rouge ! » Cela équivalait à dire qu’il était un révolutionnaire, un brigand, une espèce d’antéchrist !

M. Letellier était un homme instruit, renseigné sur une foule de sujets ; aussi, il ne mit pas de temps à se faire une belle position dans la Chambre ou ses discours se faisaient remarquer par la justesse de leurs aperçus comme par la vigueur de l’argumentation. Il fut deux fois ministre : en 1863 dans le cabinet Macdonald-Sicotte et plus tard dans le gouvernement MacKenzie. Quand le projet d’une Confédération fut discuté, il s’y opposa énergiquement : il voyait dans la nouvelle constitution une menace pour l’autonomie des provinces. Il ne songeait guère dans le temps qu’il serait lui-même victime du danger qu’il signalait alors !

La politique fascinait M. Letellier, il l’aimait en dépit des nombreux déboires qu’elle lui avait causés. Pourquoi l’a-t-il abandonné pour devenir Lieutenant-Gouverneur ? Il n’en a jamais fait l’aveu, mais je crois que les manières de M. MacKenzie ne lui allaient point. C’était un homme arbitraire, cassant, qui voulait tout mener à sa guise. Il manquait tout-à-fait de cette souplesse si nécessaire à un homme d’État et que Sir John possédait à un si haut degré. On comprend qu’un homme de volonté comme M. Letellier n’a pas pu endurer longtemps un pareil régime. Il aurait pu dire comme le cardinal de Retz : « L’on a plus de peine dans les partis à vivre avec ceux qui en sont qu’à agir contre ceux qui y sont opposés. »

Il n’y a pas un Lieutenant-Gouverneur qui ait fait les honneurs de Spencer-Wood avec plus d’éclat et plus de libéralité que M. Letellier. Le public était très souvent invité à fréquenter les somptueux salons de sa résidence. Il recevait d’une façon charmante, et sous cette apparence sévère, rude même, se cachait un homme aux manières les plus raffinées, un gentilhomme dans toute la force du terme. Il se multipliait auprès de ses hôtes, il voyait à ce que tous fussent à l’aise, il trouvait moyen de fréquenter tous les cercles et il avait un mot aimable pour toutes les dames. C’était le type de l’homme du monde tel qu’il était autrefois, comme on le trouvait au sein de ces vieilles familles distinguées qui occupaient les manoirs seigneuriaux. Comme M. DeCelles l’a si bien dit en parlant de Papineau qui était de ceux-là, on croyait apercevoir sur leurs habits un peu de la poudre de la cour de Louis XIV. M. Willison, dans son livre « Laurier and the Libéral Party », a donc pu écrire avec raison en parlant de M. Letellier : « Bien qu’il fut le fils d’un soldat il avait la fierté et l’esprit des anciens seigneurs, joints à leur tempérament chevaleresque, avec une exquise délicatesse, etc., etc. »

La démission de M. Letellier a marqué un tournant dans l’histoire de ce pays. Le ministère anglais de l’époque, en sacrifiant M. Letellier a-t-il bien aperçu les conséquences de sa décision ? Car, il anéantissait du coup la dernière prétention de l’Angleterre à gouverner ses colonies d’Amérique. M. Justin McCarthy, ancien député aux Communes anglaises et littérateur distingué, à très bien fait ressortir la chose dans son History of Our Own Times, en parlant du coup d’État de 1878 :

« Lord Lorne s’opposa à la démission en vertu du principe que si le Gouverneur-Général nommait les Lieutenants-Gouverneurs sur l’avis de ses ministres, il n’en était pas de même de leur démission qui était du ressort de sa décision personnelle seulement. Cette prétention semblait être autorisée par les termes de l’acte du Dominion, mais sur l’appel de Lord Lorne au Secrétaire des Colonies, Sir Michaël Hicks Beach, ce dernier lui conseilla de se soumettre au désir de ses ministres. Du coup, le gouvernement impérial enlevait tout au représentant de la Couronne, sauf un simulacre d’autorité. Il faisait de lui, ce qu’il devrait être en réalité, mais ce qui n’était pas l’intention à l’époque où la Confédération a été établie, une simple figure de parade pour le Dominion, le porte-parole de la Législature canadienne. Obéissant à l’avis du Secrétaire des Colonies, Lord Lorne céda, M. Luc Letellier fut démis, et, avec lui s’évanouissait la dernière prétention de l’Angleterre à gouverner ses colonies de l’Amérique Britannique du Nord. »