Souvenirs de quarante ans/1

INTRODUCTION


Dans une petite ville du Poitou, vers la fin de l’automne dernier, s’éteignait sans bruit une de ces existences inconnues qui ne se révèlent à leurs entours que par le parfum des vertus les plus modestes.

Après une carrière saintement fournie dans les si méritantes fonctions de curé d’un pauvre village, M. l’abbé ***, souffrant de précoces infirmités, avait dû se retirer. ─ Il vivait seul ; je me trompe, il vivait avec toutes les infortunes. Sans proches parents, les pauvres avaient été sa famille : ils devaient être ses héritiers. ─ Mais, en exprimant ce vœu, le bon prêtre oubliait que son héritage ne pouvait plus enrichir personne : toutes ses petites épargnes avaient servi à sécher des larmes et à alléger des souffrances.

Cependant quelques livres de choix garnissaient les rayons d’une bibliothèque fort poudreuse ; en en faisant l’inventaire, on trouva, noué dans un mouchoir à grands carreaux, un paquet portant pour suscription : Souvenirs d’une dame de la Dauphine, 1789-1830, recueillis en 1832.

Tel était le titre du manuscrit renfermé dans ce mouchoir.

On vendit les livres de la bibliothèque, suivant le vœu du testateur ; le prix de leur vente devait être placé pour fournir annuellement à l’éducation chrétienne d’enfants pauvres.

Plusieurs ouvrages étaient rares, quelques-uns fort curieux et d’une certaine valeur. Les acheteurs, s’inspirant des pieuses intentions du défunt, poussèrent volontiers les enchères.

Le manuscrit fut réservé, malgré les plus vives instances et des offres fort élevées. Il avait été lu, et l’on connaissait l’intérêt qui s’attachait à chacune de ses pages ; mais il fut considéré comme un document appartenant à une noble famille : on crut devoir le remettre au chef du nom.

Ce procédé et la générosité chrétienne des intentions de l’abbé *** inspirèrent à la famille que ce manuscrit intéressait si particulièrement la pieuse pensée de s’associer à l’œuvre charitable qu’il avait voulu fonder.

Elle en a autorisé la publication, sous la condition expresse qu’on laisserait au style de l’abbé *** sa couleur et son tour sincère et naïf, et que le produit de la vente serait appliqué à la fondation d’une salle d’asile et d’un ouvroir tenu par des sœurs de charité.

Nous pensons que de nombreux lecteurs voudront s’associer à une aussi bonne œuvre.

Un bonne œuvre n’a jamais rien gâté, surtout un bon livre : or il n’y a pas de livre plus vrai, plus authentique, plus rempli d’intérêt et de détails attachants, plus émouvants et plus instructifs que celui-ci.

C’est une vue d’intérieur, prise dans quarante années de l’histoire contemporaine, par une personne de la cour de Louis XVI, admise dans l’intimité de la famille royale, enfermée plus tard au Temple avec le Roi et la Reine, à la Force avec la princesse de Lamballe, et devenue l’amie de madame la Dauphine, dont elle fut une des dames sous la Restauration.

Que de titres pour le lecteur à un intérêt qui ne sera pas déçu !

H. B.