Souvenirs de prison/Chapitre 3


III

On apporte la livrée.

Je passe par une deuxième porte, distante de la première de cinq ou six pieds, j’enfile un couloir, et me voici dans un grand vestibule sombre et humide, rappelant vaguement un hangar abandonné. Une demi-douzaine de gardes s’y promènent à pas cadencés.

Dans un coin, une espèce de vieux pupitre sordide, plus deux ou trois chaises suspectes. C’est là qu’on m’amène tout d’abord.

— Asseyez-vous… me dit d’une voix de taureau l’un des collaborateurs de M. Morin.

Très bien, je m’assieds.

Rien à lire, personne à qui je puisse parler… Ce n’est pas réjouissant, et je me demande pourquoi l’on ne m’a pas conduit tout de suite à ma geôle, au lieu de me laisser suspendu de la sorte entre l’air libre et la captivité.

En attendant que l’on me tire de cette situation fausse, je m’amuse à considérer, pour me distraire, la pièce où l’on me fait faire antichambre.

À ma gauche, vis-à-vis de la porte d’entrée, j’aperçois deux vastes grilles, que sépare un intervalle d’au moins quatre pieds. C’est là, derrière la deuxième rangée de barreaux, que j’irai, dans quelques jours, causer à distance avec mes amis de l’extérieur. En ce moment même, un prisonnier reçoit des visiteurs ; mais il m’est à peu près impossible de discerner ses traits, à cause de l’obscurité…

Un peu plus loin, tout près de la porte, un petit cabinet grand comme la main, où je viendrai, par la suite, rencontrer de temps en temps mes avocats.

Au mur de droite, une grande horloge. En ce moment elle marque deux heures trente. Encore neuf heures et demie, et j’aurai terminé ma première journée. Il ne me restera plus alors que quatre-vingt-onze jours à faire… Une bagatelle !

Une demi-heure se passe, et je n’ai pas bougé de ma place… Mais voilà que soudain deux gardes se précipitent vers moi, seuls et sans armes. Que me veulent ces hommes intrépides ?

— Donnez-nous, me dit le premier d’une voix éclatante, tout ce que vous avez sur vous !

Une à une, je vide mes poches. J’en retire successivement un canif, deux trousseaux de clefs, trois ou quatre lettres, un numéro du Nationaliste, deux dollars cinquante en argent dur, une statuette de la bonne sainte Anne et un portrait de M. Gouin. Aussi, un billet de retour pour Montréal.

Quand ce fut fini :

— Est-ce tout ? me demanda le deuxième garde.

— C’est absolument tout : vous voyez, mes poches sont à l’envers…

Et je retourne l’un après l’autre tous mes goussets.

— Faites voir, réplique le numéro un.

Et les voilà partis, lui et son complice, à vérifier, chacun de ses dix doigts, le vide affligeant de mes poches. Leur conscience étant sur ce point satisfaite, il ne leur restait plus qu’à me palper, puis à me repalper, des pieds à la tête. Rude besogne, qui ne leur prit pas moins de cinq minutes. N’allèrent-ils pas jusqu’à entr’ouvrir ma chemise et à fouiller dans mes chaussettes ?

Enfin, fixant mes souliers d’un œil soupçonneux :

— Vous n’avez rien là-dedans ? questionna le numéro deux.

— Si.

— Quoi ?

— Des cors.

Ainsi s’acheva la cérémonie.

J’avais à peine repris place à mon siège, qu’un autre séïde arrivait, les bras chargés d’un gros paquet. C’était ma livrée au complet : camisole rayée, pantalon rayé, chemise en toile bise, sous-vêtements dont saint Antoine eût pu se faire un cilice, souliers du dernier modèle, enfin large panama en paille du pays.

L’homme posa délicatement le tout sur le pupitre.

— Pour qui ça ? lui dis-je.

— Ça, c’est pour vous.

— Pour moi ?… Alors pourquoi m’a-t-on fouillé, si l’on doit maintenant m’enlever mes vêtements ?

— Ah, quant à ça… demandez au gouverneur !

Quelques minutes plus tard, mon avocat, sur le point de repartir pour Montréal, venait me faire ses adieux. Il s’étonna que je pusse plaisanter en un pareil moment. Je m’étonnai non moins sincèrement qu’il pût ne pas plaisanter.

Il m’eût peut-être trouvé moins fier s’il eût pu me voir vingt minutes après, attendant, toujours à la même place, que l’on voulût bien m’emprisonner pour de bon…