Souvenirs diplomatiques - La France et l’Italie/02

Souvenirs diplomatiques - La France et l’Italie
Revue des Deux Mondes3e période, tome 66 (p. 503-543).
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SOUVENIRS DIPLOMATIQUES

LA FRANCE ET L’ITALIE

II.[1]
L’ITALIE PENDANT LA GUERRE.


VIII

A Florence, on n’était pas moins perplexe. Le gouvernement impérial, en effet, ne s’expliquait pas. A la date du 13 juillet, il n’avait fait encore au gouvernement italien aucune ouverture sérieuse au sujet de d’incident espagnol. M. de Gramont n’était pas pressé ; il ne se souciait pas de se lier les mains prématurément. Certain de la victoire, il persistait à croire qu’après les premières défaites de la Prusse, les alliances s’offriraient à lui d’elles-mêmes, qu’il n’aurait que l’embarras du choix, et qu’il resterait maître des conditions de la paix. Il connaissait l’ambition de l’Italie : il estimait que Rome, pour son alliance, était un prix trop élevé.

Le 15 juillet, les réserves étaient appelées sous les drapeaux ; les ministres cédaient aux excitations de la presse, aux passions de la chambre, sans avoir conscience de l’effroyable responsabilité qu’ils assumaient. Ils engageaient la lutte sans alliés, sans se préoccuper des sentimens et des intérêts de l’Europe, sans avoir pressenti les puissances sur leur attitude éventuelle. Ils allaient être forcés de négocier sous le coup des événemens, dans les conditions les plus ingrates, devancés par la diplomatie prussienne, qui déjà partout avait donné des gages, obtenu des promesses. M. de Bismarck n’avait pas attendu la déclaration de guerre pour agir. Dès le 17 juillet, il avait imposé la neutralité à la cour de Copenhague en la terrifiant ; il avait indigné, irrité l’Angleterre et scandalisé l’Europe en révélant, par des documens malheureusement irrécusables, nos convoitises sur la Belgique ; il avait mis la Russie dans son jeu : elle était appelée à paralyser l’Autriche. Ses agens secrets s’étaient mis à l’œuvre de tous côtés ; ils excitaient les Hongrois ; ils provoquaient des manifestations antifrançaises en Italie ; ils s’abouchaient à Paris avec les meneurs des faubourgs et préparaient la révolution. Les principaux organes de la publicité européenne étaient à sa dévotion ; ils avaient pour tâche de nous discréditer, de s’attaquer aux hommes et aux gouvernemens qui nous manifesteraient des sympathies.

Qu’espérer dans de pareilles conditions ? Comment compter sur l’Autriche, tenue en échec par la Russie, et sur l’Italie, qui ne pouvait que compromettre ses destinées dans une guerre aussi follement provoquée ?

C’est à l’heure où les armées s’ébranlaient déjà que M. de Gramont demandait, d’un ton dégagé, au cabinet de Florence et au cabinet de Vienne, de reprendre les négociations qui devaient réaliser la triple alliance. Le moment était mal choisi pour invoquer un traité que nous avions refusé de signer, et les vagues promesses d’assistance mutuelle échangées entre les trois souverains. Ni l’Italie ni l’Autriche ne se tenaient pour liées ; elles ne désertaient pas notre cause, leurs sympathies nous restaient acquises ; mais elles n’admettaient pas qu’elles eussent aliéné leur liberté d’action. M. de Beust invoquait ses difficultés intérieures pour ajourner ses résolutions ; il attendait, pour prendre couleur, le résultat des premières rencontres. Son intérêt lui commandait de ne pas se compromettre avec le vainqueur éventuel et de ne pas s’exposer à être exclu des négociations le jour où se régleraient les conditions de la paix. « Il ne faut pas, écrivait-il au prince de Metternich, qu’un accès de mauvaise humeur nous ménage une de ces évolutions subites auxquelles la France nous a habitués. C’est un dangereux écueil qu’il s’agit d’éviter ; faites donc sonner bien haut la valeur de nos engagemens, notre fidélité à les respecter, afin que l’empereur Napoléon ne s’entende pas tout à coup avec la Prusse à nos dépens. »

Tandis que l’Autriche s’appliquait à nous rassurer, à calmer nos impatiences, elle jetait ses regards vers l’Italie, elle consacrait toute son habileté à s’unir avec elle dans une étroite neutralité. Divisées naguère, aujourd’hui réconciliées, elles avaient intérêt à se concerter et à combiner leur action diplomatique. Dans les deux pays il se manifestait un double courant ; les uns se prononçaient pour la France, le plus grand nombre réclamait la neutralité.

La presse et les agens aux gages de la Prusse, dans la péninsule, n’avaient pas attendu que la guerre fût officiellement déclarée pour se mettre à l’œuvre. Ils s’attaquaient à notre esprit de conquête ; ils nous rendaient responsables des ruines qui allaient s’amonceler ; ils prêchaient l’abstention, organisant des manifestations populaires pour impressionner le gouvernement, le paralyser dans ses pourparlers avec la cour des Tuileries, et lui imposer la neutralité.

Le 17 juillet, des démonstrations éclataient dans tous les grands centres de l’Italie. Des placards affichés dans les rues de Florence faisaient appel au peuple ; on l’invitait à exprimer hautement et par tous les moyens l’intention de ne pas participer à la guerre provoquée par la France. Des rassemblemens se formèrent sur la place du Dôme ; des orateurs de carrefour haranguèrent la foule, qui se mit en mouvement, précédée d’un drapeau italien. Après avoir stationné et vociféré devant le ministère des affaires étrangères, les manifestans se portèrent aux Cascines, devant la légation de France. Ils criaient : « Vive la Prusse ! vive la neutralité ! vive Rome ! à bas Mentana ! » Sur d’autres points, on criait : « A bas la France ! » Il fallut l’intervention des bersaglieri pour couper court à ces scènes scandaleuses, pour disperser les perturbateurs et protéger le palais qui abritait le drapeau français. Le gouvernement nous exprima ses regrets, il nous fit des excuses ; nos amis furent consternés ; ils pressentaient que les liens qui unissaient depuis de si longues années les deux pays allaient se rompre.

Le roi, qui était reparti joyeusement pour ses chasses de Valtieri, après avoir reçu, le 11 juillet, une dépêche de l’empereur annonçant que la guerre était heureusement conjurée, revint précipitamment à Florence dès qu’il apprit que le corps législatif avait voté le rappel immédiat des réserves.

Quelle serait la politique de l’Italie ? Ajournerait-elle ou précipiterait-elle ses préparatifs militaires ? Se prononcerait-elle immédiatement pour la France, ou bien réglerait-elle sa politique sur la marche des événemens ? Ces graves questions se posèrent d’elles-mêmes dans le conseil que présida le roi le 16 juillet. Tout le monde fut d’accord sur l’urgence des armemens ; le difficile était d’arrêter un programme politique. Ce n’était pas tout d’armer ; il importait de savoir dans quelle pensée et dans quel dessein. « Les partisans de la paix, écrivait M. de Malaret, réclament des préparatifs militaires pour permettre à l’Italie de faire respecter sa neutralité ; les partisans de la Prusse les demandent pour mettre l’Italie en état d’imposer la paix à la France si elle devait abuser de la victoire ; nos amis estiment, au contraire, que seuls nous serons appelés à profiter des armemens. » La raison d’état et les sentimens chevaleresques se combattaient dans les conseils de la couronne. Le roi et les généraux demandaient à faire campagne avec la France. M Nous ne sommes pas prêts, peut-être serons-nous battus, s’écriait le général de La Marmora ; mais l’alliance de la France et de l’Italie sortira indissoluble de leurs communes défaites[2]. » Les ministres étaient hésitans, partagés. M. Visconti-Venosta, le ministre des affaires étrangères, se prononçait pour l’alliance ; le ministre des finances était pour la neutralité. M. Sella, qui était l’âme du cabinet, trouvait peu sage de se prononcer ab irato ; il n’admettait pas que l’Italie, par simple reconnaissance, dût se jeter dans la guerre sans discuter les chances auxquelles elle s’exposait, sans stipuler des compensations comme prix de ses sacrifices. Rien ne pressait d’ailleurs ; l’Italie était libre de tout engagement contractuel, et le gouvernement français, en provoquant des complications sans la pressentir, avait indiqué suffisamment qu’il n’attachait que peu de valeur à son assistance.

Il est un point qui ne faisait de doute dans l’esprit d’aucun des ministres, c’est qu’il fallait profiter des événemens pour affranchir Rome de l’occupation française. Ils espéraient mieux encore, mais pour le moment ils se bornaient à réclamer officiellement le retour à la convention du 15 septembre, ce qui impliquait le retrait de notre corps expéditionnaire. Ils s’en remettaient pour le reste à l’étoile de l’Italie : vlla Stella dell’ Italia ; surtout à leur savoir-faire. Ils sentaient qu’ils avaient le vent en poupe et que tout conspirait pour eux. La question romaine, grâce aux jésuites, était arrivée à maturité. Pie IX s’était aliéné par le Syllabus les catholiques éclairés, il avait rompu au concile avec les gouvernemens. Le pouvoir temporel n’avait plus de sérieux, d’ardens défenseurs qu’en France. Sa chute était fatale.

Par une dérision du destin, on proclamait à Rome l’infaillibilité personnelle, absolue du pape, le 20 juillet, le jour même de la déclaration de guerre. Un homme s’était fait dieu au milieu du formidable bruit d’armes qui venait soudainement de retentira traders l’Europe. Il devenait l’arbitre souverain des peuples et des rois, il enchaînait les consciences, son autorité n’avait plus de bornés. Il est permis de croire que les remontrances de la presse, les protestations de la diplomatie, l’opposition de trois cents évêques les plus éclairés de l’épiscopat, ne seraient pas restées sans effet si le concile avait eu à se prononcer quelques jours plus tard. À quoi tiennent les dogmes de l’église et les destinées des états !


IX

L’empereur ne partageait pas l’imperturbable quiétude de son ministre des affaires étrangères. Il avait une haute idée de l’armée prussienne, de ses chefs et de son patriotisme. Il prévoyait que la guerre serait longue, meurtrière, il lui en coûtait de l’entreprendre sans alliés. « N’exposez jamais la France à un conflit, sous aucun prétexte, sans de solides alliances, » lui avait dit souvent le maréchal Niel ; et les alliances dont il se croyait sûr devenaient chaque jour plus incertaines. Les événemens marchaient plus vite que les négociations. M. Nigra et le prince de Metternich, si affirmatifs jadis, tenaient un langage hésitant, dilatoire.

L’empereur, s’appuyant sur les pourparlers poursuivis entre Paris, Vienne et Florence et sur les lettres qu’il avait échangées avec François-Joseph et Victor-Emmanuel, proposa un traité d’alliance offensive et défensive en trois articles, fondé sur le projet que le marquis de Lavalette avait trouvé insuffisant au mois de juin 1869. Le prince de Metternich en référa à son gouvernement, et le comte Vimercati partit pour Florence, muni d’instructions verbales et d’une lettre autographe pour son souverain. L’empereur offrait à l’Italie, en échange de son concours, le retour pur et simple à la convention du 15 septembre, c’est-à-dire le retrait de notre corps expéditionnaire. Il confiait le pape à la garde de l’Italie. Il lui était difficile de concéder davantage ; il ne pouvait pas froisser les catholiques dans leur foi religieuse à l’heure où il faisait appel à leur patriotisme. Mais il était bien évident que la France ne reviendrait pas une troisième fois dans les états pontificaux et que le départ de nos troupes assurait à l’Italie, dès à présent, la possession morale de Rome.

L’empereur se flattait que cette concession, qui coûtait d’autant plus à son amour-propre qu’il la faisait sous la pression des événemens, permettrait au roi de vaincre les hésitations de ses conseillers. Il s’exagérait malheureusement son autorité. Victor-Emmanuel était un souverain constitutionnel, il ne pouvait rien sans ses ministres, qui eux-mêmes relevaient du parlement.

La situation de l’Italie à ce moment n’avait rien d’inquiétant. Libre de tout engagement contractuel, protégée par les Alpes, elle était recherchée par tout le monde. La France réclamait son alliance, l’Autriche sollicitait son union diplomatique, l’Angleterre et la Russie lui conseillaient l’abstention, tandis que la Prusse s’adressait à ses convoitises, a Joindre une grande prudence à une grande audace, » était une des maximes que Gioberti avait tracées à l’Italie dans le Renovamento, que Cavour appelait « la bible italienne. » Les conseillers du roi étaient bien décidés à mettre cette maxime en pratique ; mais, pour le moment, ils subordonnaient l’audace à la prudence. « Leur idéal, écrivait M. de Malaret, serait de prendre en 1870, de concert avec l’Autriche, le rôle que nous aurions pu jouer en 1866 si notre médiation s’était appuyée sur des forces suffisantes. » Ils savaient que Rome était notre corde sensible et que jamais l’empereur, de son consentement, ne leur livrerait le pape, « Plutôt les Prussiens à Paris que les Italiens à Rome ! » disaient les fanatiques dans les antichambres des Tuileries. Ne s’efforçaient-ils pas de donner à la guerre un caractère confessionnel ? Négocier, pour ne pas encourir les ressentimens de la France victorieuse, et éviter de se lier, pour ne pas s’exposer aux dangers de la défaite, telle paraissait être la stratégie du cabinet de Florence, alors que l’empereur, confiant dans de fugitives protestations, réclamait l’assistance militaire de son alliée de 1859.

Le gouvernement italien se gardait bien de repousser le traité que nous lui offrions de signer, de compte à demi, avec l’Autriche. Une triple alliance ne semblait pas lui répugner. Il demandait seulement du temps pour organiser ses armées, il ajournait à six semaines l’exécution de la convention ; ce délai lui paraissait suffisant pour attendre le résultat des premières batailles et connaître les arrêts de la fortune. Il réclamait aussi un article additionnel par lequel la France, fidèle aux principes des nationalités, s’engagerait à concilier les aspirations nationales italiennes avec les intérêts du saint-siège[3]. M. Visconti-Venosta affirmait qu’il serait impossible au gouvernement du roi d’entraîner le pays dans une grande guerre sans lui laisser entrevoir le couronnement de son unité. En apparence, les ministres italiens se montraient peu exigeais, mais ils étaient convaincus que le reste leur arriverait par surcroît. Dans leur pensée, l’audace devait, suivant le précepte de Gioberti, couronner la prudence.

L’Autriche encourageait l’Italie dans ses revendications ; elle n’avait pas attendu la proclamation de l’infaillibilité pour dénoncer le concordat qui, depuis 1855, l’assujettissait à l’église[4]. Elle faisait bon marché du pape ; il est vrai que son parlement était libéral et son premier ministre protestant. Elle trouvait que la convention du 15 septembre n’avait plus de raison d’être et que Rome appartenait aux Italiens. Elle était plus soucieuse de se rattacher le cabinet de Florence et de se retrancher avec lui derrière une étroite neutralité que de le pousser dans les bras de la France et de cimenter une triple alliance. A Paris, elle faisait dépendre son concours armé de l’Italie, et à Florence, elle démontrait au cabinet italien les avantages d’une neutralité combinée.

M. de Gramont n’ignorait pas ce double jeu. « J’ai lieu de croire, télégraphiait-il au baron de Malaret à la date du 23 juillet, que Beust et le prince Napoléon ont suggéré au gouvernement italien de profiter des circonstances pour déchirer la convention du 15 septembre comme ne répondant plus aux besoins du moment, et qu’il importe de laisser au cabinet de Vienne le soin de négocier à nouveau avec le cabinet de Florence, afin de remplacer la convention par un nouvel accord qui aurait pour base l’entrée des troupes italiennes à Rome après le départ de notre corps expéditionnaire. Nous ne pourrons jamais souscrire à cela. La convention de septembre est le seul terrain possible. Veuillez vous employer à déjouer cette intrigue. »

C’était le second malentendu qui depuis l’incident espagnol éclatait entre Vienne et Paris. Déjà M. de Beust, à l’occasion de la dépêche du 14 juillet, dans laquelle il protestait contre l’interprétation excessive donnée par M. de Gramont aux engagemens de l’Autriche, avait dû envoyer un de ses confidens, M. de Vitzthum, à l’empereur pour atténuer le fâcheux effet produit par ses réserves[5]. Cette fois, les reproches que notre ministre des affaires étrangères adressait à la duplicité autrichienne se croisaient avec une dépêche d’une importance capitale, que le chancelier de l’empire adressait à son ambassadeur à Paris. Le comte de Beust exposait avec une grande netteté les cruels embarras que lui causait une guerre aussi soudainement déclarée. Il protestait de sa fidélité ; il s’expliquait aussi sans détours sur la question romaine en préconisant une solution radicale et immédiate. « Le jour où les Français sortiront des états pontificaux, disait-il, il faudrait que les Italiens pussent entrer de plein droit et de l’assentiment de la France et de l’Autriche. Jamais flous n’aurons les Italiens avec nous de cœur et d’âme si nous ne leur retirons pas leur épine romaine. Et franchement, ne vaut-il pas mieux voir le saint-père sous la protection de l’armée italienne que de le voir en butte aux entreprises garibaldiennes ? La France, en nous laissant l’honneur de résoudre la question romaine, nous faciliterait beaucoup la tâche à Florence. Elle ferait plus : en faisant un acte d’un incontestable libéralisme, elle enlèverait une arme à son ennemie et elle opposerait une digue à ces ébullitions de teutonisme que la Prusse, protestante par excellence, a su faire naître en Allemagne et que nous craignons doublement à cause de la contagion.

C’était demander à la cour des Tuileries une évolution audacieuse qui répugnait à sa conscience et à son tempérament. M. de Beust ne l’ignorait pas, mais il lui importait de colorer son inaction et de préparer sa défection.

M. de Gramont ne fit pas attendre sa réponse à cette communication qui, sous les dehors d’une absolue franchise, cachait des arrière-pensées mal dissimulées. Elle était résolument négative. Il télégraphiait aussi à M. de Malaret : « Si c’est l’entrée des Italiens à Rome après le départ de nos troupes que l’on demande, c’est impossible. Nous en avons prévenu Vienne. Dites-le sans ambages. Nous demeurerons fidèles à la convention du 15 septembre ; nous avons déjà notifié au saint-siège le départ de nos troupes. »

A la date du 30 juillet, notre ministre des affaires étrangères parlait encore haut et ferme. Il opposait des refus catégoriques à tous ceux qui, de près ou de loin, officiellement ou secrètement, s’efforçaient de nous engager dans la voie des transactions sur la question du pouvoir temporel. Il donnait l’ordre au prince de la Tour-d’Auvergne, notre ambassadeur à Vienne, de dire au général Türr qu’il nous était impossible de faire la moindre concession au sujet de Borne. « Si l’Italie ne veut pas marcher, ajoutait-il, qu’elle reste[6] ! » Le duc de Gramont persistait dans ses illusions, il poussait la ténacité jusqu’à l’obstination. Il se flattait, dans son aveugle confiance, qu’en tenant la dragée haute à l’Autriche et à l’Italie il les entraînerait malgré elles, terrifiées par nos premières victoires. Il ne se doutait pas qu’à Vienne et à Florence on ne comptait guère sur notre supériorité militaire ; on n’avait, en réalité, tout en nous ménageant, qu’une seule pensée ; celle de se dégager insensiblement des engagemens plus ou moins formels qu’on avait pris. Ni le gouvernement italien, ni le gouvernement autrichien n’apportaient dans ces négociations, poursuivies in extremis, la cordialité et l’entrain qui doivent présider aux alliances commandées par la communauté des vues et l’identité des intérêts. Ils n’étaient ni résolus à l’action, ni en état d’agir, il faut bien le reconnaître. Leurs armées étaient loin d’être prêtes et, des deux côtés des Apennins, le sentiment public se prononçait avec une énergie croissante pour la neutralité. En Hongrie, le comte Andrassy tenait en échec la volonté flottante de M. de Beust, et, en Italie, le parlement harcelait le ministère par des interpellations sans cesse renaissantes.


X

On se préoccupait, à Florence, des allées et venues du comte Vimercati, on redoutait les entraînemens belliqueux du roi, on craignait qu’il n’eût signé, dans d’autres temps, un pacte secret avec l’empereur et qu’il ne voulût, fidèle à sa parole, jeter l’Italie dans la guerre. Le ministre des affaires étrangères se maintenait, à la chambre, dans des généralités ; il évitait de prononcer le mot qui dominait la situation politique et que l’opposition réclamait avec persistance. « L’Italie, disait-il, s’est associée aux puissances pour assurer le maintien de la paix, elle s’associera désormais aux gouvernemens qui s’efforceront de localiser la guerre ; elle se maintiendra dans une attitude d’observation attentive et vigilante. » Le ministre des finances, en annonçant le rappel sous les drapeaux des classes de 1844 et de 1845, déclarait, de son côté, « que le gouvernement voulait être assez fort pour réduire à l’impuissance ses ennemis à l’intérieur et pour choisir librement ses amis à l’étranger. »

Ces déclarations ne répondaient pas au sentiment prédominant dans l’assemblée. Il était difficile cependant à M. Visconti-Venosta de parler de neutralité alors qu’il négociait une triple alliance offensive et défensive avec la France et l’Autriche. Ce fut M. Lanza, le président du conseil, qui, quelques jours plus tard, en l’absence du ministre des affaires étrangères, dans le feu d’une improvisation, laissa échapper ce mot si ardemment sollicité par l’Italie[7].

« C’est une maladresse, » disait-on, le lendemain, à M. de Malaret, qui ne cachait pas l’émotion que lui causait cette déclaration si inattendue et si peu conforme aux assurances qu’il recueillait au Palazzo-Vecchio. Mais la maladresse était trop grave pour n’avoir pas été concertée dans le conseil des ministres. Le gouvernement italien devait, du reste, avant peu, consacrer l’étourderie de M. Lanza, en venant, du haut de la tribune, annoncer aux belligérans que l’Italie entendait, pour toute la durée de la guerre, se renfermer dans une sévère neutralité.

C’en était fait de notre dernier espoir. Tous les gouvernemens nous faussaient successivement compagnie ; notre isolement était complet ; nous nous trouvions seuls, en face de la Prusse, ne pouvant compter sur aucune assistance, ayant perdu les sympathies de l’Europe. Les yeux du duc de Gramont se dessillaient tardivement. Les généraux étaient partis pour l’armée, il ne subissait plus leur ascendant. Son langage s’en ressentait, le ministre devenait souple, persuasif ; il faisait appel au passé, il révélait à l’Italie les dangers de l’avenir. « Nous n’avons jamais écouté, écrivait-il à M. de Malaret, les esprits malveillans qui disaient qu’en prêtant notre appui à l’Italie nous donnions une alliée à la Prusse. L’Italie s’est trouvée momentanément son alliée, mais cette alliance ne pouvait être durable, elle ne devait pas survivre à l’intérêt passager qui l’avait fait naître. Des intérêts permanens et d’une importance vitale tracent à la politique italienne une voie opposée, depuis que la Prusse poursuit l’empire d’Allemagne. Toute l’histoire de la péninsule italique atteste combien une grande agglomération, au pied des Alpes, serait dangereuse pour elle. Les mêmes situations, les mêmes périls se reproduiraient. L’Allemagne, devenue prussienne, reprendrait infailliblement, par la force des choses, cette politique qui a pesé sur elle depuis le moyen âge. Ces temps ne sont pas assez éloignés pour être oubliés. »

Cette sollicitude tardive, après tant de hauteur, pour les intérêts et la sécurité future de l’Italie n’était plus de circonstance. Son siège était fait ; elle se sentait maîtresse de ses destinées. La Prusse, loin de la menacer et d’arrêter son essor, caressait et stimulait toutes ses passions.

Il en coûtait cependant au roi et à quelques-uns de ses ministres de déserter notre cause, de sacrifier froidement le sentiment à la politique. Nos amis ne se tenaient pas pour battus : il ne pouvait plus être question de triple alliance, mais rien n’empêchait une entente séparée entre l’Italie et l’Autriche, qui, à l’occasion, se transformerait à notre profit en alliance offensive.

Le comte Vimercati, qui, depuis le début des événemens, faisait la navette entre Paris, Vienne et Florence, arriva au quartier général de Metz le 3 août, avec un nouveau projet de traité concerté entre M. de Beust et M. Visconti-Venosta. L’Autriche et l’Italie proclamaient leur neutralité armée, sous nos auspices ; elles se garantissaient mutuellement leur territoire et s’interdisaient toute entente séparée ; elles stipulaient le nombre des forces qu’elles mettraient en ligne pour faire respecter leur neutralité ; elles fixaient les points de concentration de leurs corps d’armée et assignaient le 15 septembre comme terme pour l’achèvement de leurs préparatifs. Il n’était plus question des bons offices du cabinet de Vienne auprès du gouvernement de l’empereur pour le règlement de la question romaine. L’Autriche se bornait à promettre à l’Italie d’appuyer à l’occasion ses revendications nationales. Des articles additionnels prévoyaient l’extension de la guerre, soit par l’entrée en campagne de la Russie, soit par l’initiative de l’Autriche ; ils consacraient dans ce cas la triple alliance, telle qu’elle avait été conçue dans le projet de traité du mois de juin 1869. L’Italie traversait le Tyrol autrichien pour s’associer aux troupes françaises opérant dans le sud de l’Allemagne, et les forces austro-hongroises soutenaient l’action combinée des deux armées. La France, sans participer au traité, s’engageait à concilier le droit national de l’Italie avec ceux du saint-siège. « Je n’aime pas beaucoup, écrivait M. de Malaret, ces arrangemens qui se débattent sous nos yeux et dont nous sommes exclus. Je n’y vois d’avantages que pour l’Italie, qui s’assure l’appui moral de l’Autriche dans la question romaine. Nous n’avions pas le droit assurément d’empêcher ces deux puissances d’être du même avis sur ce point comme sur beaucoup d’autres ; mais nous pouvions leur demander, ce me semble, de se le dire ailleurs que dans un traité conclu sous nos yeux et, pour ainsi dire, sous nos auspices. »

Ces arrangemens, si déplaisans pour notre amour-propre, témoignaient du peu de confiance qu’inspirait notre situation militaire. L’Autriche et l’Italie étaient renseignées. Elles escomptaient moins nos succès que nos revers. Il ne leur convenait pas de s’associer à nos défaites, mais elles se constituaient les alliées de nos victoires éventuelles pour en partager les bénéfices et pour revendiquer peut-être le rôle de médiateur. Le traité qu’elles nous offraient ne répondait certes pas à nos désirs, mais c’était quelque chose cependant de les amener à se mettre immédiatement sur le pied de neutralité armée et d’obtenir que le but final, la triple alliance, fût mentionné. Le traité maintenait d’ailleurs une solidarité d’autant plus précieuse que nous étions isolés et que le sentiment de l’Europe nous était contraire.

L’empereur, plus indécis que jamais, soulevait des objections ; il trouvait le traité mal libellé, la forme lui paraissait incorrecte, équivoque ; il lui répugnait surtout décéder sur Rome. « Signez toujours, lui disait le prince Napoléon, signez le traité malgré ses fautes d’orthographe ; avisez Vienne et Florence que vous avez signé ; engagez vos alliés. Les modifications s’imposeront, si nous sommes victorieux ; si nous sommes battus, vous aurez du moins un retranchement, un titre pour invoquer l’appui de vos amis ; mais, pour Dieu, signez avant que le sort des armes ait prononcé. »

Le fatalisme de l’empereur avait sous l’action de ses souffrances physiques changé de caractère : d’actif il était devenu passif ; il s’en remettait aveuglément au destin, il laissait les événemens s’accomplir sans chercher à les dominer. Il refusa de céder aux instances de son cousin, il demanda des modifications au traité, sans se douter que les armées prussiennes déjà prenaient l’offensive, et qu’avant trois jours le sort de la France se déciderait dans de suprêmes combats. « Je ne cède pas sur Rome, malgré les instances de Napoléon, » écrivait-il, le 3 août au soir, à une personne qui lui était chère[8]. Le comte Vimercati repartit. Il emportait, non signé, ce traité qui semblait marqué par la fatalité : c’était pour la troisième fois que l’empereur le repoussait depuis 1869.

Le 6 août, le roi Victor-Emmanuel était dans sa loge au théâtre du Cirque, avec Mme la comtesse de Mirafiore, lorsqu’on vint lui apporter des dépêches ; elles annonçaient nos premiers désastres. A peine les avait-il parcourues qu’il sortit précipitamment, en proie à une violente émotion. Rentré au palais Pitti, il se laissa choir dans un fauteuil en s’écriant : « Pauvre empereur ! mais f.. ! je l’ai échappé belle ! »

Ce cri de commisération, que le roi réprimait aussitôt, résumait la situation. L’Italie déplorait nos désastres, mais elle se sentait intacte, ses destinées n’étaient pas compromises. Les défaites de la France ouvraient à son ambition de vastes horizons : l’audace pouvait désormais sans péril se substituer à la prudence.

Le lendemain, à la première heure, M. Visconti-Venosta se présentait à la légation de France ; il apprit en termes émus à notre ministre le double coup que nous portait la fortune dans les plaines de l’Alsace et sur les confins de la Lorraine. Ses regrets étaient sincères ; il se rappelait le temps où l’Italie subissait la domination étrangère et il voyait la France qui l’avait affranchie envahie par les armées allemandes[9] ! La politique ne sacrifie pas toujours aux pensées égoïstes ; il n’est pas dit que Machiavel et Guichardin n’aient pas compati au malheur d’autrui.


XI

La cour de Rome fut atterrée par nos désastres ; elle comprit que les destinées de l’empire et celles du pouvoir temporel se jouaient sur les mêmes champs de bataille. Elle en avait voulu mortellement à Napoléon III du retrait de notre corps expéditionnaire ; elle ne pouvait croire à cet abandon, après ses assurances et après le mot de M. Rouher. Elle avait opposé aux explications que notre ambassadeur était chargé de lui donner, pour justifier notre retour pur et simple à la convention du 15 septembre, une dignité froide et un courroux mal dissimulé. « Le cardinal, écrivait le marquis de Banneville à la date du 22 juillet, malgré l’empire qu’il exerce sur lui-même, n’a pas pu me cacher sa consternation. Il n’avait rien à répondre, m’a-t-il dit, à une résolution qu’il était appelé à subir et non à discuter. Il avait eu tort de croire que la France pourrait peut-être, sans s’affaiblir, laisser au pape la protection de son drapeau[10]. L’expérience du passé, a ajouté le cardinal, autorise le saint-siège à n’accorder aucune confiance aux engagemens de l’Italie. Il ne reste plus au gouvernement pontifical, après vos communications, qu’à faire de son mieux pousse garantir lui-même avec les faibles ressources dont il dispose. »

Le lendemain, l’ambassadeur vint demander ce que le pape avait répondu. « Rien, répondit le cardinal. — Rien de plus ? — Rien de plus. »

Jamais le gouvernement pontifical ne s’était trouvé plus désarmé contre une agression. Son armée, composée d’élémens étrangers, était désorganisée ; les Allemands étaient rappelés et les Français désertaient en masse pour participer à la guerre. L’état romain, sans défense, était à la discrétion du gouvernement italien.

En retirant nos troupes, nous cédions moins à des considérations stratégiques qu’à des considérations politiques. La brigade d’occupation n’avait d’importance que parce qu’elle était considérée comme l’avant-garde de l’armée tout entière, prête à accourir au secours, du pape s’il était nécessaire. Mais quand toutes les forces de la France étaient concentrées sur les frontières d’Allemagne, la présence d’un corps isolé dans les états pontificaux était un danger plutôt qu’une assistance. Si nous entrions en campagne sans être sûrs de l’alliance ou de la neutralité de l’Italie, nous nous exposions à un conflit immédiat ; ce n’était pas 5,000 hommes, mais 100,000 qu’il aurait fallu. La seule chance de sauver le pouvoir temporel était d’assurer au pape une protection fondée sur un engagement international. Si nous étions vaincus, il était évident que sa situation devenait désespérée ; il subissait fatalement le contre-coup de nos revers. Mais si la France était victorieuse, le pape retrouvait aussitôt sa sécurité momentanément ébranlée.

C’est ce qu’on se refusait à comprendre au Vatican. On récriminait contre l’empereur, on l’accusait de manquer à ses promesses ; la Civiltà l’appelait infâme, et l’Unità cattolica faisait ouvertement des vœux pour l’Allemagne. Elle affirmait avec une rare assurance que la Prusse victorieuse rétablirait le pouvoir temporel dans toute sa plénitude. Elle s’inspirait sans doute chez M. d’Arnim, qui déroutait, en interprétant la politique compliquée de M. de Bismarck, toute la diplomatie étrangère, y compris celle de l’Italie, par la contradiction de ses actes et l’ambiguïté de son langage. Les prélats, dans les antichambres du Vatican, étaient tout oreilles « aux paroles veloutées[11] du représentant de la Prusse protestante ; ils ne cachaient pas leur courroux et leur dédain au représentant de la France catholique.

XII

Le duc de Gramont espérait encore au lendemain de nos premiers désastres, alors que tout espoir lui était interdit. Il ne comptait plus sur l’Autriche, il prétendait l’avoir surprise en flagrant délit de duplicité, mais il se retournait vers l’Italie. Elle était sa dernière ressource. Il se flattait que 100,000 Italiens venant déboucher en France par le mont Cenis, la route que nous avions prise en 1859, nous rendraient la victoire :

« Vous connaissez la situation, écrivait-il le 7 août à M. de Malaret ; elle est sérieuse, mais nous gardons tout espoir. J’ai appris par le général Fleury, à qui l’empereur de Russie en a donné la preuve, que la Prusse a garanti à l’Autriche l’intégrité de ses provinces allemandes[12]. Ceci explique pourquoi l’Autriche est si réservée et ne s’allie à l’Italie que pour l’arrêter. Dans l’état actuel des choses, il n’y a plus moyen d’attendre, le moment est venu. Demandez aux Italiens s’ils sont disposés à participer à la guerre sans l’Autriche et à joindre un corps d’armée à l’armée française. Ils pourraient nous rejoindre par le mont Cenis, cette même route que nous avons prise en 1859, pour aller en Italie. L’empereur de Russie a formellement déclaré à Fleury qu’il adhérait à l’idée de l’Italie venant à nous aider. Faites-le savoir au roi. Les paroles mêmes de l’empereur sont celles-ci : « Je m’y attends, je le trouve naturel[13] ! »

Nous avions, depuis 1868, consacré tous nos efforts à rapprocher l’Autriche de l’Italie, et, à l’heure décisive, notre politique en était réduite à défaire l’alliance à laquelle elle avait présidé.

M. de Malaret avait l’autorité que donne une longue carrière ; il était accrédité en Italie depuis sept ans, il s’y était fait des amis, sa parole était écoutée. Il ne ménagea pas les argumens, il fut tour à tour pressant et insinuant ; il dit que l’empereur attendait de son ministre à Florence des informations immédiates et précises, qu’il désirait savoir ce qu’il pouvait attendre de l’amitié effective de son ancien allié. Il ne doutait pas que le gouvernement italien ne comprît que le temps des longues échéances était passé ; il pria le ministre des affaires étrangères de vouloir bien, avant de lui donner réponse, se pénétrer des souvenirs d’autrefois, des difficultés du présent et de celles bien plus grandes encore que causerait à l’Italie la prépondérance de la race allemande.

M. de Malaret parlait au nom d’un gouvernement atteint dans son prestige militaire, prêt à sombrer : il était voué à l’impuissance.

Cependant M. Visconti-Venosta ne resta pas insensible à cet appel de la dernière heure ; il ne refusa pas d’ouvrir des pourparlers sur une coopération effective immédiate. Prévoyait-il que des batailles décisives allaient se livrer sous les murs de Metz et voulait-il sauvegarder le renom de l’Italie du reproche d’ingratitude en se prêtant à des négociations qu’il savait sans issue ? Toujours est-il qu’il ne déclina pas la discussion, mais il demanda avant de s’engager d’en conférer avec ses collègues.

Le ministère était divisé ; M. Visconti reflétait au sein du cabinet les sentimens flottans du roi, M. Sella y affirmait la pensée dominante du parlement. « Mes paroles, disait le lendemain M. Visconti-Venosta, n’ont pas trouvé d’écho ; vos échecs si inattendus et la marche foudroyante des événemens donnent à réfléchir. L’on se demande si un corps d’armée italien pourrait vous rejoindre en temps opportun. Il faut au moins vingt jours pour avoir 60,000 hommes sous la main prêts à passer les Alpes, et qui sait si, d’ici là, l’équilibre des forces ne sera pas complètement, irrévocablement rompu au détriment de la France ? Quel avantage trouverez-vous à nous mettre aux prises avec la Prusse et à laisser écraser une petite année italienne ? »

M. de Malaret invoquait le sentiment et M. Visconti la raison d’état. Cependant, serré de près, le ministre parut se raviser. Il promit la coopération éventuelle de l’Italie, mais sans s’engager à rien. Il réclamait toutefois, comme condition sine qua non, le plus absolu secret jusqu’au jour où les troupes seraient en mesure d’entrer en campagne. Le gouvernement aurait à examiner alors si, dans l’état des choses, l’intervention serait efficace ou non : dans le premier cas, on mobiliserait ; dans le second, on ne sortirait pas de la neutralité.

Il en coûtait au ministre, en voyant la France si éprouvée, de lui refuser tout espoir. M. Visconti-Venosta à toutes ses qualités ajoutait un don précieux : celui de s’émouvoir à propos sans se compromettre.

Ses bonnes dispositions devaient, cette fois encore, se heurter aux objections égoïstes de ses collègues. Des renseignemens inquiétans étaient arrivés de Paris ; on commençait à redouter la révolution, les partis se remuaient, les faubourgs s’agitaient. Tout faisait craindre une catastrophe dont le contre-coup se répercuterait inévitablement en Italie si nos armées devaient subir un nouvel échec. On se méfiait, d’ailleurs, de l’Autriche. Le comte Arese télégraphiait des frontières autrichiennes qu’elle armait et qu’il serait urgent de se prémunir en fortifiant Vérone[14]. La diplomatie de M. de Bismarck était complexe, imprévue, redoutable ; elle avait dit jadis à Napoléon III : « Prenez l’Adige ; » ne pourrait-elle pas dire à l’Autriche : « Prenez le Mincio, les frontières naturelles de l’Allemagne. » Si le comte de Beust tombait du pouvoir, rien ne dit que ces avances seraient repoussées à Vienne. elles étaient les craintes vraies ou fausses que manifestait la politique italienne. Comment persuader la peur ? Elle ne raisonne pas, surtout lorsqu’elle se concilie avec de secrètes ambitions.

Il est des agens qui, dans les heures les plus périlleuses, par ineptie ou par calcul, restent impassibles ; ils se bornent à exécuter tant bien que mal leur consigne. Ceux que le devoir inspire n’attendent pas pour agir des instructions qui, souvent, n’arrivent pas. M. de Malaret ne se tint pas pour battu, il revint à la charge. Un instant, il crut au succès. M. Visconti lui confiait que de nouvelles classes seraient appelées sous les drapeaux, qu’on armait sans relâche, et le roi lui envoyait un de ses aides-de-camp pour lui dire qu’il espérait pouvoir fournir à la France un secours plus important et plus rapide que ne le croyait son ministère.

C’était un mirage. Le lendemain, les dispositions s’altéraient de nouveau ; le roi avait reçu de fâcheux renseignemens ; il savait que des fauteurs de troubles soudoyés par la Prusse prêchaient la révolution dans la péninsule et il ne lui était plus permis, en face de ces menées, de dégarnir les grandes villes de son royaume.

Le roi avait hérité des qualités et des défauts de sa race. Il était fin, avisé, martial, avec une pointe d’humeur gasconne. Il brandissait et rengainait son sabre selon les besoins de sa politique. Il invoquait la révolution pour nous refuser son assistance, tandis qu’elle servait d’auxiliaire à ses desseins. Les révolutionnaires de Gênes, de Naples et de Milan qui, disait-il, troublaient son sommeil, ne conspiraient pas contre sa couronne ; ils travaillaient à la grandeur de sa maison. Ils poursuivaient la chute du pouvoir temporel, ils devaient lui fournir le prétexte pour résoudre le problème romain et assurer à l’Italie sa capitale.

Les trahisons préméditées sont plus rares dans l’histoire qu’on ne le suppose. On a prêté au comte de Bismarck bien des perfidies qu’il n’a pas conçues, et celles qu’il a commises n’ont pas toujours été préparées de longue main. Il est des momens où les gouvernemens trahissent avec le pays tout entier ; c’est lorsque, malgré eux, ils cèdent aux entraînemens qui, suivant l’expression de Montaigne, « poussent les peuples de leur propre branle jusqu’au bout. » Ni le gouvernement italien, lorsqu’il promettait à la France de défendre le territoire pontifical, ni le roi, lorsqu’il confirmait, dans la lettre officielle adressée à l’empereur[15], les promesses de ses ministres, ne songeaient à transgresser violemment la convention du 15 septembre. Rome était sans doute l’objectif de leur politique, ils ne l’avaient jamais caché, mais il n’entrait pas dans leurs calculs de s’en emparer par la force ; ils croyaient que le pape serait amené fatalement à concilier ses intérêts avec les aspirations nationales. L’histoire ne leur reprochera pas moins sévèrement d’avoir, sans nécessité absolue, choisi le jour où la France agonisait pour pénétrer dans Rome par la brèche ensanglantée de la Porta Pia.


XIII.

Le 12 août, le drapeau français, qui flottait depuis trois ans sur la plate-forme du fort Michel-Ange, à côté du drapeau pontifical, était descendu, salué par vingt et un coups de canon. Au moment où le bateau qui emportait nos derniers soldats sortait du port de Civita-Vecchia, la foule massée sur les quais poussa des cris de délivrance, où perçaient des ressentimens longtemps contenus. C’étaient les adieux que nous faisaient les sujets du pape.

Le retour à la convention du 15 septembre, loin d’apaiser les passions en Italie, ne servit qu’à les raviver. La politique des ministres était violemment attaquée dans la presse et au parlement. M. de Laporta et, après lui, M. Mancini disaient que la convention n’existait plus, que la France l’avait déchirée en 1867, qu’elle était la reconnaissance du pouvoir temporel et qu’en y revenant le ministère avait violé le plébiscite constitutionnel. Le gouvernement sentait qu’il serait débordé. Sa tâche n’était pas aisée. Les engagemens qu’il avait pris hâtivement au début de la guerre ne cadraient plus avec la situation ; ils étaient en oppositions avec le programme national qu’il avait adopté. M. Visconti n’en protesta pas moins contre la théorie de ses adversaires ; il fit ressortir combien il serait indigne de profiter de la guerre pour susciter des embarras à la France.

Le gouvernement italien, je l’ai dit, n’avait a priori aucune intention de manquer à sa parole. Mais il devenait chaque jour plus évident que les arrangemens qu’il avait pris avec la cour des Tuileries étaient illusoires. Il était décidé à réagir contre les entraînemens de la chambre, à empêcher les incursions des bandes mazziniennes et garibaldiennes. Mais pourrait-il à la longue garder des frontières que le général de La Marmora déclarait « techniquement ingardables » et empêcher les révolutionnaires de passer isolément et de se réunir ensuite en armes sur le territoire romain ? Ce qui était arrivé en 1867 devait forcément se produire en 1870. Mieux eût valu, dans l’intérêt du pape et du nôtre, accéder aux demandes du cabinet de Florence et sacrifier, en temps opportun, ce qui restait du domaine de Saint-Pierre pour sauver Rome et ses environs.

M. de Malaret s’efforçait en vain de galvaniser le gouvernement italien, il s’usait en stériles efforts. Tout le monde l’écoutait avec sympathie, on abondait même dans son sens, mais on disait n’être pas prêt, et tout indiquait que, lorsqu’on le serait, vainqueurs et vaincus n’auraient plus besoin d’alliés.

Notre représentant tenta de s’adresser directement au roi, mais l’audience ne lui fut pas accordée : le ministère s’y était opposé. « Il faudrait que le roi changeât de cabinet, disait M. de Malaret sous le coup de ce refus, mais il ne saurait le faire sans soulever des complications parlementaires qu’il ne se soucie pas de braver : Il paraît, du reste, de plus en plus résigné à marcher du même pas que ses ministres. »

Cependant M. Visconti-Venosta disait qu’il poursuivait de compte à demi avec l’Angleterre une action diplomatique favorable à la France, sauf à prendre ultérieurement au besoin des résolutions plus viriles. C’était pour la première fois qu’on nous parlait d’une action combinée avec l’Angleterre. Une évolution s’était opérée évidemment dans la politique italienne. L’Angleterre prenait tout à coup, dans ses combinaisons, le rôle qu’y jouait l’Autriche. Un homme d’état des plus distingués, M. Minghetti, était en effet à Londres depuis le 20 juillet. Sa mission avait passé inaperçue. On trouvait naturel que, dans une crise aussi périlleuse, l’Italie se retournât un peu de tous les côtés pour s’orienter et fixer sa politique. On parlait d’ailleurs d’une ligue des neutres qui devait permettre à l’Autriche et à l’Italie de nous rendre de réels services[16].

Les premiers symptômes d’une entente séparée entre Londres et Florence s’étaient manifestés au parlement dans la séance du 25 juillet. « Nous sommes en parfait accord avec l’Angleterre, » avait dit M. Visconti, aux applaudissemens de la chambre, en proclamant la neutralité de l’Italie. Mais lorsque M. de Malaret interpella le gouvernement sur la nature de ses relations avec le cabinet de Londres, M. Visconti ne s’expliqua qu’avec des réticences : « Nous avons conservé notre indépendance, disait-il ; nous resterons libres de nous unir avec qui nous voudrons, sauf à en avertir le gouvernement anglais. »

Ces arrangemens pris en dehors de nous, sans nous consulter, inquiétaient notre envoyé : « Ils n’ont encore rien de malveillant, écrivait-il, mais ce sont des indices fâcheux ; on semble appréhender un changement de gouvernement en France ; on redoute l’isolement et l’on recherche, dans un but facile à deviner, à se rapprocher de l’Angleterre. Je crois toujours aux sympathies du gouvernement italien, mais je suis persuadé qu’il n’y a rien à attendre de lui tant que la bataille qui doit s’engager sous Metz ne sera pas livrée. »

Lord Granville s’est chargé depuis d’édifier notre diplomatie et de lui prouver que ses appréhensions n’étaient que trop justifiées. Le blue-book publié en 1871 nous a révélé, en effet, que, dès la seconde quinzaine de juillet, le gouvernement italien ne songeait plus à une alliance séparée avec l’Autriche et encore moins à une alliance avec la France. Il ne cherchait plus qu’à se soustraire à nos sollicitations en subordonnant à l’Angleterre, pour toute la durée de la guerre, son action soit diplomatique, soit militaire. Ce n’était pas dans la pensée de constituer une ligue de neutres, comme on l’a dit, qu’il s’adressait au cabinet de Londres, mais pour former avec l’Angleterre, séparément, une alliance d’intime et absolue neutralité.

« Le gouvernement italien, écrivait lord Granville, le 10 août, à lord Lyons, nous a fait savoir qu’il avait reçu de la France une demande de coopération armée ; il désirait obtenir notre aide pour résister à cette pression. Je répondis qu’il n’était pas en ce moment dans nos idées de prendre des engagemens positifs pour une neutralité combinée, mais que nous étions prêts à convenir avec le cabinet de Florence que les deux gouvernemens n’abandonneraient pas la neutralité sans une entente préalable. L’Italie a donné un assentiment chaleureux à cette combinaison. » La diplomatie prussienne ne restait pas inactive. Ce n’était pas qu’elle fût inquiète ; elle était renseignée. Elle savait, de source sûre, à quoi s’en tenir sur les pourparlers du cabinet de Florence avec le gouvernement de l’empereur. Lord Granville était son informateur. Les dépêches anglaises nous montrent que l’ambassadeur de Prusse à Londres avait transformé le foreign office en un véritable confessionnal et que sa curiosité sans cesse renaissante était toujours satisfaite.

Dès que M. de Bismarck était inquiet, le comte de Bernstorff courait chez lord Granville, qui s’empressait de le rassurer sur ce qui se passait à Vienne, à Copenhague et à Florence. C’est par lui que le chancelier allemand avait appris, bien avant le gouvernement impérial, que l’Italie, pour échapper aux sollicitations de M. de Beust et aux obsessions de la France, s’était abritée derrière la neutralité britannique. La tâche du cabinet de Berlin à Florence était dès lors facile. Il n’avait qu’à caresser les ambitions italiennes et à leur offrir au nom de son gouvernement, suivant son habitude, tout ce qui ne lui appartenait pas. Il semblait, à entendre M. Brassier de Saint-Simon, que la succession de la France était déjà ouverte et qu’il suffirait à l’Italie de produire ses titres pour être admise au partage. Il parlait en toute liberté de Nice, de la Savoie, de Tunis et de la Méditerranée. Il est un point cependant sur lequel il ne s’expliquait qu’avec embarras : c’était Rome. La politique italienne était trop affinée pour ne pas s’apercevoir que M. de Bismarck avait de secrètes raisons pour ménager le Vatican.

Les partisans de l’alliance française ne manquaient pas d’éveiller l’attention des ministres sur les arrière-pensées de la Prusse. Nos amis voyaient dans l’avenir un saint-empire romain dont la capitale serait Berlin, et ils se demandaient si ce saint-empire ne réclamerait pas Milan et surtout Venise, car il lui faudrait l’Adriatique. M. Massari, l’ancien familier de Cavour, l’éditeur de Gioberti, s’abandonnait, au parlement, à de mélancoliques prédictions : « Veuille le ciel, disait-il, qu’il n’arrive pas à la pauvre Italie ce qui est arrivé, à la fin du dernier siècle, à la plus puissante république italienne ! »

Tout sentiment de reconnaissance n’avait pas disparu en Italie. Il Je n’admets pas qu’on puisse rire quand la France pleure, » disait M. Ferrari à la tribune du parlement.

XIV

Le 24 août, un train spécial amenait le prince Napoléon à Florence ; c’était au lendemain de l’investissement de Metz. Il apparaissait comme l’image de la défaite. Le sentiment général fut celui de la stupeur ; sa présence parut étrange, inopportune, compromettante. Il venait, intempestivement, rappeler à son beau-père une dette d’honneur ; mais l’Italie se souciait peu, à cette heure, du passé, elle escomptait l’avenir ; elle se détournait de la France, ses regards se portaient sur Rome ; elle allait couronner son œuvre, tandis que l’empire s’écroulait. C’est à cela qu’avait abouti la politique chimérique des nationalités et du césarisme révolutionnaire dont le prince Napoléon s’était obstinément constitué l’apôtre passionné. Quel enseignement ! quel sujet de larmes et de colère !

Le prince n’avait que des instructions verbales. L’empereur s’était borné à lui remettre un passeport signé de sa main et contre-signé par le maréchal Mac-Mahon. Le passeport constatait que le prince Jérôme-Napoléon était envoyé en mission extraordinaire à Florence pour le service de sa majesté impériale[17]. Il répugnait sans doute à l’âme si délicate et si généreuse de Napoléon III d’embarrasser Victor-Emmanuel en lui rappelant directement les titres qu’il avait à son assistance. Peut-être aussi était-il convaincu que son appel ne serait pas écouté.

La mission du prince était vague, mal définie. Il venait pour se rendre compte des dispositions des Italiens ; il espérait modifier l’attitude du gouvernement du roi ; il avait tout à demander et rien à offrir. Il conféra avec les principaux ministres, il leur rappela les souvenirs du passé, il leur signala les dangers de l’avenir. Invité à motiver ses demandes, le prince entra dans des considérations stratégiques pour démontrer au ministre de la guerre qu’un corps d’armée pourrait sans danger, sans rencontrer de résistance, sauver la France en pénétrant inopinément en Allemagne, avec Munich comme objectif.

C’était mal connaître les Italiens que de croire qu’ils lâcheraient la proie pour l’ombre et se jetteraient, pour nous tirer d’embarras, tête baissée, à notre suite, dans une périlleuse aventure. Le prince avait négligé de se pénétrer des instructions de Mazarin et du testament de Richelieu, mais comment n’avait-il pas médité Guichardin, Machiavel et Gioberti, pressenti la pennée du comte de Cavour et mesuré l’ambition du roi Victor-Emmanuel ? Les ministres se récrièrent à l’envi contre un plan aussi téméraire ; leur armée n’était pas prête, et à quoi bon sacrifier une poignée d’hommes, sans avantage pour personne, au plus grand détriment de l’influence diplomatique que le gouvernement du roi pourrait exercer si utilement en faveur de la France dans les pourparlers de la paix ? D’ailleurs, comment marcher sur Munich, sans traverser le territoire autrichien et sans s’être assuré, avant de se risquer dans une pareille expédition, du concours du cabinet de Vienne ?

Les conseillers du roi ne faisaient que répéter au prince ce que, depuis nos premiers désastres, ils n’avaient pas cessé de répondre à notre ministre : « Quand un de nos amis se jette par la fenêtre sans nous prévenir, disait M. Visconti-Venosta, ce n’est pas une raison pour qu’on saute après lui et se casse le cou, sans chance de le sauver. » C’était l’argument favori que cet homme d’état opposait à la diplomatie française lorsqu’elle devenait trop pressante.

Il en coûtait au prince de se laisser éconduire. Les ministres italiens ne l’avaient pas habitué à une résistance si sèche, si inflexible. Il pria son beau-père d’intervenir ; il insista pour qu’on demandât à l’Autriche de s’associer à une action commune. Le roi était contrarié, nerveux, il lui était difficile de s’expliquer sur ses desseins, il lui était pénible de se lamenter sur le sort de la France. Il fit preuve néanmoins de bonne volonté ; il écrivit à l’empereur François-Joseph. Mais, ce devoir accompli, il partit brusquement pour la chasse, laissant son gendre au palais Pitti, livré à ses réflexions. Hospes gravis, disait Cicéron en parlant de la visite de César à la villa Possone »[18].


XV

L’Italie sentait que les temps étaient proches, qu’avant peu ses destinées seraient accomplies. Elle suivait les événemens avec anxiété, elle spéculait froidement sur nos défaites. Nous nous trouvions en face d’une nation grisée par la fortune, exaltée par ses passions, résolue à briser l’obstacle qui s’opposait au triomphe de ses aspirations. « Il faut être prêt, disait-on, pour prendre une habile et courageuse initiative. » On ne se préoccupait pas des moyens, on ne voyait que le but. « C’est la victoire elle-même, et non pas la façon de vaincre, qui donne la gloire, » a dit Machiavel. Pour les Italiens, le territoire pontifical n’était pas un territoire étranger ; c’était une de leurs provinces dont on les avait injustement spoliés. Ils n’entendaient pas violer une frontière, ils prétendaient consacrer un droit de propriété.

Lorsque M. Visconti-Venosta, à deux reprises, déclarait, du haut de la tribune, qu’il serait honteux de profiter de nos malheurs pour résoudre la question romaine, il n’exprimait pas le sentiment de la majorité de la chambre et encore moins celui du pays. On devenait chaque jour moins scrupuleux, les esprits les plus honnêtes trouvaient qu’il y aurait niaiserie à ne pas profiter des circonstances pour assurer à l’Italie son unité territoriale. Chaque séance du parlement était marquée par un nouvel effort de l’opposition pour pousser le gouvernement dans la voie des violences. M. Rattazzi et M. Crispi sommaient le ministère de passer le Tibre, de marcher sur Rome. Les manifestations se multipliaient dans les grandes cités de la péninsule. La Riforma, inspirée par la légation de Prusse, ne se contentait plus de Rome ; déjà elle revendiquait Nice, la Corse et la neutralité de la Savoie.

Le ministre des affaires étrangères restait correct, impassible. Son langage ne variait pas ; les violences lui répugnaient ; il avait le respect des protocoles. Ses collègues ne partageaient pas ses scrupules. M. Sella était pour un coup d’éclat, il croyait qu’il fallait pénétrer dans Rome sans laisser au pape ni à l’Europe le temps de se reconnaître. C’était un homme d’action. On croyait Victor Emmanuel soucieux de ses engagemens avec la France, respectueux pour l’église, préoccupé de la colère céleste[19]. « Sans le roi, disait quelques semaines plus tard M. de San Martino, à Dromero, dans un comice électoral, nous ne serions pas à Rome ; c’est lui qui y a poussé ses ministres. » C’est ainsi que tombent les légendes royales.

Il est de fait que les soixante mille hommes que lui demandait le prince Napoléon et qu’il disait n’avoir pas sous la main étaient massés sur les frontières romaines ; ils n’attendaient que la chute de l’empire pour renverser le pouvoir temporel. La révolution couvait à Paris depuis nos premiers désastres. Elle éclata au lendemain de Sedan. La fin de l’empire n’étonna personne ; elle était prévue par toutes les chancelleries étrangères. M. Visconti s’en préoccupait dans ses entretiens avec M. de Malaret depuis le 8 août ; elle était l’argument qu’il lui opposait lorsqu’il lui parlait d’alliance. « Les ministres se sont réunis sous la présidence du roi, télégraphiait notre envoyé le 3 au soir. Rome s’impose à leurs délibérations ; on s’attend à voir la révolution éclater à Paris, et il n’est pas douteux pour moi que le gouvernement italien, dès que l’empire sera renversé, ne se tienne délié de ses engagemens et ne fasse occuper militairement le territoire pontifical. M. Visconti, sans admettre absolument cette hypothèse, a répondu d’une manière confuse aux questions que je lui ai adressées à ce sujet. »

L’heure approchait, en effet, où Rome serait occupée par l’Italie. Le gouvernement ne voulait pas se laisser devancer par la révolution ; le seul moyen de l’arrêter, c’était de la prévenir. Mais la résolution était grave. Que dirait l’Europe et surtout la Prusse ? Le langage de la diplomatie prussienne manquait de netteté, il était contradictoire. La temporisation prévalut dans les conseils du roi. On résolut de pressentir les puissances et de négocier avec le pape sur les bases du mémorandum que M. Visconti avait, le 28 août, adressé aux gouvernemens catholiques et qui laissait au saint-père la souveraineté de la cité Léonine. Mais l’Unità cattolica, qui reflétait les sentimens de la cour de Rome, déclarait par avance, que jamais le pape ne s’entendrait avec Victor-Emmanuel, par la raison qu’il ne reconnaissait pas le roi d’Italie.


XVI

« Si l’Italie nous abandonne, elle est déshonorée, » disait M. Favre au moment où il prenait en main la direction de notre politique extérieure.

Le 6 septembre, M. Nigra arrivait au ministère des affaires étrangères ; il y mettait peu d’empressement, tous ses collègues s’étaient présentés dès la veille. Il protesta hautement de l’amitié de l’Italie pour la France et de son désir sincère de nous secourir. Il fit valoir avec tristesse, dit M. Favre[20], les raisons qui l’empêchaient d’agir. Il répéta plusieurs fois que, si l’Autriche ou l’Angleterre pouvaient nous donner leur concours, l’Italie serait heureuse de s’y associer. M. Favre le pressa en vain de devancer ce concours, M. Nigra se leva sans répondre à la demande du ministre ; il prit un air solennel et lui dit : « Je suis chargé de vous faire savoir que mon gouvernement ne peut plus supporter le statu quo en ce qui concerne Rome. Il va envoyer au saint-père le comte Ponzo di San-Martino, avec mission d’en obtenir un arrangement à l’amiable. Si ses propositions échouent, nous serons dans la nécessité d’occuper Rome. Notre intérêt et notre honneur nous le commandent. Le salut de la papauté ne l’exige pas moins. Nous espérions la sauvegarder après le départ des troupes françaises, mais les succès énormes de la Prusse ont complètement changé la face des choses. Ils ont abattu les conservateurs, exalté les violens ; notre inertie achèverait de tout perdre. Les partis démagogiques seraient les maîtres de Rome, et nous serions exposés aux plus grands désordres. Il ne nous est donc plus possible de retarder une solution inévitable. Nous la précipiterons de gré ou de force. Mais nous serions heureux d’avoir, en cette crise, l’appui moral du nouveau gouvernement français. Pourquoi ne feriez-vous pas un pas de plus ? Pourquoi ne dénonceriez-vous pas la convention du 15 septembre ? Vous l’avez constamment attaquée, elle est anéantie de fait. Cet acte serait le couronnement de votre « caractère, » et l’Italie vous en serait reconnaissante.

« — La convention du 15 septembre est bien morte, répondit mélancoliquement M. Favre à l’ambassadeur italien ; cependant je ne la dénoncerai pas. Si la France était victorieuse, je céderais à vos désirs ; mais elle est vaincue, et je ne veux pas affliger un vénérable vieillard déjà si douloureusement frappé, je ne veux pas contrister ceux de mes compatriotes que les malheurs de la papauté consterneront. Je ne dénoncerai pas la convention, je ne l’invoquerai pas davantage. Je ne peux ni ne veux rien empêcher. Je crois, comme vous, que si vous n’y allez pas, Rome tombera au pouvoir d’agitateurs dangereux. J’aime mieux vous y voir, mais il est entendu que la France ne vous donne aucun consentement, que vous accomplissez cette entreprise sous votre propre et unique responsabilité. »

Deux jours après, M. Nigra revint à la charge. M. Favre, comme l’avant-veille, fit appel à l’assistance de l’Italie, mais sans plus de succès : il importait à l’ambassadeur d’amener le ministre à déchirer de ses mains là convention du 15 septembre et à sanctionner l’occupation de Rome.

« Vous ne maintiendrez pas votre décision, dit-il, elle est trop en opposition avec votre passé politique. Elle blessera l’Italie sans aucun profit pour vous.

— Est-ce une condition que vous me posez ? demanda Jules Favre, en regardant fixement son interlocuteur.

— En aucune façon, répondit sans sourciller M. Nigra. J’ai le regret de persévérer dans la ligne que je vous ai indiquée. — Eh bien ! répliqua le ministre, je vous saurai beaucoup de gré de ne plus revenir sur un sujet qui me peine et ne peut nous mener à rien. »

Il est des missions douloureuses. Être forcé de dire froidement à un pays qu’on aime, à l’heure où se jouent ses destinées, qu’il ne peut compter ni sur l’alliance qu’on lui a toujours promise, ni sur les traités qu’on a signés avec lui dans des temps prospères, quelle épreuve pour un diplomate 1 quel chagrin pour un homme de cœur !

La résistance de M. Favre n’eut pas de lendemain ; M. Nigra était un charmeur ; on lui livra le pape, convaincu que l’Italie, touchée de ce sacrifice, ne tarderait pas à paraître sur les champs de bataille. C’était l’espoir de tous les membres du gouvernement provisoire. Ils reprochaient amèrement à l’empereur ses chimères et ils sacrifiaient aux mêmes dieux 1 « La France, écrivait M. Favre à notre ministre à Florence, à l’issue d’une nouvelle entrevue avec M. Nigra, ne peut pas se mêler directement de la question romaine. Le pouvoir temporel a été un fléau pour le monde ; il est à terre, nous ne le relèverons pas. Mais nous nous sentons trop malheureux pour marcher dessus. Nous verrons le gouvernement du roi aller à Rome avec plaisir ; il est nécessaire qu’il y aille. L’ordre et la paix de l’Italie sont à ce prix. »

M. Nigra avait su vaincre les scrupules du ministre de la défense ; c’était un succès de plus à ajouter à tous ceux que, depuis tant d’années, il remportait.

A la date du 8 septembre, le gouvernement italien était édifié. Il savait qu’il pouvait en toute sécurité mettre la main sur le pape, qu’aucune puissance ne lui barrerait le chemin, et même qu’aucun gouvernement ne rappellerait son représentant de Florence à titre de protestation. La diplomatie européenne laissait tout faire à l’Italie depuis 1859. Elle lui avait permis de prendre la Romagne d’abord, puis les Marches, puis l’Ombrie ; Rome allait, sans opposition, couronner la liste de ses spoliations.

Le soir même, M. Ponzo di San-Martino partait pour Rome avec mission de faire comprendre au saint-siège que l’entrée des troupes italiennes dans les états pontificaux était une nécessité de salut public pour l’Italie et pour la papauté même. Le roi, dans une lettre autographe que son envoyé était chargé de remettre à Pie IX, protestait de ses sentimens filiaux, de sa foi catholique et de son respect pour l’église. Il priait le pape de ne pas refuser la main qu’il lui tendait, au nom de la religion et de l’Italie, « en ces temps où les institutions les plus vénérées étaient menacées ! » Le comte de San-Martino fut reçu, dès son arrivée, par le cardinal secrétaire d’état et par le pape. Il les informa que les résolutions du gouvernement italien étaient arrêtées, que celui-ci était décidé à prendre possession de l’état de l’église, y compris la ville de Rome. Il leur demanda de ne pas s’y opposer par les armes. Il essaya de justifier les déterminations du gouvernement par la certitude qu’il avait acquise que les révolutionnaires de Paris, sous l’inspiration de M. Cernuschi[21], et d’accord avec les révolutionnaires italiens, cherchaient à proclamer la république en Italie.

Le cardinal Antonelli répondit que le saint-siège ne pouvait admettre de pareils argumens pour se laisser dépouiller d’une souveraineté que rien n’était venu menacer sur aucun point de l’état pontifical, malgré la pression exercée depuis un mois sur l’opinion publique par la présence de 40 à 60,000 hommes de troupes sur les frontières[22]. Il ajouta que le gouvernement du saint-père ne se prêterait pas à une transaction qui consistait à laisser au pape la cité Léonine, sur la rive droite du Tibre, et qu’il ne céderait pas sans combattre. « Il ne faut pas, dit-il, en congédiant l’envoyé du roi, que le gouvernement italien s’attende, de la part du saint-père, à aucun acte qui pût être interprété comme un assentiment tacite du spolié aux résolutions du spoliateur. »

M. de San-Martino quitta Rome le 12, et l’armée italienne franchit aussitôt, sur plusieurs points, la frontière romaine. Les troupes du saint-siège se replièrent ; seul, un corps de zouaves de 120 hommes, commandé par un capitaine français, se défendit vaillamment à Cività Castellano. Le général Kanzler avait établi des défenses ; mais Pie IX voulait éviter l’effusion du sang ; il tenait uniquement à constater à la face du monde que la violence avait précédé l’occupation. Les portes restèrent fermées, barricadées. Le général Cadorna dut les enfoncer à coups de canon. Le 20, on arborait le drapeau blanc sur la coupole de Saint-Pierre et sur le clocher de Saiute-Marie-Majeure, et à midi le général Vadorna faisait son entrée à Rome au milieu d’une population surchauffée qui lui jetait des fleurs et des couronnes[23]. L’Italie avait sa capitale, le drapeau national flottait sur le Capitole. Un des plus grands faits de l’histoire venait de s’accomplir.

Au moment où les troupes pontificales quittaient la cité Léonine, Pie IX, pâle, défait, s’arrêta pour les bénir une dernière fois. Il ne lui restait plus, pour la protection de sa personne, que les gardes nobles et les gardes suisses.


XVII

Le saint-père se considéra comme prisonnier ; il aspirait au martyre. Il remit des protestations aux ambassadeurs, des brefs aux cardinaux, des encycliques aux évêques. Il ajourna sine die les travaux du concile Il à cause de la sacrilège invasion opérée contre toutes les lois avec une audace et une perfidie incroyables. »

Les pères du concile n’avaient pas attendu la catastrophe pour disparaître.

Les déclarations du pape furent affichées à la porte des basiliques, sous les yeux des autorités italiennes, qui avaient ordre d’éviter tout conflit et d’opposer la plus absolue mansuétude aux violences du saint-siège. On tenait à prouver à l’Europe que la révolution italienne n’avait pas le caractère anticatholique qu’on lui attribuait pour la discréditer. Si l’on autorisait la vente des bibles protestantes, on saisissait les pamphlets et les caricatures révolutionnaires.

Le général Cadorna se montra déférent, empressé ; le pape resta insensible à toutes ses avances ; il refusa les bureaux de poste et télégraphiques qu’on lui offrait pour son service exclusif. Des estafettes lui apportaient ses lettres et ses dépêches. On lui rendait les honneurs dès qu’on l’apercevait, mais il ne se montrait guère. Il vivait retiré avec le cardinal Antonelli, le cardinal de Hohenlohe et le cardinal Bonaparte. Il en était réduit à se promener dans les jardins du Vatican. De ses fenêtres, Pie IX pouvait voir les maisons de la cité Léonine pavoisées aux couleurs nationales. Qui sait si elles ne consolaient pas le patriote des afflictions du souverain pontife !

Le corps diplomatique avait ses audiences, comme par le passé. De tous ses membres, le ministre de Prusse était, depuis le début de la guerre, le plus assidu à la cour de sa sainteté. Il encourageait les espérances à mots couverts. Il avait conseillé à Pie IX d’écrire à son souverain. Les prélats se flattaient que le roi de Prusse, qui représentait les principes d’autorité et de droit divin s’entendrait avec l’église et couvrirait le saint-siège de sa protection. La réponse-à la lettre du saint-père se fit longtemps attendre, elle n’était pas ce qu’on rêvait. Cela n’empêchait pas M. d’Arnim de s’agiter et de se mêler des événemens plus que ne le comportait sa charge. Il allait du Vatican au quartier-général, à la villa Spada, pour demander un armistice ou du moins des tempéramens, au général Cadorna. Il se posait en intermédiaire, sans avoir reçu de mandat de personne. On se demandait quels étaient ses mobiles. Cédait-il à sa nature, qu’on savait remuante, tortueuse, ou bien exécutait-il une consigne ?

Le jeu de la Prusse était difficile à démêler ; les Italiens eux-mêmes avaient peine à le déchiffrer. Ce qui est certain, c’est que M. de Bismarck s’efforçait de nous supplanter sur le terrain où, toujours, nous avions été prépondérans, soit qu’il voulût faire comprendre aux Italiens qu’il ne dépendait que de lui de les arrêter aux portes de Rome, soit qu’en endormant le Vatican, il voulût empêcher le pape de devenir l’auxiliaire de la France catholique aux prises avec la Prusse protestante[24].

La question du départ avait été agitée dans les conseils du Vatican, dès l’entrée des troupes italiennes. Le pape devait, en montant à bord, lancer contre le roi Pedemontanus et gubernium ejus, l’excommunication majeure. C’était l’avis des jésuites. Toutes les puissances avaient cru de leur devoir d’offrir un asile au souverain pontife. L’Angleterre proposait Malte ; la Prusse, Fulda ; l’Autriche, Inspruck ; la France, la Corse. Toutes, cependant, n’y avaient pas mis la même ardeur ni le même empressement. Le chargé d’affaires d’Angleterre avait, le premier, reçu l’ordre de mettre la frégate la Défense à la disposition du pape ; mais on lui recommandait de ne prendre aucune initiative, d’attendre qu’on lui parlât de Malte[25]. L’empereur François-Joseph proposait le Tyrol, tout en engageant le saint-père de tenir bon et de ne partir qu’à la dernière extrémité. M. Favre mettait l’Orénoque aux ordres du saint-siège ; notre chargé d’affaires ne devait offrir la Corse qu’en désespoir de cause[26]. Si Pie IX aspirait au martyre, il tenait peu à l’exil. L’Italie lui était chère, malgré les douleurs qu’elle lui causait. Il résistait aux prélats qui s’efforçaient de l’entraîner. Il écoutait plus volontiers la parole froide et sensée du cardinal Antonelli que les exhortations passionnées du cardinal Patrizzi et du général Kanzler. « Je n’envisage l’éventualité du départ qu’avec crainte, disait le cardinal Antonelli à M. Lefèvre de Béhaine, et si les circonstances l’exigeaient, c’est à la France que nous demanderions asile. » L’engouement pour la Prusse avait cessé ; on reconnaissait tardivement que M. d’Arnim avait joué une perfide comédie ; c’est vers la France que se reportaient les vœux et les prières. Pie IX confiait à notre chargé d’affaires qu’il avait offert sa médiation à Versailles et qu’on l’avait repoussée, en s’appuyant sur notre état révolutionnaire. « J’espère, disait-il plus tard à M. Lefèvre de Béhaine, offrir au monde, à l’occasion des fêtes de Noël, une vraie trêve de Dieu. »


XVIII

M. de Malaret avait été rappelé le 12 septembre. M. Jules Favre aurait dû le supplier de rester à son poste, de conserver à son pays, dans d’aussi douloureuses épreuves, l’autorité et l’expérience qu’il avait acquises dans le cours d’une longue mission[27]. Il préféra céder à l’esprit de parti, rompre les derniers liens diplomatiques qui unissaient la politique italienne à la politique française. En substituant à un agent éprouvé un homme nouveau, sans relations, sans traditions, ignorant de l’état des choses en Europe, incapable de se retrouver dans les subtilités et les équivoques de l’esprit italien, le ministre des affaires étrangères de la défense nationale faisait table rase du passé, il rendait au cabinet de Florence toute sa liberté d’action, il laissait le champ libre à ses ambitions. Il est vrai que M. Senard était un républicain de la veille, et, même, de l’avant-veille. Ses parchemins dataient de loin ; ils remontaient à 1830. Il appartenait à cette génération d’hommes ardens, convaincus, qui, pour le triomphe de leurs idées, ne craignaient pas de se faire tuer sur les barricades. Renverser les monarchies, bonnes ou mauvaises, sans souci de la rupture de nos alliances et des coalitions européennes, dans le seul dessein d’assurer l’avènement de la république, était pour eux le premier des devoirs. Ils prêchaient l’émancipation, la fédération et la fraternité des peuples. Ils étaient les apôtres de l’unité des races, et, à ce titre, les précurseurs de Napoléon III.

M. Senard avait des attaches avec les révolutionnaires italiens, il était l’ennemi irréconciliable du pouvoir temporel, il réprouvait l’annexion de Nice. Avec un pareil programme, le représentant de la défense nationale était certain d’être le bienvenu en Italie. L’accueil dépassa son attente. « J’ai trouvé partout, écrivait-il, un accueil excellent. On manifeste pour la république, et pour les hommes qui la constituent, une grande sympathie. Pour moi, personnellement, la réception a dépassé mes espérances ; j’ai été comblé de témoignages d’affectueuse estime ; on a été jusqu’à me dire que mon nom était le meilleur programme que la république pût produire pour s’assurer le concours de tous les cœurs honnêtes. » Il ajoutait qu’il avait conféré longuement avec le président du conseil et avec le ministre des affaires étrangères, qu’il les avait trouvés très disposés à sortir de leur inertie, bien qu’ils fussent préoccupés de l’attitude des puissances.

Le soir même, M. Senard était reçu par le roi. Jamais, dans aucune cour, les barrières de l’étiquette ne s’étaient abaissées aussi vite devant un représentant étranger. Le roi protesta de ses sympathies pour la France ; il dit qu’il avait organisé une armée de 200,000 hommes, prête à entrer en campagne, qu’il ne demandait pas mieux que d’agir, mais que tous les efforts qu’il avait tentés jusqu’à présent pour entraîner l’Autriche avaient échoué. Il promit de s’entremettre auprès des puissances neutres et de protester, isolément au besoin, s’il ne parvenait pas à les entraîner dans une action commune.

Le roi était joyeux, expansif ; il savait qu’avant vingt-quatre heures ses troupes pénétreraient dans Rome, et l’envoyé de France, loin de protester, se réjouissait de l’attentat qui allait se commettre. On échangea de chaleureuses protestations, on se grisa de paroles et l’on s’embrassa. Est-ce le roi qui tendit les bras à l’envoyé extraordinaire ou est-ce l’envoyé, qui, spontanément, dans un accès de lyrisme, se jeta au cou du roi ? M. Senard ne l’a pas dit. Dans les pages les plus sombres de l’histoire, la comédie souvent se mêle au drame.

Le lendemain, 20 septembre, la.péninsule se pavoisait, l’Italie était dans l’ivresse ; le drapeau aux trois couleurs flottait enfin sur la coupole de Saint-Pierre et sur le château Saint-Ange. C’en était fait du pouvoir temporel.

Oubliant ses douleurs patriotiques, le représentant de la France s’associa à l’allégresse générale ; il saisit la plume et écrivit au roi :

« Sire, je n’ai pas voulu porter un visage, malgré moi, toujours triste et anxieux au milieu des joies si vives et légitimes qui saluent la délivrance de Rome et la consécration définitive de l’unité italienne. Mais je ne veux pas différer d’un seul instant d’adresser à Votre Majesté, au nom de mon gouvernement, et, en mon nom personnel, mes félicitations sincères pour cet heureux événement. Le jour où la république française a remplacé par la droiture et la loyauté une politique tortueuse, qui ne savait jamais donner sans retenir, la convention de septembre a virtuellement cessé d’exister, et nous avons à remercier Votre Majesté d’avoir bien voulu comprendre et apprécier la pensée qui a seule empêché la dénonciation officielle d’un traité qui, de part et d’autre, était mis à néant. Libre ainsi de son action, Votre Majesté l’a exercée avec une merveilleuse sagesse. C’était bien peu pour le roi d’Italie, disposant de toutes les forces d’une grande nation, de briser les vieilles murailles de Rome et d’avoir raison de la faible armée pontificale. Mais ce qui est vraiment beau, vraiment grand, c’est d’avoir su, dans cette question délicate, allier si parfaitement avec les nécessités politiques tous les respects et tous les ménagemens dus aux sentimens religieux. Pour moi, malgré les circonstances difficiles qui m’ont amené ici, j’éprouve du bonheur à me trouver sur cette terre, où, comme dans ma chère France, on sent si bien battre le cœur du pays, et où les révolutions politiques elles-mêmes sont toujours empreintes de générosité et de grandeur. »

Il était impolitique de sacrifier Rome sans nécessité, sans profit, mais faire un crime à l’empereur d’avoir retenu d’une main Nice et la Savoie, tandis que de l’autre il livrait à Victor-Emmanuel l’Italie entière, ce n’était plus de la diplomatie.

La délégation de Tours s’émut. Le comte Chaudordy était de la vieille école[28], il avait à cœur d’affirmer et de sauvegarder nos droits jusqu’au jour où la France reprendrait possession d’elle-même. Il pria l’envoyé de la défense de surveiller sa parole et de ne pas sacrifier aux élans de son cœur les intérêts traditionnels de son pays : « Le gouvernement, lui écrivait-il, n’a pas pris de résolution absolue sur la question romaine. Il y a là une tradition de la politique française qu’il n’est pas bon d’abandonner trop facilement. J’eusse préféré, dans l’intérêt de nos résolutions futures, qu’il est difficile de préjuger, que vous eussiez conservé une grande réserve. Nos rapports sont complexes vis-à-vis de Rome et de l’Italie, de l’Europe et même de l’Orient, où nous sommes les protecteurs des catholiques. Je vous prie donc de conserver sur ce sujet la plus grande prudence, et de ne pas engager la parole de la France avant qu’elle puisse être consultée, d’autant plus qu’il pourra peut-être nous être nécessaire de ne pas céder trop facilement à l’Italie des avantages importans sans être certains de pouvoir compter sur elle[29]. »

Ce n’étaient ni l’esprit ni le cœur, — il l’avait sur la main, — qui manquaient à M. Senard, c’était l’expérience. Il était une des illustrations du barreau de Paris : il avait plaidé maints procès célèbres et il les avait gagnés. Il espérait qu’en mettant son éloquence et son dévoûment patriotique au service de la république, il gagnerait la cause qui lui était chère avant toutes : celle de son pays. Ce fut son erreur. Il le reconnut, du reste, bien vite, et, dès qu’il s’en aperçut, il demanda loyalement à être relevé sans retard d’une faction périlleuse.


XIX

Le ministre de la république, dès son arrivée à Florence, s’était abouché avec quelques membres avancés de la chambre ; il recrutait avec leur concours, dans les rangs de la révolution, des auxiliaires qui, sous le commandement de Garibaldi, devaient s’associer à notre défense[30]. La délégation de Tours le voyait avec un vif déplaisir présider à ces enrôlemens. Elle savait que beaucoup de ces volontaires cosmopolites, avant de s’offrir à la France, s’étaient offerts à la Prusse. Elle estimait que c’étaient des hôtes incommodes et d’autant plus dangereux que des idées sécessionnistes se manifestaient dans le Midi. Il était permis de craindre que la présence de bandes indisciplinées, à Nice et à Lyon, ne provoquât des soulèvemens[31].

M. Senard ne partageait pas ces craintes ; il pensait, — et les membres de la défense nationale étaient pour la plupart de cet avis, — que le seul moyen de s’assurer les sympathies de l’Italie, c’était de l’associer, serait-ce d’une façon irrégulière, à la guerre. Il croyait aussi, et en cela il n’avait pas tort, qu’il était d’un grand intérêt de soustraire Garibaldi à l’influence de ses amis de l’extrême gauche, qui pactisaient ouvertement avec la Prusse[32].

La question était complexe, controversable. Elle ne l’était pas moins pour le gouvernement italien. Si l’émigration en masse des élémens révolutionnaires lui permettait de s’assurer à Rome, aux yeux de l’Europe, le bénéfice de la modération, elle autorisait, en revanche, la Prusse à le rappeler au respect de la neutralité, qu’il violait à certains égards, en n’empêchant pas ses sujets de combattre dans les rangs de son adversaire.

Le problème était délicat, il n’était pas insoluble pour la politique florentine.

On décréta des ordonnances sévères, on entrava ostensiblement les embarquemens des volontaires sur tout le littoral, on envoya des croiseurs devant Caprera. Mais, à la veille de l’entrée des troupes à Rome, le 18 septembre, on apprit inopinément que, malgré toutes les précautions prises, Garibaldi avait su échapper à la surveillance de trois bâtimens de guerre et qu’il était parti pour Tours. L’Italie était délivrée de la révolution et elle pouvait affirmer devant l’histoire qu’en 1870 son sang avait coulé pour la France.


XX

M. Visconti-Venosta et M. Lanza, le président du conseil, conféraient fréquemment avec M. Senard ; ils l’écoutaient avec sympathie, ils discutaient les idées qu’il leur exposait, mais lorsqu’il cherchait à les mettre au pied du mur, ils l’arrêtaient par des objections qui n’étaient pas sans valeur. « Que sont vos armées ? disaient-ils ; quel est votre général ? Quelle est votre base d’opération pour risquer une pointe sur le Rhin ? » En gens pratiques, décidés à ne rien faire, ils prétendaient qu’il fallait de longues et sérieuses études avant de risquer les entreprises qu’il leur recommandait. Ils invoquaient aussi des obligations constitutionnelles, la nécessité de convoquer le parlement et l’obligation, bien plus difficile, de le convaincre.

M. Senard avait conservé un précieux souvenir de sa réception au palais Pitti. Il aurait voulu y retourner, mais le roi était peu accessible, et le représentant de la république n’avait plus rien à lui apprendre : il avait vidé son sac dès le premier jour. Victor-Emmanuel savait que la France passait une éponge sur la convention du 15 septembre et qu’elle applaudissait des deux mains à la chute du pouvoir temporel. Il n’en demandait pas davantage. Cependant, lorsqu’il apprit que M. Thiers, qui parcourait l’Europe, allait paraître à Florence, il fit mander M. Senard. Il comptait le sonder et apprendre ce qu’on avait dit à Vienne et surtout à Pétersbourg ; mais il eut beau l’interroger, l’envoyé resta impénétrable.

Ce fut au roi de s’expliquer. Il était embarrassé, disait-il, entre son désir personnel et les difficultés qu’il rencontrait ; c’était pour lui dans le présent une question d’honneur, et pour l’avenir une question de sécurité. Il appréciait notre situation militaire, il étudiait nos notes et nos renseignemens, mais il doutait de l’armée de Gambriels ; s’il pouvait compter sur sa solidité, et s’il était bien exactement renseigné sur l’ensemble de nos ressources, ce n’est pas 60,000 hommes, — ils seraient insuffisans, — mais 150,000 hommes qu’il mettrait à notre disposition. Mais ce qui le préoccupait avant tout, c’était la Russie, il la croyait défavorable, et il ne pouvait rien entreprendre sans être fixé sur ses dispositions.

M. Senard sortit du palais Pitti fort satisfait. « Je crois avoir bien préparé par cette audience, écrivait-il, le terrain à M. Thiers. »

M. Senard attendait M. Thiers comme les juifs attendent le Messie ; il croyait à la magie de son esprit, à l’irrésistibilité de sa parole ; il était convaincu qu’il remuerait et entraînerait l’Italie. Et cependant ses illusions s’effeuillaient peu à peu ; il constatait qu’à la cordialité des premiers jours avait succédé l’embarras, et aux hésitations une réserve calculée. « Le roi, écrivait-il, d’abord bienveillant et chaleureux, a ajourné deux fois déjà des audiences convenues ; son embarras est évident. Nos amis disent que, pour faire sortir l’Italie de son inertie, il faudrait une grande victoire, et encore ne répondent-ils de rien. Tout mon espoir pour enlever le succès est en M. Thiers. »

« Nul à son égal, disait M. Favre en parlant de M. Thiers, ne peut prétendre à l’art divin de persuader les hommes, nul n’en possède mieux les secrets et la puissance[33]. »

M. Senard croyait, comme M. Favre, qu’il suffisait d’une « parole divine » pour gagner une cause désespérée.


XXI

M. Thiers arriva à Florence le 12 octobre au soir. Il voyageait avec deux de ses amis, deux secrétaires et cinq domestiques. Il descendit à l’hôtel de l’Union. M. Senard, M. Clery, le secrétaire de la mission extraordinaire, M. de La Villetreux, M. de Verninac et M. de Grouchy, les secrétaires de la légation, l’attendaient à la gare.

À ce moment, par une étrange coïncidence, on délibérait au palais Pitti. Le roi présidait un conseil de famille qui décidait que le prince Amédée, duc d’Aoste, accepterait la couronne d’Espagne[34].

La guerre s’était engagée sur la candidature d’un prince allemand et c’était, suivant la moralité de la fable, un prince italien qui allait s’installer à Madrid !

L’ambassadeur de la défense nationale fut reçu avec une rare distinction. Les ministres le fêtèrent, le roi le combla d’attentions. Tous les Français établis à Florence allèrent s’inscrire à son hôtel. Il reçut tous les personnages politiques favorables à la France. M. Thiers était un homme illustre ; sa présence flattait l’amour-propre italien ; il avait combattu avec passion l’Italie comme une œuvre funeste et il venait, à l’heure des épreuves, implorer son assistance ! M. Thiers comprenait bien que les sentimens qu’il avait si patriotiquement et si prophétiquement exposés à la tribune de son pays ne le désignaient pas pour une semblable mission. Aussi protestait-il, dans ses entretiens, contre toute pensée hostile au peuple italien. « Ce n’est pas l’unité de l’Italie, disait-il, que je combattais, mais l’unité allemande, qui devait en être la fatale conséquence. »

Il fut admis à exposer ses demandes, à développer ses idées dans un conseil extraordinaire convoqué en son honneur. On tenait à connaître nos ressources, à se rendre compte de notre plan de campagne avant de se prêter à une démonstration militaire. Son éloquence électrisa le conseil, il fut l’objet de chaleureuses protestations. Déjà il voyait soixante mille Italiens se joindre à l’armée de l’Est, qu’organisait la délégation de Tours. « Je les ai enfermés dans un cercle d’où ils auront de la peine à sortir, » disait-il à M. de La Villetreux, en revenant du palais Pitti. Le lendemain, le cercle était franchi, la nuit avait porté conseil au roi et à ses ministres. Le général Cialdini et le ministre de la guerre, le général Ricotti, étaient difficiles à convaincre. Ils réclamaient des explications techniques, le chiffre exact de nos effectifs, un plan d’opérations détaillé.

M. Thiers, sans se lasser, démontra, la carte à la main, que l’effort qu’il demandait à l’Italie n’était pas grand, qu’il ne pouvait l’exposer à un danger sérieux. « Le corps d’armée qui descendrait du Mont-Cenis, disait-il, aurait pour base d’opérations Lyon avec ses formidables retranchemens et une garnison de 15,000 hommes ; puis, en remontant la Saône, assez forte en automne pour former une ligne défensive, deux places : Langres avec 10,000 hommes, Besançon avec 12,000 hommes. — L’armée italienne, de 60,000 à 80,000 hommes, auxquels se joindraient 60,000 soldats français, pourrait, par sa seule présence et sans coup férir, décider l’ennemi à des conditions de paix acceptables. Elle opérerait d’ailleurs une diversion dont l’effet serait de dégager ou d’alléger Metz. Bazaine entrant en campagne avec ses 100,000 soldats, la face de la guerre serait ainsi complètement changée et l’on finirait par avoir raison d’un ennemi fatigué, dont le moral s’affaisserait en face d’une intervention qui relèverait et enthousiasmerait les esprits en France. » M. Thiers ajoutait que l’Italie n’aurait pas à se préoccuper des dépenses de la guerre, que la France serait trop heureuse de les prendre à sa charge. Il établissait ensuite que l’Italie n’avait rien à appréhender des cabinets étrangers. Il disait que l’Angleterre se tenait en dehors de tout, que l’Autriche, bien qu’empêchée de rien entreprendre, s’engagerait à couvrir le territoire italien du côté de l’Allemagne si, suivant ses désirs, la guerre devait se généraliser. Il ajoutait que la Russie avait positivement déclaré que ce que ferait l’Italie ne la regardait pas. M. Thiers n’admettait pas que l’opinion et le parlement pussent être un obstacle insurmontable. Il était convaincu que si le roi accourait à l’aide de la France, avec cent mille hommes, en se réservant de faire solliciter plus tard un bill affirmatif, sa résolution serait indubitablement consacrée. Il ne pouvait en être autrement dans un pays sympathique à la France, alors que l’intérêt de l’Italie, dans le présent et dans l’avenir, commandait si évidemment l’intervention.

Passant à des considérations générales, M. Thiers mit en lumière, d’une façon saisissante, les conditions de l’Italie, soit qu’elle acceptât, soit qu’elle refusât l’alliance à laquelle la France la conviait. Il la montra s’honorant par une résolution, inspirée par le dévoûment et la reconnaissance, assurant à jamais son avenir par l’alliance indissoluble qu’elle formerait avec la France, et marquant sa place au premier rang des cabinets de l’Europe, auxquels elle rendrait le service d’abattre ou de diminuer la puissance qui menaçait de tout envahir.

En regard de cette grande situation que pourrait prendre l’Italie. M. Thiers faisait ressortir les conséquences d’un refus. Ce seraient les hontes de l’ingratitude, et d’une ingratitude sans exemple, car pour assurer à l’Italie son indépendance et son unité, la France n’avait pas seulement donné son argent et ses soldats, elle avait créé pour elle-même, malgré de graves avertissemens, un énorme péril, et provoqué l’horrible désastre dans lequel on la voyait se débattre. « Et, en dehors de la question d’honneur, s’écriait M. Thiers, plus haut qu’il ne convenait peut-être au négociateur d’un pays en détresse, quel avenir le refus et la rupture qui doit suivre préparent-ils à l’Italie ? »

Où cherchera-t-elle désormais ses alliances ? Il n’y a pas une-puissance, la France exceptée, qui n’ait intérêt à la voir se démembrer, et plus d’une ira chercher dans ses démembremens mêmes les appoints de la future carte d’Europe.

L’Italie oublie-t-elle ses embarras intérieurs ? croit-elle en avoir fini avec le catholicisme et aussi avec les élémens républicains qui fermentent dans son sein ? Ne voit-elle pas surgir mille périls que l’alliance avec la république française seule pourrait conjurer ?

Ces adjurations si véhémentes, adressées à une grande puissance dont on implorait le secours, ne pouvaient se justifier que par l’exaltation du patriotisme en lutte avec un implacable destin. Elles furent écoutées sans impatience, mais on s’en souvint lorsque M. Thiers fut appelé à relever et à diriger la France. Les résolutions du gouvernement étaient arrêtées. Les ministres évitèrent de récriminer et de relever avec aigreur les considérations morales que l’ambassadeur avait si puissamment développées. Loin de se plaindre, ils parlèrent de leurs sympathies pour la France, de leurs regrets de ne pas pouvoir lui être secourable et du chagrin que leur causait la perspective d’être jugés sévèrement par le monde entier. Mais ces considérations, malgré leur amertume, disaient-ils, ne pouvaient l’emporter sur la crainte de jeter leur pays dans un grave péril. Si les choses étaient entières et que la France leur demandât de s’engager dans les chances ordinaires d’une guerre, ils n’hésiteraient pas. Mais la France était écrasée, ses deux véritables armées étaient prisonnières, et celles qu’elle organisait, à peine formées, étaient, tout l’autorisait à le craindre, incapables de supporter le choc d’un ennemi formidable.

D’ailleurs, l’armée italienne, elle-même, n’avait pas la solidité qu’on lui prêtait. Elle n’était pas de force à soutenir une pareille lutte. Quelle responsabilité encourraient ceux qui, par l’entraînement des plus nobles sentimens, compromettraient le pays qui leur avait confié ses destinées ! Ce ne serait pas seulement un corps de 100,000 hommes qu’on jetterait dans le gouffre, mais l’Italie serait fatalement entraînée avec la France et condamnée à subir les conditions de la même paix.

Le général Cialdini qui, avant la déclaration de guerre, s’était si résolument prononcé pour l’alliance, déclara que 100,000 hommes seraient insuffisans et que, pour en avoir 200,000, il faudrait un temps énorme. Il reconnut qu’un refus pourrait exposer l’Italie et sa dynastie à de réels dangers, mais ces dangers, disait-il, sont à échéance éloignée, tandis que ceux qu’il s’agit d’affronter sont immédiats, inévitables. Dans l’état des choses, ajoutait-il, tout le monde, en Italie, considère l’alliance avec la France écrasée comme une folie qui égalerait celle qu’a commise Napoléon III en déclarant la guerre. Aucun des ministres ne saurait donc conseiller au roi de se mettre en marche, avec la pensée de faire ratifier plus tard sa résolution par le parlement. Il y jouerait sa popularité, sa couronne.

Toutes nos espérances s’évanouissaient. L’Italie, notre dernière ressource, opposait un refus inflexible aux appels anxieux, désespérés de notre ambassadeur.

M. Thiers tenta un suprême effort auprès de Victor-Emmanuel. Le roi s’adressa à son honneur : « Si vous pouvez me donner votre parole, lui disait-il, qu’avec mes 100,000 hommes je sauverai la France, je marcherai. » M. Thiers resta muet, sa mission avait irrévocablement échoué[35].

Il passa quelques jours encore à Florence, atténuant l’amertume de ses déceptions dans la contemplation des chefs-d’œuvre de l’art, dans les souvenirs du passé. Il étudiait les chemins que de grands capitaines s’étaient frayés à travers les Alpes et que Victor-Emmanuel se refusait à prendre.

M. Senard, qui n’avait pas la philosophie que donne l’histoire, ne songeait plus qu’à être relevé d’un poste qui, hors une heure d’ivresse, ne lui avait valu que des désenchantemens.

« La tâche que je suis venu remplir ici, écrivait-il avec une modestie bien rare chez les diplomates qu’improvisent les révolutions, est, hélas ! bien pénible, car en y dévouant toutes mes forces, toute ma vie, je constate à chaque pas ma complète impuissance. Est-ce de ma faute, ou suis-je en présence d’obstacles réellement insurmontables ? Il n’est pas d’homme politique de ce pays, que je n’aie vu trois ou quatre fois ; il n’en est pas un qui ne se soit ému avec moi, qui ne m’ait promis son concours le plus ardent. Tous se montent, s’exaltent et tendent au même but, et ce but recule toujours. »

Lorsque, au sortir de nos cruelles épreuves, M. Thiers fut nommé chef du pouvoir exécutif et que, dès son avènement, sous l’influence d’une assemblée réactionnaire, il accréditait un ambassadeur au Vatican, le cabinet de Florence se rappela les avertissemens sévères qu’il lui adressait au mois d’octobre. Il comprit qu’il n’avait pas fait assez pour s’assurer la reconnaissance de la France et qu’il en avait trop fait pour ne pas encourir les ressentimens de la Prusse. La politique italienne se sentit isolée, menacée, elle évolua insensiblement vers le vainqueur[36].

« Priez Dieu, disait Guichardin, dans les Ricordi, qu’il vous mette toujours du côté de la victoire. Vous y rencontrerez du profit et de la louange pour des choses même auxquelles vous n’aurez pris aucune part. Pregate Dio sempre di trovare dove si vince. »


G. ROTHAN.

  1. Voyez la Revue du 15 novembre.
  2. Lea généraux Menabrea, Pallavicinl et Cialdini étaient, comme le général de La Marmora, fidèles aux souvenirs de Solférino. Le général Cialdini reprocha à la chambre, au ministère, de n’avoir pas prévu la guerre ; il l’accusa d’avoir laissé péricliter l’armée ; il mit le gouvernement en demeure de se prononcer immédiatement et résolument pour la France. Il s’exprima avec une telle véhémence que M. Sella l’interrompit et lui dit : « C’est donc au pronunciamiento que vous voulez faire ? »
  3. C’était pour l’Italie le droit de prendre possession des états pontificaux, sauf Rome et sa banlieue ; c’était à peu près ce que le général Menabrea avait demandé à l’empereur à Vichy.
  4. « Le vote de l’infaillibilité, disait M. de Beust, a changé la situation de l’une des parties contractantes ; il a fait du gouvernement pontifical une puissance qui n’admet ni discussion ni tempérament. Dieu ne signe pas des traités qui définissent et limitent sa puissance. »
  5. De Paris, le comte de Vitzthum se rendit à Florence. Il était chargé de pressentir la pensée du gouvernement italien et de s’entendre avec lui sur les éventualités de la guerre. L’empereur se flattait qu’il combattrait les objections de l’Italie et la rallierait à la triple alliance, mais l’envoyé de M. de Beust s’appliqua, avant tout, à la rattacher à l’Autriche par les liens d’une étroite neutralité.
  6. Le général Türr avait de nombreuses attaches en Italie ; il mit son influence spontanément au service de la France. Voici ce qu’il écrivait de Florence au duc de Gramont le 27 juillet : « A peine arrivé ici, je suis allé voir les ministres et les hommes marquans des différend partis. J’ai dû me convaincre et je dois dire à Votre Excellence que, si on désire entraîner l’Italie promptement dans une action, il faut faire quelque chose de plus quant à la question de Rome, car la convention de septembre expliquée par M. Drouyn de Lhuys, au lieu d’un bien, est une complication pour le gouvernement italien… On comprend que la France ne puisse pas livrer le pape pieds et poings liés, mais le gouvernement de l’empereur ne pourrait-il pas donner de secrètes promesses à l’Italie, afin que celle-ci soit à même de dire au pays que la question nationale italienne aura sa parfaite solution avec la guerre ? Le gouvernement, rassurant la nation, pourrait l’entraîner tout entière avec promptitude… Le ministre de la guerre a beaucoup goûté mes paroles et me dit que cela serait superbe si on pouvait mettre d’accord tous ces mouvemens ; je lui répétais : Volere e potere, dunque voliate ; une forte décision prise par le gouvernement fera évanouir toutes difficultés. Sachant que Votre Excellence est très occupée, je passe sous silence les mille intrigues secrètes suscitées par les Prussiens. Je pars ce soir pour Vienne ; — E. TURR. »
  7. Interpellé par la gauche si le gouvernement garderait la neutralité, M. Lanza répondit, en l’absence de M. Visconti-Venosta, que la Gazette officielle publierait un avis rappelant aux sujets italiens les devoirs des neutres. Il dit également, en réponse à M. Nicotera, que le gouvernement se prêterait à un vote de confiance, ce qui l’exposait à s’engager avec les chambres sur son attitude extérieure.
  8. Le prince Napoléon, les Alliances de l’empire.
  9. M. Visconti-Venosta était Lombard. C’est en Lombardie qu’en souvenir de la délivrance autrichienne les sympathies pour la France sont restées les plus vivaces.
  10. Toutes les influences dont disposait l’église s’étaient exercées à la cour des Tuileries pour faire revenir l’empereur sur sa décision. Le cardinal Bonaparte avait écrit à l’impératrice pour la supplier qu’on laissât du moins, pour la protection du saint-père, le drapeau de la France. — L’impératrice ne put que lui répondre : « Priez et faites prier pour nous ! »
  11. Mot dont se servait volontiers Frédéric : Surtout ne ménagez pas les paroles veloutées, » écrivait-il à ses agens lorsqu’il voulait berner un gouvernement.
  12. C’était un renseignement sujet à caution.
  13. Ce furent les dernières instructions que M. de Gramont adressa à Florence ; peu de jours après il rentrait au palais du quai d’Orsay, les vêtemens en désordre, en proie à une violente surexcitation : le ministère Ollivier venait de sombrer sous les imprécations de la chambre et du pays. « Et dire, s’écriait-il, devant les secrétaires de son cabinet, en brandissant un coup de poing, que j’ai vu le moment où je me servirais de cet instrument pour me frayer un passage au milieu des députés qui m’étouffaient et m’abreuvaient d’injures ! Hélas ! ils n’avaient pas tort, mais ils m’auraient certainement absous, si j’avais pu tout leur dire ! »
  14. L’Autriche faisait, en effet, des travaux de défense, mais ce n’était pas sur la frontière italienne. Les journaux radicaux, on affirmant qu’elle voulait reprendre Venise, jouaient le jeu de la Prusse, qui avait intérêt, en éveillant les craintes de l’Italie, à rompre l’entente entre Florence et Vienne.
  15. Le roi d’Italie à l’empereur. — « Florence, 20 juillet 1870. — Monsieur mon frère, Votre Majesté impériale m’annonce son désir d’exécuter de son côté la convention du 20 septembre 1864, dont mon gouvernement accomplit exactement les obligations. L’Italie, comptant toujours de la part de Votre Majesté Impériale sur la détermination qu’elle veut bien prendre aujourd’hui, n’a jamais dénoncé la convention du 20 septembre. Votre Majesté ne peut donc pas douter qu’elle ne continue à en remplir les clauses, confiante dans une juste réciprocité de la France à observer ses propres engagemens. Je renouvelle à Votre Majesté impériale les assurances de l’inviolable.amitié avec laquelle je suis,
    « Monsieur mon frère et ami, de Votre Majesté impériale,
    « Le bon frère et ami,
    « VICTOR-EMMANUEL. »
  16. La ligne des neutres, dont il fut beaucoup question, ne parvint pas à se constituer. Il n’entrait pas dans le système de l’école de Manchester d’engager la politique extérieure de l’Angleterre, et il ne pouvait convenir à la Russie, qui déjà songeait à déchirer le traité de Paris, de se lier les mains. La ligue des neutres est un de ces clichés comme il s’en rencontre beaucoup dans l’histoire.
  17. « Ordre de requérir pour le prince Jérôme Napoléon, chargé d’une mission spéciale en Italie pour le service de l’empereur, la protection des autorités civiles et militaires. »
  18. Le prince Napoléon était violemment attaqué par la presse française, qui se demandait comment il avait pu quitter l’armée, et le nouveau ministre des affaires étrangères, le prince de La Tour-d’Auvergne, parlait de donner sa démission en face d’une mission sur laquelle il n’avait pas été consulté. Le prince pria M. de Malaret de télégraphier à son ministre qu’il était venu à Florence, en vertu d’un ordre de l’empereur formulé dans son passeport, pour demander la participation de l’Italie à la guerre et que le gouvernement italien avait demandé de consulter préalablement l’Autriche, dont la réponse serait vraisemblablement négative. Le prince n’a accepté aucune discussion, ajoutait la dépêche, sur une intervention diplomatique ; il a écrit à l’empereur pour avoir des ordres formels qu’il exécutera dès qu’il les recevra, ce qui ne peut tarder. Le 28, l’empereur télégraphiait à son cousin de rester à Florence.
  19. « Si jamais il s’agissait d’aller à Rome, disait le roi au prince de La Tour d’Auvergne en 1859, c’est à Humbert seul que je laisserai cette tâche. Pour rien au monde je ne veux y mettre les pieds. » (Comte d’Ideville, Journal d’un diplomate en Italie.)
  20. Jules Favre, Rome et la République française en 1871.
  21. « Trois hommes, écrivait M. Cernuschi dans le Siècle, ont fait le royaume de Victor-Emmanuel : Mazzini, Garibaldi, Napoléon III. Mazzini est en prison, Garibaldi est bloqué à Caprera, et Napoléon a perdu sa couronne. »
  22. La majorité de la population romaine voulait s’annexer à l’Italie, mais elle désirait conserver l’autonomie de Rome, avec une garnison italienne, car elle redoutait les bandes garibaldiennes et protestait contre le régime ecclésiastique. Le clergé séculier et même quelques cardinaux étaient partisans d’une transaction.
  23. « Les Italiens, disait une proclamation du roi, sont maîtres de leurs destinées après leur dispersion pendant des siècles, dans la ville qui fut la capitale du monde. Ils sauront tirer des restes de leur grandeur l’augure d’une grandeur nouvelle et couronner de leur respect le saint-siège, cet empire spirituel qui arbore ses pacifiques enseignes là même où les aigles romaines n’étaient pas arrivées. »
  24. M. de Thile, le sous-secrétaire d’état au ministère des affaires étrangères à Berlin, atténuait les démarches de M. d’Arnim lorsqu’il était interpellé par le ministre d’Italie. Il prétendait que sa visite au quartier-général ne lui avait pas été prescrite ; qu’il l’avait faite d’initiative, afin de conjurer une effusion de sang.
  25. L’installation du pape à Malte paraissait être une idée fixe des Anglais. Lord Russel l’avait proposée en 1860, et depuis, chaque fois que Pie IX était menacé, la diplomatie britannique mettait Malte à sa disposition.
  26. Le cardinal Antonelli fit demander au gouvernement français en prévision d’une aggravation dans la situation du pape, de réclamer au cabinet de Florence la garantie pour le saint-père de pouvoir s’éloigner de Rome en toute liberté, par voie de terre ou par voie de mer, à son choix, s’il le jugeait nécessaire.. Cette autorisation lui fut accordée.
  27. M. Favre avait cependant le respect des situations acquises ; il avait aussi conscience de son inexpérience. « De grâce, ne m’abandonnez pas, disait-il le 5 septembre, aux agens du ministère ; que deviendrais-je sans vous ? Je ne commettrai que des erreurs. » Il ne se passa pas moins de leurs avis et même de leurs plumes. il était dans sa destinée de mettre ses actes en contradiction avec ses paroles.
  28. Le comte Chaudordy, dans l’intérêt de notre politique, défendit l’ancienne carrière auprès de la délégation de Tours. M. Gambetta ne le contraria en rien, il comprit l’avantage qu’il y avait à atténuer notre état révolutionnaire par une représentation diplomatique correcte, traditionnelle, auprès des cours étrangères. Il maintint comme chargés d’affaires : M. Tinsot, à Londres, M. de Mosbourg, à Vienne, M. de Gabriac, à Pétersbourg, M. Lefèvre de Béhaine, à Rome ; il envoya M. de Chateaurenard à Berne, laissa M. Fournier à Stockholm, et me nomma ministre à Florence. C’est dans la même pensée que, vers la fin de la guerre, la légation de Constantinople fut confiée à notre ancien ministre à La Haye. Mais M. Baudin, à peine débarqué, était rappelé aussitôt par le gouvernement de M. Thiers. Le comte Chaudordy ne fut pas mieux traité, M. Thiers lui reprochait de ne pas avoir approuvé son langage à Vienne, Pétersbourg et Florence ; il l’accusait à tort d’avoir contre-carré son envoi comme plénipotentiaire à la conférence de Londres. Ceux qui sont à la peine ne sont pas toujours à l’honneur.
  29. M. Senard répondit qu’il était convenu avec M. Favre qu’il saisirait la première occasion pour déclarer au gouvernement italien que, s’il n’avait pas officiellement dénoncé la convention du 15 septembre, c’est parce qu’il avait été entendu avec M. Nigra, que par le fait même de la déchéance de l’empire, la convention avait virtuellement cessé d’exister. Étrange théorie qui, à chaque révolution, remettait en question les traités antérieurement conclus ! « Ma lettre au roi, ajoutait M. Senard, m’a valu des remercîmens enthousiastes ; elle m’a rendu ma tâche facile. »
  30. Le mouvement s’accentua de tous côtés. Les volontaires se présentèrent en masse. Malheureusement, à côté d’hommes de bonne volonté, il s’en trouva qui ne voyaient dans l’enrôlement qu’une occasion de faire un voyage gratuit en France. Il se présenta même des enfans dont les parens venaient accuser M. Senard de subornation. Il y eut des scènes fâcheuses à la légation. M. Senard dut abandonner à un ancien officier garibaldien, le major Lobbis, le soin de contrôler les volontaires et de les diriger sur la France. Mais bientôt le gouvernement italien dut intervenir sur les réclamations de la Prusse. L’ordre fut donné de ne plus laisser embarquer sans passeport italien. On s’en remit alors à un député, M. Mauro-Macchi, pour déjouer la surveillance des autorités locales et organiser les départs.
  31. « Nous vous prions, écrivait M. Chaudordy à M. Senard, le 28 septembre, de vous occuper moins de Garibaldi. Évitez-nous de nouveaux embarras et faites en sorte, avec votre bienveillance habituelle, que Garibaldi et garibaldiens restent en Italie. Nous vous en prions instamment. Garibaldi est d’ailleurs à Caprera. — Garibaldi n’est plus gardé à Caprera, répondait M. Senard ; il doit être en route pour Tours, ménagez lui une grande réception. Notre froideur, voisine du dédain, étonne. Sineo nous rappelle l’engagement pris avec Gambetta et Arago. « — M. Glais-Bizoin dit dans ses Souvenirs : « Un de nos amis était allé à l’insu de la Délégation à Caprera, d’où il avait ramené le général dans une barque. L’annonce de son débarquement causa un grand ennui à Chaudordy ; il craignait que l’intervention des garibaldiens ne nous enlevât les sympathies de l’Autriche et de la Russie. J’estimais au contraire qu’il fallait le faire venir à Tours et lui ménager une brillante réception. Il fut acclamé par la garde nationale, qu’il passa en revue. » Le même jour, quelques heures plus tard, la délégation passait en revue les volontaires de Charette !
  32. M. Thiers approuva les enrôlemens lorsqu’il vint à Florence. « M. Thiers, écrivait M. Senard, pense avec moi que le développement du mouvement garibaldien doit exalter en Italie les sympathies pour la France, embarrasser les députés de la gauche restés hostiles et entraîner le gouvernement avec nous. Il voudrait donc voir accorder sans conditions les frais de transport aux volontaires. »
  33. M. Favre était fasciné par M. Thiers ; il cédait, sans oser le contredire, à toutes ses volontés. « Je vais chez mon roi, » disait-il aux secrétaires de son cabinet lorsqu’il allait à la présidence.
  34. La candidature du duc d’Aoste avait déjà été discutée dans les conseils du roi en 1868. Victor-Emmanuel y tenait plus que ses ministres. M. Visconti avait conscience des difficultés que cette entreprise dynastique pourrait susciter à l’Italie ; mais il eut la main forcée.
  35. Dépêche télégraphique de M. Senard à la délégation de Tours : « M. Thiers vous prie de ne pas considérer son insuccès comme une rupture. »
  36. Dans la seconde phase de la guerre, on le verra par ma correspondance, l’Italie s’émut de nos malheurs. Ses aspirations nationales satisfaites, ses souvenirs se réveillèrent, son assistance diplomatique ne nous fit pas défaut ; elle résista à de perfides incitations, elle ne se laissa pas impressionner par les remontrances du vainqueur, qui lui reprochait sa partialité. Le parlement et la presse s’efforcèrent, en toutes circonstances, de racheter l’inaction et les calculs des ministres par des démonstrations non équivoques de sympathie.