Souvenirs pendant la guerre de 1870

LES SOUVENIRS DE M. J.-A. LE ROI
Conservateur de la Bibliothèque de Versailles
PENDANT LA GUERRE DE 1870


Au cours de recherches sur l’histoire de la Bibliothèque de Versailles, un document d’un intérêt particulier a heureusement revu le jour : le recueil même des notes prises quotidiennement par M. Le Roi pendant les mois de septembre, octobre, novembre et décembre 1870.

Ce que Versailles et la Bibliothèque doivent à cet homme distingué, on le sait assez. Le nom de l’auteur des Rues de Versailles est familier à tous ceux qu’intéresse l’histoire de notre ville ; aucun non plus ne peut ignorer le bel article consacré à sa mémoire par M. Taphanel[1], dont la délicatesse d’esprit et le goût littéraire se retrouvent tout entiers dans ces pages charmantes ; le fond n’en est pas moins solide : M. Taphanel avait, dans sa jeunesse, beaucoup connu M. Le Roi, dont il devait être un des plus brillants successeurs, et son témoignage est de première main. On se contentera donc d’y renvoyer le lecteur curieux, en ne donnant ici que les indications nécessaires à l’intelligence du texte.

M. Le Roi, né en 1797, était en 1870 déjà fort vieux ; tout conspirait alors à lui faire plus vivement sentir les douleurs de la guerre : une santé usée par toute une vie de labeur, le souci d’une lourde responsabilité, enfin, des deuils qui l’avaient cruellement atteint. Il lui restait une fille bien aimée et de petits-enfants ; il dut, à l’approche de l’ennemi, s’en séparer, avec la crainte secrète de ne plus les revoir.

Mais ni l’âge, ni les malheurs privés n’expliquent seuls à quel point les désastres de la patrie purent angoisser ce cœur excellent. À l’aube de sa longue vie, M. Le Roi avait déjà vu la guerre, l’invasion ; interne à l’hôpital de Versailles, en 1814, il s’était, avec ses camarades, dévoué sans compter au chevet des blessés, et l’on devine quelles horribles visions durent laisser dans l’esprit d’un jeune homme de dix-sept ans ces salles bondées de mourants, où la gangrène et le typhus régnaient en maîtres. À côté de lui, deux de ses amis, Remilly et Renaud, étaient tombés ; lui, plus heureux et plus résistant, avait échappé à la mort ; mais ce sont des souvenirs qui pèsent sur toute une vie.

Affaibli par l’âge, privé de ses plus chères affections et toujours tenté de faire avec le passé d’affligeantes comparaisons, M. Le Roi, dès les premiers revers, ne trouva plus guère la force de réagir contre les mauvaises nouvelles ; même sa foi religieuse, très sincère, ne lui procura pas, au cours de ces longs mois d’occupation étrangère, ce sentiment de confiance inébranlable qui, chez certains, sut résister à toutes les désillusions. Son cœur oppressé ne trouva qu’un soulagement, le travail : d’abord, ce labeur régulier que lui fournissait l’exercice de sa profession ; la Bibliothèque, qui fut, pendant la guerre, le principal souci de M. Le Roi, lui apporta, en revanche, de précieuses consolations. Puis, ce fut une autre tâche non moins absorbante. M. Le Roi était médecin. On le revit, comme en 1814, donner ses soins aux blessés : et, de nouveau, il ira jusqu’à la limite de ses forces : c’est une grave pleurésie qui, au mois de novembre 1870, l’oblige à renoncer au devoir qu’il s’est imposé ; désormais, son existence semble n’avoir plus de but et il renonce même bientôt à tenir le journal où, depuis le début de septembre, il notait ses tristes impressions ; les dernières mentions sont très brèves et s’arrêtent brusquement au 22 décembre.

Dans ce document intime, il a fallu faire de longues coupures et supprimer, en particulier, tout ce qui présentait un caractère trop personnel, puisque, aussi bien, en écrivant ces pages, M. Le Roi ne pensait pas qu’elles pourraient jamais être publiées : de là, certaines négligences de style, certaines réflexions un peu faibles ; de là aussi, la sincérité et la valeur d’un témoignage qui apporte bien des éléments nouveaux à l’histoire non seulement de la Bibliothèque, mais de notre ville, pendant cette cruelle période.

Ch. Herschauer.

Journal de M. J.-A. Le Roi[2].

Dimanche 4 septembre 1870.

Jour néfaste.

Je suis sorti de chez moi à 8 heures. Je voulais voir la garde nationale qui prenait les armes pour la première fois. Là, j’appris que notre armée venait de succomber sous les coups des Prussiens. Le maréchal Mac-Mahon blessé mortellement ; le général Wimpfeu obligé de capituler dans Sedan ; 40, 000 de nos soldats ayant mis bas les armes, 12, 000 autres internés en Belgique ; enfin, l’Empereur fait prisonnier. On peut juger de l’effet qu’une nouvelle si affligeante fit sur tout le monde et à combien d’observations contradictoires elle donna lieu. Les uns redoublaient d’énergie et ne perdaient pas courage, d’autres se laissaient aller aux plus sinistres pressentiments ; mais tous maudissaient l’auteur de tous ces maux et étaient ravis de sa chute.

À 9 heures, j’ai été entendre la messe au Château et j’ai prié Dieu ardemment de protéger mes pauvres enfants et de nous délivrer des maux qui nous menacent.

J’ai ensuite été lire les journaux et je me suis repu avec une sorte de rage amère de tous les détails de nos malheurs.

J’ai passé toute l’après-midi avec ma pauvre fille et mes chers petits-enfants. Il est décidé qu’ils partent demain pour Laval….. Je les ai quittés le soir, la mort dans l’âme.

Lundi 5.

Dès 7 heures, j’étais à ma fenêtre pour voir passer le convoi du chemin de fer qui emporte à Laval tout ce que j’ai de plus cher. B…[3] vient de venir et m’a raconté tout ce qui s’est passé dans Paris, où il était allé hier soir : l’envahissement de la Chambre, le Gouvernement provisoire, la proclamation de la République et tous les mouvements du peuple. Qu’est-ce que tout cela va devenir ? Comment le reste du pays va-t-il accepter tout cela ? Oh ! pauvre France, dans quelle terrible passe tu te trouves !

Rien de nouveau dans le reste de la journée.

Mardi 6.

Quelles nuits l’on passe et quelles terribles pensées viennent vous assiéger dès que l’on est éveillé ! Je viens de voir arriver un grand nombre de soldats revenant de Sedan. Ils sont hâves, les vêtements en lambeaux, sans souliers, pouvant à peine se traîner. Je n’ai pu m’empêcher de pleurer en les voyant. J’ai pensé à mon fils, dont je n’ai aucune nouvelle et qui est avec le maréchal Bazaine ; je me le représentais comme les malheureux que j’avais sous les yeux, si toutefois il vit encore. J’ai passé une heure à lire les journaux et à me repaître des affreuses nouvelles qu’ils contiennent….. En revenant chez moi…, je me suis trouvé au milieu d’officiers de toutes sortes de régiments, revenant aussi de l’armée de Mac-Mahon ; tous il étaient démoralisés et regardaient la continuation de la lutte comme impossible….. Ce soir, les médecins de la ville se sont réunis à la Bibliothèque ; ils ont décidé de faire une ambulance sédentaire dans laquelle ils seraient tous réunis pour secourir les blessés et les malades et de faire un appel à tous ceux qui voudraient les aider dans cette œuvre charitable, comme aides et infirmiers.

Mercredi 7.

Journée triste. Un temps affreux, une pluie battante toute la journée. J’ai cherché à me distraire de mes pénibles pensées en m’occupant de rangements de livres dans la Bibliothèque. Je suis allé en députation auprès de M. Rameau, notre nouveau maire, avec MM. Godard, Bérigny et Ozanne, pour obtenir des brassards, comme faisant partie de l’Association internationale de secours aux blessés. Il nous a renvoyés vers M. Delaroche, président du Comité de Versailles, qui les a accordés pour les médecins fonctionnant. Là, nous avons appris de tristes nouvelles de l’état des esprits à Paris et du peu de solidité du nouveau gouvernement, menacé déjà par les exaltés. Que Dieu nous protège !…..

Jeudi 8.

….. Je passe une grande partie de mon temps à me promener dans la Bibliothèque ; je ne puis croire que ce dépôt si riche de toutes les connaissances humaines ne soit pas respecté d’un peuple civilisé et aussi instruit que le peuple allemand.

Poussé par le désir de savoir des nouvelles, je me suis mis à parcourir la ville. À la Mairie, j’ai vu arriver deux individus arrêtés comme espions et qui n’étaient que deux bons bourgeois bien calmes et bien tranquilles. La ville est sillonnée de militaires de tous les régiments, débris de notre armée, que l’on dirige sur tous les environs. Leur tenue fait peine à voir et la plupart sont dans le plus grand découragement. Au milieu de tout cela, on rencontre les mobiles et la garde nationale sédentaire qui fait des patrouilles et garde les barrières, ou va faire l’exercice. Partout des groupes, tristes, découragés et s’occupant surtout de l’approche de l’ennemi et surtout des divisions qui commencent à agiter les esprits dans Paris. Que Dieu nous prenne sous sa protection ! Lui seul peut nous sauver. Le soir, G…[4] et moi nous lisons nos journaux qui sont loin de nous rassurer…..

Vendredi 9.

Une triste journée : la pluie tombe presque tout le jour. Je reste renfermé à la Bibliothèque et, pour me distraire, je classe des livres. Le soir, je vais à la gare chercher un journal….. Je vais chez G…, où nous lisons nos journaux, puis nous causons des événements qui sont suspendus sur nos têtes….. Oh ! mon Dieu, protégez-nous et faites cesser promptement cet affreux cauchemar !

Samedi 10.

Toujours même anxiété. Lecture des journaux, dans lesquels j’espère trouver quelque espoir pour la fin de nos maux. Je reste renfermé le reste du jour à la Bibliothèque. Le soir, G… et moi allons chercher des journaux que nous lisons avidement. Hélas ! je n’ai plus de recours qu’en Dieu.

Dimanche 11.

Après la lecture des journaux, je vais voir passer la revue de la garde nationale sédentaire qui vient de se former. L’officier du génie chargé ici d’exécuter les ordres du gouverneur de Paris m’explique que toutes les routes sont coupées, les ponts préparés à sauter ; demain, les voitures ne pourront plus passer…..

Lundi 12.

Encore une journée semblable aux autres. Le Gaulois parle d’un armistice comme chose probable. Espérons !….. Nous faisons des provisions en vue d’une occupation et parce que voilà toutes les routes coupées. Oh ! mon Dieu, pourquoi donc nous faire supporter les peines dues au misérable homme qui nous a jetés dans cette horrible position ? G… a dîné aujourd’hui avec moi ; il couche encore chez lui, à cause de ses malades, mais, lorsque l’ennemi sera ici, il couchera chez moi. Rien de nouveau dans les journaux.

Mardi 13.

Toujours la même situation, toujours la même angoisse….. Aujourd’hui, on a placé une sentinelle de la garde nationale à la porte de la Bibliothèque. Je suis resté presque toute la journée renfermé à travailler, et quand je suis sorti sur les 4 heures, la ville m’a fait peine à voir : tous ces gens allant et venant sans but, se réunissant pour savoir des nouvelles ; des soldats de toutes armes parcourant isolément la ville ; des escadrons de lanciers, de cuirassiers promenant leurs chevaux ; et, au milieu de ce brouhaha, des sergents de ville arrêtant les voitures vides pour les forcer à aller aux magasins à fourrages pour les enlever, et des conscrits appelés, avec des rubans, parcourant la ville par groupes, à moitié avinés et chantant à tue-tête : tout cela, tout ce désordre m’a profondément attristé, et je suis rentré chez moi, presque résolu à ne plus sortir. Après avoir dîné avec G…, nous avons été chercher le journal ; rien de nouveau.

Mercredi 14.

Encore une journée écoulée. Tout ce qu’il y avait de troupes et de mobiles est parti ; au lieu du tumulte d’hier, tout est triste aujourd’hui et silencieux. Je passe tout le jour à travailler. Je suis allé aujourd’hui voir M. Charton, notre nouveau préfet ; je n’y ai rien appris de bon. En général, ceux qui sont à notre tête n’ont pas grande confiance. Le soir, rien de nouveau.

Jeudi 15.

….. Je reste le plus que je peux enfermé, car je ne puis parcourir la ville sans éprouver un serrement de cœur. Nous allons le soir chercher le journal qui nous annonce l’approche des Prussiens. Prions Dieu de nous protéger !

Vendredi 16.

Toujours même anxiété….. Aujourd’hui, l’autorité municipale, qui craint que des accidents n’arrivent à la Mairie, dont les bâtiments sont peu sûrs, a fait transporter tous les registres de l’état civil à la Bibliothèque ; c’est là, maintenant, qu’est établi le bureau et qu’on recevra toutes les déclarations concernant les actes de l’état civil. Comme à l’ordinaire, après dîner, G… et moi avons été chercher le journal. Rien de nouveau, si ce n’est que l’ennemi se rapproche de plus en plus.

Samedi 17.

Rien de nouveau ce matin….. Je suis resté à la Bibliothèque, cherchant à me distraire par le travail. Toute la soirée, la ville était en alerte ; on annonçait l’arrivée des Prussiens par la barrière de la rue des Chantiers ; on courait de tous côtés. Personne n’a paru…..

Dimanche 18.

Je suis allé à la messe ce matin à Saint-Louis et j’ai ardemment prié Dieu de nous soutenir dans cette terrible crise….. Je suis sorti tard, car j’ai peu de goût à sortir de chez moi. J’ai lu les journaux, et quand je suis allé sur l’avenue de Paris, j’y ai trouvé une foule considérable assemblée devant la Mairie. Trois uhlans prussiens venaient d’arriver ; le maire n’avait pas voulu traiter avec eux, mais avec un officier supérieur. Ils se sont en allés et l’on n’a plus rien revu de la soirée…..

Lundi 19.

Les Prussiens ne sont pas encore entrés dans la ville, mais, depuis 5 heures du matin, on entend une vive canonnade du côté de Meudon. La canonnade n’a cessé que vers midi. Sur les 10 heures, un parlementaire prussien est venu à la Mairie et a annoncé par Versailles le passage d’un corps d’armée. Une capitulation a été signée et les Prussiens ont commencé à entrer en ville par la rue des Chantiers, vers 1 heure et demie. Un corps d’environ 40, 000 hommes, cavalerie, infanterie, artillerie et bagages, n’a cessé de défiler jusqu’à 6 heures du soir. Une partie a suivi la route de Saint-Germain et l’autre celle de Marnes. Ce qui m’a fait le plus de peine et de honte, c’est lorsque la musique d’un de ces corps a joué en défilant la Marseillaise. Ce sont généralement de belles troupes et qui paraissent peu fatiguées. Une trentaine de zouaves français étaient désarmés et prisonniers au milieu d’eux. À leur passage, la foule qui regardait passer s’est découverte et les a acclamés. On m’a dit qu’au milieu de la foule qui encombrait la rue Saint-Pierre, plusieurs de ces zouaves ont pu s’échapper par le passage Saint-Pierre. Triste journée ! Que va faire Paris, devant ces masses qui commencent à l’entourer ? On nous a dit le soir que les troupes françaises qui avaient attaqué le corps du côté de Meudon avaient été obligées de se retirer sous les forts. Les Prussiens ont établi leur ambulance dans le Château. Ils refusent les soins des médecins français et ne sont soignés que par les leurs. Nous voilà dès ce moment isolés et sans nouvelles de Paris et peut-être du reste de la France. Que Dieu nous protège !

Mardi 20.

Aujourd’hui, on n’a entendu que peu de canonnade. La journée d’hier s’est passée près de Meudon, entre les troupes françaises et les Prussiens, a été très meurtrière de part et d’autre. Un grand nombre de blessés des deux nations arrivent dans les ambulances. Dans la journée, il est encore entré plusieurs régiments prussiens. Ils commencent à accabler de réquisitions la municipalité. Ils viennent de désarmer la garde nationale ; c’est pour nous une nouvelle humiliation !

À 4 h. 10, est arrivé le prince royal de Prusse, entouré de tout son état-major. Une foule énorme assistait à son entrée ; le plus grand silence l’a accueilli. Il habite la nouvelle Préfecture. Le drapeau prussien y est arboré ; à son entrée, la musique du poste qui garde la Préfecture a joué les airs nationaux prussiens et le God save king. C’est un homme assez fort, blond et à barbe rouge. La ville est triste ; la plupart des boutiques sont fermées et, aussitôt la nuit venue, on ne voit plus personne dans les rues, excepté les médecins ou les personnes qui font partie de la Société internationale de secours aux blessés, qui vont et viennent, décorés de leurs croix rouges. Quant à moi, je me renferme le plus possible à la Bibliothèque. Point de nouvelles de mes pauvres enfants, ni de Paris ; nous ne savons plus ce qui se passe autour de nous.

Mercredi 21.

….. J’ai fait venir à la maison les provisions qui étaient chez G…, car, déjà, on a de la peine à s’en procurer, les Prussiens empêchant d’entrer et de sortir de la ville. Aujourd’hui, ils se sont casernés et les officiers sont logés en ville. Dans ma rue, on ne voit que fourgons et malles, sans compter les voitures de blessés qui arrivent toujours. On dit que les Prussiens se sont emparés du fort de Montretout et que, du côté de Saint-Germain, leurs pontonniers n’ont pu établir un passage sur la Seine et que leurs pontons ont été coulés. Tout cela circule dans la ville, mais personne ne le sait officiellement. Le maire a demandé que notre bâtiment soit exempt de logement militaires ; on y a fait droit jusqu’à présent…..

Jeudi 22.

Encore un jour de passé sans nouvelles. On ne sait rien de Paris. On parle en ville de combats du côté de Sèvres et de Bougival. On dit que les Prussiens ont été battus et qu’il y a beaucoup de morts. Le fait est qu’on en sait rien. Nous sommes en ce moment comme dans une île éloignée de tout pays. Même aspect de la ville. Un grand nombre de boutiques fermées, des groupes d’habitants cherchant des nouvelles ou lisant les affiches qui appellent les électeurs à voter dimanche pour nommer un nouveau Conseil municipal ; élections faites dans un singulier moment ! On amène tous les jours de nouveaux blessés, surtout des Prussiens. Les avenues et la place d’Armes sont remplies de fourgons et de voitures. Il y a toujours sur la place d’Armes un parc d’artillerie. Je reste le plus que je peux chez moi et je cherche à me distraire par le travail ; mais, malgré tout, je suis toujours oppressé par la triste situation où nous nous trouvons…..

Vendredi 23.

La ville est toujours dans le même état. Les Prussiens occupent tous les postes, même au Château et dans le Parc. On a mis des blessés dans le couvent des Augustines de la rue Saint-Martin. Je suis allé cette après-midi avec G… pour les panser ; ce sont des soldats français blessés à Velizy lundi dernier ; ils le sont tous grièvement….. On dit dans les provinces Versailles à feu et à sang.

Samedi 24.

Ce matin, G… et moi avons passé toute la matinée à panser nos blessés de Saint-Martin. J’ai été au siège de la Société internationale de secours chercher un brassard, et me voilà, comme en 1815, enrégimenté pour secourir les malades. On parle d’affaires graves qui auraient eu lieu vers Sèvres et Sceaux. De nombreuses voitures de l’Internationale sont parties sur ces deux points pour ramener les blessés. Du reste, on ne sait rien. Toujours sans nouvelles ; c’est le plus cruel de notre situation. Mon Dieu, quand cela finira-t-il ?

Dimanche 25.

Ce matin, je suis allé à la messe ; puis nous avons été panser nos blessés, ce qui nous a pris une grande partie de la matinée. Après déjeuner, je suis sorti pour aller voter à la Mairie pour le nouveau Conseil municipal. La place d’Armes était remplie de fourgons appartenant aux Prussiens. Beaucoup de monde était réuni sur l’avenue de Paris à regarder un ballon venant de Paris et se dirigeant vers le nord-est[5]. La ville est sillonnée de Prussiens à pied et à cheval. Comme je rentrais chez moi, un régiment, musique en tête, arrivait sur la place d’Armes par l’avenue de Sceaux. Nous avons été panser nos blessés ce soir. Rien de nouveau ; on parle toujours d’armistice. Un de nos blessés est mort aujourd’hui.

Lundi 26.

En revenant de panser nos blessés, j’ai entendu proclamer dans les rues qu’il fallait porter à la Mairie toutes les armes à feu, fusils de guerre ou de chasse, pistolets, revolvers, et que ceux qui seraient trouvés détenteurs d’une de ces armes seraient emmenés en Prusse et condamnés à rester quinze ans renfermés dans une forteresse, même après la paix. On dit que cette nouvelle mesure vexatoire a lieu parce que le roi de Prusse va venir habiter Trianon et que l’on craint quelque mauvais coup de la part des Français. Ce matin, le prince royal de Prusse a passé une revue dans la cour du Château et a distribué des décorations aux troupes. Le défilé a eu lieu devant la statue de Louis xiv ! Le prince de Wurtemberg, qui loge chez Grosseuvre, hôtel des Réservoirs, a reçu deux blessures à la tête, hier, du côté de Saint-Cloud. On dit que c’est un franc-tireur qui l’a blessé ; c’est sans doute une des raisons qui fait prendre toutes les armes à feu….. Il circule dans la ville une foule de nouvelles, toujours au désavantage des Prussiens ; malheureusement, on ne sait rien de positif. On vient de terminer à la Mairie le dépouillement des bulletins de l’élection des conseillers municipaux. La liste de l’Union libérale et démocratique a passé tout entière. Dans les circonstances actuelles, c’était inévitable !…..

Mardi 27.

En revenant de panser nos blessés, je suis allé au Comité international des secours pour chercher ma carte de membres ; là, j’ai appris que la ville de Strasbourg avait capitulé. Un de nos pauvres blessés est mort aujourd’hui. L’élection de nos conseillers municipaux est nulle. Il paraît que cette nuit on a su officiellement que le gouvernement qui est à Tours avait remis à un autre temps les élections municipales et les élections de la Constituante. On dit que c’est parce que le gouvernement de Paris n’a pu s’entendre avec le roi de Prusse sur les conditions d’un armistice comme préliminaire de la paix. Il circule toutes sortes de nouvelles, mais la vérité, c’est qu’on ne sait rien.

Mercredi 28.

Aujourd’hui, dès le grand matin, une grande partie des Prussiens qui occupaient les casernes a quitté Versailles. Il se fait un grand mouvement de charrois. Versailles paraît décidément le lieu où s’amoncellent les provisions de l’armée étrangère. Toujours sans nouvelles. On parle d’une armée française qui serait du côté de Chartres. Je crains bien que toutes les armées qui, dit-on, viennent sur Paris soient plutôt dans le désir de ceux qui les annoncent qu’elles n’existent en effet. On désire tant une fin quelconque à notre triste situation. Les malheureux blessés que je soigne avec G… sont pour moi une distraction, bien cruelle sans doute, mais réelle à mes tristes pensées. Espérons en Dieu !

Jeudi 29.

En allant panser nos blessés, ce matin, j’ai rencontré un grand nombre de pièces de canon, dont les unes se dirigeaient vers Paris et d’autres sur le plateau de Satory. Qu’y a-t-il de nouveau ? Il est arrivé aujourd’hui les ambulances de la Presse. Les Prussiens les ont retenues prisonnières. Je crois cependant que ce n’est que momentané. M. Jeandel a fait paraître aujourd’hui dans son Journal de Versailles un article un peu hardi contre le roi de Prusse, ce qui a éveillé la susceptibilité de l’état-major. Un officier prussien est venu le chercher pendant qu’il était au Conseil municipal, de l’ordre du général commandant la ville, et l’a emmené prisonnier.

Vendredi 30.

On a entendu toute la matinée une vive canonnade. Il y a parmi les troupes prussiennes un grand mouvement, ainsi que dans l’artillerie. À 10 heures, est passé un ballon venant de Paris et se dirigeant vers le sud-ouest, du côté de Chartres[6] ; on voyait distinctement des papiers tomber de la nacelle. Les ambulances de la Presse sont parties aujourd’hui pour Saint-Germain. M. Jeandel est toujours retenu prisonnier. Le maire fait des démarches auprès du prince de Prusse pour le faire mettre en liberté. Toute la soirée, les musiques prussiennes ont donné des aubades en l’honneur de l’anniversaire de la naissance de la reine de Prusse. Nous sommes toujours sans nouvelles….. Un gendarme prussien a aujourd’hui arrêté G….. pour lui demander pourquoi il portait les insignes de l’Internationale et lui a dit qu’il fallait que ces insignes soient autorisés par l’autorité prussienne.

Samedi 1er Octobre.

J’ai appris ce matin à la Mairie que les Prussiens avaient nommé un intendant civil prussien pour administrer le département comme préfet. Il paraît que M. Rameau, qui était maire depuis la nomination du Conseil municipal, vient de donner sa démission par suite de son état de santé. Il paraît aussi que M. Jeandel va être mis en liberté aujourd’hui. Ce matin, les voitures de l’Internationale sont parties pour aller chercher des blessés français à Corbeil. On a affiché aujourd’hui que les boulangers pouvaient se refuser à toute réquisition de pain des soldats prussiens qui ne serait pas accompagnée d’un bon du commandant de place ou de la Mairie. Il y a aussi un ordre qui défend aux militaires de faire aller leurs voitures et leurs chevaux sur les trottoirs et les avenues ; enfin, un autre ordre donne à la monnaie allemande un cours obligatoire. Ce soir, le Conseil municipal s’est assemblé pour savoir s’il devait rester, ayant un préfet prussien. Il me semble que les intérêts de la ville veulent que les représentants nommés par elle ne doivent pas quitter, quelles que soient les difficultés du moment. Toujours sans nouvelles ; quel supplice !

Dimanche 2.

Après nos pansements, je suis allé à la messe à Saint-Louis, pendant laquelle j’ai vu y assister plusieurs soldats allemands et un jeune officier qui paraissait prier avec ferveur. Il n’y a rien de nouveau dans la ville. J’ai rencontré M. Jeandel qui était sorti de prison ; on lui a donné l’ordre de ne plus continuer son journal. Il paraît décidé que le roi de Prusse va venir habiter Versailles mardi prochain. Il habitera la Préfecture et le Prince Royal restera chez Mme André, rue des Chantiers…..

Lundi 3.

….. Bien des bruits ont circulé aujourd’hui : on dit qu’il y a eu une affaire entre les troupes de Paris et les Allemands du côté de Saint-Denis et que 20, 000 Bavarois ont mis bas les armes ; — est-ce vrai ? — d’autres, que l’on a vu hier Paris positivement illuminé. On parle de démarches faites par les puissances étrangères auprès du roi de Prusse. Le nouveau préfet prussien a engagé les employés de la Préfecture à rester à leur poste ; ils ont refusé. Aujourd’hui, j’ai vu M. Desjardins, l’archiviste de la Préfecture, qui m’a raconté ce refus ; comme il était en train de me raconter cela dans mon cabinet, sa mère est arrivée, tenant une lettre de ce préfet ; il lui disait dans cette lettre qu’il espérait qu’il reprendrait ses fonctions, qui n’avaient rien d’incompatible avec son autorité ; que, d’ailleurs, sa présence et ses rapports avec les employés étaient nécessaires pour régulariser le service et surtout dans l’intérêt du département, mais que, cependant, s’il persistait dans son refus, il croyait alors devoir lui imposer une amende de 200 francs. M. Desjardins s’est alors rendu près des autres employés de la Préfecture qui ont dû délibérer sur cet incident. Ce nouveau préfet s’est rendu aujourd’hui au sein du Conseil municipal. Le Conseil est décidé à rester à son poste jusqu’à la fin. Rien de nouveau.

Mardi 4.

Voici ce que vient de me raconter M. H….. : hier soir, à 8 heures et demie, un officier prussien descendait la rue Satory, au grand trot, dans un cabriolet ; le cheval lancé monte sur le trottoir et manque de renverser la voiture ; aussitôt, l’ordonnance de l’officier s’élance à terre, se jette à la tête du cheval et, malgré ses efforts, parvient à peine à maîtriser le cheval. L’officier furieux jure après le soldat et, dans sa fureur, tire sur lui un coup de pistolet et lui casse le bras. Le soldat s’affaisse et est entouré par des gens accourus au bruit de la détonation, tandis que l’officier continue sa route. Que sera-t-il devenu de cet acte de sauvagerie de l’un de nos vainqueurs !  !  ! Aujourd’hui, rien de nouveau. La musique des Prussiens, que je viens de rencontrer en allant panser nos blessés, jouait encore, sans doute pour nous narguer, la Marseillaise. J’ai vu encore avec peine une foule de curieux, hommes et femmes, attendant devant la Préfecture l’arrivée du roi de Prusse que l’on y attend. Pauvre peuple, où en es-tu !…..

Mercredi 5.

On entend ce matin ronfler le canon du côté de Meudon. Il court en ville beaucoup de bruits : On dit que les Prussiens ont attaqué le fort de Vanves, qu’ils sont montés trois fois à l’assaut et que trois fois ils ont été repoussés avec de grandes pertes. On dit que le général Trochu a annoncé aux Parisiens que, d’ici à quelques jours, deux armées françaises se dirigeraient sur Paris, l’une par Orléans, l’autre par Chartres. On dit que le pauvre Dr Morère, maire de Palaiseau, ayant, par suite de mauvais traitements, tué à coups de revolver deux officiers prussiens, aurait à son tour été tué ! Tout cela est-il vrai ? Ce qui est vrai, c’est que les Prussiens ont en ce moment 900 blessés au Château, depuis leur attaque de Paris, sans compter les malades, qu’on dit plus de 700 au Lycée. À 4 heures, cet après-midi, est arrivé à la Préfecture le roi de Prusse ; il est accompagné de M. de Bismarck et, dit-on, du général de Molke (sic). Croirait-on qu’une foule considérable de femmes et de Français se trouvait sur le passage du roi de Prusse, le long de la rue des Chantiers et sur l’avenue de Paris, que beaucoup d’hommes se sont découverts sur son passage et que, dit-on, on a même entendu plusieurs cris de : Vive le Roi ! Pauvre pays, où en sommes-nous ? Ce soir, nous avons coupé la cuisse à l’un de nos blessés du couvent Saint-Martin…..

Jeudi 6.

Ce matin, comme je sortais de faire nos pansements au couvent Saint-Martin, j’ai trouvé là un officier prussien chargé du casernement. Il venait demander tous les lits disponibles que l’on pourrait lui donner pour porter au Château. Il en a fait autant dans tous les établissements publics, Grand et Petit-Séminaires, maisons particulières d’ambulances, etc. Il m’a dit qu’ils voulaient concentrer tous leurs blessés au Château pour ne point répandre le typhus dans la ville et qu’ils avaient besoin de beaucoup de lits, parce que, la semaine prochaine, ils auraient une grande attaque et, par conséquent, un grand nombre de blessés. Les sergents de ville ont annoncé dans la ville, au son de la caisse, que les grandes eaux du Parc joueraient aujourd’hui et que le roi de Prusse s’y rendrait. Je me suis rendu dans le Parc pour la première fois depuis l’occupation. J’en ai le cœur navré ; à toutes les fenêtres du Château, des Prussiens malades, des matelas sur la terrasse, des draps de lits pendus aux fenêtres, des blessés, avec leurs appareils, se promenant ou couchés sur les terrasses, les allées foulées par les voitures et les pieds des chevaux, enfin l’abandon et la ruine. Cependant, le Parc paraissait encore grandiose quand les eaux ont joué et paraissait faire l’admiration de ces masses de Prussiens dont la foule accompagnait leur Roi. Guillaume m’a paru maigri et vieilli depuis que je l’avais vu en 1867, dans ce même parc, auprès de celui qui ne soupçonnait guère alors le sort qui lui était réservé par celui qu’il traitait alors comme son hôte. J’ai vu avec plaisir que, si beaucoup de Prussiens se pressaient sous (sic) les pas du Roi, il y avait bien peu de Français et qu’en général ils se tenaient à distance. Le Roi était accompagné de M. de Bismarck et avait pour guide M. Dufrayer, le directeur des Eaux. Point de nouvelles encore aujourd’hui.

Vendredi 7.

On dit ce matin que les Français ont attaqué les Prussiens à Saint-Cloud et les ont repoussés jusqu’à Ville-d’Avray. On dit aussi que le docteur Pigache a été tué pendant qu’il allait voir un malade, par une balle tirée de l’autre côté de la Seine, tirée par les Français. Du reste, aujourd’hui, rien de nouveau.

Samedi 8.

Il a fait aujourd’hui un temps affreux toute la journée, ce qui n’a pas empêché les Prussiens de faire un grand nombre de mouvements ; on dirait qu’ils se préparent à quelque chose. On dit dans la ville qu’hier, le roi de Prusse allant visiter ses troupes du côté de Bourgival, a été assailli dans les bois de plusieurs coups de feu qui ont tué et blessé plusieurs hommes de son escorte. Ces jours derniers, on a amené à Versailles et emprisonné le curé de Meudon, accusé par les Prussiens d’avoir fait des signaux aux Parisiens, et le vicaire d’Épernon, qu’ils disent avoir fait sonner les cloches à leur approche. M. Cochard, chef de division à la Préfecture, qui a refusé de continuer ses fonctions sous le préfet prussien, a été déclaré prisonnier de guerre. Toujours pas de nouvelles. Le vicaire a été mis en liberté aujourd’hui.

Dimanche 9.

Il a plu encore aujourd’hui tout le jour. Je suis peu sorti. M. Cochard est sorti de prison en payant les 200 francs exigés par le préfet prussien. Du reste, rien de nouveau.

Lundi 10.

Je ne suis sorti que pour faire les pansements de nos blessés. Je n’ai rien appris de nouveau…..

Mardi 11.

….. Le marché est couvert de monde ; les légumes y abondent ; je n’ai jamais tant vu de si beaux choux-fleurs, qu’on donne presque pour rien, les maraîchers ne pouvant les porter à Paris. Voici ce que vient de me raconter M. B… et qui lui a été raconté par un officier prussien : 120 hommes de cavalerie prussienne sont entrés dans le village d’Ablis, près Dourdan. Les paysans les ont reçus et les ont couchés. Pendant la nuit, presque tous ces Prussiens ont été tués par les paysans ; il n’est resté qu’un officier et trente soldats. Le lendemain, le village a été entièrement brûlé, mais la plupart des paysans s’étaient sauvés. Du reste, rien de nouveau, si ce n’est que de fortes détonations de canons ont eu lieu cette nuit, sur les 11 heures, du côté de Saint-Cloud.

Mercredi 12.

….. Rien de nouveau ; pas de nouvelles.

Jeudi 13.

Aujourd’hui, le bruit court dans la ville qu’il y a eu une rencontre entre les Prussiens et nos troupes près d’Orléans et que notre armée a encore éprouvé un grave échec. Pauvre France, dans quelle affreuse passe tu te trouves ! Ce matin, est arrivée dans Versailles une centaine de pauvres habitants de Garches, femmes, vieillards et enfants. C’était le reste de la population de ce village. Les Prussiens les ont renvoyés parce qu’il paraît qu’ils veulent s’y placer pour attaquer, dit-on, le fort du Mont-Valérien. On a été obligé de donner du pain à tous ces pauvres gens et on les a fait coucher la nuit au Grand-Séminaire. On a vu passer sept mobiles prisonniers, conduits par les Prussiens. Déjà, plusieurs boulangers de la ville ont cessé de cuire, faute de farine ; tout devient très cher ; on peut très difficilement se procurer du sucre. Que Dieu nous protège !

Vendredi 14.

Voici un fait qui est arrivé hier : un vieillard de soixante-dix-neuf ans, M. Hamel, ancien conseiller à la Cour d’Amiens, avait un petit appartement rue Neuve. Un officier prussien se présente chez lui pour y loger. Ce vieillard lui fait observer la petitesse de son logement qui ne lui permet pas de l’y recevoir et lui offre de payer pour lui un logement dans un hôtel. L’officiere refuse et veut absolument rester dans l’appartement et s’empare de son lit. Le pauvre vieillard reçoit une telle commotion de cette discussion qu’il tombe frappé d’apoplexie aux pieds de ce brutal officier. L’autorité supérieure prussienne punira-t-elle cet acte de sauvagerie ? J’en doute. Aujourd’hui, est venu à Versailles un général français, que l’on dit être le général Boyer. Il est resté deux heures en conférence avec M. de Bismarck. Une foule considérable s’était amassé rue de Provence, où loge M. de Bismarck. À la sortie du général de chez l’ambassadeur prussien, le général a été accueilli par les cris de : Vive la France ! Plusieurs nouvelles circulent dans la ville. On dit que les Français ont repris Orléans. On dit aussi que 10, 000 hommes de troupes françaises sont à Dreux. Tout cela est-il vrai ?

Samedi 15.

On dit que le général français qui est venu hier a resté coucher à Versailles et qu’aujourd’hui il a eu une nouvelle entrevue avec M. de Bismarck. On ajoute qu’il vient de Metz. Qu’y a-t-il de nouveau ?…..

Dimanche 16.

Aujourd’hui, après nos pansements, je suis allé entendre la messe de neuf heures à Notre-Dame. C’est l’heure où les Prussiens catholiques vont aussi entendre la messe. L’église était entièrement pleine de soldats. Au moment où je suis arrivé, un prêtre allemand leur faisait un sermon. Après ce sermon, écouté très religieusement par tous ces soldats, la messe a commencé. Elle était servie par un jeune soldat ; l’orgue du chœur, touché par un Allemand, a joué plusieurs morceaux ; puis la musique militaire lui a succédé. Je dois dire que tous ces morceaux étaient graves et religieux. Pendant la messe, trois des soldats ont communié. Après la messe, l’officiant est monté en chaire, a lu l’Évangile, fait un sermon, dit les prières, et tous se sont retirés dans le plus grand ordre. À la même heure, un office d’une autre nature avait lieu dans la chapelle du Château ; à cet office du rite évangélique assistait le roi de Prusse. Il était placé dans un fauteuil, dans le bas de la Chapelle. Une foule considérable d’officiers de tous grades encombraient le bas et les galeries du haut, dans lesquelles étaient aussi rangés un grand nombre de soldats en armes. Le ministre était placé, le dos tourné à l’autel, sur les dernières marches….. J’ai appris que les Prussiens ont enlevé tous les tapis d’Aubusson du château de Saint-Cloud, ainsi que d’autres objets précieux. Rien de nouveau.

Lundi 17.

….. Cette après-midi, j’ai rencontré M. R…, qui m’a lu un article du Journal Officiel de Tours, du 12, dans lequel M. Gambetta annonçait que Paris faisait une très belle défense, que la garde nationale avait repoussé les Prussiens de toutes leurs positions. J’ai craint qu’il n’y ait eu un peu d’exagération dans ce récit, car il parle de Saint-Cloud comme ayant été occupé par les Parisiens, et malheureusement les Prussiens l’occupent toujours. Une chose m’a encore peiné dans ce récit, c’est l’annonce que l’on ne mangeait en ce moment dans Paris que de la viande de cheval, ce qui me ferait craindre que l’on commençât à sentir la famine, quoiqu’on dise que c’est pour conserver la viande fraîche des animaux que l’on conserve. Il paraît ici un nouveau journal intitulé Nouvelliste de Versailles, rédigé par les autorités prussiennes ; c’est leur journal officiel. Si l’on en croît ce journal, nos affaires ne s’amélioreraient pas !!! Enfin, notre sort est dans la main de Dieu.

Mardi 18.

Aujourd’hui, M. D… est parti avec les voitures de l’Internationale pour Dreux, où il va chercher des objets pour les blessés….. Quand je suis sorti après-dînée, j’ai rencontré le roi de Prusse à cheval, accompagné de son fils et de son état-major, qui sortaient du Parc ; c’était le jour de naissance du Prince Royal[7] ; aussi les casernes étaient-elles ornées de guirlandes de feuillage et la musique militaire jouait sous les fenêtres du Roi…..

Mercredi 19.

Rien de nouveau dans la matinée. Le nonce du Pape, Mgr Chigi, est sorti de Paris et s’est rendu à Versailles. Aujourd’hui, on le dit parti pour Tours. M. Schérer m’a dit ce soir qu’un officier prussien avait recommandé à la Mairie de garder quelques bons logements, à cause de la présence dans quelques jours ici de représentants des puissances neutres. Il paraît que cette nuit il y a eu une vive canonnade du côté de Rueil.

Jeudi 20.

Rien de nouveau. Aujourd’hui, j’ai reçu la visite du grand-duc de Saxe[8] ; c’est un homme d’une cinquantaine d’années, grand, de bonne tournure, l’air froid et assez grave. Il m’a abordé fort poliment, en me disant que, lisant en ce moment mon livre sur Versailles, il avait voulu saluer l’auteur. Il paraît fort instruit, particulièrement des choses du xviiie siècle. Il a parcouru avec admiration notre bibliothèque et s’est arrêté surtout à ce qui regardait la reine Marie-Antoinette et Mme du Barry. Il a toutes les manières d’un grand seigneur, avec la politesse d’un Parisien. J’aurais été très enchanté de sa visite si elle avait eu lieu dans d’autres circonstances, et surtout si son costume ne m’avait pas constamment rappelé que je parlais à l’un de nos ennemis…..

Vendredi 21.

Ce matin, on a entendu une assez vive canonnade ; on dit que c’est du côté de Garches. Toute la ville a été aujourd’hui en émoi. La canonnade de ce matin a repris avec plus de vivacité au milieu du jour et elle s’est tellement rapprochée de la ville qu’on aurait dit que c’était à ses portes. L’on se battait, en effet, entre Garches et Vaucresson. Toute la garnison prussienne de Versailles s’est portée de ce côté, avec de nombreuses pièces d’artillerie. Sur les 2 heures, le roi de Prusse, le Prince Royal, le général de Molke et leurs états-majors sont allés vers le lieu de la bataille. La ville était tout en mouvement ; la plupart des boutiques se sont fermées. Une masse de monde, hommes, femmes et Prussiens mêlés, se pressaient cour du Château, rue des Réservoirs, rue Duplessis, partout où l’on croyait voir quelque chose du côté du combat que l’on entendait parfaitement. Les Prussiens avaient fait fermer toutes les grilles de la ville ; un régiment était campé, avec armes et bagages, au milieu de la place d’Armes : deux pièces de canon braquées et prêtes à tirer étaient placées devant chaque avenue, de façon à les balayer en cas d’attaque ; enfin, toutes les précautions en cas de surprise étaient prises par eux. Vers 5 heures, le feu parut un peu diminuer ; sur la demande d’un officier prussien qui revenait du combat, les voitures de l’Internationale partirent pour se rendre à la Celle-Saint-Cloud. Enfin, tout bruit cessa à la nuit, sur les 6 heures du soir.

Samedi 22.

Il paraît qu’hier soir et cette nuit sont arrivées aux ambulances beaucoup de voitures de blessés prussiens. J’ai vu arriver quatre grandes voitures de blessés français à l’hôpital militaire. Ils étaient dans des voitures de l’ambulance prussienne et conduits par des Prussiens. Aujourd’hui, la journée s’est passée sans entendre dee canonnade et la ville a repris sa physionomie ordinaire….. M. Deroisin, que je viens de rencontrer, m’a dit qu’un officier français blessé lui avait dit que l’affaire d’hier aurait pu avoir de bons résultats, mais que malheureusement on les avait fait partir sans leur dire ce que l’on voulait faire et que toute cette attaque s’est faite sans ordre et devait échouer. Il est entré aujourd’hui à Versailles, par suite de ce combat, une cinquantaine de prisonniers et deux pièces de canon : on les a placés à la caserne de la rue Royale.

Dimanche 23.

Il fait un temps affreux, une pluie et un vent continuels. Je suis allé à la messe de neuf heures à Saint-Louis, où il y avait aussi un assez grand nombre de Prussiens. Il meurt beaucoup de blessés prussiens du dernier combat. Cet après-midi, j’ai vu sortir du Château cinq bières d’officiers ; elles étaient accompagnées d’un assez grand nombre de soldats en armes et précédées des tambours et de la musique ; un ministre protestant les accompagnait. Leur musique et leur marche étaient lugubres et en rapport avec la triste cérémonie…..

Lundi 24.

Temps affreux, accompagné d’un vent considérable….. M. Delerot a eu la complaisance de m’envoyer la liste des logements à Versailles des principaux personnages de l’armée prussienne ; la voici :

À l’hôtel des Réservoirs, logent : le grand-duc héréditaire de Saxe-Weimar, le prince de Mecklembourg, le prince Eugène de Wurtemberg, le duc de Cobourg, le prince héréditaire de Hohenzollern, le prince Guillaume de Wurtemberg, le prince de Holstein-Augustenbourg : — à l’hôtel de Mme Paturle, rue des Réservoirs, no , logent le prince de Solms, le prince Franckenberg et le prince Puttbus ; — avenue de Paris, no 58, le prince Luitpold de Bavière ; — rue de l’Impératrice, no 1, le prince Charles de Prusse ; — même rue, no 5, le grand-duc de Mecklembourg ; même rue, no 6, le prince Adalbert de Prusse ; — rue de Béthune, no 1, le grand-duc régnant de Saxe-Weimar ; — rue Neuve, no 35, M. de Moltke, major général ; — rue Colbert, no 7, M. le Ministre de la Guerre ; — même rue, no 9, 11, 13, sont installés les bureaux du Ministère ; — les bureaux de la Chancellerie de la Confédération du Nord sont installés dans les maisons qui avoisinent la maison habitée par M. de Bismarck, rue de Provence, no 14 (à la grille de cette dernière, est écrit en allemand : Chancelier de l’Empire) ; — en face de M. de Bismarck, dans la maison de M. Dufour, juge de paix, logent le général d’artillerie de Hindercin et le général du génie de Kleist ; — les bureaux de l’Intendance générale de l’armée sont établis avenue de Saint-Cloud, no 79, maison de M. Chardon, et 77, maison Victor Morel : le rez-de-chaussée de cette dernière maison est occupé par le prince Pless, le premier étage par le général de Horch, et le second par le général Berner. — Le magasin du quartier général du Roi s’est établi avenue de Saint-Cloud, no 44, dans les hangars de M. Morel. La rue Saint-Pierre et les environs de la Préfecture ont été occupés par les soldats de la garde du Roi.

Mardi 25.

Pluie continuelle une partie de la journée. Hier, on a enterré en grande pompe un général prussien et cinq autres officiers. Aujourd’hui, trois autres officiers ont aussi été enterrés. Hier soir, on a observé au ciel, partant de Paris et vers le nord, une vive lumière s’étendant par jets vers le sud. Presque tout le monde a regardé ce phénomène comme une aurore boréale ; cependant, G…, qui l’a observé pendant une grande partie de sa durée, croit que c’est un effet de lumière électrique qui partait de Paris et auquel il attribue une signification. Ce soir, un phénomène de même nature s’est encore produit, mais beaucoup moins intense ; nous l’avons observé tous deux sur la Bibliothèque. Il y avait dans la direction de Paris un vaste foyer d’un rouge pâle, s’irradiant par rayons de tous les côtés ; puis, une longue trace de cette même lumière rouge éclairant une partie du ciel s’étendait du foyer principal et du nord-est au sud-ouest, à perte de vue. Je suis un peu de l’avis de G… et je pencherais à croire que ce que j’ai vu pourrait bien être dû à la lumière électrique ou à un foyer incandescent venant de Paris.

Mercredi 26.

Pluie torrentielle toute la journée. Point de nouvelles. Les hôpitaux prussiens de Versailles sont encombrés et il y a une très grande mortalité. Ce soir, on aperçoit du côté de Paris une légère lueur, mais rien de comparable aux deux derniers jours.

Jeudi 27.

Triste journée, temps affreux et nouvelles cruelles. Les Prussiens disent avoir reçu aujourd’hui une dépêche télégraphique leur annonçant que le général Bazaine s’était rendu avec Metz. Si cela est vrai, tout est perdu, car l’armée prussienne qui l’entourait va devenir libre et pourra achever (sic) toute autre armée française de venir au secours de Paris. Oh ! mon pauvre pays, dans quelle terrible position tu te trouves ! Quels criminels que ceux qui [ont] attiré toutes ces calamités sur nos têtes ! Ici, nous sommes toujours accablés par les réquisitions. Aujourd’hui, ils ont demandé 6, 000 couvertures et menacé de les prendre par leurs soldats chez les habitants si on ne les leur donnait pas d’ici à deux jours. La municipalité fait un appel à tous les habitants pour demander à chacun une ou deux couvertures. Quelle misère, mon Dieu ! Quand cela finira-t-il ?

Vendredi 28.

Le temps est toujours affreux. Aujourd’hui, toute la ville était en émoi. Les Prussiens ont demandé 6, 000 couvertures qu’il fallait leur livrer dans deux jours, avec menace, si la Mairie ne leur livrait pas, d’envoyer leurs soldats dans chaque maison les prendre de force aux habitants. Pour éviter ce malheur, la Mairie s’est chargée de les recueillir elle-même ; des appels au son de la cloche et du tambour ont été faits dans toute la ville et les couvertures sont arrivées à la Mairie. M. de Bismarck vient de faire un appel à toutes les cours de l’Allemagne, afin de réunir un congrès de tous ces États. Ce congrès se réunit à Versailles. Tous les diplomates sont arrivés et, depuis hier, ils ont commencé leurs travaux. C’est dans la maison et dans le salon de Cécile L…, rue de Provence, no 4, qu’ils tiennent leurs séances…..

Samedi 29.

Temps affreux ; pluie battante toute la journée. Après mes pansements du matin, je suis resté à travailler toute la journée. Rien de nouveau…..

Dimanche 30.

En sortant de la messe ce matin, j’ai rencontré M.[9] médecin de Ville-d’Avray ; à l’encontre des nouvelles prussiennes sur la reddition de Metz, auxquelles on ne veut pas croire, il m’a lu une nouvelle transcrite par lui d’après un journal qu’il ne m’a pas nommé, par laquelle Bazaine aurait fait faire une fasse attaque aux Prussiens, pendant laquelle il aurait pu passer avec le gros de son armée sur un autre point, se serait dirigé vers Lyon, se serait réuni à l’armée qu’il y aurait trouvée et se dirigerait actuellement au secours de Paris. Tout cela me paraît bien beau et bien difficile à croire. Attendons ! M. Thiers est arrivé aujourd’hui à Versailles ; il a eu une conférence avec M. de Bismarck et avec le général de Moltke, et est parti l’après-dînée pour Paris. Le maire de Saint-Cloud et plusieurs conseillers municipaux avaient été amenés en prison à Versailles par les Prussiens. Ils avaient écrit une lettre au gouvernement de Paris pour demander qu’on diminuât le feu continuel des forts qui décimait les habitants de Saint-Cloud et détruisait toutes les maisons sans faire aucun mal à l’ennemi. Cette lettre a été publiée par un journal de Paris et a été connue des Prussiens ; ils ont considéré cela comme entretenant des correspondances avec l’ennemi, ce qui est un cas de mort. Ils ont été jugés aujourd’hui par le conseil de guerre, qui n’y a pas vu un si grand mal et qui les a acquittés.

Lundi 31.

Ce matin, le prince Luitpold de Bavière[10] est venu visiter la Bibliothèque. Il était accompagné de son fils et d’aides de camp. Il a regardé avec intérêt le livre des Fêtes de Versailles et a été fort aimable.

Lundi 28 Novembre 1870.

Quelle longue interruption ! Hélas ! Dieu a ajouté à toutes les peines que j’éprouve en ce moment la maladie. Le premier de ce mois, j’ai été saisi de la fièvre au couvent Saint-Martin, en pensant mes malades avec G… Rentré chez moi, j’ai été pris d’un point pleurétique et je me remets à écrire aujourd’hui pour la première fois. Malheureusement, nous ne sommes pas plus avancés aujourd’hui que le jour où j’ai cessé d’écrire. Les Prussiens sont toujours ici et Paris canonne presque tous les jours. Quand donc, mon Dieu, finira cette terrible tragédie ? En attendant, Versailles a toujours le même aspect. Plusieurs faits on eu lieu depuis ma maladie : D’abord, MM. Harel et [de Raynal][11], substituts du procureur de la République, ont été emmenés prisonniers en Prusse, ainsi que [M. Thiroux][11], directeur de la poste. Les deux premiers avaient pu écrire à Paris et en avoir réponse ; l’ennemi l’a su et ils ont été considérés comme entretenant des correspondances avec l’ennemi ; le troisième, qui faisait parvenir des lettres en cachette, a été considéré de même. On m’a dit aussi que M. Guillemain, président du Tribunal, avait annoncé au préfet prussien qu’il allait rouvrir le tribunal. Celui-ci lui a dit de rendre la justice au nom du gouvernement déchu ; le président s’y est refusé et le tribunal n’a point été ouvert. Quant aux nouvelles militaires, elles sont toutes contradictoires. Aujourd’hui, le bruit court qu’une sortie générale de l’armée de Paris a eu lieu, et on s’attend à quelque combat décisif d’ici à peu. Que Dieu veuille, s’il en est ainsi, qu’il soit en notre faveur, et surtout qu’il change notre affreuse position….. Samedi, le prince royal de Prusse[12] est venu visiter la Bibliothèque ; j’ai pu descendre un instant en robe de chambre. Il a été on ne peut plus aimable et gracieux. Point d’autres nouvelles.

Mardi 29.

Toute cette nuit et toute la matinée, on a entendu une vive canonnade du côté de Sèvres et Saint-Cloud. Toutes les troupes prussiennes de Versailles étaient en mouvement. Que se passe-t-il en ce moment ? Nous l’ignorons. Dans la journée, rien de nouveau. Toujours beaucoup de récits sur les mouvements de nos troupes, mais rien de certain. Cela ne peut pourtant durer.

Mercredi 30.

Encore une nuit et une matinée de canonnade. Qu’en est-il résulté ? Si l’on en croit les on-dit, les Prussiens auraient été fort maltraités, tandis que les Prussiens disent au contraire que ce sont les Prussiens (sic). Du reste, rien de nouveau…..

Jeudi 1er Décembre.

Aujourd’hui, peu de canonnades. Rien de nouveau dans la ville. Le conseiller Bamberg, consul de la Confédération du Nord, un ancien ami de M. Kastner, que j’avais vu avec lui, il y a une dizaine d’années, est venu me rendre visite et regarder notre collection musicale. C’est un très grand amateur de musique et il possède une très belle collection. J’ai eu aussi la visite du comte de Bismarck, neveu du ministre et l’un des chefs de la légation prussienne ; c’est un jeune homme, grand amateur de livres ; il a été fort aimable et a beaucoup admiré la Bibliothèque…..

Vendredi 2.

Dans la journée, quelques coups de canon ; du reste, point de nouvelles. Depuis deux jours, le froid est assez intense. Il gèle même pendant le jour…..

Samedi 3.

Continuation de la canonnade du côté de Paris. Du reste, rien de nouveau…..

Dimanche 4.

Aujourd’hui, il s’est fait un grand mouvement de troupes ; il semble qu’il se prépare quelque grande affaire….. Quoi qu’en dise G…, je sens que je suis énormément affaibli par la maladie que je viens d’avoir et que je ne résisterai pas à une nouvelle maladie…..

Lundi 5.

Rien de nouveau…..

Mardi 6.

….. Toujours la canonnade du côté de Paris. Rien autre de nouveau.

Mercredi 7.

Rien de nouveau.

Jeudi 8.

Toujours beaucoup de nouvelles contradictoires sur ce qui se passe depuis plusieurs jours du côté de Paris et du côté de l’armée de la Loire. On a amené dans la cour du Château quinze canons pris sur les Français…..

Vendredi 9.

Point de nouvelles….. Froid et neige.

Samedi 10.

La gelée sur la neige est si forte que les chevaux ne peuvent pas marcher….. Toutes les nouvelles semblent confirmer que nos troupes ne réussissent nulle part. Que la France est donc dans un état malheureux !

Dimanche 11.

Toujours un temps affreux. Gelée. Neige. Hélas ! rien de nouveau…..

Lundi 12.

Journée de bonheur : ce soir, au moment du dîner, sont arrivés mes chers enfants. Je n’ai rien à ajouter.

Mardi 13.

Rien de nouveau. Temps affreux. J’ai eu toute la journée mes chers enfants…..

Mercredi 14.

Rien de nouveau.

Jeudi 15.

….. Rien de nouveau dans les affaires publiques.

Vendredi 16.

Rien de nouveau.

Samedi 17.

Rien de nouveau.

Dimanche 18.

Rien de nouveau.

Lundi 19.

Rien de nouveau.

Mardi 20.

Rien de nouveau.

Mercredi 21.

Toute la ville a été aujourd’hui en mouvement. On dit que des mobiles et des francs-tireurs qui avaient été amenés ici prisonniers se sont échappés ; aussi, tous les Prussiens se sont mis en quête pour les rattraper. Les barrières ont été fermées et l’on ne laissait plus sortir ni les hommes, ni les voitures. Des visites domiciliaires ont été faites dans toutes les maisons et tout cela a duré jusqu’à 9 heures du soir. Je ne sais pas ce qui en est résulté.

Jeudi 22.

(Ici s’arrête le Journal de M. Le Roi.)


  1. Versailles Illustré, 6e année, no 63 (juin 1902), pp. 31-34 ; 4 ill. dans le texte.
  2. Nous jugeons inutile d’accompagner ce texte de notes explicatives ; le lecteur n’aura qu’à se reporter à l’ouvrage justement célèbre de M. Delerot, Versailles pendant l’Occupation, où il trouvera tous les éclaircissements nécessaires.
  3. Un confrère de M. Le Roi. Nous avons remplacé la plupart des noms propres par des initiales, plusieurs d’entre eux étant encore portés par des familles versaillaises.
  4. Un confrère de M. Le Roi.
  5. C’était la Ville de Florence, montée par Gabriel Mengin et Lutz ; ce ballon, parti du boulevard d’Italie à 11 heures du matin, atterrit à 2 h. 30 du soir, dans le bois de Vernouillet, près de Triel (Seine-et-Oise).
  6. Le Céleste, monté par Gaston Tissandier, partit de l’usine à gaz de Vaugirard le 30 septembre, à 9 h. 30 du matin, et descendit à 11 h. 50, près de Dreux.
  7. Le Kronprinz était né le 18 octobre 1831.
  8. Ernest ii, grand-duc de Saxe-Weimar, né le 21 juin 1818.
  9. En blanc dans le texte.
  10. Le prince Luitpold de Bavière, oncle du roi Louis ii, exerça plus tard la Régence ; il était frère du roi de Bavière Maximilien ii et mourut en 1912 ; son fils, Louis, né en 1845, lui succéda comme Régent en 1912 ; il fut reconnu comme roi de Bavière à la mort d’Othon, fils de Louis ii (5 nov. 1913) et fut détrôné en 1918 par la Révolution.
  11. a et b En blanc dans le texte.
  12. Le Prince Royal, né en 1831, plus tard roi de Prusse et Empereur sous le nom de Frédéric iii, père de l’ex-Kaiser Guillaume ii.