SOUVENIRS
DES
CÔTES D’AFRIQUE.


(Fragmens inédits communiqués par M. Duvernay.)

PREMIER FRAGMENT.
SAINT-MARY, LA CAZAMANSE, BISSAO, BOULAM, CAGNABAC.
I. Saint-Mary.

Le 25 novembre 1828, après plusieurs jours d’attente à la barre du Sénégal, je partis pour Gorée, à bord de la goëlette l’Héléna. Mon dessein était d’aller essayer de m’établir pour commercer sur quelque point de la côte. De Gorée je me rendis à Saint-Mary Bathurst ; là se trouvait, à mon arrivée, le trois-mâts anglais l’Hécla, qui revenait de faire un voyage d’exploration au pôle, et qui était chargé de déterminer les sondes sur la côte d’Afrique.

La ville de Saint-Mary Bathurst est bâtie dans une île, à deux lieues de l’embouchure de la Gambie ; quoique la population en soit faible, les maisons sont tellement espacées qu’elle occupe un vaste terrain. Les rues sont très-larges et bordées d’un fossé de trois à quatre pieds de profondeur, pour faciliter l’écoulement des eaux dans la saison pluvieuse ; cette précaution prouve la grande différence qui existe entre le climat de Saint-Louis et celui de Saint-Mary, quoiqu’il n’y ait pas trois degrés de différence dans leur latitude. Les caboteurs français qui viennent de Saint-Louis et de Gorée, se fournissent à Saint-Mary de poudre, de fer, d’ambre, de guinées de l’Inde et de fusils. Ils donnent en échange du vin, du corail, des verroteries (principalement du galet rouge et blanc), et enfin une partie des produits qu’ils traitent sur la côte.

Autrefois, les marchandises françaises étaient prohibées à Saint-Mary, comme les marchandises anglaises le sont à Saint-Louis ; mais les Anglais ont senti que la contrebande devenait extrêmement facile par le poste français d’Albréda, situé à quelques lieues au-dessus. Ils ont, en conséquence, permis l’entrée des produits français, moyennant 6 p. 0/0 sur la vente, et un droit de 6 shellings par tonneau.

La position de Saint-Mary fait du tort au commerce de cabotage de Saint-Louis et de Gorée. Les caboteurs vendent souvent une partie des produits qu’ils ont traités avec les nègres, d’un côté parce qu’ils trouvent à meilleur marché à Saint-Mary les articles que j’ai cités plus haut ; et d’un autre côté parce que les vents contraires, qui règnent pendant la plus grande partie de l’année, et la difficulté que de petits navires éprouvent à louvoyer avec la lame de bout, les obligent à séjourner en Gambie.

À cinq lieues au-dessus de Saint-Mary se trouve Albréda, poste non fortifié, où les Français ont un résident. La pénurie des capitaux fait qu’on ne peut pas juger des avantages commerciaux que l’on pourrait retirer de ce poste ; cependant il est permis de penser que notre commerce ne saurait jamais en tirer un grand parti, à cause de la concurrence de Saint-Mary, où, comme je l’ai déjà dit, on trouve beaucoup d’articles essentiels au commerce d’Afrique, à bien meilleur marché qu’on ne pourrait se les procurer chez nous.

Le dimanche, tout ouvrage cesse à Saint-Mary ; on ne permet pas aux naturels de venir vendre leurs produits, ni même de fournir le marché de comestibles. Celui qui se livre au travail ou à la joie ce jour-là est puni d’emprisonnement ou d’amende ; le seul passe-temps qui soit lawful est de s’enivrer. Il est immoral de danser ou de chanter le jour du sabbat ; mais un homme peut sans offenser la morale publique noyer sa raison tous les dimanches dans les liqueurs fermentées.

Les Anglais ont à Saint-Mary un prédicateur anglican et un autre méthodiste ; ce dernier est au nombre des missionnaires. Les nègres des environs ne veulent pas entendre parler de missionnaires : ceux-ci sont donc obligés de se contenter de faire des conversions dans la ville. Les missionnaires méthodistes de la Gambie m’ont rappelé une réflexion que j’avais déjà faite en Amérique : ces messieurs accusent les catholiques romains d’intolérance et presque d’idolâtrie ; pour faire juger de la bonne foi qu’ils mettent dans ces accusations, je n’ai qu’à représenter ce qui se passe dans nos églises et dans leurs temples, sur la côte d’Afrique. Chez nous, ceux qui assistent à l’office divin n’y vont que de leur plein gré, sans crainte d’être signalés, s’ils ne s’y rendent pas ; le service terminé, ils se retirent tous, sans exception, tranquillement comme ils sont venus, tandis que chez les méthodistes, les temples sont souvent le lieu des scènes les plus scandaleuses ; le prédicateur voit le diable, il l’exorcise ; de malheureux nègres, comprenant à peine les paroles qu’on a prononcées, tombent en convulsions et ne sortent de cette crise que lorsque l’esprit malin les a quittés, grâce à l’exorcisme du prédicateur. Afin que l’on ne m’accuse pas de charger le tableau, je dirai que j’ai entendu parler de ces scènes à Saint-Mary et que je les ai vues à Richmont en Virginie et à Sierra-Léone sur la côte d’Afrique. Quoique cette matière ne soit pas de ma compétence, je ne suis pas fâché d’ajouter ce petit article au chapitre de l’esprit de tolérance que nous avons la bonté de tant admirer chez les Anglais.

La garnison de Saint-Mary est composée de nègres, à l’exception des officiers ; on prétend qu’il déserte peu de soldats.

Les Anglais m’ont assuré que, sans l’intercession du gouverneur de Saint-Mary, le roi de Barre eût renvoyé l’agent établi à notre comptoir d’Albréda : d’un autre côté, je sais que ce même roi a menacé les Anglais de les chasser eux-mêmes. Peut-être ne le craignent-ils pas ; ils m’ont cependant paru prendre quelques précautions.

II. – La Cazamanse

Je commençai ma tournée d’essai par la Cazamanse. Cette rivière est occupée par les Portugais. Le pays environnant est habité par les Diolas, gens doux et affables. Les Français y ont eu des agens ; mais je vois deux obstacles principaux à ce qu’on puisse organiser avantageusement des comptoirs chez ces peuples. Le premier est la longue possession des Portugais, qui regardent toujours tout établissement étranger, en ce lieu, comme une violation de leurs droits, et comme un abus de la force contre la faiblesse. Pour commercer dans le pays, il faudrait se servir des Portugais, ou du moins des gens qu’ils emploient ; et le caractère de cette race d’Européens dégénérés n’offre aucune garantie : il faudrait ou les extirper entièrement, ce qui serait difficile, ou laisser les Français exposés à être empoisonnés ; car ces gens ne se font pas de scrupule d’user de ce moyen pour payer leurs dettes ; à plus forte raison s’en serviraient-ils contre des individus qu’ils considéreraient comme des usurpateurs. Ce que j’ai vu du caractère des Portugais sur la côte d’Afrique m’a partout paru hideux, et j’avoue que je n’oserais m’établir à côté d’eux qu’en état de guerre ouverte, de guerre d’extermination : je pense que l’état de paix serait infiniment plus dangereux.

Le second obstacle vient de la nature même du pays, où les transports par terre sont très-dispendieux, lorsqu’ils ne sont pas impossibles : il faut donc habiter le bord de la rivière. La Cazamanse laisse à découvert sur ses deux rives, à la marée basse, de vastes plaines de vase, couvertes d’herbes ; ce terrain mou rendrait les chargemens et déchargemens pénibles ; les miasmes qui s’en exhalent doivent être mortels pour tout étranger qui s’y établit, à moins que sa santé n’ait été éprouvée par un long séjour sur la côte.

Les personnes venant du Sénégal et visitant la Cazamanse doivent trouver le pays superbe sous le rapport de la fertilité ; mais si l’on voulait y établir une colonie, ma seconde objection existerait toujours, et l’on ne pourrait lever la première qu’en déployant des forces considérables, vu la mortalité.

III. – Bissao.

Le commerce français peut trouver à Bissao quelques débouchés ; mais les droits exorbitans qu’exigent les Portugais sont un grand obstacle aux affaires : le droit d’ancrage sur les bâtimens monte à trois cents francs, et l’on prélève un droit de 24 pour cent sur toutes les marchandises.

Cependant la dépense pourrait se réduire à un cadeau de la valeur d’une cinquantaine de francs, en suivant la marche que je vais indiquer. Le capitaine étranger qui arrive doit avoir soin de faire jeter l’ancre à Banding, qui est la dernière pointe à doubler pour arriver au fort portugais. À peine mouillé, il enverra son canot à terre, prévenir le roi des Papels qu’il est son ami, qu’il a entendu parler de lui, et qu’il désire commercer avec ses sujets, sans aller chez les Portugais. Le roi aussitôt lui permet de rester et fait avertir le gouvernement portugais qu’un de ses amis est arrivé pour commercer avec lui, et qu’il ait à rester tranquille : le roi Papel est assez puissant pour faire respecter par les Portugais le navire qu’il protége. En maintenant l’équipage dans la discipline et la prudence, on n’aura pas à craindre que le roi Papel se laisse gagner par les présens du gouverneur portugais, qui ne manquera pas de lui en offrir pour qu’on lui livre le navire. Les Papels, tout simples qu’ils sont, comprennent très-bien qu’il est avantageux pour eux de traiter directement avec les négocians européens, sans l’intermédiaire des Portugais : d’un côté c’est le monopole, de l’autre c’est le commerce libre.

Le capitaine mouillé à Banding fera des affaires bien plus avantageuses ; il traitera avec des gens d’un naturel doux, point querelleurs, je pourrais presque ajouter point voleurs, si je ne savais combien cette assertion est délicate en parlant d’Africains.

Si au contraire le capitaine mouille vis-à-vis du fort portugais, il lui faudra déposer ses papiers ; c’est alors qu’on le tient : le gouvernement de Bissao est une ferme de trois ans ; il faut que celui qui commande fasse sa fortune dans cet espace de temps, et tous moyens lui sont bons. Aussitôt qu’il tient les papiers d’un navire, il s’informe de la nature de la cargaison, achète tout ce qu’il sait manquer dans le pays, remet une partie des droits moyennant des cadeaux onéreux. Le capitaine qui refuserait de lui vendre à son prix ou de lui faire crédit, serait sûr de voir mille difficultés s’élever pour le laisser partir. Lorsque le gouverneur a fait son marché, ses officiers se présentent, achètent à leur tour, et enfin, ces messieurs une fois satisfaits, les affaires commencent avec les marchands. D’après cette manière d’agir de l’autorité, on voit combien les articles doivent être vendus cher aux indigènes ; le gouverneur et ses officiers, ayant le premier choix, prennent en totalité les choses les plus demandées et les revendent comme ils veulent.

Pour donner une idée de la force de la végétation de ce pays, je citerai quatre fromagers qui ont poussé sur des terres de rapport, près des bastions du fort de Bissao : ces arbres ont à peu près dix brasses de circonférence à hauteur d’homme ; on sait que le tronc du fromager s’élève à une grande hauteur en diminuant insensiblement de grosseur. Curieux de connaître à peu près l’âge de ces arbres, poussés évidemment après la construction du fort, j’appris qu’il n’y avait que quatre-vingts ans que celui-ci avait été élevé.

Le fort de Bissao est bâti en pierre, entouré d’un long fossé que j’ai vu à sec, mais qui pourrait conserver les eaux pluviales pendant toute l’année, vu la nature du terrain ; il existe même dans le haut de la ville une source qui, je crois, pourrait l’alimenter. C’est le plus beau fort que j’aie vu sur la côte.

La garnison, tant officiers que soldats, se compose de nègres, de mulâtres et de blancs. On déporte généralement du Portugal aux îles du cap Vert, et des îles du cap Vert à Bissao, à Cachéo ; cela peut faire apprécier d’avance la proportion d’honnêteté qu’on doit espérer de rencontrer ici.

Les soldats sont sales, nourris seulement les jours de service : leur paie consiste en une livre de tabac et une bouteille d’eau-de-vie par mois ; quelquefois l’eau-de-vie est remplacée par une livre de poudre. Les officiers sont en proportion aussi peu payés que les soldats ; ils obtiennent de l’avancement par un cadeau de cire ou de cuirs fait au gouverneur des îles du cap Vert. Les officiers et les soldats n’étant pas assez payés pour se procurer les choses indispensables à la vie, sont obligés de faire le commerce.

Le pays m’a paru pauvre, sous le rapport commercial ; les importations surpassent de beaucoup les exportations ; cependant l’odieux trafic ou traite des nègres les soutient un peu. Je crois néanmoins que si Bissao était occupé par une nation européenne industrieuse et jouissant d’un commerce libre, un comptoir pourrait y offrir des avantages. On y achète de la cire, de l’ivoire, de l’écaille de tortue, des cuirs, du riz. Les habitans des îles Bisagos y viennent en pirogues vendre quelques produits.

L’aspect du pays est agréable ; il annonce un peuple laborieux. Les terrains bas sont entourés de digues de trois à quatre pieds de haut ; ils sont cultivés par sillons profonds, pour que l’eau y séjourne ; la communication de l’eau se fait au travers des digues, au moyen de troncs de palmiers creusés. Lorsque le propriétaire croit son champ suffisamment arrosé, il débouche le conduit de communication qui aboutit dans le champ voisin, et alors il travaille à retourner dans la terre toute la paille de riz qui est restée sur pied de la récolte précédente. Le propriétaire d’un champ situé sur le bord de la rivière a soin de n’ouvrir sa communication qu’à la marée basse.

C’est le riz que cultivent principalement les Papels. À voir les nègres travailler à leurs rizières, dans la boue jusqu’au dessus du jarret, il est facile de s’apercevoir que si le terrain est fertile, les propriétaires de leur côté sont laborieux.

Les coteaux sont aussi cultivés en sillons ; on y sème du mil. Par les tiges qui restaient sur le terrain à mon arrivée, j’ai pu voir que cette plante y réussit beaucoup mieux que dans le Wallo ; ces tiges étaient bien plus grosses et plus rapprochées.

Je n’ai pas vu de villages proprement dits ; chaque maison est isolée comme nos fermes en France ; elle est entourée d’une étable, d’un jardin, de champs de mil, et d’un verger. Le jardin est cultivé en manioc, en ignames, et, si je ne me trompe, en choux caraïbes (j’ai mangé la plante, mais je ne suis pas sûr du nom). Le verger contient, et en quantité, des bananiers, des papayers, des orangers et des citronniers.

Le roi des Papels a cédé aux Portugais le terrain où le fort est bâti, mais il n’a pas cédé pour cela son autorité sur le pays. Le roi s’occupe de culture comme le dernier de ses sujets, il travaille comme eux dans la boue jusqu’au jarret ; on ne peut le distinguer que les jours de palabres, au manteau rouge que le gouverneur portugais lui fournit, et à un anneau de fer qu’il passe autour de son pouce ; il tient à la main une plaque de même métal qu’il frappe de son anneau lorsqu’il veut parler ou rétablir le silence.

Tout esclave qui se réfugie chez les Papels est libre. Ces gens m’ont paru trop occupés de leurs cultures pour être importuns à des étrangers. Les volailles sont abondantes et à vil prix ; les porcs sont aussi abondans et peu chers ; le vin de palme est commun ; leurs troupeaux de bœufs, quoique de petite race, sont nombreux et en très-bon état, même dans la saison sèche.

L’étranger qui voudrait chasser dans le pays des Papels doit surtout s’abstenir de tuer des oiseaux sur les arbres consacrés ; malheur à lui s’il commettait cette impiété ! Ne pouvant distinguer les arbres sacrés, j’ai évité toute erreur en ne tirant jamais sur ceux que je voyais entourés de broussailles à leur pied, auxquels je remarquais qu’on n’avait coupé aucune branche, auprès desquels enfin l’herbe n’était pas foulée. Avec des gens grossiers on ne saurait trop se garder de mettre le fanatisme en jeu.

Les femmes de ce pays sont plus animées que celles de Saint-Louis ; elles sont aussi plus aimables. On trouve chez elles des manières qui surprennent dans des filles presque sauvages ; elles nous reprochaient d’être moins caressans, moins voluptueux que les Portugais, ce qui montre de quel côté la civilisation a fait des progrès chez elles.

Les Papels, comme tous les peuples du voisinage, depuis l’île de Jatte jusqu’à Boulam, ont souvent à souffrir de la piraterie des habitans des Bisagos.

Le 26 décembre 1828, on tira le canon toute la journée à Bissao ; m’étant promené du côté du fort, j’entendis les cris de vive dont Miguel, roi absolu de Portugal ! On reconnaissait le nouveau roi ce jour-là.

Un seul trait suffira pour peindre la dignité du gouvernement portugais Bissao. Dans la salle de réception, qui sert aussi de bureau et de salle à manger, on voit une balance dans laquelle le gouverneur pèse le riz qu’il achète pour son commerce ; elle est formée de deux calebasses suspendues par des ficelles, et le support de cette balance n’est autre que la toise à mesurer les soldats.

IV. – Boulam

Par occasion, je visitai Boulam, île inhabitée située à l’entrée du Rio-Grande. Elle est arrosée par des sources abondantes, et couverte de bois magnifiques. Sa position à l’embouchure du Rio-Grande la rendrait très-propre à fournir l’emplacement d’un établissement commercial. En la voyant si belle, si fertile, et pourtant déserte, j’ai dû naturellement en chercher le motif, et j’ai vu que ce qui empêchait les nègres de la grande terre d’y habiter empêcherait également les Européens de s’y établir.

Boulam se trouve à la suite des îles Jatte, Bussis et Bissao, et, comme elles, très-rapprochée de la grande terre. La population de ces îles appartient à la même nation que celle du continent, qui est vis-à-vis. Les Papels sont un peuple puissant, brave et essentiellement cultivateur. La force de cette nation et son plus grand éloignement des Bisagos ont dû nécessairement empêcher l’envahissement total de Jatte, Bussis et Bissao, qui cependant sont encore sujettes à des pillages et à des enlèvemens d’esclaves ; mais Boulam, située au sud, séparée par une grande baie, et plus rapprochée de Bisagos, ne se trouve pas sous la protection aussi immédiate du continent. Les peuples de la côte commencent déjà, vers Boulam, à être sous l’influence des mahométans de l’intérieur, seigneurs suzerains des rois de la côte, jusqu’à Sierra-Léone, et qui même, dans plusieurs endroits, envoient des gouverneurs pour administrer la justice. Les rois des peuples qui habitent vers Boulam, ayant assez à faire pour se préserver des invasions de l’intérieur, ne sauraient porter des secours efficaces aux habitans de cette île ; et comme elle est plus rapprochée de l’archipel des Bisagos, c’est à ce peuple-ci que l’on doit attribuer la dépopulation de Boulam[1].

Les Bisagos, habitans des îles du même nom, sont des hommes turbulens, sauvages, habitués à des expéditions sur mer. Braves et féroces, on les a vus quelquefois attaquer et enlever des navires européens, qui, faute de bons pilotes, échouent souvent dans le canal des Bisagos, lorsque la marée vient à se retirer. Les nègres Bisagos rassemblent pour leurs expéditions un grand nombre de pirogues, montées par quinze à trente hommes ; ils calculent l’heure de la marée de manière à arriver de nuit avec la fin du flot ; ils font une descente à terre, enlèvent hommes, femmes et enfans, et repartent dès qu’ils ont assez de butin.

La traversée pour arriver à Jatte, Bussis et Bissao, est plus longue. Ces îles sont plus grandes ; la population en étant plus forte, plus courageuse, les pillages ont dû y être moins fréquens et plus dangereux, tandis que lorsque les pirates rassemblent leurs forces à Cagnabac, ils n’ont qu’une traversée de quelques lieues pour se rendre à Boulam ; sûrs de n’y trouver qu’une faible population rendue timide par le danger même, les pillages, sur ce point, ont dû se réitérer et déterminer enfin l’émigration totale du reste d’une population hors d’état de se défendre.

Le caractère féroce des Bisagos, leur esprit héréditaire de piraterie, leur peu de civilisation, en feraient des voisins fort dangereux pour des européens. Pour s’établir à Boulam, il faudrait s’y fortifier, ce qui exigerait de grands sacrifices d’argent ; on serait obligé d’y apporter jusqu’aux manœuvres. Les peuplades des Bisagos étant très en arrière de la civilisation des autres nègres, il serait difficile de faire des traités avantageux avec eux. Chaque île de cet archipel reconnaît un roi particulier, qui prétend avoir des droits sur Boulam ; les frais de coutumes, et autres présens d’usage deviendraient très-multipliés. Il serait même très-difficile de les contenter tous : chaque roi demanderait des présens proportionnés à sa puissance ; et ceux qui recevraient moins, se sentant assez forts pour faire le mal, préféreraient suivre leurs habitudes que de tenir des traités qui ne les avantageraient pas autant que les autres. Il faudrait donc, pour s’établir à Boulam, des forces assez considérables, tout le poids de la guerre devant tomber sur les colons, qui n’auraient dans le voisinage aucune nation pour prendre leur parti par intérêt ; il faudrait surtout une marine toujours en activité : cette marine, à la vérité, ne devrait être composée que de petits navires ; mais le service en deviendrait très-dur dans la saison pluvieuse, qui est fort longue dans ces parages.

Deux établissements[2], déjà essayés à Boulam, ont été abandonnés après la mort de tous ceux qui les formaient. Un européen armé doit peu craindre les nègres ; mais dans un établissement commercial, il faut que le traitant puisse s’occuper tranquillement de ses affaires, qu’il ne soit pas sans cesse exposé aux invasions subites de peuples qui, n’ayant rien à perdre, n’offrent aucun avantage à les vaincre. Si l’on faisait sa fortune en les combattant, assez d’aventuriers seraient disposés à courir toutes les chances de la guerre dans l’espoir de gagner de l’or ; mais il n’en est point ainsi : si l’on demeure vainqueur, tout le butin se borne à quelques mauvaises armes, et l’on se trouve sans dédommagement pour les pertes que l’on a essuyées.

Je pense que l’on ne doit tenter d’établissement commercial que dans un pays où, au pis aller, on en soit quitte pour des sacrifices d’argent, pour des cadeaux faits à quelques chefs : or, à Boulam, je ne vois aucune nation indigène qui pût nous protéger pour de l’argent. Je vois, au contraire, des peuples puissans, ne vivant que de rapines, et qui sont la terreur de toute la côte. Sans doute des européens surmonteraient ces difficultés ; mais pourquoi se jeter dans des dépenses considérables sans l’espoir fondé de recueillir des avantages certains ? Une expédition anglaise s’est rendue, en 1829, dans le Rio-Grande, pour y établir un comptoir, et d’après le rapport que me firent les gens du pays, lorsque je passai dans les environs, au mois de juillet, un seul individu avait survécu.

V. – Cagnabac

De Boulam je me rendis à Cagnabac : c’est la dernière île habitée au sud, dans l’archipel des Bisagos. Damion, roi actuel, ayant dans sa jeunesse été élevé chez les Portugais, est un peu plus civilisé que ses compatriotes. Le propriétaire de la goëlette l’Héléna, à bord de laquelle j’étais passager, le connaissait, personnellement ; c’est à cette circonstance que je dois probablement de n’avoir pas été insulté ; car à peine le navire fut-il à l’ancre, qu’avec mon insouciance habituelle je me fis mettre à terre par le canot, et je parcourus l’île, seul avec mon fusil et des munitions, sans connaître un mot de la langue. Je rencontrai quelques nègres travaillant à leurs champs de riz ; ils vinrent à moi, et me firent signe de leur montrer mon fusil. Pour toute réponse, je glissai une balle dans chaque canon : je connaissais trop bien l’Afrique pour leur livrer mon arme, et par-là les exposer à la tentation de s’en emparer en se défaisant du propriétaire. Je prononçai le nom du roi ; ils me montrèrent un sentier que je suivis, et qui me conduisit au village qu’il habitait. Je le vis assis devant sa porte, sous un grand dais de feuillage, qui s’étendait à une vingtaine de pieds de chaque côté, où il se trouvait à l’abri du soleil. On m’apporta un siége de bois de la forme d’un champignon ; après que je me fus assis, mon fusil entre les jambes de peur d’accident, il commença à me parler en bisago et en mauvais créole portugais ; ne le comprenant pas, je ne pus lui répondre. Il me fit apporter du vin de palme pour me rafraîchir ; cette liqueur ne me parut pas agréable parce qu’elle était fermentée. Ne pouvant converser avec le roi, j’examinai sa case, et une de ses femmes y étant entrée, je la suivis. Cette case était extrêmement propre, soigneusement balayée, ayant plusieurs portes formées d’une seule planche grossièrement taillée à la hache. La chambre du milieu était circulaire ; dans le centre se trouvait le foyer ; autour on avait élevé avec de la terre plusieurs petites estrades couvertes de nattes, qui servaient de lits. Ces estrades étaient accompagnées de pilastres, comme nos cheminés de campagne ; les colonnes du lit de la femme étaient moins hautes que celles du lit du roi. Les murs, construits en terre, étaient peints en losanges rouges, jaunes et noirs ; des armes proprement suspendues servaient d’ornement. À huit pieds de distance, en dehors de la muraille qui entoure la chambre, se trouvait un autre mur circulaire, formant galerie dans les trois quarts de sa longueur. C’est là que couchent les enfans et les domestiques ; l’autre quart était partagé en deux petits cabinets, où il y avait des provisions renfermées dans des paniers de jonc. Un passage entre les deux cabinets donnait sortie sur une cour fermée, destinée à divers usages particuliers. Après avoir tout examiné, comme j’allais sortir de la case, la femme que j’avais suivie posa une natte par terre dans la galerie, et mit dessus un plat en bois, rempli de riz assaisonné d’huile de palme fraîche, et d’une espèce de coquillage que l’on fait cuire après avoir cassé la coquille et l’avoir séparée ; une bagane pleine d’eau pour me laver, et une petite calebasse d’eau à boire complétaient le service. Après avoir fait honneur au repas, j’allai rejoindre le roi ; alors ses filles et ses parentes se placèrent en face de moi pour m’examiner ; elles riaient et jouaient entre elles ; elles me montrèrent des verroteries et m’en demandèrent ; je leur fis signe que j’en avais à bord, et par un geste que tous les nègres comprennent, je leur fis entendre le paiement que j’exigerais.

Le roi remarquant que j’avais tiré du gibier appela un petit nègre, et me fit signe de le suivre, me donnant à entendre que j’aurais occasion de décharger mon fusil ; je suivis effectivement mon nouveau guide, bien aise d’être débarrassé de la pantomime que je jouais depuis une demi-heure. Le négrillon me conduisit à travers une forêt épaisse, vers un endroit fort touffu : arrivés là, nous nous mîmes à ramper sous des buissons, et nous parvînmes sans bruit auprès d’un arbre couvert de fruits jaunes ; beaucoup de pigeons verts s’y étaient abattus pour manger les fruits ; j’eus d’abord de la peine à les distinguer du feuillage, à cause de leur couleur ; à la fin pourtant je les mis en joue, et j’en abattis deux d’un coup ; mon petit nègre sauta de joie lorsqu’il les vit par terre. Pour le récompenser de sa peine, je lui donnai la moitié du tabac contenu dans ma tabatière.

Après cette promenade, je pris un chemin qui me conduisit à un autre village, où le roi a aussi des cases et des femmes. Au milieu du village, sur une place, se trouve la maison du fétiche : cette maison est petite, proprement tenue, entourée d’un treillage ; entre le treillage et la maison, il y a des bananiers, des papayers et des orangers ; devant on voit un siége en bois, des instrumens aratoires, et un hangar couvert de feuilles vertes ; les environs de la maison étaient balayés avec le plus grand soin. Le fétiche était sous le hangar ; on avait posé devant lui du riz, du lait, du vin de palmier et de l’huile de palme ; il était placé sur une natte. Ce fétiche consiste en un bloc de bois haut d’un pied, cylindrique, recouvert de pagnes, surmonté d’une imitation grossière de tête d’homme de trois ou quatre pouces de diamètre, et couverte d’un vieux chapeau rond. Les attributs du fétiche sont deux pattes de crocodile en bois, avec des ongles de six pouces de long, figurés par des cornes de gazelle. Il est probable qu’on rentre le soir le fétiche dans sa maison, que chaque matin on lui apporte à manger des provisions fraîches, et qu’on le met prendre l’air devant sa porte.

L’habillement des femmes de Cagnabac se compose d’une collerette et d’une ceinture ; ces deux pièces d’ajustement se ressemblent : ce sont quelques milliers de petites ficelles d’écorce de baobab, de six pouces de long, attachées à la file par l’un des bouts, l’autre restant flottant ; elles mettent ces deux rangées de ficelles, l’une autour du cou, l’autre autour des reins ; la ceinture n’atteint pas le but qu’une européenne se propose en portant un jupon ; car un vêtement de six pouces de longueur, attaché sur les hanches, ne peut être considéré que comme un ornement.

Les hommes et les jeunes gens circoncis n’ont pour tout vêtement que ce qu’on appelle en yoloff un guimpe, espèce de ceinture attachée autour des reins, et qui, passant entre les jambes, vient s’assujétir par derrière, ne cachant qu’exactement ce que l’on ne peut montrer sans indécence ; cette ceinture est en peau de chèvre, avec la queue, qui se trouve placée là où l’animal la portait lui-même. Les garçons non circoncis ont une ceinture formée de la feuille d’un palmier, avec un morceau de bois fixé au milieu de la ceinture ; l’un des bouts de ce bois est pointu et ressort en avant, l’autre bout rentre entre les jambes. Ce bois traverse une boule de terre cuite, de sorte qu’il ressemble à un fuseau ; rien n’est singulier comme de voir marcher les jeunes nègres avec ce morceau de bois de quatre pouces de long, formant angle droit sur leur ventre.

Les habitans de Cagnabac, qui sont des Bisagos, me paraissent tenir le milieu entre la race des nègres de Cayor, Wallo et Yoloff, et celle des Foulahs et des Mandingues ; sans avoir les formes proéminentes des Wallos, ils ne sont pas aussi minces que les Foulahs.

Après avoir habité le pays de Wallo, l’île de Cagnabac paraît un paradis terrestre ; la beauté des arbres, la force de la végétation et l’abondance des récoltes y sont remarquables. J’y ai retrouvé tous les fruits que les nègres de Cayor apportent au marché de Saint-Louis du Sénégal, mais beaucoup plus beaux, et infiniment plus savoureux ; il en existe aussi à Cagnabac une quantité d’autres que je n’avais pas vus jusqu’alors.

Les cases sont généralement bien bâties et proprement tenues. Une remarque à faire, c’est que, depuis Saint-Louis jusqu’a Sierra-Léone, tous les peuples construisent mieux que les Wallos, ce que j’attribue à ce que les beaux mangliers sont communs chez eux, et à ce que cet arbre, par sa tige droite et élevée, est merveilleusement propre à faire des toitures : dans le Wallo, au contraire, où les bois sont rabougris, les habitans doivent nécessairement proportionner leurs cases aux moyens qu’ils ont de les couvrir.

Si les autres peuples s’adonnent plus qu’eux à l’agriculture, j’en vois encore la raison dans la nature du sol et dans le climat : les Wallos cultivaient du mil jusqu’à ma porte ; je pouvais même, sans sortir de ma chambre, suivre leurs travaux ; j’ai vu des nègres s’adonnant avec ardeur, pendant quatre ou cinq mois, à la culture du gros mil, ne quittant leurs champs ni nuit ni jour, puisqu’ils les gardent la nuit pour les préserver de l’invasion des singes ; et lorsque la récolte était faite, ils n’avaient souvent pas assez de grain pour se nourrir quatre autres mois. Sur le reste de la côte, au contraire, la terre les paie avec usure de leurs peines ; se trouvant dédommagés de leurs travaux, il est naturel qu’ils s’y livrent avec ardeur. Je sais qu’en attribuant au sol et au climat, et non aux hommes, le mauvais état de la culture dans le Wallo je me mets en contradiction avec beaucoup de monde ; mais je puis dire aussi : J’y étais et j’ai vu. Voici comment on a basé les calculs qu’on a faits : on a pris un bel épi de mil, on a compté les grains, et l’on s’est dit : Tous ces grains viennent d’une seule graine, donc le terrain produit tant pour un. Mais est-ce ainsi que l’on doit établir des comptes ? Ne pourrait-on pas avec autant de raison, en soutenant l’opinion contraire, dire : Voilà un trou où l’on a jeté cinq grains, un seul pied a levé sans produire de grains : et partant de là, on dirait : graines cinq, produit zéro.

On ne saurait trop prévenir les blancs qui voyagent en Afrique de se tenir en garde contre leurs premières impressions et contre la vivacité de leur caractère ; je citerai ici un exemple qui m’a été raconté par un Diola. Le capitaine d’un navire de guerre vint à terre avec son canot dans le pays des Diolas. Un nègre l’aperçoit et lui dit : « Blanc, viens chez moi, je tuerai une volaille, je te donnerai du lait, du vin de palme et des bananes, tu seras bien reçu ! » Un autre nègre survient, et lui dit à son tour : « Blanc, viens avec moi, soit mon hôte, je puis te donner tout ce que mon camarade t’offre, et je tuerai de plus une chèvre. » Pour le mieux déterminer, les deux interlocuteurs le tiraient chacun par un bras. Le capitaine, fort embarrassé, ne comprenant point ce qu’on lui disait, et voyant beaucoup de nègres se rassembler, ne sut à quoi attribuer l’espèce de violence qu’on exerçait envers lui ; il prit ces politesses, auxquelles il était peu habitué, pour des témoignages qui cachaient des desseins hostiles ; il dégagea ses bras, saisit une paire de pistolets, et brûla la cervelle aux deux pauvres nègres qui n’avaient d’autre intention que de le recevoir chez eux afin de pouvoir se glorifier devant leurs voisins d’avoir donné l’hospitalité à un chef blanc qui avait de l’or sur ses épaules !!!!… Peut-être, au fond, espéraient-ils un petit cadeau, mais recevant chez eux, ils l’auraient attendu sans le demander. Le séjour de six ans que j’ai fait en Afrique m’a mis à portée de juger que presque toutes les querelles qui s’élèvent entre les européens et les nègres proviennent de ce que l’on ne se comprend pas, et que ceux-là prennent pour insulte ce qui, d’après les usages du pays, est une chose toute naturelle.

Aussi, dans la formation d’un établissement commercial sur la côte d’Afrique, je crois que le caractère du résident sera toujours pour beaucoup dans la réussite ; il faudrait un homme ferme, et en même temps assez conciliant pour éviter toute querelle violente avant que l’on pût savoir positivement si les avantages qu’on retirerait compenseraient les frais d’une guerre qu’on pourrait se trouver obligé d’entreprendre. Un fort serait indispensable, ou au moins un lieu de refuge assez sûr pour arrêter des Africains pendant quelque temps : il faut que le résident se trouve en état de protéger efficacement tous les marchands nègres qui viendront se mettre sous sa protection provisoire ; il faut qu’il puisse maintenir en état de paix des hommes appartenant à des nations différentes et souvent en guerre ; il ne pourrait atteindre ce but s’il n’avait pas un asile inviolable à offrir à ceux qu’il regarderait comme les plus faibles. Il doit s’attacher, par sa conduite et par une surveillance active sur les européens, à donner au nouvel établissement une force morale basée sur la justice et sur l’intérêt commun des européens et des nègres. Il doit écouter toutes les plaintes ; souvent les nègres lui en porteront de frivoles, mais en leur répondant tranquillement, et surtout en prenant la peine d’entrer dans des explications, il parviendra aisément à leur faire entendre raison, et par cette conduite il acquerra une réputation de justice qui rendra sa tâche bien plus facile par la suite.

Qu’il évite surtout de prendre une femme du pays : plus les parens de cette femme seront puissans, plus il se trouverait à la merci des nègres ; les indigènes se croiraient en droit de tout exiger de lui, et s’il refusait de leur complaire, les marabouts ou les jongleurs se serviraient de la superstition pour travailler l’esprit de sa femme, et sa vie ne serait plus en sûreté. S’il croit qu’une femme du pays puisse lui être utile dans ses rapports avec les indigènes, il doit lui donner une case à part, et lui interdire l’entrée de sa cuisine.

Au surplus, Cagnabac, par sa situation un peu éloignée du continent, et par la nature de sa population, ne serait aucunement propre à recevoir un établissement de commerce.

Il n’est pas étonnant que des gens habitués à la rentrée exacte de leurs fonds accusent les nègres de mauvaise foi ; ces derniers ont peine à comprendre nos calculs d’intérêts, et d’intérêts de l’intérêt. Il est très-rare qu’un nègre renie une dette ; quand il a été heureux dans la vente des marchandises prises à crédit, il vient payer de suite ; mais s’il a fait de mauvaises affaires, il ne peut concevoir qu’on le persécute pour obtenir de lui ce qu’il n’a pas ; si la transaction s’est passée entre nègres, il raconte son histoire, demande et obtient du temps, et le créancier ne tourmente son débiteur que long-temps après ; quelquefois il laisse écouler plusieurs années avant de se saisir de quelque chose qui appartienne à ce dernier. Mais l’européen poursuit, et s’empare aussitôt de ce qu’il peut trouver : cette manière d’agir semble très-dure au nègre, parce qu’elle n’est pas dans ses mœurs ; souvent il se soustrait à ce qu’il regarde comme un acte arbitraire, et de là vient l’accusation de mauvaise foi portée contre lui.

Je crois donc les nègres de bonne foi dans les affaires et dans les traités ; pourtant ils sont voleurs envers les européens. Pour concilier ces deux idées, je dois prendre des exemples chez nous : un fonctionnaire public grossira, sur les fonds du gouvernement, ses dépenses de représentation ; un commis d’administration se fournira au bureau de plumes, d’encre, de papier ; et cependant le fonctionnaire et le commis seraient indignés si on les accusait de vol. Ces honnêtes gens qui se procurent des douceurs ressemblent tout-à-fait aux nègres qui se permettent ce qu’ils regardent comme une peccadille, et n’en sont pas moins de bonne foi dans tout autre cas.


  1. Ces conjectures sont confirmées par les documens historiques ; on sait, en effet, que ce sont les Bisagos qui ont chassé de Boulam les Biafars qui l’habitaient antérieurement.

    *A…
  2. De ces deux établissemens, l’un est celui qui fut tenté par une compagnie anglaise sous la direction du lieutenant Beaver ; l’autre nous est complétement inconnu.

    *A…