Souvenirs des Côtes de Californie
Revue des Deux Mondes, période initialetome 17 (p. 5-38).
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Le Salteador
scènes du désert et de la vie mexicaine


I.

Le moment approchait pour moi de dire adieu à la vie du désert. Je ne voulais pas cependant reprendre la route d’Hermosillo sans avoir visité le préside de Tubac. C’était le terme que j’avais fixé à ma longue excursion dans les solitudes mexicaines. Les rencontres, les incidens variés qui avaient marqué la première partie de mon voyage[1], n’étaient pas faits pour lasser ma curiosité. Aussi le jour du départ me trouva-t-il tout prêt, tout disposé à braver de nouveaux périls et de nouvelles fatigues. Je ne regrettais qu’une chose : l’avouerai-je ? c’était de trop bien connaître le terrain où j’allais marcher. L’imprévu avait été jusqu’à ce jour le plus grand charme de mes explorations aventureuses, et l’imprévu n’allait-il pas me manquer ? — La Sonora, me disais-je, n’a plus rien à m’apprendre. – Je me trompais : le hasard me devait montrer encore deux faces nouvelles d’un monde dont je croyais avoir pénétré tous les mystères. Après une visite aux prairies illustrées par Cooper, où je pourrais admirer la vie sauvage dans toute l’indépendance et la fierté de ses allures, il m’était réservé de contempler dans une petite ville plus rapprochée des provinces centrales, à la foire de San-Juan de los Lagos, la lutte de la barbarie et de la civilisation représentées, comme elles le sont trop souvent au Mexique, par leurs plus tristes abus, par leurs plus impurs élémens.

C’est en compagnie du chasseur mexicain Bermudes Matasiete et du coureur des bois canadien que je devais faire le trajet de l’hacienda de la Noria jusqu’au préside de Tubac. Les deux aventuriers se dirigeaient vers les prairies, poussés par la haine sauvage qu’ils avaient vouée aux Indiens, et un peu aussi par cette irrésistible attraction que le désert exerce sur le chasseur, comme la mer sur le matelot. La chasse aux loutres n’était pour eux, bien entendu, qu’un prétexte. Décidé à ne quitter les deux chasseurs qu’à la limite des prairies, je pris gaiement congé du maître de l’hacienda, don Ramon, après avoir choisi dans sa caponera deux beaux chevaux que je lui payai généreusement, et sans marchander, ving-cinq francs par tête. Nous partîmes, et deux jours de marche nous conduisirent à Tubac, grossier jalon planté par une civilisation douteuse sur les confins de la république et du désert. À une petite distance de Tubac, au-delà de la rivière de San-Pedro, commencent les prairies. Je suivis les deux chasseurs jusqu’aux bords de la rivière : c’est là que nous nous séparâmes, et je ne les vis pas sans quelque émotion s’enfoncer dans ces solitudes, où tant d’hommes intrépides ont trouvé leur tombeau.

Ce ne fut qu’après avoir vu mes deux compagnons disparaître dans les hautes herbes, que je reportai mes regards sur le paysage, dont je n’avais pu encore admirer qu’en passant les magnificences. Les prairies qui se terminent au San-Pedro, du côté de Tubac, n’ont pour bornes, dans la direction opposée, que les eaux du Missouri. C’était bien là le désert tel que je l’avais rêvé. Au-delà de la rivière, de vertes savanes ondulaient à perte de vue. À mes pieds, un petit lac, séparé du San-Pedro par une étroite langue de terrain, et qui jadis avait dû faire partie de la rivière, étendant ses eaux bourbeuses. Sur les larges feuilles des plantes aquatiques, des serpens d’eau faisaient reluire au soleil leurs corps visqueux, entrelacés en hideux réseaux. Au-dessus du lac voltigeaient des essaims de grues attirées par ces nombreux reptiles. De longues caravanes de bisons traversaient la plaine silencieuse. D’autres, disséminés par groupes ou par couples, paissaient l’herbe épaisse, ou, couchés sur la pente des collines, promenaient un regard tranquille sur leurs vastes domaines. Plus loin, ces sauvages animaux se livraient de rudes combats ; leurs sourds mugissemens arrivaient à mes oreilles comme le murmure lointain de la mer, et, comme s’il eût fallu que, même dans le désert, l’homme révélât sa présence, un parti de chasseurs, d’une tribus d’Indiens amis, descendait en ce moment le cours du San-Pedro sur des radeaux formés de larges bottes de roseaux soutenues par des calebasses vides. Une recua de mules chargées de lingots d’argent et escortées de leurs guides se dessinait en une longue file à l’horizon. Je restai long-temps ravi devant ce spectacle solennel, prêtant l’oreille à l’harmonie mélancolique de la clochette des mules et aux cadences indiennes qui troublaient, en mourant graduellement, le silence des solitudes.

Cette conduite d’argent sous l’unique surveillance de quelques arrieros eût suffi pour me rappeler que je foulais une terre primitive. Dans l’intérieur de la république, un régiment n’est quelquefois pour ces riches caravanes qu’une trop faible escorte. Sur certaines frontières, des sommes immenses peuvent impunément traverser les villes et les villages avec le nombre d’hommes strictement nécessaires pour charger et décharger les mules à chaque halte. Par un contraste digne de remarque, nulle part la propriété privée n’est respectée que dans cet état lointain, où les déportés aux présides, l’écume des grandes villes, formèrent d’abord le noyau de la population. Les crimes qui s’y commettent accusent l’effervescence des passions plutôt que les froids calculs de la cupidité. Chacun y vit, pour ainsi dire, au dehors, le foyer n’a pas de secrets, sauvegardé qu’il est par la bonne foi publique. Malheureusement, chaque jour, des gens sans aveu, des voleurs, des assassins échappés aux prisons ou au glaive de la justice, viennent demander un asile à ces solitudes. Telle est l’influence mauvaise et toujours plus active sous laquelle, en Sonora, les mœurs tendent à s’altérer. Ainsi la corruption des états du centre (Tierra Adentro) atteint peu à peu les frontières mêmes de la république, et on peut prévoir le jour où la Sonora n’aura gagné en échange de ses vieilles mœurs que les vices et la misère, partout inséparables d’une demi-civilisation.

Je repris le chemin de Tubac. Après avoir marché quelques heures, je m’aperçus que le soleil, près de se coucher, ne lançait déjà plus sur les prairies que des rayons obliques, et je m’étonnai de n’avoir pas atteint le préside. Je marchai encore, et bientôt il fallut me rendre à une terrible évidence. Trompé par une interminable succession de vertes collines, je m’étais complétement égaré. Je montai sur la plus haute des éminences qui m’entouraient : si loin que mon œil put plonger, je ne vis devant moi que les immenses savanes qui se déroulaient à l’infini sans arbres, sans maisons, sans abri ! La rivière, qui, seule, aurait pu me guider, cachée par les ondulations du terrain, était invisible comme le préside. Deux coups de feu, que je tirai comme signal d’alarme, n’éveillèrent aucun écho. J’étais donc condamné à passer la nuit dans le désert, et ce n’était pas sans angoisse que je voyais arriver le moment où ces plaines immenses, qui devaient abriter tant d’hôtes redoutables, seraient envahies par l’obscurité. Un petit nuage gris, qui tranchait sur la pourpre pâlissante de l’horizon, me rendit tout à coup quelque espoir. Ce nuage, qui semblait toucher la terre, et dont le sommet était plus large, plus transparent que la base, devait être la fumée d’un feu allumé dans la savane. Je me dirigeai rapidement de ce côté, tout en me demandant qui j’allais rencontrer près de ce feu ?

Était-ce une halte de chasseurs, un bivouac d’Indiens bravos[2], ou un hato[3] de muletiers ? La conduite d’argent que j’avais aperçue le matin me revint en mémoire, et ce souvenir me rassura. L’obscurité croissait cependant, et bientôt je ne distinguai plus le nuage. Quelques instans se passèrent dans une cruelle incertitude ; mais, quand la nuit fut tombée tout-à-fait, la lueur du feu se dessina claire et brillante au milieu des ténèbres. Je pus me remettre en marche.

À mesure que j’avançais, la zone de flamme s’élargissait graduellement, et j’aperçus enfin la silhouette noire de deux hommes assis près d’un brasier. Deux énormes chiens qui se précipitèrent vers moi avec des aboiemens furieux, ne me laissèrent pas le temps de reconnaître, avant de m’approcher davantage, à qui j’allais avoir affaire. Une voix rude rappela fort heureusement les dogues, qui revinrent à pas lents se coucher près du feu. Malgré cette démonstration pacifique, l’aspect de mes deux futurs hôtes n’était rien moins que rassurant. La physionomie la plus débonnaire emprunte toujours quelque chose de menaçant aux reflets d’un brasier, et les figures sauvages des deux inconnus n’étaient nullement adoucies par ces lueurs sinistres. Leurs vêtemens de toile blanche étaient littéralement raidis par une épaisse croûte de sang caillé, et, au moment où j’entrai dans la zone de lumière, je remarquai aussi des traces de sang sur les poils des deux dogues qui me regardaient en grognant.

— Approchez sans crainte, me dit l’un des deux hommes ; nous avons entendu la voix d’un chrétien, et vous n’avez plus rien à redouter. Avant tout, mettez pied à terre car ces chiens sont dressés à ne voir un ennemi que dans un homme à cheval : les Apaches ne vont jamais à pied.

— Volontiers, repris-je en descendant de cheval ; mais je ne veux pas être indiscret, et je n’ai qu’à vous demander le chemin du préside de Tubac, dont je dois être tout près.

— À moins qu’une demi-douzaine de lieues ne soient rien pour votre cheval, vous en êtes tout près en effet, répondit assez brusquement mon interlocuteur. Puis, voyant mon étonnement, il ajouta : Si, comme le prouvent votre question et votre surprise, vous êtes égaré, ce que vous avez de mieux à faire sera de passer la nuit près de ce brasier, car vous vous égareriez de nouveau, sans espoir de trouver un feu pour vous chauffer et une tranche de bison pour souper.

Cette dernière raison me parut concluante, j’étais à jeun depuis le matin, et j’acceptai de grand cœur la modeste hospitalité que le lieu et le moment rendaient pour moi si précieuse. Débarrassé de mes préoccupations les plus poignante, c’est-à-dire la faim, la soif et solitude, je promenai un regard moins distrait autour de moi. À moitié enseveli dans l’ombre noire, à demi éclairé par la flamme pétillante, un troisième individu était couché non loin du foyer ; soit qu’il dormît d’un bien lourd sommeil, soit qu’il fût plongé dans une très profonde méditation, il n’avait point paru entendre les aboiemens des chiens, ni le bruit de mon arrivée. Sa figure était cachée par l’obscurité, et ce que je voyais de son costume ne se distinguait en rien de celui que je portais moi-même. Un cheval, attaché par une courroie retenue à un piquet, paissait l’herbe près de lui. Plus loin, des peaux étendues par terre, le cadavre d’un quadrupède fraîchement écorché, des ustensiles ou des armes de toute espèce, prouvaient que mes deux amphitryons exerçaient dans ces prairies le rude et dangereux métier de chasseurs de bisons. Rassuré à cet égard, j’entravai mon cheval sans le desseller, et je m’assis.

Cependant nos hôtes s’occupaient des préparatifs du souper, qui devait consister en un morceau de bison cuit à l’étouffée (tatemado) ; ils allèrent chercher l’eau que nous devions boire à une rivière voisine que j’appris avec étonnement être le San-Pedro, dont je me croyais si éloigné et vers lequel j’étais revenu sans m’en douter. Tout était donc disposé pour le repas, et l’individu couché ne semblait nullement se préoccuper de ces apprêts qui me paraissaient à moi si importans ; mais il y a cette différence entre l’Européen et le Mexicain, que le dernier, insensible à la faim comme à la soif, se trouve dans l’abondance là même où le premier succombe à la faim. Sur l’invitation de nos hôtes (car j’appris alors que cet homme était comme moi un étranger pour les chasseurs de bisons), il sembla secouer sa torpeur, et vint s’asseoir pour prendre aussi sa part de l’hospitalité du désert.

La stature de ce nouveau convive, qui m’inspira dès ce moment une curiosité indéfinissable, indiquait la vigueur et l’agilité ; sa figure était sombre, imposante ; ses traits durs, fortement accentués, révélaient une force morale supérieure peut-être à sa force physique. Les premiers mots qu’il prononça en murmurant une espèce de benedicite n’étaient pas entachés de cette prononciation vicieuse qui distingue les habitans de l’état de Sonora ; il était facile de reconnaître en lui un homme des états du centre de la république.

Quand notre repas fut achevé, je pris la parole : — Il est d’usage, dis-je en me tournant vers les deux chasseurs, que celui qui reçoit l’hospitalité prévienne les questions que son hôte peut lui adresser ; je vous dirai donc qui je suis, d’où je viens, et où je vais.

J’eus bientôt donné tous les détails qui me concernaient, et je dois avouer que ces détails semblèrent très médiocrement intéresser mon auditoire. Cependant, quand je parlai de la conducta du matin, je crus remarquer que l’inconnu m’écoutait avec un redoublement d’attention.

— Une conducta ! dit-il quand j’eus terminé mon récit. Et d’où diable peut-elle venir dans ces déserts ?

— Mais de Santa-Maria ou de Chihuahua apparemment, repris-je ; elle ne fait ce détour que pour éviter les Comanches. Êtes-vous donc depuis si peu de temps dans ce pays que vous ne sachiez pas cela ?

— En effet, dit l’inconnu, je suis étranger, et, puisque vous m’avez donné l’exemple, seigneur français, je satisferai votre curiosité, bien que mes confidences puissent être plus dangereuses que les vôtres.

À ces mots, les deux chasseurs de bisons tournèrent vers l’inconnu des regards où se peignait une surprise mêlée de ce vif intérêt qu’en certaines circonstances les récits d’aventures éveillent chez l’homme sauvage comme chez l’homme civilisé. L’étranger reprit : — Cette main que je lève ici vers le ciel a jusqu’à présent été pure de sang humain, et cependant j’ai été traité comme un assassin, et ma tête a été mise à prix comme celle d’un vil meurtrier !

— À quel prix votre tête est-elle mise ? demanda l’un des deux boucaniers.

— Est-ce pour gagner ce prix ?

— Non, reprit simplement le chasseur ; votre tête, valût-elle vingt mille piastres, serait sacrée pour moi comme celle d’un hôte : c’est uniquement pour savoir à combien on estime la vie d’un homme dans Tierra Adentro.

— À cinq cents piastres.

— C’est cher pour la vie d’un homme ; mon camarade et moi, nous exposons chaque jour la nôtre pour une peau de cibolo qui ne vaut que cinq piastre. Qu’avez-vous donc fait ?

— Une bonne action. Il y a six mois, j’étais alors marchand de bestiaux, et je revenais d’une hacienda voisine de Guadalaxara où j’étais allé traiter une affaire. À quelques lieues de la ville, je trouvai sur la grande route un homme assassiné. Ému de compassion et croyant m’apercevoir que cet homme vivait encore, je descendis de cheval pour lui donner des soins et bander une large blessure qu’il avait à la gorge ; mais il était trop tard ; et le voyageur expira dans mes bras. Je continuai ma route, emmenant son cheval avec l’espoir que cet indice pourrait faire reconnaître le cavalier ; mais je n’avais pas fait une lieue qu’un détachement de dragons, qui me suivait au galop, fondit sur moi et m’arrêta comme l’assassin de l’homme dont j’avais pansé la blessure. J’eus beau protester de mon innocence, un des dragons m’attacha les mains avec le ceinturon de son sabre, et ce fut ainsi que j’entrai dans Guadalaxara. L’homme assassiné était un sénateur ; la justice, vendue à la famille de la victime, poursuivit son œuvre d’iniquité, et je fus jeté dans la prison de la ville. Après une détention prolongée, je comparus devant le juge criminel. – Vous vous prétendez innocent, me dit-il, mon cher ami ? mais vous pensez bien que je ne m’en rapporterai que médiocrement à votre parole. – Je vis où le juge prévaricateur voulait en venir. – Avez-vous, continua-t-il, des témoins à décharge ? – Je calculai rapidement le peu de ressources qui me restaient, et je répondis : J’ai mille témoins que je rassemblerai prêts à déposer en ma faveur. – C’est quelque chose, dit le juge ; mais la famille du sénateur a deux mille témoins contre vous ; vous voyez que la partie n’est pas égale. – Je compris que j’étais perdu, et je courbai la tête devant l’arrêt qui me condamna, en n’appelant de cet arrêt qu’à mois seul et à Dieu.

L’inconnu garda quelques instans le silence en creusant le sol de son couteau. Une contradiction évidente m’avait frappé dans son récit.

— Ne m’avez-vous pas dit, lui demandai-je, que vous étiez seul quand vous aviez rencontré le sénateur assassiné ? comment donc vous trouviez-vous à même de fournir mille témoins ?

L’étranger sourit de ma naïveté.

— Ne savez-vous pas que, pour la justice de notre pays, mille témoins sont mille piastres, et que la somme que j’offrais ne pouvait contrebalancer les sacrifices d’une famille puissante qui achetait argent comptant la conscience de mon juge ? À défaut d’argent, il me fallut dès-lors user d’adresse. Je m’échappai de prison, et depuis ce temps, traqué par la justice, poursuivi d’état en état par des ordres sans cesse renouvelés d’extradition, je suis arrivé dans ces déserts, ne respirant que la vengeance. Dans ces déserts je me suis fait des partisans, et si j’ai bien pris mes mesures, peut-être le temps n’est-il pas loin où, des bords de l’Océan Atlantique jusqu’à ceux de l’Océan Pacifique, cette justice vénale à son tour tremblera devant moi !

Les aboiemens des dogues interrompirent en ce moment le narrateur. Nous prêtâmes l’oreille, un bruit de pas retentissait dans les hautes herbes. Les dogues venaient de se précipiter furieux à travers la savane, et bientôt nous entendîmes ces mots proférés d’une voix lamentable :

— Jésus-Maria ! vais-je être dévoré par des chiens, quand j’échappe à peine à la griffe des ours ?

— Pied à terre ! pied à terre ! ou vous êtes un homme perdu, cria l’un des chasseurs qui rappelait en vain ses deux chiens, sourds à sa voix ; mais les chiens dépassèrent le nouveau venu sans faire attention à lui, et aboyèrent avec fureur, à quelques pas plus loin. Pendant ce temps, le cavalier dont nous venions d’entendre les cris de détresse avait pu se rapprocher de nous, et bientôt nous vîmes descendre de cheval, près de notre foyer, un homme pâle et tremblant qui promenait autour de lui des regards craintifs en murmurant des patenôtres. Le cheval, tout frissonnant, les yeux fixes, les naseaux ouverts, paraissait plus épouvanté encore que le cavalier. Comprenant qu’un danger imminent nous menaçait, et, sans prendre le temps de questionner cet homme, nous nous levâmes tous. Les deux chasseurs de bisons saisirent leurs carabines, le proscrit se mit en selle et dégaina la longue rapière attachée à ses arçons. Le nouveau venu parut alors reprendre un peu de courage, et, d’une voix étouffée, il bégaya ces mots : — Voyez là-bas ! Jésus-Maria, délivrez-nous !

Il nous suffit d’un coup d’œil jeté dans la direction indiquée pour avoir le mot de cette énigme. Un peu au-delà du cercle de lumière tracé par le foyer, une forme effrayante se balançait de gauche à droite avec un grognement sourd entremêlé d’un claquement de dents formidable. Les deux dogues, les poils hérissés, les yeux sanglans, tenaient en arrêt un animal auquel l’obscurité prêtait de colossales dimensions ; c’était un ours gris, la terreur des prairies. De tout le continent américain, l’ours gris est, à vrai dire, le plus redoutable habitant. Egal en grosseur à un taureau de taille ordinaire, sa force est prodigieuse et sa férocité est au niveau de sa force. Presque invulnérable, grace à l’épaisse fourrure qui le couvre, une blessure le rend furieux ; malheur au chasseur dont la balle ne l’a pas atteint dans l’œil, dans la tête ou dans le cœur, car alors il se précipite sur son agresseur, et le malheureux, eût-il la force d’un bison, est infailliblement étouffé. Caché dans les cavernes ou dans des trous qu’il se creuse lui-même, l’ours gris saisit au passage le buffle le plus puissant et entraîne son cadavre, près de sa tanière pour le dévorer à l’aise. Tel était l’ennemi inattendu qui semblait tracer autour de nous un infranchissable blocus, et auquel un cavalier monté eût pu seul se flatter d’échapper.

— Remontez à cheval tous, dit l’un des chasseurs à voix basse.

Le voyageur ne se le fit pas répéter deux fois. Quant à moi, le conseil était moins facile à suivre, car mon cheval, bien qu’entravé, s’était de bonds en bonds éloigné de notre formidable visiteur, et avait disparu dans l’obscurité ; Mon fusil était resté attaché à ma selle et, pour la seconde fois, je me trouvais, à pied et sans armes, devant un danger presque inévitable. Combien alors je regrettai l’absence du brave Matasiete ou de son compagnon, dont le rifle nous eût infailliblement délivrés en logeant une balle dans cet œil qu’il me semblait voir reluire dans les ténèbres ! Fort heureusement l’instinct de mon cheval abrégea pour moi cette périlleuse recherche. À peine avais-je fait quelques pas un peu au hasard, que je fus aperçu par le fidèle et clairvoyant animal, qui s’arrêta comme pour m’attendre. Quelques instans après, j’étais en selle, et, mon fusil à la main, je rejoignais mes compagnons.

Le gigantesque quadrupède était toujours à la même place, tenu en respect par la lueur du feu et par le nombre de ses ennemis. Avec cette gravité d’allures qui caractérise son espèce, il paraissait se demander s’il nous attaquerait ou s’il lèverait le siége, bien que le claquement presque convulsif des mâchoires décelât chez lui les tourmens de la faim. De notre côté, nous restions sur la défensive et dans une indécision à laquelle l’attaque ou la fuite de l’animal devait seule mettre un terme. Pendant ces quelques minutes, remplies par une pénible attente, notre nouvel hôte, un peu plus rassuré, se hasarda à nous apprendre le but de son voyage nocturne. Forcé de se rendre cette nuit même à une lieue au-delà de Tubac pour y rejoindre une conduite d’argent, il avait été poursuivi avec acharnement depuis plus de deux heures par l’ours que nous avions devant nous. Son cheval, forcé de galoper avec un sac d’or attaché à la selle, allait peut-être tomber de fatigue, quand les lueurs de notre bivouac lui étaient apparues comme un phare de salut. On n’aura aucune peine à croire que nous écoutâmes ce récit d’une oreille fort distraite. L’ours ne cessait de faire entendre de sourdes aspirations, il humait l’air aux quatre points cardinaux ; puis il s’interrompait pour arracher avec ses griffes, dont il semblait essayer la force, de larges plaques de gazon. La position devenait critique ; les dogues effrayés étaient revenus se coucher près de leurs maîtres avec des hurlemens d’angoisse. Le proscrit commença à manifester une violente impatience, comme si chaque moment qui s’écoulait fût un siècle de vie pour lui. Il allait et venait, l’épée à la main, comme le matador dans l’arène.

— Eh quoi ! seigneurs, disait-il, des hommes de cœur resteront-ils ainsi à la merci d’un animal immonde ? Faites feu sur lui, et moi je me charge de l’achever.

Les deux chasseurs de bisons parurent se consulter.

— Au fait, dit l’un d’eux nous avons quatre coups à tirer contre lui, et, comme le dit ce cavalier, cinq hommes ne doivent pas rester ainsi immobiles devant une bête quelque féroce qu’elle soit.

— Patience ! lui répondit son compagnon, laissez-moi d’abord essayer un moyen plus pacifique, et, si ce moyen ne réussit pas, alors nous attaquerons l’ours en nous remettant à la grace de Dieu ! C’est l’odeur du bison fraîchement écorché qui retient ici cette bête affamée. Eh bien ! que deux d’entre nous tiennent l’ours en respect, pendant que les trois autres traîneront loin du feu le cadavre du bison. L’ours pourra ainsi se jeter sur la proie qu’il convoite, et nous serons délivrés de notre ennemi.

L’expédient du chasseur de bisons fut adopté à l’unanimité, et nous nous séparâmes en deux camps. Les deux chasseurs passèrent autour du bison écorché le lazo au voyageur, qui en attacha l’autre extrémité au pommeau de sa selle, et la lourde masse ne tarda pas à glisser sur l’herbe en y traçant un large sillon. Le proscrit et moi étions restés à la même place pour surveiller l’ours, qui, de son côté, continuait à nous observer sans faire un pas. Au bout de quelques minutes, les deux chasseurs et le voyageur revinrent se joindre à nous.

— C’est fait, dit l’un d’eux, et ce n’est pas sans regret que nous sacrifions notre gibier à l’appétit de cet affreux animal.

— Je me charge du reste, dit le proscrit. Sans descendre de cheval, il se pencha jusqu’à terre, prit dans le foyer une souche enflammée, et, la bride dans les dents, le tison d’une main, son épée de l’autre, il piqua droit à l’ours. Ce fut un moment terrible pour nous tous. À la vue du cavalier qui s’avançait lentement vers lui, poussant à coups d’éperon son cheval haletant, épouvanté, l’ours fit entendre une espèce de beuglement et se dressa sur ses pattes de derrière, en battant l’air avec celles de devant. Puis, soit intimidé par la contenance intrépide de son agresseur, soit effrayé par la vue du tison, il retomba sur les quatre pattes et commença à reculer. Enfin je le vis avec un inexprimable soulagement de cœur décrire un grand cercle autour de nous et disparaître dans les ténèbres. Nous restâmes silencieux pendant quelques minutes, prêtant l’oreille au froissement des herbes, et nous ne tardâmes pas à entendre, dans la direction que l’ours avait suivie, une respiration bruyante, un grognement joyeux et le sourd retentissement d’un corps lourd traîné sur le sol. L’ours avait saisi sa proie et l’emportait dans son repaire pour la dévorer à son aise. Le siège était levé, la savane était redevenue praticable. Le proscrit rengaîna son épée et, s’avançant vers les deux chasseurs de bisons qui avaient repris leur place près du feu :

— Il ne me reste plus, leur dit-il, mes chers amis, qu’à vous remercier de l’hospitalité que vous avez bien voulu m’accorder, je m’en souviendrai toujours. Maintenant je vais où mon destin m’appelle !

Et, se penchant sur sa selle, il tendit aux deux chasseurs, avec une dignité courtoise, une main qu’ils pressèrent vivement dans leurs mains calleuses. — Plaise à Dieu, seigneur cavalier, dit l’un d’eux en même temps, que vous trouviez partout, comme ici, un asile sûr pour vous abriter, et un accueil aussi cordial que le nôtre !

Je voulais moi-même, exprimer au proscrit l’intérêt que m’inspirait sa triste destinée ; mais je fus devancé par le voyageur au sac d’or, qui avait hâte de s’assurer pour le reste de la nuit la compagnie d’un cavalier aussi intrépide.

— Pourrais-je vous demander, seigneur cavalier, dit cet homme en balbutiant, de quel côté vous pensez vous diriger ?

L’inconnu montra du doigt un côté de l’horizon où depuis quelque temps on pouvait voir une colonne de flamme se dessiner sur les ténèbres en spirale rougeâtre. Était-ce un signal donné au proscrit par quelques compagnons qui de loin veillaient sur lui ? Une question que je hasardais à ce sujet n’obtint qu’une réponse évasive. Le proscrit dirigea sa main vers le ciel où les étoiles du chariot traçaient déjà leur cours elliptique.

— Ce sont ces étoiles qui me guident, me dit-il. En marchant dans cette direction, je ne puis manquer d’atteindre le préside de Tubac.

— Quel heureux hasard ! s’écria le voyageur. Justement des affaires pressantes m’appellent de ce côté, et bien que le pays, Dieu merci, n’ait jamais été infesté par les salteadores (voleurs de grande route), je ne serais pas fâché de faire route avec un homme aussi brave que vous. Après tout, je réponds d’une somme considérable qui m’a été confiée.

— La somme contenue dans ce sac ? demanda le proscrit en regardant le voyageur avec une singulière expression de pitié.

— Oui, trois mille piastres en or.

— Eh bien ! Croyez-moi, attendez ici le jour. La nuit est sombre, mon cheval est rapide, et peut-être ne pourriez-vous pas me suivre. Croyez-moi, vous dis-je, restez ici.

Le voyageur insista : il était déjà en retard, et d’impérieux motifs l’obligeaient à rejoindre en toute hâte la conduite d’argent arrêtée près de Tubac. Le proscrit finit par se rendre à ses instances, et consentit, quoique avec une répugnance marquée, à l’accepter pour compagnon. Il mit pied à terre, et resserra la sangle de son cheval ; puis, se tournant vers moi : — Seigneur français, me dit-il, si jamais le hasard veut que vous me rencontriez encore, peut-être serez-vous bien aise de me rappeler que nous avons partagé l’hospitalité du même foyer.

Un peu surpris de cet étrange adieu, je cherchais encore une réponse quand déjà les deux voyageurs avaient piqué des deux dans la direction de la grande ourse.

— L’agneau et le jaguar, murmura l’un des deux chasseurs de bisons en secouant la tête d’un air mystérieux et solennel, l’agneau et le jaguar ne font pas long-temps route ensemble !…

Puis le chasseur rassembla les tisons épars et se coucha, les pieds tournés vers le foyer. Son compagnon et moi, nous fîmes de même. Le reste de la nuit se passa tranquillement, et la rosée pénétrante des matinées d’Amérique put seule nous réveiller. L’ours n’avait heureusement pas emporté notre déjeuner : quelques lanières de viande, derniers restes du bison dont il avait dévoré le corps, sifflèrent bientôt sur les charbons ardens, et je pus me convaincre, pour la seconde fois, que les voyageurs n’ont pas exagéré la succulence de la chair du bison. Cependant le soleil s’élevait à l’horizon pendant que nous déjeunions avec un véritable appétit de chasseurs, et le spectacle que ses rayons découvrirent à nos yeux, en dissipant les brouillards de la plaine, nous annonça une journée pour le moins aussi aventureuse que la nuit qui l’avait précédée.

Les hauteurs verdoyantes de la savane se couvraient de longues files de bisons. Il eût été, pour les deux chasseurs, plus que téméraire d’attaquer de front des troupeaux aussi serrés. Pour tuer un ou deux bisons sans trop de danger, il n’est qu’un moyen : c’est de les séparer du troupeau ; l’adresse et l’agilité du chasseur font le reste. Contre l’attente de mes deux compagnons, les cibolos défilaient en mugissant, parallèlement à la rivière, et nul d’entre eux ne se hasardait de notre côté.

Le premier Européen qui vit un bison dut être, à mon avis, fort effrayé. Le bison est d’une taille supérieure à celle du taureau ordinaire ; une crinière épaisse, noire ou couleur de rouille, couvre son cou, ses épaules, son poitrail, et flotte jusqu’à ses pieds. Le train de derrière de l’animal, à partir de la bosse qui charge les épaules, est couvert d’un poil court et rude comme celui du lion, et, comme celui du lion, constamment fouetté par une queue nerveuse. Sa course pesante ébranle le sol, ses mugissemens déchirent l’air ; ses yeux, qui n’expriment qu’une férocité stupide, et les cornes noires, aiguës, implantées sur son large front, achèvent d’en faire un objet d’épouvante.

Tout en observant, non sans dépit, la manœuvre de ces gigantesques troupeaux, l’un des deux chasseurs examinait en connaisseur mon cheval, que l’obscurité de la nuit l’avait empêché jusqu’alors de remarquer.

Caramba ! disait-il, ce large poitrail, ces jambes fines, ces naseaux bien ouverts, ces reins allongés, annoncent un coureur peu ordinaire.

— Mon cheval, répondis-je avec la fatuité d’un propriétaire, défierait un cerf pour l’agilité, une mule pour la fatigue…

— Et un bison pour la vitesse, interrompit le chasseur. Eh bien ! pour en venir au fait, seigneur français, vous pourriez me rendre un signalé service !

— Parlez.

— Vous voyez là-bas ce troupeau de cibolos qui semblent nous éviter. Puisque votre cheval est si bon coureur, galopez hardiment jusqu’à ces peureux, et tirez-leur un coup ou deux de votre fusil à bout portant, s’il est possible ; vous en blesserez pour le moins un ; le troupeau tout entier se mettra à votre poursuite, mais vous le distancerez facilement ; les plus agiles, par conséquent les plus forts, vous suivront seuls de près en se séparant de la bande, et nous en ferons notre affaire.

— Est-ce sérieusement que vous parlez ? demandai-je. Le chasseur me regarda d’un air étonné. — Et si mon cheval venait à s’abattre ?

— Il ne s’abattra pas.

— Mais enfin s’il s’abattait ?

— Alors il est certain que vous auriez peu de chances de leur échapper. Cependant cela s’est vu ; mais, dans le cas où vous succomberiez si glorieusement, je vous promets de faire en votre honneur un massacre affreux de cibolos.

— Écoutez, dis-je alors au boucanier, il y a mille services que je serais enchanté de vous rendre de préférence à celui-là ; j’ai déjà chassé très involontairement le tigre il y a quelques jours, l’ours la nuit dernière, et je ne me soucie pas de me faire chasser maintenant par le bison. J’ai bien réfléchi, et j’aime mieux vous prêter mon cheval.

— Je n’osais vous demander cette faveur, et, ajouta naïvement le chasseur, je croyais vous faire plaisir en vous offrant cette distraction.

Je le remerciai de ses bonnes intentions, et, bien qu’enchanté de me tirer quelque peu en Gascon de ce mauvais pas, je remis, en soupirant, la longe de mon cheval entre ses mains. Le boucanier commença par le desseller, plia en quatre la couverture qui lui servait de manteau, et l’assujettit sur le dos du cheval au moyen de la longue faja de crèpe de Chine roulée autour de son corps. Puis, ôtant lui-même ses calzoneras, ses brodequins de peau de daim et sa veste, il resta nus-pieds, en caleçons courts et en manches de chemise.

— Comme la partie que je vais jouer ne laisse pas d’être assez délicate, dit-il, je ne saurais donner à ce cheval et à moi trop de liberté dans les mouvemens, et vous allez voir quel parti l’on peut tirer d’un animal convenablement arrangé.

Ainsi équipé, et après avoir suspendu à la selle une espèce d’estoc affilé et tranchant, le chasseur sauta en croupe ; il s’assura qu’au besoin la faja pourrait lui servir d’étriers et supporter tout le poids de son corps en lui permettant de laisser aux reins de sa monture toute leur élasticité. Alors, avec une habileté qui devait pour le moins égaler celle des anciens Numides, il rassembla son cheval, le lança en avant, le retint, roula dans sa main gauche le cabresto[4] dont il maintint l’extrémité, partit comme une flèche, et revint près de moi avec la même rapidité.

— Vous ne savez pas ce que vaut un pareil cheval ! me dit-il, et je m’en veux presque de vous priver d’une occasion de connaître quel trésor vous avez là.

J’avoue que, manié par ce sauvage écuyer, mon cheval me paraissait n’être plus le même animal qu’entre mes mains ; toutefois je recommandai instamment au chasseur de ne pas trop l’exposer aux cornes des bisons.

— Nous courrons les mêmes chances, reprit le boucanier en riant ; puis il nous donna ses instructions. Nous devions nous coucher à plat ventre, le fusil à la main, sur le talus qui encaissait la rivière, et surveiller à travers les hautes herbes les mouvemens des animaux qu’il lancerait vers nous.

— Du reste, ajouta-t-il, vous avez le temps, seigneur français, d’assister, avant de vous mettre en embuscade, à une course comme rarement vous aurez l’occasion d’en voir. Je veux vous montrer ce qu’on peut attendre d’un bon cheval monté par un bon chasseur.

Presque aussitôt il se lança, ventre à terre, dans la direction du troupeau de cibolos, dont le vent nous apportait les mugissemens éloignés. Je restai debout sur le bord de la rivière pour ne rien perdre du spectacle intéressant qui m’était promis. Le chasseur commença par faire un assez grand détour, franchissant avec une aisance imperturbable les nopals épineux et les inégalités de terrain dont la plaine était semée ; le cheval paraissait plutôt voler que courir, et jetait au vent des hennissemens joyeux ; puis le cavalier disparut derrière une colline assez élevée. Cependant le compagnon du hardi boucanier avait planté en terre une baguette de saule surmontée d’un mouchoir à carreaux rouges. Je lui demandai si c’était un signal pour son camarade.

— Non, me dit le chasseur ; les bisons sont comme les taureaux, le rouge les irrite. Si Joaquin en détourne un ou deux, ce mouchoir les attirera infailliblement ici, et nous les tuerons à bout portant : vous aurez soin de les viser au mufle au moment où ils s’élanceront sur nous.

— Est-il donc indispensable, demandai-je au boucanier, de les attirer justement ici ?

— C’est mon métier, répondit le boucanier, qui, comme Matasiete, oubliait que je n’étais pas chasseur de profession. Il achevait à peine de parler, que nous pûmes remarquer une sorte de frémissement et d’agitation dans les rangs du troupeau de bisons qui couvraient les pentes inférieures de la colline derrière laquelle Joaquin avait disparu. C’était l’aventureux chasseur qui venait de gravir la hauteur en sens opposé. Arrivé au sommet, il poussa deux cris aigus, auxquels répondirent des mugissemens prolongés, s’élança du sommet de la colline en bas, comme un bloc de rocher qui s’éboule, et disparut au milieu de cette forêt pressée de cornes et de crinières noires. Le troupeau s’ébranla et fit, dans la direction de nos signaux, un mouvement alarmant ; mais bientôt il se dispersa en groupes nombreux de différens côtés. Je revis alors Joaquin galoper de nouveau, sain et sauf, au milieu des trouées qu’il venait d’ouvrir. Deux bisons d’une taille énorme semblaient être les guides d’une des colonnes détachées du troupeau principal, et ce fut vers ces deux monstrueuses bêtes que le chasseur parut diriger ses attaques. Voltigeant sur les flancs du bataillon, allant, venant avec une légèreté, une audace, qui tenaient du prodige, Joaquin paraissait et disparaissait tour à tour, sans toutefois que les deux chefs se détachassent de leurs compagnons. Enfin il se fit un vide presque imperceptible entre la petite troupe et les buffles conducteurs. Rapide comme l’éclair, le chasseur s’y précipita ; mais, soit qu’il eût trop présumé de l’agilité de son cheval, soit que ce fût une ruse de ses farouches antagonistes, je vis avec une angoisse inexprimable le flot vivant, un instant séparé, se rejoindre, et le malheureux boucanier serré comme dans un gouffre dont la bouche béante se serait refermée sur lui. J’oubliai le cheval pour ne penser qu’à l’homme, et j’échangeai un regard plein d’anxiété avec le compagnon du pauvre Joaquin. Les joues basanées du chasseur s’étaient couvertes d’une pâleur mortelle ; la carabine à la main, il allait s’élancer au secours de son camarade, quand il poussa un cri de joie et s’arrêta. Violemment pressé entre les cornes des deux bisons qui s’étaient enfin éloignés de la colonne dont ils formaient la tête, Joaquin s’était dressé debout sur son cheval, que protégeait contre les coups de cornes l’épaisse couverture de laine attachée sur son corps. Pendant que le groupe serré se dirigeait ainsi vers nous sans se désunir, le boucanier tira son estoc, posa un pied sur les épaules laineuses du bison, plongea la pointe meurtrière au défaut des os, et, dans l’instant où l’animal faisait un dernier effort pour ne pas mourir sans vengeance, s’élança impétueusement à terre. Il était temps, car au même moment mon pauvre cheval, soulevé sur le front du bison, était violemment culbuté. Ce fut ce qui le sauva : il échappa ainsi à l’étreinte de ses deux ennemis, et, se relevant presque aussitôt, se mit à fuir, poursuivi toujours par les deux cibolos. Quant à Joaquin, il courut parallèlement à sa monture, dont il n’avait pas lâché la longe, parvint à s’en rapprocher insensiblement, saisit la crinière du cheval, s’enleva de terre et se remit en selle en poussant un hourra de triomphe.

— À nous maintenant ! dit le chasseur resté avec moi, en reprenant son poste à la vue des deux bisons, qui, acharnés à la poursuite du cheval et du cavalier, se dirigeaient vers nous d’un pas inégal, tandis que la colonne, privée de ses deux guides, s’enfuyait vers les collines. Nous nous jetâmes à plat ventre sur la berge inclinée de la rivière, et nous attendîmes les deux cibolos, qui s’arrêtèrent un instant, découragés, en poussant des mugissemens de rage et en creusant la terre de leurs cornes. Le boucanier agita vivement alors le mouchoir rouge au bout de sa baguette. À l’aspect de la couleur détestée, les deux animaux semblèrent saluer avec une joie féroce un but qui du moins ne reculait pas devant leurs attaques : ils s’élancèrent vers nous. Joaquin s’était jeté de côté, son rôle était rempli. On se ferait difficilement une idée de l’aspect terrifiant du bison furieux et blessé. À chacun de ses mouvemens, des ruisseaux de sang s’élançaient de droite et de gauche, empourprant les flots de sa crinière noire ; une écume sanglante rougissait ses naseaux, dont le formidable sifflement retentissait toujours plus près de nous. L’autre bison le devançait, couvant de son œil stupide et féroce le mouchoir que le vent de la rivière agitait seul, car le chasseur était, comme moi, la carabine à la main. Une minute de plus, et nous allions avoir à nous défendre contre ces deux animaux irrités. Heureusement, quelques secondes après, le bison blessé s’abattit lourdement et expira. — Feu ! s’écria le chasseur. Atteint de trois balles dans la tête, l’autre bison s’arrêta, tomba et vint heurter le sol presque à la crête du talus qui nous protégeait. Joaquin arrivait au petit trot, frais et souriant comme le cavalier qui vient dans un manège de faire admirer toutes les qualités de son cheval. Il examina le dernier cibolo tombé.

— Vive Dieu ! dit-il, vous avez logé vos deux balles dans sa tête, et ce n’est pas trop mal pour un débutant. Quant à moi, désormais je ne veux plus chasser le bison qu’à cheval.

— Pas avec le mien, j’espère, me hâtai-je de répondre, car c’est un miracle que le pauvre animal ait échappé aux cornes des cibolos.

— Je comptais cependant ne pas m’en tenir là seulement avec votre cheval ; mais la première fois que je trouverai l’occasion de me monter convenablement, je ne la manquerai pas. Eh ! par Dieu ! je crois que la Providence a exaucé mes vœux, car voici précisément un cheval qu’elle m’envoie, tout sellé, tout bridé, ma foi !

Nous vîmes en effet un cheval tout bridé, tout sellé, qui galopait vers la rivière presque aussi rapidement que s’il eût fui devant un troupeau de cibolos. Les larges étriers de bois qui battaient ses flancs l’excitaient encore à courir plus vite. Sa course avait dû cependant être déjà longue, à en juger par l’écume et la sueur qui baignaient son poitrail. Le cavalier qui venait en toute apparence d’être désarçonné ne pouvait être que bien loin de nous.

— Si je ne me trompe, s’écria Joaquin, c’est le cheval du voyageur qui nous a annoncé la visite de l’ours. Il lui sera arrivé malheur dans la savane ; car, bien qu’il ne fût pas très brave, il paraissait être trop bon cavalier pour s’être laissé jeter par terre. Vous me permettrez bien, j’espère, d’user encore de votre monture pour m’approprier celle-là.

En disant ces mots, le boucanier détacha la reata roulée autour du cou de mon cheval, fit un nœud coulant à l’extrémité de la corde et s’élança à la poursuite de l’animal échappé. Avec l’habileté qui distingue les cavaliers mexicains, il eut bien vite jeté son nœud coulant sur le cheval fugitif, qui, se sentant pris, s’arrêta et se laissa emmener sans résistance. L’inspection de la selle ne put rien nous apprendre de précis sur le sort du malheureux voyageur. Cependant une écorchure profonde et récente du cuir, écorchure qui commençait à la hauteur de l’étrier droit, pouvait indiquer que le cavalier avait été enlevé de force, traîné à terre, et que son éperon avait tracé ce sillon au moment de la chute. En outre, les cordons de cuir qui retenaient sa valise avaient été coupés et non brisés ou dénoués, et on se rappellera peut-être que cette valise contenait un sac d’or. Les boucaniers secouèrent la tête.

— Je me suis toujours défié, dit Joaquin, des tierra-adentreños. Puisque votre route est vers Tubac, seigneur cavalier, je vous accompagnerai ; ce cheval vient du côté du préside, et je ne serais pas fâché d’en savoir un peu plus long sur tout cela.

J’acceptai volontiers la proposition du chasseur. Je baignai mon cheval pour effacer les traces sanglantes des prouesses de Joaquin ; je le resellai, le boucanier détacha les deux chiens qu’il avait attachés à un bouquet de saule, et, après que j’eus pris congé de son camarade, nous partîmes, moi sur mon cheval, et Joaquin sur celui que le hasard lui avait envoyé.

À deux cents pas de là, nous vîmes couchées dans l’herbe les armas de agua que le mouvement furieux du cheval avaient détachées de la selle. — Peut-être, dis-je à Joaquin, allons-nous trouver le sac d’or du voyageur ? — Le boucanier ne me répondit que par un sourire d’incrédulité. Nous marchâmes encore une heure au grand trot. À une lieue environ de Tubac, les chiens aboyèrent et s’enfoncèrent dans un petit vallon où nous les suivîmes ; là un spectacle effrayant nous attendait. Au milieu d’une mare de sang, la face tournée contre terre, gisait le malheureux que nous avions vu, quelques heures auparavant, partir en compagnie du proscrit.

— Le proverbe a raison, dit tristement le boucanier ; le jaguar et l’agneau ne font pas long-temps route ensemble. Le pauvre diable ! ajouta-t-il d’un air de compassion, timide et craintif comme il semblait l’être, il ne devait être frappé que par derrière, et, tenez, voici la trace du jaguar. C’est bien là l’empreinte de son pied tel que je l’ai remarquée sur les cendres de notre foyer ; mais d’autres traces se mêlent aux siennes, et celles-là, je ne les connais pas.

Le boucanier examina les empreintes encore fraîches avec l’attention minutieuse que ses compatriotes portent dans ces sortes d’enquêtes, où la race américaine trouve occasion de déployer sa merveilleuse sagacité. Plein de confiance dans l’instinct presque divinatoire du chasseur des prairies, j’écoutai avec un vif intérêt Joaquin, lorsqu’après avoir soigneusement étudié le terrain, puis médité profondément, il se rapprocha de moi et me dit avec l’accent d’une inébranlable conviction : — Voici ce que j’affirmerais devant Dieu et devant les hommes, quand même ce cadavre serait celui de mon frère : l’homme que je soupçonnais n’est pas coupable de ce meurtre ; le crime a été commis malgré lui. Ici (et il montrait la trace des genoux) le voyageur a demandé merci ; l’homme de Tierra Adentro l’a protégé de son corps, ainsi que l’atteste l’empreinte de ces talons près de l’empreinte des genoux, et c’est là, ajouta-t-il en montrant la trace de la pointe du pied, qu’un chacal a frappé par derrière le malheureux, que son compagnon défendait. Le chacal sera frappé à son tour ! J’ai dit.

C’était la première fois que j’entendais un Mexicain s’exprimer avec cette solennité devant la mort. Je serrai silencieusement la main de Joaquin. Quelques heures après, je me séparais du boucanier ; ce fut encore ému de cette scène lugubre que je rentrai dans Tubac, où je me gardai bien de parler de ma triste rencontre. Tout, du reste, était en émoi dans le préside, car, chose inouie, la nuit précédente, une conduite d’argent avait été attaquée et une somme considérable enlevée par des inconnus. Ce fait était aussi parfaitement explicable pour moi que l’avaient été pour le chasseur de bisons les circonstances de l’assassinat du malheureux voyageur ; cette fois, comme l’autre, je reconnaissais l’intervention du tierra-adentreño.


II.

Le but de mon excursion à Tubac était désormais atteint. J’avais vu de près ces derniers vestiges des mœurs primitives qui se conservent encore dans quelques parties de la république, et que la civilisation bâtarde dont le siège est à Mexico tend de plus en plus à effacer. Il fallait songer maintenant à regagner les régions du centre. Quelques jours après mon arrivée à Tubac, une caravane d'arrieros devait partir dans la direction du sud ; je me joignis à eux, croyant bien en avoir fini cette fois avec la vie d’aventures. C’était à tort cependant que je comptais ne plus revoir, autrement que dans mes souvenirs, quelques-uns des représentans de cette société si franchement barbare qui se maintient au Mexique en présence de la société prétendue civilisée. Parmi les types bizarres qui s’étaient succédé devant mes yeux, il en était un, le salteador ou voleur de grand chemin, qui venait de se révéler à moi, mais seulement dans le demi-jour, et que je devais retrouver l’occasion d’observer, pour ainsi dire, en pleine lumière. Le sinistre personnage qui m’avait raconté au bivouac des chasseurs de bisons ses démêlés avec la justice m’avait appris comment, au Mexique, s’ouvre la destinée d’un brigand ; le même homme allait m’apprendre, à quelques jours de distance, comment elle se termine. Ce n’est point par la pendaison, comme on serait tenté de le croire. Tel qui a commencé, par lutter contre les juges finit d’ordinaire par s’arranger à l’amiable avec eux, et souvent même par leur dicter des lois. C’est le dénouement comique de plus d’une sombre tragédie.

Je dois dire avant tout quelques mots d’un compagnon de voyage, d’un compatriote, que le hasard semblait m’envoyer tout exprès pour me faire connaître, au sortir des fatigues de mon excursion si périlleuse, des dangers que je n’avais pas soupçonnés. Le soir de notre troisième étape, nous étions campés non loin d’un ruisseau tributaire du Rio-Bacuache. De bruyans éclats de rire m’attirèrent sur les bords de ce ruisseau, où quelques femmes d'arrieros lavaient les calzoncillos de leurs maris. Un homme qui portait sur sa figure, rougie par le soleil, une expression de franchise et de gaieté toutes françaises, faisait assaut de quolibets avec les laveuses, et le grasseiement parisien qu’il introduisait dans la prononciation mexicaine avait de quoi justifier amplement l’hilarité générale. On devine si entre le Parisien et moi la connaissance fut bientôt faite. M. D… parcourait à pied le Mexique : c’est par goût qu’il voyageait ainsi, et, sachant que dans ce pays on méprise quiconque n’est pas cavalier, il avait acheté un cheval, mais seulement pour s’en servir à la traversée des villes ou des villages. Le reste du temps, il menait le cheval en laisse. Fils d’un manufacturier de Paris, mon nouveau compagnon, à la veille de payer, par un riche mariage, l’établissement paternel, avait reculé devant l’engagement qu’il allait contracter. Il avait quitté Paris pour ne pas perdre sa liberté. Depuis six ans, l’Amérique du Sud, comme l’Amérique du Nord, l’avait vu errant, colportant de maison en maison quelques menues marchandises dont le produit le faisait vivre. Sobre, patient, résigné, assez intrépide pour voyager seul d’un bout à l’autre des Amériques, ne regrettant rien d’une vie plus aisée, doué d’une fermeté d’âme égale à celle de ses muscles infatigables, trop fier pour tendre la main dans l’adversité, assez généreux pour l’ouvrir dans la fortune, joignant enfin, par un bizarre mélange, aux instincts chevaleresques de notre nation l’étroitesse d’idées commerciales qu’on a pu lui reprocher quelquefois, tel était l’homme que le hasard m’avait fait rencontrer au fond des solitudes mexicaines. Ce type est moins rare qu’on ne pourrait le supposer dans les deux Amériques. M. D… au moment où je le rencontrai, était attaché à une maison française qui avait désiré utiliser sa connaissance pratique des affaires. Son mandat l’appelait à la foire annuelle et célèbre de San-Juan de los Lagos. Cet itinéraire s’accordant avec le mien, il fut convenu que nous ferions route ensemble. J’y mis une condition cependant : c’est que M. D… dérogerait en ma faveur à ses habitudes et voyagerait à cheval. La condition fut acceptée de bonne grace, et le lendemain de notre rencontre nous partîmes, après avoir pris congé des arrieros, et décidés à faire diligence pour ne pas manquer l’ouverture de la foire de San-Juan.

En compagnie de M. D… je revis Arispe, Hermosillo, Guaymas, où je m’embarquai de nouveau. Je saluai de loin, du pont de la balandre qui me remportait, la côte de Californie, qui m’apparaissait comme une vapeur bleuâtre ; je revis les lames écumer sur les récifs des îles de Cerralbo et d’Espiritu-Santo ; puis, des hauteurs de la commandance de San-Blas, je jetai un coup d’œil d’adieu sur cette mer Vermeille que je venais de traverser pour la dernière fois, et dont les premiers souffles du cordonazo et les premiers nuages d’octobre commençaient à troubler l’azur. À mes pieds, des rafales impétueuses, avant-coureurs des orages, qui s’abattent sur le golfe, courbaient la cime des arbres. Le soleil aspirait à longs traits les vapeurs qui devaient bientôt se précipiter en pluies torrentielles. La maladie, la mort, semblaient prêtes à s’abattre sur la ville, plus triste, plus désolée que jamais, car, aux approches de la saison des pluies, l’heure de la migration périodique de la plupart des habitans était déjà venue.

Nous ne tardâmes pas à gagner Tépic, ville d’environ vingt mille habitans, et qui, sous une tiède température, s’élève, comme une plate-forme verte et toujours fraîche, au-dessus des plages torréfiées de San-Blas. Nous franchîmes en trois jours les soixante lieues qui séparent Tépic de la capitale de l’état de Jalisco, Guadalaxara, qui compte cent cinquante mille habitans, ville renommée dans toute la république pour ses manufactures et l’adresse de ses enfans à manier le couteau ; puis nous prîmes, pour ainsi dire, à travers champs pour gagner San-Juan.

Sur ces nouvelles voies de communication, la scène change ; ce ne sont plus de rares voyageurs apparaissant à de longues distances au milieu des déserts : d’interminables files de mules encombrent les routes ; de lourds chariots dont l’essieu crie font poudroyer, sous leur attelage de bœufs, la poussière des grands chemins ; les salteadores, à moitié voilés de leurs mouchoirs de soie, attendent la proie qui leur a été désignée, et échangent avec les voyageurs sans bagage des saluts d’une courtoisie désintéressée. Vous sentez que la vie circule plus active entre les membres épars de ce grand corps qui compose la république ; mais des dangers encore inconnus vous menacent. Les croix de meurtre s’élèvent çà et là ; des histoires lugubres vous sont racontées dans les hôtelleries, et le conteur, qui vous épie, cherche à juger, d’après votre contenance, s’il doit ou non vous livrer aux bandits dont il s’est fait l’éclaireur ; puis vous avez à subir l’hospitalité mexicaine avec son cortége inévitable de misère, de saleté, de dénûment.

Tous les inconvéniens que je viens d’énumérer semblèrent, pour ainsi dire, se grouper autour de nous dans la venta où nous étions descendus la veille de notre arrivée à San-Juan de los Lagos. Vers cinq heures du soir, après douze heures environ passées à cheval et sous les flots d’une pluie torrentielle, nous avions aperçu, à travers un voile de brouillards, les murs blancs et les tuiles rouges de cette venta isolée. M. D… prit aussitôt les devans pour nous assurer dans ce pauvre gîte un souper et un abri. — Un mot en passant sur les formalités d’introduction dans les posadas du Mexique. On pénètre d’abord sans obstacle dans la grande cour carrée de l’hôtellerie, sur laquelle s’ouvrent, au rez-de-chaussée, les chambres destinées aux voyageurs. La plupart du temps, le maître de l’hôtellerie, le huesped, absent ou occupé au fond d’une écurie lointaine à régulariser sur un papier sale sa comptabilité de fourrages, n’a garde de répondre à la voix qui l’appelle. L’arrivant n’a rien de mieux à faire alors qu’à pousser à cheval une reconnaissance dans toutes les chambres, dont les portes restent ouvertes, et il prend celle qui lui convient. Son choix est bientôt fait, car l’ameublement est dans toutes exactement le même : un banc et une table de bois, un lit en maçonnerie, voilà tout. Le prix ne varie pas non plus ; il est fixé à un réal (60 centimes) par jour. Vous dessellez ensuite votre monture en attendant le huesped, qui arrive enfin, et qui, vous trouvant installé, murmure de n’avoir pas été prévenu ; après quoi, vous vous occupez de la nourriture de votre cheval, puis, le cas échéant, vous songez à vous-même et vous demandez à souper. Là encore de nouvelles tribulations vous attendent, car, pour peu que l’hôte soit de mauvaise humeur, ou que vos façons d’agir lui aient déplu, vous courez le risque de n’avoir que des refus, ou, à grand’peine, le rebut des mets préparés. Ce sans-façon à l’égard des voyageurs n’est pas poussé, il faut le dire, au-delà de certaines limites dans les villes où les posadas sont nombreuses ; mais, dans les ventas protégées par leur isolement contre toute concurrence, il se transforme en un insupportable arbitraire.

Au moment où je venais d’obtenir, à force d’instances et en bravant mille rebuffades, un médiocre souper, un mouvement inusité se fit dans la venta. Une lourde berline de voyage, attelée de huit mules, était entrée dans la cour. La caisse percée à jour, le train à moitié brisé, paraissaient avoir servi de cible aux carabines des routiers. Un cavalier, dont le cheval perdait des flots de sang, précédait la massive voiture. Un voyageur presque mourant fut à grand’peine tiré de l’intérieur, soigneusement fermé. Le huesped désœuvré, qui se promenait dans la cour en sifflant, s’en alla recevoir les arrivans. Comme la nuit tombait, les portes de la venta furent fermées par une chaîne de fer, et je pus apprendre du cavalier qui accompagnait la berline le mot de cette lugubre énigme. Son maître, le voyageur moribond qu’on venait de transporter dans une chambre voisine, était parti de Mexico pour aller établir à San-Juan une banque de jeu. Trente mille piastres en argent et en or remplissaient les coffres de la voiture. À quelque lieues de l’hôtellerie, des voleurs les avaient attaqués, blessés et dépouillés. À en croire le narrateur, des joueurs habitués de la banque tenue par son maître à Mexico, informés du but de leur voyage, les avaient suivis de venta en venta, de meson en meson, et livrés aux routiers qui les avaient débanqués sur le grand chemin. — Je vous confie ce récit sous le sceau du secret, ajouta le cavalier, car un malheur de plus peut nous frapper, si la nouvelle de notre désastre parvenait aux oreilles de la justice ; l’intervention de l’alcade achèverait de nous ruiner.

Cette crainte ne me surprit nullement, tant est grand l’effroi que la justice mexicaine inspire à ceux qu’elle a la prétention de protéger. Je promis donc le silence au cavalier, qui s’éloigna pour aller soigner son maître. M. D…, présent à cet entretien, avait peine à contenir son indignation. Fort de l’expérience que m’avait donnée un long séjour dans la république, j’essayai en vain de lui faire comprendre que, le gouvernement fédéral ne rétribuant point les juges, ceux-ci étaient bien forcés de vivre aux dépens des plaideurs, qui, de leur côté, n’avaient que fort peu de goût pour cette intervention intéressée. Ce n’était pas, au reste, la seule preuve que M. D… devait me donner de sa fâcheuse ignorance en matière de jurisprudence mexicaine. Cette rencontre d’hôtellerie n’était que l’avant-coureur de scènes moins tragiques, dans lesquelles M. D… allait se trouver, non plus témoin, mais acteur involontaire.

La villa[5] de San-Juan de los Lagos, où nous arrivâmes après dix jours de route, est bâtie au fond d’un bassin circulaire si profond, qu’à peine aperçoit-on de loin le sommet des deux tours de sa cathédrale. Quant à la villa, on ne la devine que du sommet du talus escarpé qui l’entoure de tous côtés. La population de San-Juan n’est en réalité que de quelques milliers d’âmes ; mais chaque année, au mois de décembre, la foire qui s’y tient, foire célèbre dans toute la république, y attire près de trente mille étrangers qui s’y logent comme ils peuvent. La plupart campent sur les hauteurs qui dominent la ville, car, dans l’intérieur, les boutiques, les auberges, les baraques même, sont louées à un prix exorbitant pendant les quinze jours que dure la foire.

L’origine de cette foire fut d’abord toute religieuse. Notre-Dame-de-Saint-Jean-des-Lacs était en grande renommée pour les miracles de toute espèce qu’elle opérait, soit pour la guérison des infirmités les plus incurables, soit pour l’apaisement des consciences les plus désespérées. Un pèlerinage à San-Juan, accompagné de riches offrandes, ne suffisait pas, dans le dernier cas, pour obtenir le résultat désiré. Le pénitent devait en outre descendre à genoux la côte rapide qui mène à la place, traverser celle-ci, monter les douze degrés de la cathédrale ; là, il attendait sur le parvis, les genoux en sang, que le prêtre reçût l’offrande et lui donnât l’absolution. Aujourd’hui, bien que le caractère religieux de cette foire se soit en partie effacé, on voit encore plusieurs fois par jour des malheureux acheter ainsi le pardon des crimes dont ils sont souillés. Cette pénitence doit, comme on le comprend sans peine, rendre à la longue la conscience aussi calleuse que les genoux. Cela n’empêche pas la population mexicaine de témoigner un vif intérêt à ceux qui se l’imposent, et d’étendre sur le passage des pénitens des tapis, des manteaux et des sarapes.

Comment, à la longue, le pèlerinage de San-Juan se transforma en foire, c’est ce qu’il est facile d’expliquer. Les marchands ne tardèrent pas à venir exploiter les pénitens dont le nombre était grand ; les joueurs vinrent exploiter les marchands ; les pauvres Indiens vinrent faire bénir à San-Juan leurs poules, leurs ânes et leurs chiens. Les voleurs vinrent mettre à contribution à leur tour les pénitens, les marchands, les joueurs, les Indiens, et une nuée de courtisanes s’abattit comme des sauterelles dévorantes sur cette mêlée de dupes et de fripons. Telle fut l’origine de la foire actuelle. C’est parmi ce ramassis de gens sans aveu, de filles perdues, de joueurs, de voleurs, que se débattent des affaires immenses, et tel est le danger permanent de ce rassemblement, que les négocians ne traitent, littéralement parlant, que le pistolet ou le sabre d’une main et la marchandise de l’autre. Les environs de la ville, battus en tous sens par des hordes errantes de rateros[6] et de salteadores, n’offrent pas plus de sécurité que l’intérieur ; malheur aux petits marchands, aux pèlerins isolés que leur mauvaise étoile livre sans armes à ces chacals affamés ! Le soir, quand l’oracion a sonné, on barricade soigneusement les boutiques, et, tandis que les marchands calculent leur recette, la ville reste livrée aux joueurs, aux courtisanes et aux voleurs que, dans ce pays fanatique, le sacrilège même n’arrête pas.

Telle était la ville où une singulière mésaventure survenue à mon compagnon de voyage allait me forcer de prolonger mon séjour. J’ai dit que le Parisien, après avoir long-temps mené par goût la vie du marchand nomade, était devenu le chargé d’affaires d’une grande maison de commerce. Malheureusement M. D… n’avait pas encore eu le temps de se familiariser avec son nouveau rôle, et il apportait avec lui à San-Juan une cargaison de menues marchandises dont il espérait se défaire avantageusement. Il n’avait jamais visité certains états du Mexique où, malgré les efforts de la diplomatie européenne, la vente en détail est interdite aux étrangers ; il ignorait qu’à San-Juan cette loi vexatoire fût en vigueur. Agissant en conséquence, il eut bientôt placé à très bon prix une partie de ses marchandises de détail. Quand il me fit part du résultat de ses premières opérations, je l’avertis du danger qu’il courait en les prolongeant. Déjà il était trop tard. Une dénonciation avait été portée contre M. D… La justice espagnole, avec une célérité digne des cadis d’Orient, condamna le pauvre négociant, sans même l’entendre, à la confiscation de tous les intérêts qu’il avait en main, à dix-huit mois de travaux forcés à la Laguna de Chapala, et un mandat d’amener fut immédiatement lancé contre le délinquant.

En présence de cet arrêt que l’exécution devait suivre de près, le mieux à faire était de soustraire d’abord à la rapacité de la justice tout ce qui pouvait être saisi, puis de s’assurer une espèce d'habeas corpus ou sauf-conduit personnel. Je me mis à la disposition de M. D… pour lui aplanir les démarches que nécessitait sa position critique. Mon compagnon avait expédié à l’assesseur de la Barca, petite ville à quarante lieues de San-Juan, un exprès sur le meilleur de mes deux chevaux, pour solliciter le sauf-conduit indispensable. La liberté, la fortune de M. D… dépendaient de la fidélité du messager. Chaque jour, j’allais moi-même sur la route attendre le retour de l’envoyé. Enfin il arriva et me remit le sauf-conduit ; mais, par une fatalité singulière, le jour même où je revenais à San-Juan porteur de cette bonne nouvelle, M. D… avait été incarcéré : le sauf-conduit était arrivé une heure trop tard. Je dus donc m’adresser à l’alcade de San-Juan pour réclamer la mise en liberté de mon compatriote.

J’avais déjà plusieurs fois eu affaire aux alcades du Mexique, et chaque fois aussi l’imprévu de leurs décisions, la naïveté de leurs arrêts, la bonhomie de leurs injustices, avaient été pour moi de nouveaux sujets de surprise. J’avoue cependant qu’en me dirigeant vers la demeure de l’alcade de San-Juan, je ne m’attendais guère aux nouvelles révélations que cette entrevue allait me procurer sur les mœurs mexicaines.

Au moment où j’étais introduit dans le hangar qui servait de salle d’audience, un visiteur causait déjà avec l’alcade. Nonchalamment étendu sur une butaca[7], ce visiteur portait dans toute sa splendeur le pittoresque et riche costume mexicain[8] ; l’or, le velours, la soie, s’étalaient à profusion sur ses vêtemens ; ses bottes de cheval, brodées, valaient certainement plus de quatre cents francs, et le reste était à l’avenant. On comprendra ma surprise quand je reconnus dans ce personnage si magnifiquement équipé le proscrit mystérieux des savanes de Tubac. Mon premier mouvement fut de laisser échapper une exclamation d’étonnement, je me retins et j’attendis, à tout hasard, que le bandit voulût bien me reconnaître lui-même ; mais, comme la mienne, sa figure resta impassible. L’alcade et lui fumaient une cigarette ; il y avait entre eux une intimité évidente. Seulement l’alcade, sans doute par déférence pour son hôte, était assis sur un simple tabouret en roseaux.

— Seigneur alcade, lui dis-je, j’ai l’honneur de baiser les mains de votre seigneurie et de vous prier de prendre connaissance de ce papier ; mais peut-être, malgré l’urgence de l’affaire qui m’amène, suis-je importun dans ce moment ?

— Nullement, me dit l’alcade en tendant la main, ce cavalier et moi n’étions occupés qu’à causer d’amitié.

L’alcade parcourut des yeux le sauf-conduit que je lui avais présenté et me le rendit au bout de quelques minutes, en me disant :

— J’en suis fâché, mais vous venez trop tard, le cavalier dont le nom est mentionné dans cet écrit est déjà en prison.

— Je le sais, lui dis-je, mais c’est à tort.

— Et depuis quand la justice se trompe-t-elle ? reprit l’alcade d’un ton solennel.

Je me complus, dans ma réponse, à reconnaître l’infaillibilité de la justice mexicaine, et j’insistai pour obtenir l’élargissement de M. D…

— C’est impossible, reprit obstinément le magistrat ; suivez bien mon raisonnement. Ce sauf-conduit est postérieur en date à l’arrestation de votre compatriote, donc ce dernier est légalement incarcéré, et, malgré votre désir, je ne puis maintenant vous mettre à sa place. Tout ce que je puis faire pour vous, c’est de vous envoyer le rejoindre.

Je m’évertuais à faire comprendre à l’alcade le but de ma démarche, quand le personnage aux galons d’or intervint officieusement.

— Seigneur alcade, dit-il, vous vous méprenez sur l’intention de ce cavalier : son désir est de délivrer son compatriote, mais non de se faire mettre en prison à sa place ou de l’y aller rejoindre. C’est encore une méprise de vos alguazils que vous devriez casser aux gages.

— Il faudrait d’abord les leur payer, grommela l’alcade. Je puis faire mettre les gens en prison, mais je ne puis en faire sortir personne. Quant à mes alguazils, je leur ai donné carte blanche pour emprisonner ceux qui leur paraîtraient suspects, et, à une piastre par tête, que le prisonnier paie, bien entendu, leurs profits sont assez beaux pendant la durée de la foire. Ce moyen de les payer est de mon invention, ajouta glorieusement l’alcade.

La figure du proscrit parut se rembrunir.

— Ah ! ce moyen est de votre invention, dit-il ; alors je ne m’étonne plus si dans leur ardeur, ils ont arrêté le Zurdo[9] et le Santucho[10], pendant qu’ils accomplissaient leurs dévotions.

— Quoi ! balbutia l’alcade interdit, ces deux personnages sont de votre… connaissance.

— Oui, et c’était d’eux que je venais vous parler quand ce cavalier, dit-il en me désignant, est arrivé. Puis-je savoir le délit dont ils se sont rendus coupables ?

— Je serais embarrassé, dit l’alcade, qui semblait chercher à se justifier, de préciser les faits, mais de pareils drôles…

— Eh bien ! alors ? interrompit le proscrit en regardant l’alcade avec un froit sourir qui parut le glacer.

— Eh bien ! mes alguazils ont pensé judicieusement que deux hommes qui descendaient tous les jours la côte de San-Juan à genoux ne pouvaient être que des gens souillés de crimes ; c’est dans cette conviction qu’ils les ont arrêtés.

— Pour gagner deux piastres. Eh bien ! seigneur alcade, le Zurdo et le Santucho sont blancs comme neige.

— Au fait, dit l’alcade, qui semblait n’avoir discuté que pour la forme, nous sommes dans une ville célèbre par ses miracles.

— Le premier, reprit le salteador, a déjà depuis long-temps fait toutes les pénitences nécessaires pour son arriéré et ses promenades à genoux n’avaient pour but que de le mettre un peu en avance. Quant au Santucho, c’est une spéculation lucrative pour lui d’expier les péchés des autres, ce qui fait qu’il a beaucoup de besogne. Vous trouverez bon, j’espère, que je prenne les mesures nécessaires pour faire mettre en liberté deux pénitens aussi recommandables.

— Certainement ! s’écria l’alcade, je l’aurai même pour très agréable.

— Quand à vous, seigneur cavalier, reprit le proscrit, si vous voulez bien recourir à ma protection, je pourrai faire aussi quelque chose pour votre compatriote.

Converti par l’exemple de l’alcade, je crus devoir répondre à cette offre par une courtoise inclination de tête.

— À une condition cependant, cet élargissement vous coûtera cent piastres. C’est à prendre ou à laisser, vous y réfléchirez. C’est le prix d’un voyage vers l’assesseur ; si ce prix vous convient, vous n’aurez qu’à venir me trouver ce soir à dix heures pour me donner votre réponse.

Je ne crus pas devoir accepter tout de suite, et je promis à mon redoutable protecteur de l’aller trouver à l’adresse qu’il m’indiqua, si je me décidais à faire ce sacrifice. Le proscrit se retira presque aussitôt.

— C’est un grand seigneur ? demandai-je alors à l’alcade, espérant obtenir quelques renseignemens sur la position nouvelle du fugitif de Tubac ;

— C’est un marchand de bestiaux, reprit l’alcade à haute voix. Puis, au bout de quelques minutes de silence :

— C’est un chef de bande par occasion, reprit-il à voix basse.

— Un chef de bande de quoi ?

— Eh ! caramba ! de voleurs de grands chemins ; je vous dis cela parce que vous le saurez ce soir et qu’il n’y a pas d’indiscrétion, sans quoi je pourrais perdre la bienveillance qu’il m’a toujours témoignée, car, ainsi que vous l’avez vu, il veut bien me traiter comme son égal.

— C’est beaucoup d’honneur pour vous, seigneur alcade !

Je considérais avec un étonnement qui approchait de la stupéfaction ce magistrat, qui semblait se faire un mérite de la bienveillance d’un brigand. Dans l’état d’impuissance où se trouve la justice au Mexique, une pareille anomalie n’est cependant que trop fréquente. Un plus long entretien était inutile, le juge ne pouvait rien, le brigand pouvait tout. Je me retirai et saluai courtoisement l’alcade, que je n’avais pas trouvé moins piquant que ses autres collègues de ma connaissance.

Revenu à mon hôtellerie, je reçus un message que M. D… me faisait parvenir du fond de sa prison. Mon pauvre compagnon me parlait d’offres mystérieuses qui lui avaient été faites ; on avait promis de le mettre en liberté moyennant cent piastres. Je reconnus l’intervention du protecteur de l’alcade, et, déterminé à accepter ses propositions dans l’intérêt même du prisonnier, je résolus d’aller le voir sur-le-champ. L’oraison venait de sonner, et la nuit était close quand je traversai la grande place pour me rendre à l’endroit que m’avait indiqué le prétendu marchand de bestiaux. C’était sur une des hauteurs qui dominent la ville, près de la cathédrale, que le salteador avait dressé sa tente. J’étais bien armé, et la distance à parcourir n’était pas très grande. Je laissai bientôt derrière moi la foule bruyante des promeneurs et je gravis la colline, dont le sommet était couronné de feux de distance en distance. J’arrivai bientôt à la tente qu’on m’avait désignée, et qu’une longue banderole blanche qui flottait au-dessus faisait aisément reconnaître. Une multitude d’autres baraques étaient groupées autour de cette tente ; des recuas[11] de mules disséminées dans les espèces de rues formées par les tentes ou les baraques, de longues rangées d’aparejos de bêtes de somme, indiquaient des campemens de muletiers. Des cuisines en plein vent, des établissemens de jeux à ciel ouvert, attiraient l’excédant de la sauvage population qui se pressait sur la place, et on trouvait dans cet endroit, répétés en petit, les curieux tableaux que présentait la ville même de San-Juan.

À mes pieds, sous un dôme de fumée dont les tourbillons montaient jusqu’à moi, une ville nouvelle semblait s’élever dans l’ancienne, ville composée de baraques de bois, de tentes de feuillage ou de toile parées de couvertures aux couleurs éclatantes. À travers les trouées que le vent ouvrait dans ce dais de vapeurs fuligineuses, je voyais flotter les larges banderoles des pavillons de jeux avec leurs inscriptions en grandes lettres blanches : Aqui hay partida. Ces demeures mobiles s’élevaient pressées comme les tentes d’un camp. Tous les fruits des tropiques amoncelés en pyramides étaient réunis dans certains endroits pour tenter la sensualité des promeneurs. À côté de ces pyramides multicolores, des raves gigantesques artistement taillées en bouquets, en soleils, en panaches, s’épanouissaient au-dessus de poêles où des ragoûts sans nom cuisaient dans une graisse sifflante.

Dans les espaces ménagés pour la circulation circulaient, fièrement drapés de leurs haillons, les léperos, ces lazzaroni mexicains, dont la vie se passe à voler, à jouer, à manier alternativement la mandoline et le couteau. Les uns, assis en rond autour d’une couverture étendue par terre, essayaient les chances du monte sous l’œil d’un banquier balafré, prêts à en appeler au couteau de l’opiniâtreté d’une veine contraire ; les autres se pressaient à l’entrée des baraques privilégiées, où le tintement de l’or se mêlait au bruit d’un orchestre discordant. Les manteaux galonnés des rancheros se croisaient avec les couvertures déchirées, les souquenilles bariolées des muletiers, et des groupes d’Indiens à demi nus erraient silencieusement au milieu de cette foule tumultueuse. Plus loin, dans les rues plus obscures où les clartés des brasiers venaient mourir, luisaient dans l’ombre l’or, les paillettes et la soie des courtisanes, tandis qu’à quelques pas d’elles étincelaient les lames nues des protecteurs payés de ces faciles amours. Enfin, dans les rues restées désertes et noyées dans l’ombre projetée par les tours de la cathédrale, les lanternes des veilleurs de nuit, les torches du guet à cheval, brillaient et s’éclipsaient tour à tour. Mille bruits étranges et confus, détonations d’armes à feu, cris, chansons, cliquetis de castagnettes, hurlemens de joie ou d’angoisse, s’élevaient, comme un effrayant concert, de cette ville livrée complètement pour quelques jours au vol, au meurtre et à la débauche.

Une douzaine de chevaux sellés et bridés étaient attachés à des piquets devant la baraque où m’attendait le salteador. Un homme, assis sur une pierre près de la porte, laissa de côté la guitare qu’il tenait à la main, et interrompit une romance mélancolique qu’il chantait à haute voix pour me demander si j’avais affaire au propriétaire de la baraque. Sur ma réponse affirmative, il souleva une portière en cuir, et m’invita à entrer. Pour me rassurer en ce moment sur ma démarche, il fallait, je l’avoue, toute ma pratique des mœurs mexicaines et l’insouciance acquise dans une vie aventureuse. Le salteador prenait son chocolat ; il était seul.

— J’attendais votre visite ; peut-être même auriez-vous dû me la faire plus tôt dans l’intérêt de votre ami, me dit-il ; soyez le bienvenu, vous êtes chez vous.

Je le remerciai de sa politesse.

— Je ne vous demande pas, reprit le salteador, les motifs de votre voyage à San-Juan, j’aurais pu vous les demander ailleurs.

— Où donc ?

— Eh ! parbleu ! dans les plaines de Tubac. Vous n’avez donc pas la mémoire des figures ?

— Non, vraiment. Bien qu’à vous en croire j’aie déjà eu le plaisir de vous rencontrer, je cherche en vain à me rappeler vos traits, et je les aurai, certes, oubliés demain.

— Voilà une réponse prudente, et c’est une règle de conduite dont vous ferez bien de ne pas vous écarter hors de propos ; mais une plus longue dissimulation de votre part serait offensante envers une ancienne connaissance, ajouta-t-il d’un ton plein de cordialité. Vous pouvez sans crainte me reconnaître à présent. Ne m’avez-vous pas vu braver la justice dans son sanctuaire ?

Je ne pus m’empêcher de sourire au souvenir de la scène dont j’avais été témoin le matin. Le chef de cuadrilla reprit d’un air de dédain :

— Qu’est-ce, après tout, que de faire trembler un misérable alcade de village ? Des juges plus puissans auront leur tour. Mais je vous ai dit qu’un jour peut-être vous seriez heureux de me faire souvenir que nous avions partagé l’hospitalité du même foyer ; faut-il donc que ce soit moi qui vienne en aide à votre mémoire ? Ce jour est-il venu ?

Je rappelai alors au salteador l’offre qu’il m’avait faite le matin, et je me dis prêt à accepter son intervention en faveur de mon ami moyennant cent piastres, que je compterais quand M. D… m’aurait rejoint. Le salteador me laissa parler avec un sourire qui semblait signifier que je ne lui apprenais rien de nouveau. Quand j’eus fini :

— Je connais toute cette affaire, me dit-il, et je la connais même mieux que vous. Un vice de forme devant lequel la justice a reculé a seul empêché jusqu’à ce jour la saisie des biens de votre ami. C’est à ce vice de forme qu’il doit le sauf-conduit de l’assesseur, mais d’un moment à l’autre l’obstacle qui arrête la justice peut être levé. En supposant même que votre ami sorte aujourd’hui de prison et se dérobe par la fuite à la sentence qui le condamne, il ne sera pas encore en sûreté, car un ordre d’extradition le poursuivra et pourra l’atteindre d’un bout à l’autre de la république. Ce qu’il importe, c’est d’entraver à temps la marche de la justice. À l’heure où je parle, un courrier est en route pour apporter l’ordre de saisie immédiate : une seule personne peut arrêter ce courrier.

— Et qui sera cette personne ?

— Moi, répondit le routier, mais toutefois moyennant rançon.

— Vous ? mais l’argent me manque.

Je n’osais trop témoigner la défiance qui m’empêchait de payer cette rançon d’avance. Le salteador sembla deviner ma pensée.

— Pour vous prouver ma bonne foi, me dit-il, je me contenterai de votre parole ; vous ne me paierez le prix de mes bons offices que sur les preuves en règle d’un indulto plein et entier. Vous compterez sept cents piastres à la personne qui vous le remettra. Votre affaire, continua le routier, est presque la mienne. L’homme qui vous a dénoncé fait partie de ma bande, c’est précisément ce misérable surnommé le Santucho, dont je parlais ce matin à l’alcade. En révélant à la justice le délit commis par votre compatriote, il a enfreint les lois des salteadores. Nous sommes des voleurs à main armée, et non pas des dénonciateurs qui se cachent dans l’ombre. J’ai d’ailleurs un autre compte à régler avec lui. Vous n’avez pas oublié peut-être le voyageur qui, poursuivi par un ours, vint nous demander protection la nuit de notre bivouac avec les chasseurs de bisons. Eh bien ! ce malheureux est tombé malgré moi sous les coups de ma bande, excitée par le Santucho. Voilà deux fois que le misérable me brave ouvertement. Dites à votre ami que non-seulement il me devra sa liberté, mais une vengeance éclatante.

Je n’avais qu’une réponse à faire à ce singulier personnage, si plein de mépris pour les lois de son pays qu’il semblait connaître mieux qu’un alcade, et si plein de respect pour cet autre code à l’usage des routiers dont il invoquait contre le Santucho les prescriptions inflexibles. Mon protecteur se montrait accommodant, et il fallait profiter de sa complaisance : je convins que M. D… acquitterait une traite de sept cents piastres entre les mains de celui qui lui apporterait à une adresse désignée la main-levée de la saisie décrétée contre ses biens et sa personne. Ces conditions étant acceptées, et un des complices du salteador étant venu interrompre l’entretien, je ne crus pas devoir prolonger ma visite et je sortis de la tente. La nuit était déjà avancée ; le silence avait succédé au tumulte qui, quelques heures auparavant, régnait dans la ville. Les veilleurs de nuit dormaient, enveloppés dans leurs manteaux, auprès de leurs lanternes fumeuses. Des malheureux, après avoir joué le dernier réal destiné à payer leur gîte, étaient nonchalamment étendus sur les marches de la cathédrale qui leur accordaient une hospitalité gratuite, et dont les hautes tours se dessinaient en noir sur le ciel. Quelques lueurs mystérieuses allaient et venaient seules sur les hauteurs ; partout ailleurs l’agitation avait cessé, et les dernières vibrations de l’horloge qui achevait de sonner onze heures retentissaient encore avec une gravité solennelle mêlées aux clameurs lugubres des serenos, quand je rentrai chez moi tout préoccupé du souvenir de mes deux audiences de la journée. L’alcade m’avait montré la justice impuissante et corrompue ; le salteador, le brigandage érigé en dictature, imposant des lois et se faisant presque magnanime : ce contraste m’en disait plus que de longues recherches sur la décadence morale de la société mexicaine.

Le lendemain de bonne heure ; M. D… frappait à ma porte accompagné d’un des hommes de la bande du proscrit, le Zurdo, qui venait, de la part de son chef, chercher la rançon convenue : le chef avait tenu sa parole et me rappelait la mienne. La longue barbe, les habits souillés, la figure amaigrie de mon malheureux compatriote, ne me faisaient que trop deviner les mauvais traitemens qu’il avait eu à subir. Le Zurdo nous quitta en nous promettant, foi de salteador, que l’homme dont la dénonciation avait valu à M. D… ce fâcheux démêlé avec la justice serait exemplairement puni. Cette assurance nous consola médiocrement. L’essentiel était maintenant de partir sans encombre ; il fallait attendre la nuit. La journée s’écoula sans qu’aucun homme de loi se fût présenté à notre domicile. La nuit venue, nous en laissâmes encore passer les premières heures, afin d’attendre le moment où les clartés douteuses de l’aube nous permettraient de faire route sans craindre de nous égarer. Enfin le ciel s’éclaira un peu ; nous sellâmes silencieusement nos chevaux, et nous quittâmes sans regret une ville qui ne nous laissait à tous deux que de tristes souvenirs.

Nous ne respirâmes à l’aise que quand nous fûmes à une lieue de San-Juan, galopant à toute bride sous les frais ombrages d’une avenue d’arbres du Pérou. Nous ne nous doutions guère que le petit drame où nous avions été involontairement acteurs allait dérouler devant nous sa dernière scène. Une voix lamentable qui traversa tout à coup le silence de la nuit nous enleva fort désagréablement à la demi-sécurité que quelques instans de course rapide nous avaient rendue. — Au galop ! dis-je à M. D… Nous avons été vus, et un moment d’hésitation nous perdrait.

Nous pressâmes nos chevaux déjà haletans ; mais ceux-ci se cabrèrent et, malgré nos coups d’éperons, refusèrent d’avancer. Ils semblaient reculer devant quelque objet effrayant. Alors, en interrogeant du regard les profondeurs des allées latérales, nous aperçûmes, à quelques pas devant nous, six hommes immobiles, chacun devant autant de troncs d’arbres. Ce pouvait être une nouvelle troupe de salteadores qui nous attendaient au passage pour nous dévaliser ; mais les lamentations de ces hommes, que nous entendîmes bientôt plus distinctement, vinrent nous rassurer.

— Pour l’amour de Dieu ! disait l’un, me laisserez-vous sans me secourir ?

— Au nom de la sainte Vierge ! disait l’autre, seigneur cavalier, venez-nous en aide !

Nous vîmes alors que tous ces malheureux, que nous avions pris pour des voleurs, étaient eux-mêmes étroitement attachés aux arbres, et qu’ils imploraient notre assistance. C’étaient sans doute de petits marchands que les rateros avaient dépouillés au sortir de San-Juan. Nous nous consultâmes sur ce que nous devions faire en leur faveur. Je proposai de les délivrer. Mon compagnon me rappela la mésaventure de don Quichotte, poursuivi à coups de pierre par les galériens dont il avait brisé les chaînes. J’allais me rendre à ses avis, quand des cris perçans attirèrent mon attention sur un individu qui paraissait le plus maltraité de la bande. Je ne pus résister à un mouvement de compassion, et, mettant pied à terre, j’eus bientôt coupé les liens qui garrottaient ce malheureux. Sans prendre le temps de me remercier, celui-ci gagna le sommet du talus qui bordait la route, et alors seulement tourna vers moi une figure vraiment patibulaire.

— Ah ! seigneur cavalier, me dit ce drôle, vous m’avez rendu un bien grand service, en me donnant la préférence sur mes compagnons d’infortune ! Les gens que vous voyez sont d’honnêtes marchands que nous avions cru prudent, mes amis et moi, de garrotter après les avoir dévalisés. Seulement mes amis, pour me jouer un mauvais tour, ont trouvé plaisant de m’attacher avec eux. Adieu, puisse le ciel vous récompenser de votre perspicacité ! Et vous, seigneur cavalier, ajouta-t-il en se tournant vers M. D…, rappelez-vous le sort qui attend les négocians en détail à la foire de San-Juan.

Un instant après, le Santucho, car c’était lui que, dans un bel élan de charité chrétienne, j’avais délivré, disparaissait derrière les broussailles. Nous échangeâmes, M. D… et moi, un regard de suprême désappointement.

— Partons, me dit M. D… après un moment de silence, et laissons ces braves gens s’en tirer comme ils pourront. Aussi bien, vous avez aujourd’hui la main trop malheureuse.

Une double détonation qui me fit tressaillir m’empêcha de répondre à ce reproche, que j’avais, il faut le dire, un peu mérité. Deux hommes débouchèrent presque en même temps sur la route et se croisèrent avec nous. L’un d’eux soufflait tranquillement dans le bassinet de sa carabine, l’autre accrochait la sienne au porte-mousqueton de sa selle. Je les reconnus tous les deux pour appartenir à la cuadrilla de mon ami le salteador.

Valga me Dios ! me dit l’un de ces hommes en passant près de moi ; qui diable aurait pu penser que vous iriez choisir, parmi tant d’honnêtes gens, le Santucho pour le délivrer ? Nous l’avions attaché là en attendant l’heure de tirer sur lui, comme l’avait ordonné notre chef. Il a fallu devancer l’heure prescrite pour réparer vos maladresses. Adieu, seigneurs cavaliers, que la leçon vous profite !

Derrière les bandits qui s’éloignaient arrivait un cavalier qui nous eut bientôt rejoints. Le costume du nouveau venu était aussi riche qu’élégant. Un chapeau à larges bords avec son enveloppe de toile cirée, une toquilla en perles de Venise, un dolman de drap, dont on voyait les manches richement bordées de soie sortir des plis de la manga violette rehaussée d’ornemens de jais ; de larges pantalons flottant sur les étriers, composaient ce pittoresque costume, vraie tenue de salteador en campagne. Un cheval digne d’un pacha, l’œil étincelant, les naseaux dilatés, le col arqué, la queue ornée de larges rubans rouges, faisait vibrer, à chacun de ses mouvemens, une longue et flexible lame de Tolède, dont le fourreau, délicatement ciselé, battait ses lianes. Une courte carabine se balançait du côté opposé de la selle. Les bandits n’avaient pas attendu que le cavalier laissât tomber les plis de la manga qui cachait en partie sa figure, pour se découvrir et saluer leur chef. Ils lui rendirent compte de ce qui s’était passé en pur castillan, car l’argot des truands espagnols est inconnu au Mexique.

— C’est bon, dit froidement le salteador ; allez chercher le corps où vous l’avez laissé.

Un des bandits s’éloigna et revint, quelques minutes après, traînant au bout de son lazo le cadavre du Santucho. Quoique frappé de deux coups de feu, le malheureux respirait encore.

— Fouillez-le, dit le chef.

Un des deux hommes descendit de cheval, le Santucho sembla faire un mouvement pour se défendre ; mais ce mouvement fut presque imperceptible. Des poignées de piastres, de réaux, de menue monnaie, furent retirées de ses poches : c’était le fruit de ses vols de la nuit qui lui coûtaient si cher. L’homme qui l’avait fouillé interrogeait son chef du regard. Sur un signe il alla détacher les malheureux captifs que la terreur semblait paralyser. Sur un autre geste, le bandit éparpilla devant eux les piastres trouvées dans les poches de son camarade. Et, voyant les marchands se précipiter sur l’argent qui leur était ainsi rendu, le Santucho fit un mouvement convulsif, puis resta immobile. Cette fois il était mort ; le désespoir de se voir dépouillé l’avait achevé.

— Chargez ce corps sur vos épaules, dit impérieusement le chef aux marchands, qui cherchaient encore dans le sable ensanglanté les dernières pièces de monnaie, et remettez-le à l’alcade de ma part. Il l’avait voulu vivant, je le lui envoie mort ; il comparera sa justice à la mienne.

Les marchands obéirent, et, tandis que le funèbre cortége s’éloignait lentement, le salteador me dit avec un sourire presque hautain :

— J’avais juré de punir ce misérable, comme de faire trembler les juges de ce pays damné, où l’on trafique de la justice : vous voyez que mes deux sermens ont été tenus. J’en ai fait un troisième que vous connaissez, seigneur cavalier, ajouta-t-il en saluant M. D… je vous souhaite d’observer aussi fidèlement votre parole que je saurai tenir la mienne.

À ces mots, le proscrit s’éloigna, et bientôt la vitesse de son cheval l’eut dérobé à notre vue.

Huit jours après ce départ précipité, nous vîmes briller au soleil les neiges éternelles des deux volcans qui dominent Mexico, et peu s’en fallut que les amis qui venaient au-devant de moi ne crussent faire une fâcheuse rencontre dans le voyageur aux habits en lambeaux et couverts de poussière, à la barbe inculte, au visage hâlé, qui se présentait devant eux. J’avais quitté Mexico depuis quatorze mois, pendant lesquels j’avais fait à cheval, dans l’intérieur de la république, plus de quatorze cents lieues : c’est la distance à peu près du Havre à New-York. Rentré dans la vie civilisée, je dépouillai mon accoutrement de voyageur, dont je ne gardai que les longs éperons que j’avais si long-temps chaussés et le sarape qui m’avait abrité de la rosée de tant de nuits froides, comme du soleil de tant de jours brûlans. Deux mois s’étaient passés, mon imagination ne me présentait plus que comme un rêve mes pérégrinations aventureuses dans les déserts de la Sonora, quand un dernier incident vint en réveiller pour moi le souvenir. Un inconnu apporta à M. D… un indulto parfaitement en règle, et il accepta à une courte échéance une traite de sept cents piastres à l’ordre d’une des premières maisons de Mexico. Le salteador avait tenu sa troisième promesse aussi religieusement que les deux autres.

Gabriel Ferry.
  1. Voyez les divers articles de cette série dans les livraisons des 15 avril, 15 juin, 15 juillet, 15 août, 1er octobre et 1er novembre 1846.
  2. Féroces.
  3. Halte.
  4. On appelle reata, ou cabresto, ou cabestro, la longue corde qui sert à la fois de lazo et de licou.
  5. On appelle villa tout ville qui n’a pas de congrès, auquel cas elle a droit au nom de ciudad (cité).
  6. Voleurs en petit, voleurs à pied, l’opposé de salteadores.
  7. Fauteuil de cuir à bascule.
  8. Le costume mexicain complet, harnachement de cheval compris, vaut dix ou quinze mille francs.
  9. Le gaucher.
  10. L’hypocrite.
  11. Terme employé par les muletiers pour désigner une troupe de mules.