Souvenirs diplomatiques - La semaine tragique à la cour du roi Gustave V

Souvenirs diplomatiques - La semaine tragique à la cour du roi Gustave V
Revue des Deux Mondes6e période, tome 55 (p. 339-371).
SOUVENIRS DIPLOMATIQUES [1]

II [2]
LA SEMAINE TRAGIQUE
À LA COUR DU ROI GUSTAVE V


I

Le surlendemain du jour où je débarquai à Stockholm, je fus reçu par le Roi en audience solennelle. Le Roi partait le lendemain même pour la chasse à l’élan dans les provinces du Nord, — d’autres prétendaient pour y inspecter les troupes et les forteresses, — et avait hâte d’en finir avec mon audience. Il était d’ailleurs sérieusement indisposé depuis des mois et ses souffrances physiques, jointes aux tribulations de la politique, le rendaient, disait-on, nerveux et même parfois irritable. Je n’en pus rien remarquer pendant mon audience, sauf la très mauvaise mine de Sa Majesté qui avait l’air vraiment malade. Comme on sait, son voyage dans le Nord fut interrompu par une crise aiguë du mal intérieur dont il souffrait. Ramené à Stockholm, il y subit une très grave opération, qui réussit à merveille, mais qui laissa Sa Majesté encore longtemps faible. Le Roi ne recouvra complètement ses forces qu’au bout d’une année où il put recommencer son existence normale et les sports où il excelle : la chasse et le tennis.

La réception des Ministres Etrangers qui viennent présenter au Roi leurs lettres de créance, se fait à Stockholm dans le cadre prescrit par l’ancienne étiquette. A l’heure convenue, un maître de cérémonies vint me prendre chez moi et me conduire, ainsi que ma suite, dans des carrosses dorés au palais. Pas d’escorte ; mais en revanche, au château de Stockholm, — grandiose dans sa simplicité de vieux palais romain, — les dragons de la garde étaient échelonnés le long du grand escalier dans leurs uniformes historiques du temps de Charles XII. A l’entrée des salles de réception, remplies de beaux meubles, de tableaux, de bronzes et d’admirables Gobelins du XVIIIe siècle, m’attendait toute la Cour du Roi. Aussitôt les présentations faites, les portes s’ouvrirent et je fus introduit auprès de Gustave V. Sa Majesté échangea avec moi, sur un ton froid et compassé, les compliments d’usage, accueillit de même les personnes qui m’accompagnaient et puis me pria de le suivre dans son salon privé ; le Ministre des Affaires Etrangères M. Wallenberg (dont j’avais fait connaissance la veille) y fut aussi invité. Là l’expression du visage et le ton du Roi changèrent complètement. Il s’assit, en nous offrant des sièges, et commença par me poser des questions sur la santé de l’Empereur et de sa famille ; il passa ensuite avec beaucoup de simplicité à la question épineuse du récent divorce de son fils et exprima, en termes dont on sentait la parfaite sincérité, ses regrets d’avoir vu partir pour toujours la jeune Grande-Duchesse, sa bru, à laquelle il était très attaché.

J’appréciai la dignité et la franchise de ces paroles qui me mettaient d’emblée à l’aise avec le Roi. Sa Majesté me questionna ensuite au sujet des événements qui s’étaient déroulés en Bulgarie. « Comment le roi Ferdinand, qui avait la réputation d’un politique si fin, avait-il pu perdre si complètement la partie qu’il avait engagée ? » Je répondis par quelques appréciations sur les événements dont je venais d’être témoin, ainsi que sur la personne de Ferdinand. J’émis entre autres choses l’opinion que le caractère si étrangement indécis du Roi avait été pour beaucoup dans ses déconvenues ; s’il avait su, dès le commencement, adopter un parti et s’y tenir tout le temps, beaucoup de choses ne seraient pas arrivées. Mais Ferdinand avait continuellement changé d’avis et de direction... Ici le Roi m’interrompit. « Oh, Monsieur le ministre, s’écria-t-il d’un ton sincèrement convaincu, ne jugez pas trop sévèrement les souverains ! Si vous saviez comme cela est difficile, comme cela est pénible quelquefois de prendre une décision au milieu d’avis et d’opinions contraires qui s’entrechoquent dans le pays ! » ... A quoi le Roi faisait-il allusion ? Sa sincérité, qui perçait à travers beaucoup de réticences, me fit impression ; « cela me changeait » décidément de Ferdinand et de la fausseté qui se sentait sous toutes les effusions et dans toutes les confidences du Roi des Bulgares.

De chez le Roi je fus conduit dans les appartements de la Reine où je me trouvai en présence d’une souveraine qui était en même temps grande dame, correcte et accueillante. Je fus les jours suivants, reçu en audience par les autres membres de la famille royale. Ce fut d’abord le prince royal et son épouse, née duchesse de Connaught. Lui me fit l’effet d’un jeune homme sérieux, plus sérieux que son âge, très simple de manières, très retenu dans son langage Elle charmante et aussi d’une simplicité du meilleur aloi.

Le prince Charles, frère du Roi, jouit de la sympathie et du respect de tous ceux qui l’approchent. Grand, bel homme, avec un air chevaleresque, — il laisse une impression qui ne fait que s’accentuer quand on connaît les admirables qualités de son caractère, sa grande et active bonté, son esprit si droit. Son épouse, née princesse Ingeborg de Danemark, possède tout le charme prenant, — et si réel, — de sa famille d’origine. Jolie, intelligente, excessivement simple de manières, et en même temps « every inch of a princess, » elle me rappela vivement sa tante, l’Impératrice douairière de Russie, qui m’avait chargé de mille choses pour sa nièce. Trois délicieuses jeunes filles, dont l’aînée fit son entrée dans le monde pendant mon séjour à Stockholm, et un beau petit garçon, complétaient la famille.

Le frère cadet du Roi, le prince Eugène (Napoléon), le seul de la famille qui eût beaucoup conservé le type français, vit presque en homme privé, s’adonnant exclusivement à la culture des arts. C’est un peintre paysagiste très sincère et jouissant d’une vogue véritable dans le pays. On peut sans exagération le ranger parmi les très bons peintres de la Suède, tout de suite après Zorn, le célèbre Liliefors et Carl Larson.

Je connaissais déjà le prince Guillaume, l’ex-époux de la grande-duchesse Marie, grand beau garçon qui se confinait presque exclusivement dans son métier de marin et la société de ses camarades ; d’ailleurs très distingué par les belles dames de la société de Stockholm dont il a toujours été le favori.

Comme je l’ai dit plus haut, le Roi tomba gravement malade au cours de son voyage dans le Nord. Il fut pendant des semaines entre la vie et la mort, et ce ne fut qu’en juillet que je le revis, extrêmement éprouvé, amaigri et affaibli, mais commençant à reprendre peu à peu ses forces et sa santé.


Deux jours après mon audience solennelle chez le Roi, j’allai chez M. Wallenberg, avec lequel je n’avais fait qu’échanger, à peine débarqué, quelques banalités d’usage. Le nouveau ministre suédois des Affaires étrangères se mit aussitôt à causer avec moi affaires, et, à ma grande surprise, entama un sujet de « haute politique » et de politique générale. Il m’exprima, en termes surveillés, mais néanmoins très francs, ses appréhensions au sujet de la situation de l’Europe, et même ses craintes pour la conservation de la paix. Tout en partageant in petto les sentiments de mon interlocuteur, je me gardai bien d’abonder dans son sens et même de le suivre dans cet ordre d’idées scabreux ; j’exprimai, au contraire, le ferme espoir que la paix ne serait nullement menacée, que chez nous on ferait tout pour éviter des frottements dangereux, que ma longue carrière diplomatique m’avait habitué à ces accès de malaise européen qui, heureusement, n’avaient jamais de suites désastreuses, etc.. Cependant mon interlocuteur ne se laissait pas décourager. « Vous arrivez de l’Orient balkanique, monsieur le ministre, et en connaissez bien la situation ; ne croyez-vous pas que l’état politique de ces contrées est plein de menaces ? Ici et dans beaucoup d’autres endroits on craint que de là justement ne puisse venir le danger. » Je fis de nouveau la sourde oreille à cette invite aux confidences. « Voici un banquier, me dis-je, qui vient de devenir ministre des Affaires étrangères et qui croit de son devoir, — dès la première entrevue avec le nouveau ministre de Russie, — de l’entretenir de questions de haute politique. » Si j’avais un peu connu M. Knut Wallenberg, je n’aurais jamais formulé un jugement aussi erroné. Depuis, au cours de trois années de relations presque quotidiennes, au milieu d’événements d’une gravité exceptionnelle, j’appris à connaître à fond le caractère et la mentalité du remarquable homme d’Etat suédois et je pus constater que, sans manquer de franchise, M. Wallenberg pesait profondément ses paroles et ne les jetait jamais au vent. C’est en cela surtout qu’apparaissait la longue expérience du financier. D’ailleurs M. Wallenberg est essentiellement Suédois, et tout Suédois est particulièrement parcimonieux de paroles. Si donc le nouveau ministre des Affaires étrangères avait cru nécessaire de m’entretenir, dès le début de nos relations, de ses craintes au sujet de l’état politique de l’Europe, c’est qu’il devait avoir des raisons très sérieuses pour le faire.

L’agitation artificielle entretenue dans le pays, la collision d’opinions entre le Roi et le Cabinet Staaf-Ehrensvaerd et les démonstrations qui avaient amené la dissolution de la Chambre, étaient dues, — les événements qui ont suivi sont là pour le prouver, — aux excitations allemandes. Des projets criminels mûrissaient à Berlin ; il fallait tâcher de recueillir, du côté de la Suède, le fruit du travail opiniâtre dont j’ai parlé plus haut ; il fallait s’assurer, en fin de compte, l’alliance formelle de la Suède.

Nul doute pour moi que, dans le courant du mois de février 1914, la Cour de Suède n’ait été avisée de Berlin de l’extrême tension de la situation politique et n’ait reçu des propositions d’alliance. De là, le sérieux avec lequel le Roi Gustave V jugea la question de la défense nationale de la Suède, de là aussi son désir de s’entourer, dans la grande crise qui se préparait, de personnages qu’il considérait soit comme très prudents et versés dans les questions de politique générale, soit comme des amis personnels. M. Hammarsjold semblait, — dans l’opinion du Roi, — répondre surtout à la première condition ; en M. Wallenberg, d’autre part, Sa Majesté retrouvait un ami éprouvé des heures difficiles et un conseiller dont le bon sens saurait faire face aux circonstances exceptionnelles qui s’annonçaient. Car M. Wallenberg était réellement un intime du Roi et jouissait de sa complète confiance.

Or, dès que les nouveaux ministres furent appelés au pouvoir, Gustave V dut les mettre au courant de la situation et leur confier, — surtout à M. Wallenberg, — les renseignements qu’il tenait des sources les plus intimes et qui devaient rester cachés à tous ceux dont il n’était pas complètement sûr. Connaissant M. Wallenberg comme je le connais actuellement, je puis m’imaginer avec quel sérieux, — je dirai même avec quelle angoisse patriotique, — cet homme intelligent et circonspect accueillit les confidences du Roi touchant les suggestions qui arrivaient de Berlin et qui jetaient Sa Majesté elle-même dans la plus cruelle perplexité. Mais alors je ne connaissais pas du tout M. Knut Wallenberg. Je savais qu’il était très riche, qu’il se trouvait à la tête du groupement financier le plus puissant de la péninsule Scandinave et qui fournissait volontiers des fonds pour les grandes entreprises industrielles en Suède et en Norvège (mines de fer, houille blanche, azotes, etc.) ; que ce groupement était le seul qui eût des relations étroites non seulement avec le marché financier de Berlin, mais aussi et surtout avec celui de Paris ; que M. Wallenberg avait été le vrai fondateur de la « Banque des Pays du Nord. » Mais à cela se bornaient mes renseignements sur celui que j’allais avoir comme partenaire dans les circonstances les plus difficiles et les plus délicates.


Bientôt après notre première entrevue, M. Wallenberg me dit qu’il allait partir pour l’étranger et notamment pour Paris et Berlin. Le but de ce voyage, qui devait durer peu de jours, serait strictement personnel et se rapporterait aux affaires financières du groupement de l’Enskilda-Bank, affaires que M. Wallenberg désirait clore avant de remettre la gestion de la Banque à son frère. Il profiterait néanmoins de son séjour à Paris pour voir aussi le Ministre des Affaires étrangères et quelques personnages politiques qu’il connaissait particulièrement.

Revenu de son voyage, le ministre s’empressa de me raconter qu’ayant vu les personnes précitées à Paris, et ayant aussi visité M. de Jagow et M. Zimmermann à Berlin, — il avait retiré de ses conversations avec les deux partis des impressions rassurantes. Cette insistance à me mettre au courant de la situation politique de l’Europe me surprit un peu, mais je n’en sus pas moins gré à M. Wallenberg de la courtoisie et de la confiance qu’il me témoignait à cette occasion.

Les conversations avec mes nouveaux collègues, surtout avec celui de la Grande-Bretagne, n’étaient pas de nature à aviver mes propres appréhensions. Sir Esme Howard (alors encore M. Howard), — dont j’ai su apprécier plus tard les éminentes qualités d’esprit et de caractère, — reflétant d’office les dispositions profondément pacifiques du ministère Asquith-Grey, — ne se laissait pas aller à des prophéties lugubres, ni à des considérations qui eussent pu me mettre en garde contre les Suédois et leur politique actuelle ; M. Howard était plutôt enclin à ridiculiser l’agitation de Swen-Hédin et consorts et n’y voyait pas le reflet d’une manœuvre politique préconçue de Berlin. Mon collègue de France M. Thiébaud prenait plus au tragique l’agitation « russophobe » qui s’était emparée de la Suède. Il me prémunit longuement contre la répétition de fautes déjà commises, à son avis, par la représentation russe et surtout contre tout agissement qui eût pu paraître suspect aux Suédois. J’abondai tout à fait dans le sens de mon collègue. Je sus plus tard que M. Thiébaud avait entamé à cette même époque des pourparlers confidentiels avec ses chefs, afin de préparer une espèce d’intervention du Président de la République lui-même entre la Suède et la Russie. M. Poincaré allait se rendre bientôt en Russie et de là faire des visites officielles aux trois Cours scandinaves et devait à cette occasion faire à Pétersbourg des observations amicales au sujet de « l’affaire Assanovitch » [3] et rapporter au Roi de Suède des explications rassurantes de Sa Majesté l’Empereur. Cette idée fut adoptée ; elle avait du bon, tout en exagérant un peu trop la portée des calomnies Swen-Hédinoises.

Dans le courant du mois d’avril, j’eus à m’occuper plus spécialement de la participation russe à une exposition « des pays riverains de la Baltique » qui allait être inaugurée à Malmoë [4]. Le Gouvernement impérial, froissé par les récentes démonstrations suédoises, ne voulut prendre aucune part à cette exposition. Mais ensuite, grâce aux efforts de quelques personnes qui craignaient que cette abstention ne fût mal interprétée en Suède, on permit à M. Emmanuel Nobel de se mettre à la tête d’un comité d’initiative privée, lequel, tant bien que mal, mit sur pied une section russe. Le résultat fut au point de vue matériel, très maigre : quelques broderies et dentelles de fabrication villageoise, appréciées à l’étranger, un stand des entreprises pétrolifères de Bakou appartenant à Nobel, un autre des fabricants de caoutchouc de Riga, une section frigorifique et enfin une section d’arts représentée par les peintres russes de la toute nouvelle écolo et où, à côté de quelques excellents portraits, s’étalaient des peintures à faire hurler les chiens ; — telle fut cette exposition russe qui tranchait d’une façon que je considérais comme désastreuse sur les sections suédoise, danoise et allemande, où l’on avait eu soin de rassembler les plus curieux et meilleurs spécimens de l’industrie de ces pays. Néanmoins et par la suite, je ne pus que me louer de l’effort des particuliers qui, malgré l’opposition de nos cercles officiels, parvinrent quand même à réaliser ce simulacre de représentation de la Russie à l’exposition de Malmoë : les Suédois surent quand même gré à la Russie d’y avoir participé. Et si on ne l’avait pas fait, tout le monde en Suède y aurait vu la preuve évidente de l’hostilité russe et de ses « sinistres projets » à l’endroit de la péninsule du Nord !

A la fin du mois d’avril, j’allai à Malmoë pour voir où en étaient la construction et l’aménagement de la section russe. Vers le 15 mai, j’y retournai officiellement pour assister à l’inauguration de l’exposition. Le Roi étant encore malade, ce fut le Prince Royal et son Epouse qui présidèrent aux fêtes de l’ouverture. Prières d’usage, cantate obligée, nombreux et longs discours en excellent suédois (dont à cette époque, je ne comprenais encore mot), grand banquet présidé par le couple princier et auquel je fis la connaissance d’un tas de gens que je ne revis plus jamais, tel fut le bilan de la première journée. Le lendemain, il y eut un grand diner à la section allemande dans la salle des belles porcelaines de Berlin. J’y fis la connaissance du comte Brockdorff-Rantzau, ministre d’Allemagne à Copenhague. Le Comte me marqua un accueil particulièrement empressé. Des banalités courantes, nous passâmes à l’échange de quelques impressions politiques, et le comte Rantzau sembla saisir l’occasion au vol pour exprimer, avec une chaleur et une conviction qui me frappèrent, des idées sur l’absolue nécessité de bonnes relations entre la Russie et l’Allemagne et sur les affreuses conséquences que pourrait avoir pour les deux pays une collision qui surgirait entre eux. J’acquiesçai très sincèrement à cette manière de voir. « C’est bien dommage que nous n’ayons pas le temps de causer plus à fond, » me dit Rantzau. « Mais vous viendrez pour sûr ces jours-ci à Copenhague. Venez donc me trouver ; nous pourrons causer plus à l’aise et longuement : venez. »

J’allai le surlendemain même à Copenhague, mais je ne me rendis pas chez le Ministre d’Allemagne. Je me dis que rechercher une conversation politique avec le comte Rantzau là même où il avait toujours à sa portée son collègue russe, — le baron de Buxhoeveden, — eût été un procédé peu délicat de ma part vis-à-vis de ce dernier. J’ai tout lieu de croire cependant que les sentiments et les opinions que m’avait énoncés le comte Rantzau, n’était pas factices. Diplomate fort en faveur auprès de sa Cour, il devait, à cette époque, savoir beaucoup de choses qui ne se sont révélées que deux mois plus tard au reste du monde, et je sais de source assez sûre que les appréhensions du diplomate allemand, qui n’avait jamais manqué d’intelligence, étaient absolument sincères.

Un diner plus intime à la section russe vint clore la série des fêtes. Dans le toast que je portai au Roi absent et au couple princier qui présidait la fête, je m’attachai à faire ressortir bien clairement les sentiments absolument bienveillants et sympathiques qui animaient la Russie envers tous les pays scandinaves, — ses voisins baltiques, — et souhaitai le développement d’étroites relations commerciales et industrielles entre ma patrie et la Suède. La presse de Stockholm releva et approuva ce toast et j’eus en général l’impression que les Suédois qui se trouvaient à Malmoë pour l’inauguration de l’exposition, étaient repartis moins effarouchés à l’endroit de la Russie qu’ils ne l’étaient en arrivant.


Vers la fin du mois de mai se réunit à Stockholm le Riksdag « de la défense nationale. » La cérémonie de l’ouverture eut lieu, comme toujours, dans la grande salle du château royal et avec la pompe accoutumée. Le Roi tint à ouvrir lui-même ce Parlement, quoique sa mine, sa démarche et sa voix se ressentissent encore de la cruelle maladie et de l’opération qu’il venait de subir.

Gode Herrar ochsvenske man [5], commença-t-il, selon l’usage consacré, le discours du Trône ; et je me souviens de l’impression que me fit cette antique formule. « Quand donc, pensai-je, arrivera le jour où l’Empereur, mon auguste maître, ouvrira en personne une Douma nationale vraiment digne de ce nom et s’adressera avec confiance aux vrais élus de la nation, forts de leurs droits, conscients de leurs devoirs et se sentant surtout fils de leur patrie et mandataires autorisés de leur peuple ? » Le Riksdag consentit, avec quelques amendements, les dépenses que lui demanda le gouvernement pour l’augmentation des forces suédoises et leur armement.

Pendant que siégeait ce Riksdag, l’état politique de l’Europe s’assombrissait chaque jour davantage. Ce fut d’abord le milliard de dons gratuits que préleva la Chambre allemande sur toutes les grandes fortunes du pays ; puis ce furent des allées et venues continuelles entre Berlin et Vienne ; les chefs d’Etat-major des deux empires du contre et les chefs de leurs flottes, conférant ensemble ; l’entrevue de Konopischt, où Guillaume II vint mettre la dernière main à l’accaparement de l’Autriche-Hongrie dans la personne de l’héritier du Trône, le belliqueux archiduc François-Ferdinand ; enfin, l’énorme somme versée dans les caisses de la Croix-Rouge allemande. Le langage de la presse austro-allemande devenait de jour en jour plus chauvin, plus intransigeant...

Comment réagissait-on chez nous vis-à-vis de toutes ces démonstrations, de tout ce travail qui, — comme on dit vulgairement, — « crevait les yeux ? » Je n’en ai rien su. Aucun écho ne m’en arrivait de Pétersbourg et de notre ministère des Affaires étrangères. Notre ambassadeur à Berlin, Mr Sverbeieff, partit vers la fin du mois de juin en congé, — comme il le faisait tous les ans à la même époque, — pour présider aux travaux des champs dans ses biens de Toula. L’ambassadeur de Russie à Vienne, Mr Schébéko, devait bientôt le suivre et partit effectivement, — l’avant-veille de l’envoi du célèbre ultimatum à la Serbie, — pour ses biens de Yaroslaw. Il dut revenir sur ses pas à peine arrivé à Saint-Pétersbourg.

D’où venait cette quiétude, d’où cette confiance dans le proche avenir ? Je me le suis souvent demandé et n’ai pu jusqu’à présent formuler une réponse satisfaisante. Les représentants français à Berlin et à Vienne étaient très inquiets ; le Livre jaune est là pour le prouver noir sur blanc. Ils ont dû, — et fréquemment, — faire part de leurs inquiétudes à leurs collègues russes. Comment se fait-il que ces derniers eussent ajouté si peu d’importance aux avertissements de leurs collègues alliés ?

Dans le cas de M. Sverbeieff, cela ne m’étonne guère. Cet homme très distingué était, par ses qualités mêmes, réfractaire à tout soupçon de danger et d’intentions mauvaises. Toute sa carrière avait été due à son tact naturel, à son usage du monde et à son prudent effacement. Après avoir été pendant deux années ministre à Athènes, où toute la famille royale, présidée par le sage roi Georges, l’adorait, où tout le monde raffolait de ses réceptions aussi élégantes qu’hospitalières et où M. Venizélos, — homme politique éminemment honnête et principalement ami de la Russie, — trouvait en lui un partenaire toujours bienveillant et attentif, M. Sverbeieff fut porté à croire que son rôle à Berlin ne présentait qu’une extension naturelle de celui qu’il avait joué au pied de l’Hymète. Il s’occupa énormément de sa maison, de sa livrée, de ses nouvelles relations mondaines ; il sut se faire aimer et même, jusqu’à un certain point, estimer par ses partenaires officiels allemands ; mais il ne sut pas comprendre ce qui se passait en Allemagne, ce qui se tramait à Berlin ; il ne sut pas jeter à temps le cri d’alarme...

Ce cri, le comte Osten-Sacken l’avait jeté dans une lettre magistrale, écrite par lui en 1907 et où l’éminent diplomate, — si solidement ancré à la Cour de Berlin et entouré des prévenances personnelles de Guillaume II, — prédisait néanmoins, avec l’absolu franc-parler d’un grand seigneur patriote, que dorénavant le kaiser chercherait à nuire à la Russie et choisirait le terrain du proche Orient pour nous y infliger des échecs sensibles. La déduction était logique : si nous ne voulions pas la guerre avec l’Allemagne, il fallait trouver un terrain d’entente. Cette lettre avait probablement été oubliée dès 1908. De nouvelles ambitions étaient venues s’essayer à la direction de la politique extérieure de la Russie, et la question : « Quels avantages peut-on se procurer ? » avait relégué au second plan la question : « Quels périls immédiats doit-on éviter ? »

Je suppose que lorsque M. Jules Cambon venait faire part à son collègue de Russie de ses doutes et de ses craintes, ce dernier l’écoutait avec attention, mais se tranquillisait en se disant que du côté français on était généralement porté à s’exagérer le péril allemand et l’agitation de Guillaume. Il se disait probablement aussi que l’un des bons moyens d’éviter les dangers, était de ne pas les proclamer trop haut, ni de livrer des appréhensions insuffisamment contrôlées aux indiscrétions des bureaux et des cours.

Moins compréhensible fut pour moi le scepticisme dont fit preuve (ou parade) M. Schébéko. Peut-être croyait-il pouvoir, en temps utile, maîtriser la situation. Il avait été, à Vienne même, le proche témoin de l’ascendant qu’y avait su conquérir son ancien chef, le prince Lobanoff. Il avait vu ce dernier, et à plusieurs reprises, agir par la force de son caractère et la lucidité de ses arguments sur l’esprit chancelant de ses partenaires viennois et attirer en même temps chez nous l’attention sur les écueils qui se présentaient et sur la nécessité de les éviter. Cette force de caractère et de tempérament M, Schébéko la possédait incontestablement. On le vit lorsque, revenu en toute hâte à Vienne pendant la semaine tragique qui précéda la rupture, il sut en deux entrevues avec le comte Berchtold, lui extorquer le consentement d’entrer en conversation avec la Russie, c’est-à-dire d’abandonner la posture intransigeante qu’avait adoptée dès le premier jour le gouvernement austro-hongrois. Guillaume II fut obligé alors de recourir à des moyens extrêmes et à l’ultimatum lancé à la Russie pour déchaîner quand même les événements et entraîner l’Autriche à sa suite. L’intervention énergique de l’ambassadeur de Russie était malheureusement venue quelques jours trop tard.

On m’a assuré aussi que le voyage même qu’avait entrepris M. Shébéko, avait eu pour but principal de causer de vive voix avec M. Sazonow au sujet de la situation qui se faisait grave et des événements qui se dessinaient. En ce cas, il faut énormément regretter que notre ambassadeur à Vienne ne se soit pas mis en route beaucoup plus tôt, c’est-à-dire, dès l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand.

C’est par un optimisme démesurément « robuste » que pécha dans cette circonstance toute notre diplomatie et je suis toujours encore à me demander d’où pouvait venir cet optimisme, alors que l’Europe entière était prise d’un malaise incontestable et alors qu’en Russie même, continuait à gronder sourdement la révolution enrayée mais non liquidée depuis 1906 ?

Oui, la révolution était toujours là, étendant ses racines dans le sol de la Russie. Nous autres diplomates en fonctions à l’étranger, nous aurions encore pu nous y méprendre ; mais comment pouvaient ne pas en être saisis ceux des nôtres qui de Pétersbourg dirigeaient la politique russe et se trouvaient en contact journalier avec la terrible réalité ?

J’ai esquissé dans l’un des premiers chapitres de mes Souvenirs, l’une des causes de ce phénomène. J’ai dit que, depuis la disparition de Stolypine, la politique extérieure de la Russie avait presque entièrement divorcé avec la politique intérieure. Mais il y avait plus. A l’époque où se produisit le terrible conflit mondial, le « cabinet » russe avait pris un aspect aussi bizarre que tranché. Deux partis s’y trouvaient en présence qui n’avaient rien de commun entre eux et qui se combattaient réciproqueent. D’une part, les « réactionnaires » : M. Maklakoff, Casso, Makaroff, Sabler, prince Schakhowkoy et, jusqu’à un certain point, le président du Conseil M. Goremykine ; d’autre part les sincères partisans des réformes indispensables, — principalement M. Sazonoff et Krivochéïne. Les ministres réactionnaires distinguaient très clairement, — beaucoup plus clairement que leurs collègues — , les dangers de la situation intérieure ; seulement, pour y obvier, ils préconisaient et mettaient en œuvre des mesures qui ne faisaient qu’augmenter le mécontentement général et la tension nerveuse du pays ; et, pour garder leurs places et faire triompher leur système, quelques-uns de ces messieurs ne se faisaient pas honte d’aduler l’ignoble Raspoutine et de protéger ses plus intimes amis [6]. Les ministres appartenant au camp opposé se rendaient parfaitement compte de ce qu’il eût fallu faire, c’est-à-dire, procéder à des réformes immédiates, adopter sincèrement le régime représentatif octroyé en octobre 1905 et faire cesser le scandale Raspoutine, qui humiliait profondément jusqu’aux plus fidèles serviteurs du Trône et qui commençait à déconsidérer le Souverain lui-même dans les couches populaires. Mais, tout en connaissant bien les remèdes, ces messieurs croyaient que l’application de ces remèdes guérirait tout le mal et rendrait à la Dynastie et au gouvernement Impérial la confiance publique qui pour lors faisait absolument défaut.

On pouvait, à leur avis, ne rien sacrifier du prestige extérieur de la Russie ; il suffisait qu’un ministère homogène, composé de gens honnêtes et sages, comme eux, reçût la mission de gouverner la Russie, — et l’effervescence intérieure se calmerait aussitôt, faisant place à un travail systématique et fécond lequel, à son tour, renforcerait la situation internationale du pays et permettrait de faire au dehors une politique active et intransigeante. Ces hommes, intelligents pourtant et bien intentionnés, ne comprirent pas que les fautes, accumulées par le gouvernement, et la propagande effrénée des partis d’opposition avaient à un tel point sapé les bases mêmes de l’existence nationale, que tout le peuple et tout le pays présentaient les symptômes d’une maladie aiguë et grave. L’Etat, si dangereusement atteint au dedans, ne pouvait vivre d’une vie normale au dehors. Bien plus qu’en 1856, la Russie devait se recueillir [7]. C’est ce que l’on ne comprit pas chez nous pour plusieurs raisons, mais dont la principale fut que les hommes d’Etat de la trempe du prince Gortchakof n’existaient plus, ou bien n’étaient plus appelés au pouvoir...


Je passai cet été en ville, ayant à achever mon installation et projetant de faire en septembre, avec ma famille, une cure et un court séjour en Italie. Comme l’été s’annonçait remarquablement beau et chaud, nous en étions à regretter de ne pas nous être assurés d’une villégiature.

Le 28 juin au soir nous attendions quelques membres de la Légation qui avaient passé la journée à la campagne et devaient l’achever chez nous. Vers les onze heures nous les vîmes entrer tout émus : « Savez-vous, M. le Ministre, ce qui vient d’arriver ? — On a assassiné à Serajevo l’Archiduc héritier d’Autriche et sa femme. Voici le bulletin télégraphique que l’on vend dans Tes rues. » — « C’est grave, » dis-je. — « Mais peut-être, hasarda l’un de ces messieurs, serait-ce quand même pour le mieux ? On prétendait partout que le défunt François-Ferdinand était chaleureux partisan de la guerre. Si c’était vrai, sa disparition augmenterait les chances de la paix... » — « C’est possible, répondis-je ; mais d’abord un assassinat reste toujours un assassinat, c’est-à-dire une chose odieuse ; et puis l’événement de Sarajevo pourrait augmenter les ressentiments des centraux contre les Serbes, — et contre nous, leurs protecteurs naturels, — et mettre précisément le feu aux poudres... »

Cependant les jours suivants ces appréhensions semblèrent peu justifiées. Nous assistâmes à Stockholm, comme partout, à un office funèbre célébré à la mémoire de l’Archiduc et de sa malheureuse épouse. On parla beaucoup dans les journaux des obsèques du couple assassiné et du caractère voulu de simplicité que la Cour de Vienne avait donné à ces obsèques. Puis, on apprit, à la grande satisfaction du monde entier, que ce lugubre événement n’empêchait pas l’empereur Guillaume de procéder à sa croisière habituelle dans les fiords norvégiens et qu’il venait de se mettre en route. Bref, tout semblait rentrer dans le calme.

Quelques jours plus tard, je refis le voyage de Malmoë où se rendait, — la première fois depuis sa guérison, — le roi Gustave V et où vint le rencontrer le roi de Danemark. Le temps était beau et chaud ; les fêtes en l’honneur du roi furent empreintes de cordialité. Je vis plusieurs fois mon collègue allemand qui me témoigna de l’empressement malgré qu’il eût beaucoup à faire avec une grande députation d’officiers allemands arrivés pour saluer le roi de Suède et qui se montraient avec ostentation partout dans leurs plus beaux uniformes et fraternisaient en de continuelles agapes avec leurs camarades suédois des garnisons du midi de la Suède.

Je remarquai aussi, — cela sautait aux yeux, — la présence dans les eaux du détroit (le Sund), qui sépare Malmoë de Copenhague, d’une grande quantité de destroyers allemands. En allant, après le départ du roi de Malmoë, à Copenhague, j’en rencontrai plusieurs en chemin. Il en sortait de chaque anse ! A mes questions à ce sujet, on me répondit que c’était l’escadre de destroyers commandée par le prince Eitel-Friedrich, lequel, après avoir croisé dans les détroits, devait venir faire une visite au couple royal de Suède dans le château de Plaisance de Jullgarr ; ce qui se fit effectivement dix jours plus tard.

En attendant, le Président de la République française se rendait par mer à Saint-Pétersbourg et de là devait arriver le 25 juillet en visite officielle à Stockholm ; on se préparait à le recevoir avec tout l’apparat en usage.

Je me souviens que le 12 nous fîmes en famille et avec quelques membres de la légation une charmante excursion dans le « skaergard » de Stockholm. Temps délicieux, jolis paysages, gai goûter, belle journée passée entièrement en plein air. En revenant le soir en motor-boat par une de ces suaves et claires soirées qui en été font le charme spécial de ces parages, je m’adonnai entièrement au plaisir de vivre : « Eh bien, disais-je, faisant tout haut mes réflexions, je ne suis pourtant pas fâché d’avoir dû changer Sofia contre Stockholm ! Sofia était certainement un poste plus intéressant et surtout plus important ; mais ici en revanche on a du repos ; on peut jouir de la vie sans être à chaque moment obsédé de préoccupations politiques... » Une méchante fée m’entendit.

Cela se passait le mercredi 22 juillet ; le lendemain soir, les journaux apportèrent la première nouvelle d’un ultimatum autrichien à la Serbie, et le samedi matin, quelques heures avant l’arrivée de M. Poincaré, paraissait le texte même de cet ultimatum subit et inouï de violence. La Semaine tragique commençait ; la semaine où se jouèrent les futures destinées du monde, et où se décida la guerre mondiale, — laquelle à son tour aboutit au terrible effondrement de ma malheureuse patrie.


II

Le premier jour de la « semaine tragique » se confondit à Stockholm avec la réception officielle du Président de la République française et les fêtes qui avaient été préparées pour cette réception.

Le Président ne devait rester à Stockholm qu’un seul jour. Le croiseur cuirassé qui portait le Chef de l’Etat français ne pouvant arriver jusqu’aux quais de la ville, devait jeter l’ancre à deux ou trois kilomètres de distance, et le roi Gustave V s’embarqua à l’heure voulue pour chercher son hôte à bord et le conduire au Château royal dans une gondole à douze paires de rames, datant du XVIIIe siècle et richement décorée dans le style Louis XV.

Les chefs de missions devaient être présentés au Président dans la journée et étaient invités au grand banquet qui allait réunir au Palais, autour du Roi et de ses hôtes français, toutes les notabilités politiques et sociales de Stockholm. Après le banquet, concert des sociétés chorales suédoises et, tard dans la soirée, départ aux flambeaux du Président et de sa suite. Le corps diplomatique ne prenant pas part à la réception même du Président, tous les membres de ce corps ainsi que les étrangers de distinction étaient conviés dans le jardin du château pour jouir de là du spectacle de l’arrivée. Un temps splendide favorisait la fête.

Lorsque nous nous réunîmes dans le jardin qui surplombe en terrasse le bras de mer par lequel devait arriver la gondole de parade, on sentit immédiatement l’énorme gène qu’apportaient à cette réunion les nouvelles, reçues depuis la veille.

Tous les visages étaient plus ou moins contractés. Les « Centraux » faisaient bande à part et parlaient à voix basse entre eux. Le personnel de la Légation de France, prenant part in corpore à la réception du Président, n’était pas parmi les spectateurs. Mon collègue de Grande-Bretagne avait sa figure sérieuse et un peu pâle que je lui connus plus tard dans les nombreux jours d’émotions partagées en commun. Il me demanda ce que je pensais de l’ultimatum et je ne lui cachai pas que je considérais la situation comme excessivement tendue ; c’était aussi son avis. On me fit faire la connaissance du nouveau ministre d’Espagne, débarqué l’avant-veille. En serrant la main à l’aimable et sympathique duc de Amalfi, je ne me doutais pas que dans un très proche avenir, j’aurais journellement affaire à son obligeance et à son travail inlassable dans les questions se rapportant aux Russes restés en Allemagne, à nos prisonniers de guerre, etc.. On ne donna qu’un regard distrait au ravissant spectacle qui se déroulait devant nos yeux, — celui des bords pittoresques du bras de mer que nous surplombions, de la masse bariolée du public, attendant gaiement l’arrivée des hôtes français, de la jolie gondole qui apparut enfin, suivie de toute une flottille de chaloupes, et qui débarqua auprès du château — le Roi, le Président de la République et leurs suites, tandis que le canon tonnait la bienvenue et que les cloches des antiques églises de la vieille ville carillonnaient à toute volée...

Lorsque je revins à la Légation et relus et étudiai le texte de l’ultimatum autrichien dans la traduction française, mon inquiétude grandit encore. Comme en 1912 à la cathédrale de Sofia, à l’apparition de l’étendard de Samara, une pensée subite et irrésistible comme l’éclair traversa mon cerveau : « c’est la guerre. »

A quatre heures de l’après-midi je me présentai avec mes autres collègues étrangers au château, pour saluer le Président de la République. On nous plaça dans un des salons adjacents à l’appartement occupé par le Président. Après quelques minutes d’attente, la porte de l’appartement s’ouvrit et M. Poincaré entra, suivi de M. Viviani. Il s’entretint à tour de rôle avec les chefs de missions rassemblées. « Je n’ai pas besoin qu’on me présente M. Nékludoff, s’écria-t-il aimablement lorsque mon tour fut venu ; c’est un ancien ami à nous ! » Puis, me serrant la main et baissant la voix, le Président me dit : « Nous traversons une crise bien angoissante ; je n’ai pas le temps de m’en entretenir avec vous, mais j’espère que nous pourrons causer un instant ce soir. » M. Viviani s’arrêta quelques minutes pour échanger ses impressions avec moi. « Que dites-vous de la situation, monsieur Nékludoff ? — Hélas ! répondis-je, je crains bien que ce ne soit la guerre. »

« C’est terrible, c’est terrible, s’écria le président du Conseil français ; car si c’est la guerre pour vous, c’est bien entendu aussi la guerre pour nous. — Je ne m’attendais pas à d’autres paroles de votre part, dis-je à M. Viviani ; enfin, espérons toujours que les choses pourront s’arranger. — Oui, oui, espérons-le. Nous aurons l’occasion de causer plus longuement ce soir, ajouta M. Viviani en prenant congé de moi, »

Le banquet servi à sept heures du soir, dans la grande galerie des fêtes du château, fut houleux. Les invités ne s’abordaient que pour parler de l’ultimatum et des dangers de l’heure. Au bas de l’escalier je me rencontrai nez à nez avec le ministre d’Autriche-Hongrie, qui était parti en congé deux ou trois jours auparavant et qui n’était apparu ni le matin à la terrasse du château, ni dans l’après-midi à la présentation à M. Poincaré. « Tiens, vous êtes revenu, comte Hadig ? l’apostrophai-je. — Oui, je suis revenu..., » et en disant ces mots le comte me tournait déjà le dos et disparaissait dans la foule. Le ministre d’Allemagne était plus pâle que d’ordinaire et portait sur le visage l’empreinte d’une émotion contenue. Il tint à s’approcher de moi et à échanger quelques banalités sur le bel aspect de la salle et sur le magnifique service de Sèvres Louis XVI qui décorait la longue table. On prit place ; la musique joua ; à un certain moment le Roi et le Président de la République échangèrent des toasts cordiaux, suivis de la Marseillaise et de l’hymne suédois. Bref, les dehors de la fête avaient l’aspect protocolaire. Mais personne ne faisait attention à ce qui se passait autour de soi. Toutes les pensées étaient pour les événements qu’on redoutait, qu’on voyait venir implacables et terribles, étendant leur étreinte fatale jusqu’à cette ville pittoresque, inondée d’une douce lumière du soleil couchant, jusqu’à ce vieux et fastueux palais qui vit se dérouler dans ses murs tant d’événements tragiques, jusqu’aux personnes mêmes qui prenaient part au banquet et qui causaient entre elles.

J’avais assisté à Paris en octobre 1908 à un raout à l’ambassade de Russie donné en l’honneur de M. Iswolsky ; c’était le lendemain de l’annexion de la Bosnie et de la proclamation de l’indépendance et de la royauté bulgares. L’aspect de la réunion était aussi houleux ; beaucoup de représentants étrangers s’abordaient sans savoir au juste s’ils avaient affaire à un ami ou à un futur ennemi ; dans le fond du grand salon, M. Iswolsky, — point de mire de toute l’assistance, — expliquait avec complaisance sa diplomatie et la situation aux plus jolies et charmantes femmes politiques du Paris d’alors : la comtesse Jean de Castellane, la comtesse Jean de Montebello, la comtesse de Greffulhe ; tandis que, de l’autre côté, le bel et élégant ambassadeur d’Autriche, comte Koewenhüller, qui venait d’être nommé chevalier de la Toison d’Or, entouré d’une autre cour de jeunes et belles dames, fixait un regard ironique sur le ministre russe, comme pour dire : « Et vous, mon ami, vous n’en décrocherez rien que des ennuis... » Cela n’était pas comparable au tragique banquet du 25 juillet de Stockholm. Le Destin planait au-dessus de la brillante réunion ; et tout le monde sentait le frôlement de ses ailes.

On apportait continuellement au Roi des télégrammes volumineux, et le Roi les passait à M. Poincaré. Cela continua après qu’on se fût levé de table. Le Roi, si scrupuleusement correct et aimable à l’ordinaire, ne pensait même pas à faire cercle et à s’approcher des notabilités de la réunion. Il évitait en particulier toute conversation avec les ministres étrangers. Se tenant à l’écart, à l’extrémité de l’un des grands salons de réception, il causait à voix basse tantôt avec M. Poincaré, lui passant les télégrammes qu’on lui présentait, tantôt avec M. Viviani ou avec M. Wallenberg. Le Président, m’apercevant à sa portée, s’approcha de moi : « Monsieur le ministre, me dit-il, j’ai eu l’occasion de transmettre ce matin au roi Gustave ce dont m’avait chargé pour lui l’empereur Nicolas II, c’est à-dire les assurances les plus formelles et les plus gracieuses de ses bonnes et inaltérables dispositions envers la Suède et la cour suédoise. En particulier, j’ai pu certifier au Roi que l’incident Assanovitch, qui avait tant ému l’opinion publique suédoise, n’avait aucunement la portée que lui prêtait cette opinion. Sa Majesté le Roi a accueilli cette communication avec un sincère contentement, mais exprime l’espoir que dorénavant on donnerait de Pétersbourg des ordres catégoriques à la légation de Russie à Stockholm et surtout à l’agent militaire qui doit succéder à M. Assanovitch, d’éviter avec le plus grand soin tout ce qui pourrait présenter le caractère d’agissements clandestins ou irréguliers. Ce que je vous dis, continua le Président, n’a qu’une portée très secondaire en comparaison des événements politiques du moment ; toutefois, il serait d’autant plus nécessaire de tranquilliser les Suédois et d’enlever aux empires du Centre toute occasion plausible d’intrigues... » J’acquiesçai entièrement au point de vue du Président et l’assurai que, dès mon arrivée à Stockholm, je m’étais proposé de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour corriger les fautes commises par nous dans les derniers temps en Suède.

Nous parlâmes ensuite de la situation politique du moment, « Le Roi a reçu ce soir des nouvelles de Berlin qui l’ont un peu tranquillisé ; on pourrait encore, selon Sa Majesté, trouver une issue favorable à la crise qui vient d’éclater, pourvu seulement que des deux côtés on y mit de la bonne volonté. Puisse-t-il avoir raison ! En tout cas j’ai décidé de brûler Copenhague et Christiania et de me diriger en toute hâte sur Paris. J’espère que les deux cours scandinaves accueilleront bien les excuses que va leur porter de ma part le général Brugère, et qu’elles ne m’en voudront pas, étant donné les événements. » Je répondis au président qu’en Danemark tout comme en Norvège, on devait comprendre encore mieux qu’à Stockholm la portée et la gravité de ce qui se passait et qu’on y serait surtout anxieux de voir le chef du gouvernement français revenir en toute sécurité et au plus vite à son poste. Je causai ensuite et sur les mêmes sujets avec M. Viviani, En ce moment, comme de beaux accords de voix se faisaient entendre, le Roi et son hôte se souvinrent de l’audition des sociétés chorales qui figurait sur le programme, passèrent dans la salle voisine et écoutèrent et applaudirent quelques morceaux. C’est égal, jamais les jolies chansons populaires et les beaux chants patriotiques de Suède ne furent écoutés d’une oreille aussi distraite que cette fois-là. Tout le monde avait hâte d’en finir avec les conventions et les fatigues de la fête officielle ; et il y eut un soupir de soulagement lorsque le signal du départ fut donné. Un quart d’heure plus tard, en longeant en automobile le quai opposé au débarcadère du château, je vis de loin le beau spectacle du départ des hôtes français, éclairés d’une masse de flambeaux ; des lueurs rouges tremblaient dans l’eau et lui donnaient un reflet de sang. « Voici bien la torche de Bellone, » me dis-je avec un frisson involontaire...


Le lendemain dimanche, on eut la nouvelle de la réponse serbe à l’ultimatum austro-hongrois et du rejet de cette réponse. Lorsque parut, le lundi, à Stockholm le texte même de la note serbe, je pus me rendre compte de la gravité du danger que courait la paix de l’Europe. Malgré la haute opinion que j’avais de la prudence de M. Pachitch, je ne m’étais pas imaginé que la Serbie eût pu faire preuve de tant de mesure et de tant d’obéissance à nos conseils. L’ultimatum inouï, brutal de Vienne était accepté sauf un seul point, — celui qui visait tout simplement à remplacer dans le Royaume la police nationale par la police austro-hongroise. Et les restrictions serbes au sujet de ce seul point avaient suffi pour que l’Autriche n’acceptât pas la réponse et rompît toutes relations diplomatiques avec sa voisine ! Il était clair comme le jour qu’on avait irrévocablement décidé à Vienne, ainsi qu’à Berlin, — l’exécution de la Serbie. Or, comme je prévoyais que la Russie ne pourrait pas tolérer cette brutale exécution, il devenait presque certain pour moi que, dans peu de jours, mon pays se trouverait en collision ouverte avec les deux Empires Centraux.

Les négociations et les événements des jours suivants démontrèrent que ces deux Empires n’envisageaient pas d’une façon identique l’action qu’ils venaient d’entreprendre. Tandis que pour les Autrichiens il s’agissait surtout de châtier les Serbes, de prendre une revanche des événements de 1912 et de 1913, d’asseoir à nouveau et manu militari l’influence de l’Empire dans les Balkans ; tandis qu’à Vienne on espérait in petto une capitulation de la Russie qui eût permis à l’Autriche de faire le coup sans affronter les terribles épreuves de la grande guerre, — à Berlin on voulait précisément cette guerre qu’on avait décidée, après de longues tergiversations et une lutte sourde mais violente entre le parti de la guerre préventive et celui de la paix ; et, l’ayant une fois décidée, on voulait la faire déclencher dans le moment choisi et qui semblait particulièrement propice. J’ai tout lieu de croire qu’à la Wilhelmstrasse, on s’était préparé à la marche des événements dans l’ordre suivant : 1° bombardement de Belgrade et investissement de la Serbie par les troupes austro-hongroises ; 2° mobilisation russe et ultimatum de la Russie à l’Autriche ; 3° contre-ultimatum et déclaration de guerre de l’Allemagne à la Russie. Lorsque, dès le mardi 28, se révéla à Vienne une certaine hésitation et une tendance à entrer en conversation avec la Russie, Guillaume II et ses conseillers décidèrent de brusquer les choses et, sans attendre la deuxième phase qui pouvait faire défaut, lancèrent leur ultimatum et leur déclaration de guerre à la Russie en prenant prétexte de la mobilisation russe.

Tout ce plan ne se révéla pourtant, dans sa cynique crudité, que par la suite. Alors on pouvait encore espérer contre tout espoir et tenter des solutions possibles. C’est ce qu’on eût fait chez nous, si à Berlin on nous eût laissé quelques jours de répit.

Le mardi 28 juillet, les télégrammes des agences constatant une certaine détente, — je me rendis chez mon collègue d’Allemagne, M. de Reichenau, afin de sonder auprès de lui la situation. Je lui dis tout franchement que j’étais très inquiet et que je profitais peut-être du dernier jour où il nous serait permis, à lui et à moi, de causer ensemble. « Les événements sont d’ailleurs tels qu’il faut ou bien tout dire, sans aucune réticence, ou bien ne pas du tout causer, ajoutai-je, lorsque M. de Reichenau m’exprima son grand plaisir de s’entretenir avec moi. « Que fait-on en ce moment à Berlin ? On est en train de déchaîner les plus terribles événements qui se soient jamais passés en Europe... — Mais nous ne voulons aucunement la guerre, je vous assure ; protesta M. de Reichenau. — Voyons, très franchement, mon cher collègue, est-ce que vraiment vous pouvez croire que c’est nous qui voudrions la guerre ? — Non, je ne le crois pas ; mais il n’est pas question de guerre ou de paix. Nous sommes fermement décidés à châtier cette fois les Serbes — die Friedensstoerer, — comme ils le méritent. Vous voulez l’empêcher. Eh bien ! nous ne pouvons pas admettre que vous assumiez ce rôle de protecteurs obligés des Serbes ou de quelque autre peuple balkanique ; cela donne à ces petits Etats une arrogance et une audace qui sont incompatibles avec la dignité et les intérêts vitaux de l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne elle-même. Voilà avec quoi nous voulons en finir, voilà contre qui nous armons. — Mais comment voulez-vous que nous abandonnions complètement notre rôle de protecteurs des nationalités slaves et orthodoxes en proche Orient ? C’est de l’histoire. On ne remonte pas le courant de l’histoire ! Je comprendrais encore que vous nous disiez : arrangez-vous avec l’Autriche pour maintenir dans les Balkans l’ordre et la sécurité politique. Mais entreprendre une action armée en Serbie et dire que cela ne nous regarde pas, cela notre opinion publique ne pourrait jamais ni le comprendre, ni le pardonner au gouvernement, si le gouvernement impérial s’y prêtait !... Songez donc, dans le courant des cinq dernières années, c’est pour ainsi dire le troisième ultimatum que vous nous adressez virtuellement au sujet des affaires balkaniques. En mars 1909, vous nous aviez sommés de nous incliner devant le fait de l’annexion de la Bosnie ; nous nous sommes inclinés. En 1912, vous avez exigé que nous amenions les Serbes à se retirer du littoral nord-albanais et les Monténégrins à abandonner Scutari : nous nous y sommes honnêtement employés, malgré les protestations et les cris de la majeure partie de notre presse. Maintenant vous voulez que nous assistions impassibles et indifférents à l’exécution de la Serbie, sans même savoir jusqu’où ira cette exécution ! Croyez-vous possible pour notre ministère des Affaires Étrangères, pour Sa Majesté l’Empereur lui-même de consentir à cette troisième capitulation ?... — Oui, je comprends que ce serait dur pour vous ; mais pour nous ce serait impossible de reconnaître votre droit à protéger contre nous la Serbie. C’est impossible, impossible !... — Ecoutez, Reichenau, dis-je, pris d’une émotion profonde et sincère ; pensez, pensez bien à ce que vous faites. Vous déchaînez une guerre terrible, une lutte comme il n’y en a peut-être pas eu de pareille dans l’histoire. Je serai franc avec vous jusqu’au bout : je crains cette guerre, je la crains affreusement pour mon pays. Si nous sommes vaincus, la Russie sombre. Mais supputez bien quel en serait le résultat pour vous ? Soyez bien sûrs que dans le pays qui aura le dessous, c’est la révolution qui éclatera et une révolution terrible ; mais nous sommes beaucoup trop proches voisins ; nos intérêts, notre vie économique, notre histoire même sont trop enchevêtrés, pour qu’une pareille révolution puisse se limiter à un seul des pays sans atteindre l’autre. Si l’empereur Guillaume déclare la guerre à la Russie, qu’il sache bien ce qui en résultera : il portera un coup décisif au principe monarchique en Russie, en Allemagne, en Europe. C’est au nom des anciennes traditions, au nom du principe monarchique que je viens chez vous vous crier casse-cou ! Demain peut-être nous ne pourrons plus nous voir ; mais vous vous rappellerez un jour ma dernière visite et mes dernières paroles !... »

J’avais parlé probablement avec beaucoup de chaleur et de persuasion, car je vis à un certain moment les yeux de M. Reichenau se mouiller de larmes... « Espérons, cher collègue, dit-il en concluant, que nous aurons encore mainte occasion de nous voir et que les malheurs que vous présagez n’arriveront pas. — Espérons-le, » dis-je, et sur ce je pris congé de mon collègue d’Allemagne que je n’eus plus l’occasion, ni la possibilité de rencontrer.

Si M. de Reichenau vient à avoir sous les yeux ces lignes, je suis sûr qu’il se souviendra de notre dernière conversation et qu’il reconnaîtra la parfaite exactitude de mon récit.

Les événements fatidiques qui se déroulèrent depuis ont dépassé, — en les rendant oiseuses, — mes pires prévisions. Ce n’étaient pas seulement la dynastie des Hohenzollern et celle des Romanoff qui furent jugées et condamnées à l’heure où éclata la guerre, — c’est le principe monarchique même qui fut atteint, — et peut-être irrémédiablement. Le pouvoir monarchique c’est la prépondérance de la volonté et de la raison d’un homme sur celles de tout un peuple ; pour que cette prépondérance soit justifiée il faudrait que cette volonté et cette raison fussent l’expression d’une idée haute et salutaire et qui ferait défaut à la majorité du pays. Dans les temps modernes, lorsque la diffusion de l’instruction et l’influence de la presse eurent remplacé la rivalité des Gouvernements et des Etats par la rivalité consciente des peuples, — les Souverains devaient interposer leur autorité contre la propagande néfaste des haines et des compétitions internationales. Partout ailleurs ils pouvaient et devaient être les premiers serviteurs de leur peuple ; dans les questions de paix et de guerre, ils devaient résolument se faire les champions d’une solidarité mutuelle qui eût préservé le monde des pires fléaux. Les uns, comme Guillaume II, ont fait tout juste le contraire ; d’autres ne l’ont pas assez compris ; de là la déchéance du principe monarchique à travers le monde entier... Mais je me reprends à juger les Souverains, malgré les pressantes recommandations de Sa Majesté le Roi de Suède !


Le mercredi 29 juillet, les nouvelles furent de nouveau plus mauvaises et une agitation extrême s’empara de la Suède. Toute espèce de bruits commencèrent à courir en ville et dans le corps diplomatique ; on assurait que la Suède était liée par une convention militaire secrète avec l’Allemagne et qu’en cas de guerre, les Suédois marcheraient résolument avec elle. M. Wallenberg, que je vis le mercredi, m’avoua que la situation rendait le Gouvernement Royal très soucieux ; il me dit ensuite, en soulignant ses paroles, que la Suède était plus que qui que ce soit intéressée au maintien de la paix européenne et qu’une collision entre ses deux puissants voisins la mettrait dans une situation dangereuse. « D’ailleurs, ajouta-t-il, le Roi n’a pas perdu tout espoir que les choses puissent encore s’arranger... »

Vendredi matin, arriva de Saint-Pétersbourg le nouvel attaché militaire de notre légation, le lieutenant-colonel Kandaourow, dont on m’avait signalé, peu de jours auparavant, la nomination. La première question que je lui adressai fut : où en étaient les choses au moment où il avait quitté Pétersbourg ? « Tout ce que je puis vous dire est ceci, me répondit le colonel : j’occupais, comme vous le savez, les fonctions d’adjoint du quartier-maître général de notre Grand Etat-Major ; comme le travail était immense, je n’ai quitté mon bureau que deux heures avant le départ du train pour Abo, c’est-à-dire, hier jeudi et toute la nuit, je fus occupé à expédier des ordres péremptoires à nos chefs de troupes en Pologne et sur la frontière de Prusse, d’éviter soigneusement en cas de mobilisation, tout ce qui eût pu paraître aux autorités allemandes une menace d’action militaire contre l’Allemagne. Tous les postes de frontière devaient être reculés à dix et à quinze kilomètres, aucune colonne de marche ne devait être formée ; les garde-frontières même devaient être retirés afin qu’il ne put y avoir aucune collision au cas où les troupes allemandes s’approcheraient de notre frontière et même la dépasseraient... Ces ordres émanaient de Sa Majesté elle-même ; ils arrivèrent au Grand Etat-Major très tard dans la soirée de mercredi, et, hier jeudi, à six heures du matin tous les télégrammes qui en découlaient étaient expédiés. Vous pouvez juger par là, Monsieur le Ministre, qu’on n’a aucunement perdu chez nous l’espoir de s’arranger avec Berlin... » Cette nouvelle me redonna de l’espoir ; mais ce ne fut pas pour longtemps : le lendemain matin parut la nouvelle de l’ultimatum allemand adressé à la Russie, et je compris dès lors que tout espoir était évanoui.

A Stockholm, dès vendredi soir, régna une vraie panique : toutes les banques furent fermées, par ordre du Gouvernement, pendant qu’aux portes d’énormes queues se formaient de gens qui voulaient reprendre leurs dépôts et leur argent. L’escadre des « destroyers » du prince Eitel Friedrich était repartie l’avant-veille pour une destination inconnue. On m’avisa que mon collègue d’Allemagne avait dit dans une réunion, qu’il était sûr que la Suède marcherait avec l’Allemagne.

Samedi matin je reconduisis au bateau en partance pour Abo les membres de la délégation russe à la Conférence du Spitzberg qui venait de se terminer à Christiania, MM. Bentkowski et Mandelstamm. Avec eux partait mon fils aîné, attaché à la chancellerie du Ministère des Affaires étrangères, qui venait d’arriver en congé et qui était rappelé d’urgence à cause de l’énorme masse de travail à la chancellerie. Je chargeai ces messieurs, mais principalement M. Mandelstamm, qui connaissait si bien le terrain de Constantinople, de transmettre de ma part à M. Sazouoff ce qui suit. Dans le cas où la guerre éclaterait et si l’attitude de la Turquie devenait menaçante, je me permettais de conseiller instamment une descente russe sur le littoral de la Bulgarie méridionale : cette descente devait être effectuée par des forces considérables, un grand corps d’armée au minimum ; en même temps qu’on forcerait ainsi les portes de la Bulgarie, on devrait adresser une proclamation au peuple et à l’armée bulgares, leur disant que les Russes arrivaient pour leur rendre Andrinople, Lesengrad et la Thrace, que les Turcs leur avaient enlevés contre tout droit et en profitant des malheurs de la Bulgarie : je me portais garant qu’en cas de réussite de la descente, l’armée bulgare se mettrait de notre côté et que le roi Ferdinand serait obligé de se soumettre à ce mouvement.

Je savais parfaitement qu’au Ministère on ne ferait pas la moindre attention à ces conseils ; qu’on y verrait une ingérence présomptueuse de ma part dans des affaires qui n’étaient plus de mon ressort. Mais je croyais de mon devoir de ne pas garder pour moi, dans un moment si grave, une idée qui pouvait être salutaire pour notre cause. Je réitérai quelques jours plus tard les mêmes conseils dans une lettre au baron Schilling, — la seule personne dans l’entourage de Sazonoff dont j’appréciais entièrement le caractère, l’intelligence et le patriotisme.

Les événements ultérieurs de la terrible guerre ont prouvé que je n’avais pas eu tort. La Bulgarie y a joué le rôle décisif du poids secondaire qui fait définitivement chavirer la balance ; sa situation géographique la prédestinait à ce rôle. C’est en octobre 1915 que se dessina, par l’entrée en lice de la Bulgarie, — une supériorité décisive de l’Allemagne sur ses adversaires. En septembre 1916, l’entrée en guerre de la Roumanie fut paralysée et réduite à néant parce qu’on ne comprit pas chez nous que le premier avantage à retirer de l’alliance roumaine eût été d’attaquer les Bulgares avec des forces russes considérables et de les battre, après quoi toute l’armée bulgare eût passé de notre côté au cri que la Sainte Russie était invincible, que des traîtres seuls avaient amené le peuple bulgare à prendre part à une guerre sacrilège et que ces traîtres méritaient la mort. Enfin, lorsque en 1918 les troupes bulgares, fatiguées par l’interminable lutte, furent dûment battues et culbutées, — la défection de la Bulgarie qui s’en suivit déclencha la défection de l’Autriche et celle de la Turquie et hâta, en fin de compte, la capitulation de l’Allemagne. Si l’entrée en guerre de la Bulgarie à côté de l’Allemagne eût pu être empêchée, — et on avait eu pour cela l’espace de temps compris entre août 1914 et octobre 1915, — la guerre n’eût pas duré si longtemps, c’est-à-dire, qu’elle n’eût pas pris le caractère d’une calamité mondiale sans exemple et n’eût surtout pas amené l’affreux effondrement de la Russie.

Je me suis laissé dire, que les fautes diplomatiques commises dès le commencement de la guerre à l’égard de la Turquie et de la Bulgarie, étaient dues entre autres causes à la fausse orientation de la diplomatie anglaise qui ne voulait pas voir le danger et croyait pouvoir user d’atermoiements et de douceur là où il fallait au contraire faire montre de force et de décision. Pour ce qui est du terrain de Constantinople, je n’ai aucune donnée qui me permette de croire ou ne pas croire ces assertions ; pour ce qui est de celui de la Bulgarie, je serais personnellement porté à douter que le Gouvernement Anglais fût bien et dûment renseigné à cette époque sur la situation politique de la Bulgarie et sur les vraies dispositions du roi Ferdinand et de son peuple.

Le dimanche 2 août, on me réveilla à sept heures du matin pour m’apporter les télégrammes reçus dans la nuit. Le premier que j’ouvris était un télégramme en clair par lequel M. Sazonoff m’annonçait que la veille à sept heures du soir, l’Ambassadeur de Guillaume £» lui avait remis la déclaration de guerre de l’Allemagne.

En lisant cette terrible nouvelle, je fus pris d’une angoisse indescriptible ; c’était comme si un tourbillon de visions sinistres m’eût enveloppé ; j’eus en ce moment le pressentiment tout à fait clair des malheurs qui devaient frapper ma patrie, mes proches... J’entrai précipitamment dans la chambre de ma femme. « La guerre est déclarée ! » m’écriai-je en éclatant en sanglots...

Ma femme trouva immédiatement les paroles nécessaires pour me rendre mon sang-froid : « Stockholm est en ce moment l’un des postes diplomatiques les plus importants pour la Russie. Si le Ministre qui occupe ce poste, se laisse aller à ses nerfs, les pires choses pourraient arriver. Il faut absolument et, dès le premier moment, se ressaisir et faire son devoir ! » Je refoulai mes sanglots et sortis de la chambre. « Le vin est tiré ; il s’agit de le boire ; jusqu’à la lie s’il le faut. » Cette formule me rendit mon courage et ma faculté d’action.

Ayant achevé ma toilette, j’allai à la chancellerie de la Légation, où toute une troupe de nationaux, — les premiers échappés de l’Allemagne, — m’attendait. « Messieurs, leur dis-je, je viens de recevoir la nouvelle officielle qu’hier soir la déclaration de guerre a été remise à notre Ministre des Affaires étrangères par l’Ambassadeur d’Allemagne. Messieurs, vive la Russie ! vive Sa Majesté l’Empereur ! »

Un murmure indistinct accueillit ce petit speech. Un monsieur à barbe rousse et au nez crochu prit alors la parole et me dit, avec un accent russe très accusé : « Oui, c’est très bien. Monsieur le Ministre, vive la Russie et l’Empereur ; mais avant tout il faut s’occuper de notre malheureuse situation ; nous venons d’arriver de l’Allemagne ; comment, par quelle voie pourrons-nous rentrer dans notre patrie ? etc. » « Toujours les mêmes, ces compatriotes ! » me dis-je avec un sentiment amer de la réalité des choses ; et ce sentiment acheva de me rendre tout mon sang-froid. Il fallait parer aux choses les plus urgentes et laisser le reste à la volonté de Dieu...


III

La première question, — la question angoissante entre toutes pour moi, — était celle du parti qu’allait prendre la Suède. Resterait-elle neutre ? Se rangerait-elle décidément du côté de l’Allemagne, comme l’annonçait à qui voulait l’entendre M. de Reichenau ?

Je savais bien quels étaient les éléments qui, dans le pays, préconisaient l’alliance active et immédiate avec Berlin. C’étaient, en premier lieu, la majorité des généraux et des officiers de l’armée suédoise, sortis principalement des rangs de la noblesse, convaincus de la supériorité écrasante des forces allemandes et de leur infaillible victoire, animés des vieilles rancunes contre la Russie et de l’espoir de nous enlever, pour le moins, la Finlande. C’étaient ensuite une grande partie de l’aristocratie, la grande masse du clergé luthérien (il n’en existe pas d’autre en Suède) et la majorité des universitaires.

Les partisans de la neutralité étaient : les libéraux, qui venaient de quitter le pouvoir et en étaient sortis passablement défaits, mais qui avaient quand même une forte assiette dans le pays, et les socialistes, conduits par M. Branting et par le baron de Palmstierna. De sources autorisées, je savais que, dans les couches profondes du peuple suédois, on était réfractaire à l’idée même de la guerre ; mais je savais aussi que, si la guerre éclatait quand même, les soldats se battraient admirablement et que la population entière se montrerait prête à tous les sacrifices pour le salut de la patrie.

Je vis le lendemain même M. Wallenberg, qui me dit, dans des termes sérieusement pesés, que le gouvernement espérait sauvegarder le principe de la neutralité suédoise.

Le jour même de l’arrivée de notre nouvel attaché militaire, c’est-à-dire le jeudi 30, j’avais fait les démarches nécessaires pour obtenir l’autorisation de le présenter à Sa Majesté le Roi. J’attendais avec une impatience, — croissante à mesure que se dessinaient les événements, — une réponse à ce sujet. Si le Roi nous recevait, ce serait un bon signe ; s’il déclinait l’audience, on serait autorisé à en tirer les plus mauvais augures. Enfin, le lundi, vers le soir, je fus informé que nous serions reçus tous deux le lendemain mardi, à onze heures.

On nous introduisit, à l’heure indiquée, dans un salon attenant au cabinet de travail du Roi ; la réception fut glaciale : c’est à peine si le Roi adressa quelques paroles au colonel Kandaourow. L’incident Assanovitch était de trop fraîche date !

Mais, après ce court entretien, Sa Majesté me pria de passer seul avec elle dans la pièce voisine. Et là, — tout comme le jour de mon audience solennelle, — le Roi changea complètement de ton. M’invitant à prendre place et ne cachant pas la profonde émotion que lui causaient les événements qu’il taxa de « terribles, » il me dit, en appuyant bien sur chacune de ses paroles : « J’ai tenu à vous voir, Monsieur le Ministre, pour vous dire que la Suède n’était liée avec personne. » Le Roi me répéta ensuite ce que m’avait communiqué la veille son ministre des Affaires étrangères, c’est-à-dire, que le Gouvernement suédois désirait garder une neutralité absolue ; « pourvu, ajouta Sa Majesté, que les pays belligérants nous rendent possible cette résolution ? » Je m’empressai de répondre que pour ce qui était de la Russie et de son alliée (la Grande-Bretagne ne s’était pas encore déclarée), la Suède pouvait être sûre de notre parfaite correction à son égard et de notre désir de lui faciliter sa neutralité. Là-dessus je fus très aimablement congédié. L’entretien n’avait duré que quelques minutes, mais je sortis du cabinet de travail du Roi avec un énorme souci de moins.

Le surlendemain, l’Angleterre s’était rangée du côté des Alliés et, à partir de ce jour, nous étions, M. Howard, M. Thiébaut et moi, à même de travailler de concert et de nous communiquer tout ce qui nous parvenait. Sur l’initiative des ministres de France et de Grande-Bretagne, leurs deux gouvernements firent au gouvernement suédois, dès les premiers jours de la guerre, la déclaration que les deux puissances garantissaient à la Suède son intégrité et sa parfaite souveraineté, à condition qu’elle gardât une stricte neutralité. Lorsque MM. Thiébaut et Howard apportèrent cette déclaration à M. Wallenberg, ce dernier les en remercia chaleureusement et ajouta : « Ah ! si le ministre de Russie m’apportait une déclaration identique ! Comme cela faciliterait ma tâche dans les conseils du Roi ! » Je n’avais pas attendu cette invite pour faire à Saint-Pétersbourg la même démarche qu’avaient faite à Paris et à Londres mes collègues, et j’attendais avec une certaine anxiété la réponse ; cette réponse tardait pendant que l’agitation activiste se faisait de nouveau sentir plus âpre à Stockholm et que toute espèce de bruits alarmants commençaient à y circuler. Enfin, je reçus de M. Sazonow la réponse tant désirée ; « Vous êtes autorisé à faire une déclaration identique à celle des gouvernements alliés. » Cependant, le lendemain matin, un autre télégramme, émanant des bureaux du ministère, me priait de surseoir un peu à la déclaration. Le même jour, mes deux collègues vinrent m’avertir que le retard de la déclaration russe agitait énormément le gouvernement suédois et fournissait des arguments aux partisans de l’alliance allemande. « J’en étais sûr. Messieurs, et j’ai déjà envoyé un télégramme pressant à Pétersbourg pour indiquer la nécessité absolue et l’urgence de notre déclaration. »

Je sentais bien que le moment était décisif et que tout ajournement pouvait avoir des conséquences fâcheuses. Par bonheur, la nuit même, un troisième télégramme arrivait du ministère et m’autorisait à faire la déclaration. Craignant un nouveau contre-ordre, je m’empressai, de grand matin, de solliciter une entrevue avec M. Wallenberg et lui remis la note si impatiemment attendue par lui. Le ministre des Affaires étrangères suédois ne me cacha pas sa grande satisfaction. « Ce que vous m’apportez là assurera, je l’espère, définitivement la neutralité de la Suède, car la déclaration russe rassurera beaucoup de monde chez nous au sujet de vos prétendues intentions. » Presque immédiatement après, parut effectivement la déclaration de la neutralité absolue de la Suède, et ceci contribua à calmer considérablement l’opinion publique.

Dès lors, il y eut en Suède deux courants absolument distincts. La majorité du pays, — en premier lieu les libéraux conduits par Mrs Staah, Ehrensvard et Edèr [8], — se rangea à l’opinion que la Suède devait, à tout prix, sauvegarder sa neutralité ; l’autre courant, celui des activistes, prônait au contraire, à chaque circonstance favorable, l’idée d’une alliance avec l’Allemagne ou, pour le moins, l’opportunité de parler à la Russie et à ses alliés un langage ferme et même menaçant, chaque fois que ces puissances seraient tentées de restreindre et de léser, en quoi que ce fût, les intérêts de la Suède.

Grâce au sincère amour de la paix du roi Gustave V, grâce à l’intelligente et ferme politique de M. Wallenberg, grâce surtout à la parfaite droiture dont firent preuve, en toutes circonstances, le souverain et son ministre, le premier courant, celui de la neutralité, prévalut définitivement. Ce n’est qu’aujourd’hui, après que la longue et terrible lutte a pris fin, que l’on peut apprécier à sa juste valeur la sage et loyale conduite de ces deux hommes de bien, auxquels il est équitable d’ajouter encore un troisième nom, celui du leader des socialistes suédois, M. Branting. Pendant tout le cours des événements, ce dernier se conduisit en patriote suédois plutôt qu’en chef d’un parti extrême et par cette attitude même fit bien plus et pour la cause de la paix, et pour sa propre autorité, et pour celle du socialisme suédois, que s’il avait voulu, profitant des circonstanciés, extorquer au gouvernement des concessions et des capitulations.

Quand je dis que ce n’est que maintenant que l’on peut apprécier les services rendus par les chefs du parti de la neutralité, j’ai en vue que ce n’était pas du tout l’assurance de la victoire finale de l’Entente qui les avait inspirés. Bien au contraire, tout le monde en Suède, — sans exception, — croyait de bonne foi que l’Allemagne était invincible. Lorsqu’à la fin des huit premiers mois de lutte, vers mars 1915 environ, on commença à supputer dans les pays de l’Entente l’épuisement de l’Allemagne et de ses alliés en soldats, en munitions et surtout en vivres, les Suédois les plus amis de l’Entente (je dirais plutôt de la France et de l’Angleterre, car les préventions contre la Russie persistaient), contestaient notre optimisme et ne cessaient de dire que l’Allemagne n’était aucunement à bout de ressources, qu’elle saurait toujours s’arranger pour se ravitailler tant bien que mal, que d’énormes contingents nouveaux seraient appelés sous les armes, que l’industrie de guerre allemande enfin n’avait pas encore donné tout ce qu’elle pouvait donner et ménageait aux adversaires maintes surprises.

Tout cela était parfaitement vrai, et la néfaste année 1915 où faillit sombrer, malgré l’entrée en guerre de l’Italie, la fortune des armes de l’Entente, prouva qu’on était bien mieux informé en Suède que chez nous des ressources allemandes.

Ainsi donc, ce n’est pas un calcul utilitaire qui dirigea la politique des gardiens de la neutralité suédoise, mais bien plutôt le sincère amour de la paix et le sentiment de la responsabilité envers le peuple et le pays. Nous serions coupables de ne pas rendre cette justice à ceux de leurs hommes politiques et de leurs gouvernants qui surent si bien tenir tête aux partis-pris et aux entraînements de la fraction remuante du pays.


A. NEKLUDOFF.

  1. Copyright by A. Nekludoff, 1920.
  2. Voyez la Revue du 15 octobre 1919.
  3. L’attaché militaire de Russie dont les Suédois avaient exigé le rappel par suite d’un procès en espionnage intenté à deux Scandinaves demeurant en Suède.
  4. Port suédois, situé vis-à-vis de Copenhague.
  5. « Bons seigneurs et prud’hommes suédois. »
  6. M. Goremykine et M. Casso, heureusement pour leur mémoire, ne se sont jamais compromis dans ces dégradantes complaisances.
  7. « La Russie ne boude pas, la Russie se recueille, » — célèbre mot du prince Gortchakof.
  8. M. Edèr remplaça dans la direction du parti M. Staah qui mourut inopinément dès le commencement de la guerre.