Souvenirs de mon ministère
Revue des Deux Mondes6e période, tome 54 (p. 39-63).
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SOUVENIRS DE MON MINISTÈRE

III [1]
NICOLAS II ET GUILLAUME II

J’aborde ici un épisode qui a particulièrement ému le public en France et en Angleterre : la conclusion entre l’empereur Nicolas et l’empereur Guillaume d’un traité secret signé à Bjorkoe dans le courant de l’été 1905.

La publication faite en 1917 par le gouvernement révolutionnaire russe de ce traité et de la correspondance télégraphique échangée à son sujet entre les deux souverains, a donné lieu à beaucoup de controverses et a déjà fait naître toute une littérature ; quelques-uns des livres et des articles de journaux qui y ont trait sont manifestement tendancieux et chargent injustement l’empereur Nicolas du plus lourd de tous les forfaits, — celui d’avoir trahi son alliée, la France ; d’autres, empreints d’un esprit plus équitable, sont forcément incomplets et peuvent paraître insuffisamment convaincants, les auteurs n’ayant pas eu accès aux pièces mêmes du procès.

La signature du traité de Bjorkoe a eu lieu l’année qui a précédé mon avènement à la direction de la politique extérieure de mon pays et je n’ai joué dans cet épisode aucun rôle direct ; mais, en ma qualité de ministre des Affaires étrangères, j’eus la possibilité plus tard de m’informer minutieusement de tout ce qui s’y rapporte : je croirais faillir à un devoir impérieux envers le malheureux souverain que j’ai servi pendant tant d’années et dont je connais à la fois les qualités et les faiblesses, si je n’apportais mon témoignage à un débat considérablement obscurci par les polémiques. Si d’ailleurs je m’arrête un peu longuement à cet épisode, mon but n’est pas seulement de rétablir la vérité des faits : l’affaire du traité secret de Bjorkoe éclaire d’une manière particulièrement vive l’ensemble de la situation internationale, telle que je la trouvai au moment d’entrer dans mes nouvelles fonctions.


Elle se présentait, au printemps de 1906, sous un aspect particulièrement compliqué et même menaçant. La guerre malheureuse contre le Japon avait eu pour conséquence non seulement d’affaiblir la Russie, mais d’ébranler l’édifice tout entier du système politique européen. Ce système avait été, pendant une longue période d’années, établi sur un équilibre de forces éminemment instable : double alliance entre la Russie et la France, faisant contrepoids à la Triple Alliance entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie. L’effet immédiat et naturel de l’affaiblissement de la Russie à la suite non seulement de la guerre, mais surtout du mouvement révolutionnaire provoqué par les défaites militaires, avait dangereusement atteint la Double Alliance : on avait senti, tant à Paris qu’à Londres, que la balance ne pouvait être rétablie que si l’Angleterre renonçait à sa politique traditionnelle de « splendide isolement » et se rapprochait de la France. Un pas important avait été fait dans cette direction, sous l’inspiration personnelle du roi Edouard VII, par la conclusion, en 1904, de l’accord anglo-français relatif à l’Egypte et au Maroc ; cet accord se développa rapidement et prit bientôt la forme d’une véritable « entente cordiale. » Pendant la guerre russo-japonaise, cette entente se fit sentir de la manière la plus efficace en aidant à la solution pacifique de la querelle provoquée entre la Russie et l’Angleterre par l’incident du Dogger-Bank, qui menaçait de se terminer par un conflit armé ; en revanche, l’empereur Guillaume, qui avait tout fait pour encourager l’empereur Nicolas dans sa politique d’aventures en Extrême-Orient, profitait maintenant de toutes les occasions pour envenimer les relations entre la Russie et l’Angleterre.

Le souverain allemand nourrissait depuis longtemps le projet d’isoler l’Angleterre et de regrouper les Puissances européennes de façon à former une ligue continentale anti-anglaise ; un pareil regroupement avait été réalisé en 1895, lorsque la Russie, la France et l’Allemagne se réunirent pour présenter au Japon un ultimatum à la suite du traité de Simonoseki ; l’empereur Guillaume fut l’âme de cette combinaison hybride à laquelle la France ne se joignit qu’à contre-cœur, la Russie, d’une manière plus ou moins inconsciente, et dont l’Angleterre se tint prudemment à l’écart. Cette combinaison n’eut qu’une durée éphémère ; elle n’en produisit pas moins des résultats néfastes ; car c’est à elle que l’on peut faire remonter les causes premières des troubles qui eurent lieu en Extrême-Orient en 1900 et, par conséquent, du conflit qui suivit entre la Russie et le Japon. En effet, après avoir engagé une action diplomatique qui évinçait le Japon du continent asiatique, l’empereur Guillaume s’empara lui-même brutalement de Kiao-Tchéou et entraîna l’empereur Nicolas à se saisir de la péninsule de Liao-Toung avec Port-Arthur qui venait d’être arraché au Japon. Cet acte essentiellement immoral en lui-même excita un violent ressentiment tant parmi les Chinois que parmi les Japonais ; en Chine, il fut le point de départ du mouvement des Boxers qui amena les forces des Puissances à Pékin et servit de prétexte à la Russie pour occuper une partie de la Mandchourie ; au Japon, il exalta les sentiments de colère contre la Russie qui avait aidé à priver les Japonais du fruit de leurs victoires et le désir de revanche. Plus tard, ce fut encore sous l’impulsion de l’empereur Guillaume que l’empereur Nicolas s’engagea dans une politique active en Extrême-Orient ; on se rappelle le télégramme lancé par Guillaume II à l’issue d’une entrevue au large de Réval et dans lequel il saluait l’empereur Nicolas du titre pompeux, mais bien illusoire, d’ « amiral du Pacifique. »

Mais ce qui est bien caractéristique des méthodes de Guillaume II, c’est qu’au moment même où il poussait ainsi Nicolas II contre le Japon, il travaillait de son mieux à la conclusion de l’alliance anglo-japonaise qui fortifiait le Japon et augmentait les chances d’un conflit entre celui-ci et la Russie ; les papiers posthumes du comte Hayashi, signataire de ce traité, publiés en 1913 à Tokio, ne laissent aucun doute sur ce point. Il est d’ailleurs de toute évidence que l’Allemagne ne pouvait que gagner à un conflit entre la Russie et le Japon. Si la Russie était victorieuse, elle restait pour de longues années enlizée dans les affaires d’Extrême-Orient, et toute son énergie était absorbée à prévenir la possibilité d’une revanche japonaise ; si elle subissait une défaite, elle était affaiblie et profondément humiliée ; dans les deux cas, l’influence de l’Allemagne s’accroissait d’autant, et l’empereur d’Allemagne devenait l’arbitre de l’Europe.

Les événements avaient merveilleusement secondé les plans du souverain allemand. La Russie avait souffert plus encore qu’on ne pouvait s’y attendre du fait de la guerre, surtout en raison des désordres intérieurs causés par ses défaites. Pendant toute la durée de la guerre, l’empereur Guillaume avait profité de chaque occasion pour claironner les services rendus par lui à la Russie et les titres qu’il prétendait s’être acquis à la gratitude de l’empereur Nicolas. En réalité, si l’empereur Guillaume avait adopté une attitude permettant à la Russie de dégarnir sa frontière occidentale, son but évident avait été d’entraîner de plus en plus la Russie sur les sables mouvants de l’Extrême-Orient. En outre, l’Allemagne avait déjà été largement récompensée de ce pseudo service par la signature d’un traité de commerce extrêmement avantageux pour les Allemands et onéreux pour les Russes ; le comte Witte, qui s’était trouvé dans la nécessité de signer ce traité, ne déclarait-il pas que ses effets équivaudraient à ceux d’une lourde indemnité de guerre imposée à la Russie ?

On a vu que l’empereur Guillaume ne négligeait rien pour stimuler le ressentiment de l’empereur Nicolas contre l’Angleterre et qu’il se servait, dans ce dessein, de tous les incidents de nature à établir la complicité des Anglais avec les Japonais. Rien n’est plus instructif, à ce point de vue, que la correspondance télégraphique secrète échangée à cette époque entre les deux souverains, retrouvée par le gouvernement révolutionnaire russe dans les archives de Tsarskoie-Sélo et publiée par lui dans les journaux russes et étrangers[2]. Elle permet de suivre presque jour par jour les progrès des efforts de l’empereur Guillaume pour amener l’empereur Nicolas à sa conception d’une ligue continentale contre l’Angleterre. Ces efforts étaient puissamment secondés par l’impression produite sur l’esprit de l’empereur Nicolas par les événements de la guerre qui prenaient de plus en plus une tournure défavorable à la Russie. L’empereur Guillaume en profilait pour abattre peu à peu ses cartes, et bientôt il faisait parvenir à l’empereur Nicolas un projet de traité entre la Russie, l’Allemagne et la France destiné « à mettre fin à l’insolence anglaise et japonaise. »

Mais, au moment même où Guillaume II croyait toucher au but, il se produisit entre les deux souverains une grave difficulté ; l’empereur Guillaume insistait sur la signature immédiate du traité par la Russie à l’insu de la France, laquelle devait être ensuite sommée de s’y joindre ; l’empereur Nicolas se refusait énergiquement à un pareil procédé, qui répugnait à sa loyauté non moins qu’à son bon sens. Le télégramme suivant, adressé par lui le 23 novembre 1904, à l’empereur Guillaume, fait foi des sentiments du souverain russe :

« Avant de signer le dernier projet, je juge convenable de le soumettre à la France ; aussi longtemps qu’il n’est pas signé, l’on peut y faire quelques modifications de détail dans le texte, tandis que, s’il était déjà approuvé par nous deux, cela semblerait comme si nous tentions de l’imposer à la France. En ce cas, un ratage pourrait facilement se produire. Je te demande donc ton consentement pour donner connaissance au gouvernement français de ce projet, et, dès que j’aurai sa réponse, je te la ferai immédiatement savoir par dépêche. »

Or, c’est précisément d’ « imposer » ce traité à la France qu’il s’agissait dans l’esprit de Guillaume II, qui se hâta de répondre à l’empereur Nicolas par le long télégramme suivant que je ne puis me refuser de citer en entier, tellement, depuis la première jusqu’à la dernière ligne, il me paraît caractéristique :

« Mille remerciements pour ton télégramme. Tu m’as donné une nouvelle preuve de ta parfaite loyauté en décidant de ne pas soumettre l’accord à la France sans mon consentements Cependant je suis convaincu qu’il serait absolument dangereux de prévenir la France avant que nous ayons tous deux signé. L’effet serait diamétralement opposé à celui que nous désirons. Seule la connaissance absolue, indéniable, que nous sommes liés tous deux par le traité à nous donner une aide mutuelle, pourrait décider la France à exercer une pression sur l’Angleterre pour la décider à rester tranquille et en paix par peur de placer la France dans une situation dangereuse. Si la France savait qu’un accord germano-russe est simplement en préparation et pas encore signé, elle avertirait immédiatement l’Angleterre son amie, — et peut-être son alliée secrète, — à laquelle elle est liée par l’Entente cordiale. Le résultat serait évidemment une attaque immédiate de l’Angleterre et du Japon contre l’Allemagne en Europe aussi bien qu’en Asie. Son immense supériorité navale aurait vite raison de ma petite flotte et l’Allemagne serait temporairement paralysée.

« Cela romprait l’équilibre du monde à notre mutuel désavantage, et ensuite, lorsque tu commencerais tes négociations de paix, cela te mettrait à la merci du Japon et de ses amis triomphants de t’avoir accablé. C’était mon vœu spécial et, si je t’ai bien compris, également ton intention de maintenir et de renforcer l’équilibre menacé du monde par cet arrangement entre la Russie, l’Allemagne et la France. Cela n’est possible que si notre traité devient un fait accompli avant, et si nous sommes parfaitement d’accord sur tous les points. Un avertissement préalable à la France mènerait à une catastrophe. Si cependant tu jugeais impossible de conclure un traité avec moi sans le consentement préalable de la France, alors il vaudrait mieux s’abstenir de conclure aucun traité. Naturellement j’observerai un silence absolu au sujet de nos pourparlers et tu en feras autant. De même que tu n’en as informé que Lamsdorff [3], je n’en ai parlé qu’à Bülow qui garantit le secret absolu. Nos relations et sentiments mutuels demeureront comme par le passé, et je continuerai d’essayer de t’être utile dans la mesure où ma sécurité me le permettra. Ton accord de neutralité m’a été communiqué par l’empereur d’Autriche et je te remercie de ton télégramme m’en prévenant également. Je trouve l’accord [4] très sensé et il a ma pleine approbation.

Meilleures affections. »

Les arguments de l’empereur Guillaume ne réussirent pas à vaincre le refus de l’empereur Nicolas, et, au mois de décembre, le projet de traité semble être définitivement abandonné.


C’est alors que l’empereur Guillaume se décide à frapper un coup décisif ; il se dit que, s’il n’a pas réussi à convaincre l’empereur Nicolas par voie de correspondance, un contact direct avec le souverain russe pourrait lui assurer le triomphe. Le calcul était habile, car de tout temps, dans les relations personnelles entre les deux souverains, l’impétueuse personnalité de l’empereur Guillaume avait dominé le caractère plus faible et la nature plus affinée de l’empereur Nicolas. Celui-ci se rendait parfaitement compte de cette inégalité et redoutait de se trouver en tête-à-tête avec le souverain allemand et de subir le choc de sa fougueuse éloquence ; j’ai pu, en plusieurs occasions, constater la nervosité qui s’emparait chaque fois de l’empereur Nicolas à l’approche d’une entrevue avec l’empereur Guillaume, nervosité qui ne disparaissait que l’entrevue une fois terminée. L’empereur Guillaume résolut donc, vers la fin de l’été de 1905, d’annoncer brusquement sa visite à l’empereur Nicolas.

Guillaume II avait dû, cette année-là, en raison du différend Suédo-Norvégien, renoncer à son voyage habituel aux fjords norvégiens ; dans la seconde moitié de juillet, il faisait une croisière au large des côtes suédoises de la Baltique ; l’empereur Nicolas de son côté était venu se reposer des émotions et des fatigues de cet été si troublé en Russie, dans les eaux de l’archipel finlandais, tout près de Viborg. Le 23 juillet, le monde fut surpris par l’apparition inattendue de l’empereur allemand à bord du Hohenzollern dans la rade de Bjorkoe où se trouvait l’empereur Nicolas à bord de son yacht l’Étoile Polaire : c’est là qu’eut lieu l’entrevue des deux souverains et que fut signé le traité secret dont il a été si souvent question depuis sa publication par le gouvernement révolutionnaire russe.

Il est aujourd’hui démontré que l’entrevue de Bjorkoe a été savamment machinée par l’empereur Guillaume. A l’époque où elle eut lieu, la presse allemande, inspirée par la Wilhelmstrasse, s’était appliquée à en attribuer l’initiative à l’empereur Nicolas : la correspondance télégraphique échangée entre les deux souverains est là pour rétablir la vérité. Guillaume II savait que l’empereur Nicolas se trouvait à Bjorkoe au milieu d’un entourage exclusivement familial ; le comte Lamsdorff dont il avait lieu de craindre l’opposition, ne faisait pas partie de la suite de son souverain ; il s’agissait d’empêcher qu’on ne le fit venir de Saint-Pétersbourg qui n’était distant que de quelques heures ; aussi, dans ses télégrammes, Guillaume II, en proposant à l’empereur Nicolas sa visite, exige-t-il le secret le plus absolu sur son projet. Ce secret fut si bien gardé que personne, ni à bord du Hohenzollern, ni en Allemagne, ni en Russie, ne s’en douta jusqu’au dernier moment. Dans un télégramme daté du 21 juillet, l’empereur Guillaume se réjouit de la perspective de voir la « tête de ses hôtes » lorsqu’ils se trouveront en face de l’Étoile Polaire ; « une jolie farce, » ajoute l’empereur Guillaume à la fin de ce télégramme.

Voici le texte du traité secret signé à Bjorkoe, tel qu’il a été retrouvé par le Gouvernement révolutionnaire russe dans les Archives de Tsarskoie-Sélo et publié en même temps que la correspondance télégraphique entre les deux souverains, qui l’avait précédé et suivi :


« L. L. M. M. Impériales, l’Empereur de toutes les Russies d’un côté, et l’Empereur d’Allemagne de l’autre côté, afin d’assurer la paix de l’Europe, se sont mis d’accord sur les points suivants du traité ci-après, relatif à une alliance défensive :

« ARTICLE PREMIER. Si un Etat européen quelconque attaque l’un des deux Empires, la partie alliée s’engage à aider son co-contractant par toutes ses forces de terre et de mer.

« ART. 2. Les hautes parties contractantes s’engagent à ne pas conclure de paix séparée avec un ennemi quelconque.

« ART. 3. Le présent traité entre en vigueur au moment de la conclusion de la paix entre la Russie et le Japon et doit être dénoncé avec un préavis d’un an.

« ART. 4. Ce traité étant entré en vigueur, la Russie entreprendra les démarches nécessaires pour le faire connaître à la France et proposer à celle-ci d’y adhérer comme alliée.

« Signé : NICOLAS, GUILLAUME. »


La publication, en automne 1917, du traité secret de Bjorkoe produisit en France et en Angleterre une forte émotion. Il y eut tout d’abord dans la presse de ces deux pays tendance à y voir de la part de l’empereur Nicolas un acte de mauvaise foi, — disons le mot, — de trahison, envers la France alliée. Cette impression ne saurait résister à un examen sérieux du texte du traité ainsi que des circonstances dans lesquelles il fut signé.

A l’époque de l’entrevue de Bjorkoe, j’étais encore ministre à Copenhague et complètement ignorant de la signature du traité secret et des circonstances qui l’avaient précédé et suivi ; mais, au printemps suivant, lorsque je fus appelé au ministère, je fus mis au courant de ce qui s’était passé à Bjorkoe, du contenu du traité, ainsi que de la plupart des télégrammes échangés à ce sujet entre l’empereur Nicolas et l’empereur Guillaume. C’est un devoir pour moi d’apporter au débat, en ma qualité d’ancien ministre des Affaires étrangères de l’empereur Nicolas, un témoignage irrécusable.

Il faut tout d’abord se rappeler les circonstances au milieu desquelles l’empereur Nicolas se rencontrait avec Guillaume II et tâcher de se représenter l’état d’esprit qui était, à cette époque, celui du souverain russe.

L’empereur Nicolas avait vu, au cours des mois précédents, ses armées de terre défaites par les Japonais en Mandchourie et sa flotte, commandée par l’amiral Rodjestvensky, anéantie à Tsushima ; la révolution grondait partout en Russie et le pouvoir absolu des Tsars était menacé par les masses qui réclamaient le droit à une représentation nationale. Tout cela, aux yeux de l’empereur Nicolas, était la conséquence de la guerre avec le Japon, cette puissance lointaine qui n’aurait jamais osé provoquer la Russie, ni pu la vaincre sur les champs de bataille, sans l’appui de l’Angleterre, ennemie héréditaire que la Russie rencontrait partout, en Europe comme en Asie. Faut-il s’étonner que, dans ces conditions, il ait été facile à Guillaume II d’entraîner l’empereur Nicolas à se joindre à lui pour réaliser son plan d’une coalition continentale contre l’Angleterre et lui servir d’instrument pour amener la France à faire partie de cette combinaison ? Nous avons vu cependant qu’après plusieurs mois de correspondance, Guillaume II n’était pas parvenu à vaincre le sentiment de loyauté qui empêchait l’empereur Nicolas de signer le traité sans avoir, au préalable, obtenu l’adhésion de la France.

Le moment et le lieu étaient admirablement choisis pour permettre à Guillaume II de triompher de cette résistance : l’empereur Nicolas était seul, livré pour ainsi dire sans défense aux entreprises impétueuses du souverain allemand, qui put, au bout des trois journées que dura l’entrevue, complètement subjuguer la volonté de son hôte.

D’après ce qui m’a été raconté par l’empereur Nicolas lui-même, la signature du traité eut lieu peu d’instants avant le départ de l’empereur Guillaume, à l’issue d’un déjeuner à bord du Hohenzollern. Quelques écrivains ont trouvé bon d’insinuer que la qualité et la quantité des vins servis à ce déjeuner avaient concouru au consentement de l’empereur Nicolas : c’est une de ces imputations grossières qu’il est facile de réfuter lorsque, comme moi, on a eu plus d’une fois l’occasion d’assister à de semblables déjeuners. Une pareille hypothèse est d’ailleurs superflue pour expliquer le succès du souverain allemand, qui savait très bien établir son ascendant sur l’empereur Nicolas sans recourir à un procédé aussi brutal. A chacune de ses entrevues avec l’empereur Nicolas, Guillaume II, comédien consommé, avait coutume d’apparaitre dans un rôle différent ; ce rôle était toujours soigneusement étudié d’avance et adapté aux circonstances particulières du lieu et du moment. A Bjorkoe, je sais que Guillaume II fut particulièrement bruyant et impétueux, ne donnant pour ainsi dire à l’empereur Nicolas ni le temps de réfléchir, ni la possibilité d’échapper à sa faconde et à la fougue de ses démonstrations.

Lorsque les deux souverains, restés en tête-à-tête, eurent apposé leurs signatures au bas du texte préparé d’avance par l’empereur Guillaume, celui-ci insista pour que l’instrument portât des contre-signatures ; aussi bien avait-il eu soin de se faire accompagner dans son voyage d’un haut fonctionnaire du département des Affaires étrangères de l’Empire, M. de Jchirsky, destiné bientôt à devenir secrétaire d’État à ce département et dont la signature pouvait, à la rigueur, suppléer à celle du titulaire de ce poste. Aucun personnage de même ordre ne se trouvant dans la suite de l’empereur Nicolas, Guillaume II suggéra d’avoir recours à l’amiral Birileff, ministre de la Marine russe, qui se trouvait à bord de l’Étoile polaire en qualité d’invité. Ce vieux marin, entièrement ignorant en matière de politique étrangère, fut appelé au dernier moment et n’hésita pas à apposer sa signature sur un document dont il ne lui fut même pas donné connaissance. Une personne de la suite de l’empereur Nicolas m’a raconté que, pendant que l’amiral Birileff traçait son nom au bas de la page, le haut de celle-ci était caché par la main ouverte de l’Empereur. Plus tard, l’amiral Birileff, interrogé par le comte Lamsdorff, déclara que, s’il se trouvait une seconde fois dans une pareille situation, il agirait de même, considérant que sa qualité de militaire lui faisait un devoir de l’obéissance passive à tout ordre de son souverain et maître.

Si, après avoir passé en revue les circonstances dans lesquelles fut signé le traité de Bjorkoe, on examine le texte même de ce traité, on arrive rapidement à la conviction que l’empereur Nicolas n’a jamais pu songer à conclure une alliance dirigée contre la France et que, par conséquent, il ne peut être question de trahison de sa part. Il est vrai que le premier article du traité porte que « si un Etat européen quelconque attaque l’un des deux Empires, la partie alliée s’engage à aider son co-contractant par toutes ses forces de terre et de mer. » A prendre isolément cet article, sa rédaction défectueuse pourrait donner à croire que, dans le cas d’une agression de la France contre l’Allemagne, la Russie s’exposait à se trouver aux côtés de cette dernière ; mais une pareille interprétation est absolument exclue par la teneur de l’article 4 du même traité, d’après lequel, le traité une fois entré en vigueur, la Russie devait entreprendre les démarches nécessaires pour le faire connaître à la France et proposer à celle-ci d’y adhérer comme alliée. Il est superflu de démontrer qu’il aurait été absurde de proposer à la France de se joindre, en qualité d’alliée, à un traité dirigé contre elle-même.

Il est donc de toute évidence que le traité de Bjorkoe n’a pas été un acte de trahison à l’égard de la France ; il est tout aussi clair que la pointe de ce traité était exclusivement dirigée contre l’Angleterre. Au moment où il fut signé, celle-ci était encore l’ennemie presque déclarée de la Russie ; un conflit armé anglo-russe venait d’être évité à grand’peine, grâce à l’intervention amicale de la France ; mais l’influence hostile de l’Angleterre continuait à se faire sentir partout au détriment de la Russie ; n’était-il pas naturel, légitime même, de la part de l’empereur Nicolas, de chercher, dans une coalisation continentale, une garantie contre cette Puissance ?


Après cela, et si l’empereur Nicolas doit être absous de tout reproche de trahison envers la France, il n’en a pas moins commis une lourde faute de jugement en cédant, après y avoir longtemps résisté, aux instances de Guillaume II et en acceptant de signer le traité sans avoir obtenu, au préalable, l’adhésion du pays allié. Cette faute, il la reconnut pleinement, aussitôt que, l’empereur Guillaume parti, il eut le loisir de réfléchir. Je tiens du comte Lamsdorff qu’après son retour à Saint-Pétersbourg, l’Empereur, qui avait l’air très soucieux et gêné au cours des audiences qu’il accordait à son ministre des Affaires étrangères, laissa passer environ quinze jours avant de se décider à révéler à celui-ci la signature du traité. Le comte Lamsdorff fut littéralement épouvanté par cette confidence et s’appliqua avec force à démontrer à l’Empereur les dangers de la situation et l’absolue nécessité de prendre immédiatement des mesures pour annuler le traité. L’empereur Nicolas dut reconnaître qu’il était tombé dans un piège et donna au comte Lamsdorff carte blanche pour faire tout ce qu’il faudrait afin de le tirer de ce mauvais pas. Le comte Lamsdorff s’y employa avec sa grande expérience des affaires et avec une énergie digne de tous les éloges.

Sur ces entrefaites, arriva à Saint-Pétersbourg le comte Wilte, qui venait de signer à Portsmouth le traité de paix avec le Japon ; le comte Lamsdorff était étroitement lié avec lui et comptait sur son appui pour sortir de l’imbroglio causé par la faiblesse de l’Empereur.

Mis au courant de ce qui s’était passé à Bjorkoe, et sollicité par le comte Lamsdorff de l’aider à annuler les effets du malencontreux traité, le comte Witte lui prêta dans cette circonstance son concours le plus énergique et le plus intelligent ; ceci doit être d’autant plus souligné, que le comte Witte était de longue date gagné à l’idée d’une alliance entre la Russie, l’Allemagne et la France.

Voici à peu près comment se sont passées les choses.

Le comte Lamsdorff commença par mener l’attaque sur un terrain, pour ainsi dire officieux, et par trois voies convergentes. Il y eut simultanément : lettre intime de l’empereur Nicolas à l’empereur Guillaume ; lettre du comte Witte adressée également à l’empereur Guillaume ; enfin, démarche non officielle de l’ambassadeur de Russie à Berlin auprès du chancelier. Le but de ces démarches était de démontrer, d’un côté, le défaut de forme du traité de Bjorkoe, qui n’avait pas été contre-signé par le ministre des Affaires étrangères de Russie, et de l’autre, les contradictions contenues dans le texte même du traité et qui rendaient nécessaire de soumettre celui-ci à un nouvel examen. Aucune de ces démarches n’aboutit à un résultat satisfaisant.

Or, la Russie et les États-Unis allaient procéder à l’échange des ratifications du traité de Portsmouth, et c’est à ce moment que devait entrer en vigueur le traité de Bjorkoe. Le comte Lamsdorff résolut donc d’imprimer aux négociations un caractère plus énergique. Il écrivit à M. Nelidoff, ambassadeur de Russie à Paris, pour lui demander s’il était possible de sonder le gouvernement français au sujet d’une adhésion éventuelle de la France au traité de Bjorkoe ; M. Nelidoff s’empressa de répondre, sans même consulter le gouvernement français, que la France qui ne s’était jamais résignée à l’ordre de choses créé par le traité de Francfort et qui venait de conclure avec l’Angleterre « l’entente cordiale, » ne consentirait jamais à se joindre à une pareille alliance. Une nouvelle lettre fut alors adressée par l’empereur Nicolas à Guillaume II pour lui exposer encore une fois l’impossibilité de donner suite, dans les circonstances actuelles, au traité de Bjorkoe. En même temps, le comte Lamsdorff adressait au comte Osten-Sacken des instructions le chargeant de déclarer d’une manière formelle que, l’adhésion de la France ne pouvant pas être obtenue en ce moment, et les obligations du traité de Bjorkoe ne pouvant être conciliées avec celles du traité d’alliance entre la France et la Russie, le premier de ces traités devait rester inopérant jusqu’au jour où une entente serait établie à ce sujet entre la Russie, l’Allemagne et la France. Le comte Osten-Sacken devait ajouter que beaucoup de temps et de patience seraient nécessaires pour décider la France à se joindre à la Russie et à l’Allemagne, et que le Gouvernement russe s’emploierait de son mieux à atteindre ce résultat.

Aucune des réponses reçues de Berlin par le comte Lamsdorff et par le comte Witte ne contenait, — mes souvenirs sur ce point sont très nets, — de reconnaissance formelle de l’annulation du Traité de Bjorkoe ; le ministre des Affaires Étrangères russe dut se résigner à se contenter pour le moment d’un demi-acquiescement, mais il se réserva de démontrer plus tard, par les faits, que la Russie ne se tenait pas pour liée à l’Allemagne et restait entièrement fidèle à son alliance avec la France ; c’est ce qu’il ne manqua pas de faire à l’occasion de la conférence d’Algésiras.

L’empereur Nicolas s’abstint désormais de toucher à cette question dans sa correspondance privée avec l’empereur Guillaume, correspondance qui continua encore pendant quelque temps, mais devint plus espacée et ne reprit jamais le ton d’intimité et de confiance d’autrefois.

Quant à l’empereur Guillaume, il ne renonça pas du coup à son plan, et employa tous ses efforts pour ramener l’empereur Nicolas à reconnaître la validité des signatures échangées à Bjorkoe. Dans ce dessein, il ne se contenta pas de répéter ses anciens arguments et ses calomnies contre l’Angleterre et la France, mais essaya d’agir sur l’esprit de l’empereur Nicolas par un langage dramatique et empreint de mysticisme. Ces efforts se manifestent d’une manière curieuse dans ce télégramme qu’il adresse à l’empereur Nicolas, le 12 octobre 1905, c’est-à-dire au moment où le comte Osten-Sacken venait de faire sa déclaration décisive à Berlin :


Gluksburg, Ostsee, 12 octobre 1905.

« Le fonctionnement du traité, — tel que nous l’avons convenu à Bjorkoe, — n’est pas contraire à l’alliance Franco-russe, en tant bien entendu, naturellement, qu’elle n’est pas dirigée directement contre mon pays. D’autre part, les obligations de la Russie envers la France ne vont que jusqu’au point où la France le mérite par son attitude. Or, ton alliée t’a manifestement abandonné à toi-même pendant toute la guerre, tandis que l’Allemagne t’a aidé de toutes les manières dans la mesure où le respect de la neutralité le permettait. Cela fait que la Russie est moralement notre obligée. Do ut des (fais ce que dois). En attendant, les indiscrétions de Delcassé ont montré au monde que, bien que l’alliée de la Russie, la France n’en a pas moins conclu un arrangement avec l’Angleterre de tomber sur l’Allemagne à l’improviste, en pleine paix, alors que je faisais de mon mieux pour t’aider, toi et ton pays, qui était son allié. C’est là une expérience qu’elle ne doit pas pouvoir recommencer et contre la répétition de laquelle je suis en droit d’attendre que tu me garantisses. Je reconnais avec toi qu’il faudra du temps, du travail et de la patience pour décider la France à se joindre à nous, mais les gens raisonnables sauront, dans l’avenir, se faire entendre et écouter. Notre affaire marocaine est réglée à mon entière satisfaction, de sorte que le terrain est préparé pour une meilleure entente entre nous. Notre traité nous offre une excellente base sur laquelle on peut construire. Nous avons joint nos mains, nous avons signé devant Dieu qui a entendu notre serment ; je pense donc que le traité peut parfaitement venir en existence. Mais si tu désires quelque changement dans les mots, dans les clauses ou des réserves pour l’avenir ou pour certains cas, — comme par exemple le refus absolu de la France qui est improbable, — je serais heureux de connaître les propositions que tu croirais bon de me soumettre. Jusqu’à ce que tu me les aies soumises et que nous soyons tombés d’accord, nous devons adhérer au traité tel qu’il est. L’ensemble de ta presse d’opinion Novosto, Novoie Wremia, Rouss, etc., est depuis une quinzaine devenue violemment germanophobe et anglophile. Ils ont été, sans aucun doute, achetés partiellement par de grosses sommes d’argent anglais. Cela rend mon peuple soucieux et fait un grand tort aux relations qui grandissaient depuis peu entre nos deux pays. Tous ces événements montrent que les temps sont troubles et qu’il nous faut prendre des directions nettes ; le traité que nous avons signé est un moyen de rester dans le droit chemin sans toucher à ton alliance, comme telle. Ce qui est signé est signé et Dieu est notre témoin. J’attends tes propositions. Affections à Alice.

« WILLY [5]. »


Même après les déclarations faites par le gouvernement russe à Berlin, l’empereur Guillaume conserva encore, pendant plusieurs mois, sinon l’illusion, du moins l’espoir de garder son ascendant sur l’empereur Nicolas, et c’est seulement après la publication des instructions du comte Lamsdorff aux plénipotentiaires russes à Algésiras qu’il dut reconnaître définitivement son échec.

Après les péripéties que je viens de décrire, les deux souverains restèrent deux ans sans se revoir. Je raconterai plus loin comment, en 1907, lors de l’entrevue qui eut lieu entre eux à Swinemünde et à laquelle j’assistai en qualité de ministre des Affaires étrangères, l’empereur Nicolas, craignant que l’empereur Guillaume n’abordât ce sujet épineux, me chargea de prévenir le chancelier allemand que le traité de Bjorkoe devait être considéré comme définitivement abrogé et qu’il se refuserait à toute tentative de la part de l’empereur Guillaume de le faire revivre.


Au moment de l’entrevue de Bjorkoe, j’étais, comme je l’ai dit, ministre à Copenhague. Quelques jours après, j’appris que Guillaume II avait annoncé au roi Christian IX qu’en rentrant à Kiel à bord du Hohenzollern, il s’arrêterait à Copenhague pour lui faire une visite. L’empereur allemand aimait à faire de brusques apparitions dans la capitale danoise ; chacune de ces visites produisait un grand émoi non seulement à la Cour, mais dans tout le pays. On sait combien le ressentiment du peuple danois contre la Prusse et les Hohenzollern était resté vivace à la suite de la spoliation de 1864 : la famille royale partageait ce sentiment dans toute sa force, et la présence de Guillaume II à Copenhague était toujours, pour le roi Christian IX et pour son entourage, une source de douloureuses émotions L’aversion de l’Impératrice douairière de Russie, seconde fille du Roi, contre l’Allemagne et tout ce qui était allemand, était si forte que, lorsqu’elle venait voir son père, elle arrivait toujours sur son yacht, par voie de mer, afin de ne pas traverser l’Allemagne. Quelquefois, la saison la forçait de prendre, pour le retour, la voie de terre, et, par conséquent, de passer par le territoire allemand ; dans ce cas, elle ne consentait jamais à faire la courte traversée du détroit qui sépare les îles danoises de la côte allemande sur un paquebot battant pavillon allemand : un bateau danois la déposait à Warnemünde, où l’attendait un train spécial composé de wagons russes et qui gagnait la frontière russe avec aussi peu d’arrêts que possible.

La troisième fille du roi Christian IX, la princesse Thyra, mariée au duc de Cumberland, était, si possible, encore plus ardente dans son antipathie contre les Allemands ; car elle n’avait pas encore quitté la maison paternelle lorsqu’éclata la malheureuse guerre des duchés : elle avait donc partagé les angoisses et même les fatigues physiques de son père, et ces souvenirs ne s’étaient jamais effacés de sa mémoire. A l’époque dont je parle, son mari, fils du dernier roi de Hanovre, dépossédé par la Prusse, était dans les mêmes sentiments ; (on sait que, depuis, l’appât du duché de Brunswick et des millions guelfes a fait qu’il a consenti au mariage de son fils avec la fille de Guillaume II.) Il arriva qu’une des visites inattendues de Guillaume II surprit le duc et la duchesse de Cumberland à Copenhague ; plutôt que de s’exposer à se rencontrer avec le souverain allemand, le couple ducal s’empressa de quitter la capitale danoise le jour même de l’arrivée de l’empereur. Cet incident fournit à la princesse Marie d’Orléans, mariée au prince Waldemar, troisième fils du roi Christian, restée très Française de cœur et d’esprit, l’occasion d’un de ces traits malicieux pour lesquels elle était réputée à la Cour de Danemark : au grand diner offert ce jour-là à Guillaume II, on l’entendit remarquer tout haut et de manière à que cette remarque n’échappât pas à l’empereur : « Quelle bonne sauce, et comme elle file bien ; on dirait une sauce Cumberland. »

Quant à l’empereur Guillaume, il ne paraissait pas se douter de l’impression qu’il produisait sur ses hôtes et avait l’air de croire que, par sa seule présence et par l’effet de son irrésistible séduction, il ramenait à lui tous les cœurs. Se composant, comme il en avait l’habitude, un rôle pour la circonstance, il affectait une déférence presque exagérée à l’égard du vieux Roi qu’il savait être adoré de son peuple, s’imaginant par là se rendre populaire parmi le public danois. Ainsi, au cours de l’une de ses visites, au moment de prendre congé du Roi à l’embarcadère, il étonna l’assistance en baisant publiquement la main de Christian IX ; tous ses efforts restaient d’ailleurs stériles, et, à chacune de ses apparitions, les autorités danoises étaient obligées de prendre des mesures afin de prévenir des démonstrations hostiles de la part de la population.

Dans l’été de 1905, les esprits en Danemark étaient particulièrement montés contre l’empereur Guillaume. Il y avait à cela deux raisons : d’abord, au cours de cet été, les autorités allemandes avaient accentué les mesures vexatoires auxquelles était soumise la population danoise du Sleswig d’où on avait expulsé un certain nombre de jeunes Danois ; ensuite, des bruits avaient couru avec persistance, d’après lesquels Guillaume II se proposait d’obtenir, par voie d’accord avec la Russie et la Suède, la fermeture de la Baltique aux navires de guerre de tous les États non riverains de cette mer. Une campagne en ce sens avait été faite par la presse officieuse allemande, ce qui éveilla des inquiétudes tant en Danemark qu’en Angleterre, et détermina même le gouvernement anglais à envoyer, un peu plus tard, une de ses escadres, faire une croisière dans la mer Baltique en touchant à différents ports danois, suédois et allemands. Cette croisière provoqua un vif mécontentement dans la presse allemande.

La visite de l’empereur Guillaume à Copenhague, ou plutôt au château de Bernstorff où se trouvait la famille royale, devant avoir un caractère tout à fait privé, il était entendu que le corps diplomatique étranger n’aurait aucune occasion de se rencontrer avec le souverain allemand : je fus donc très étonné lorsque le ministre d’Allemagne, M. de Schoen, — celui-là même qui devait se trouver à Paris comme ambassadeur au moment de la déclaration de guerre en 1914, — vint me dire que l’empereur Guillaume désirait me voir. Il ajouta que, me trouvant seul dans ce cas parmi les ministres étrangers accrédités à Copenhague, j’étais prié de garder le secret sur cette audience ; en essayant de pénétrer les raisons qui me valaient un honneur aussi exclusif, je ne pouvais m’imaginer que Guillaume II entendait recevoir, en ma personne, le représentant d’un nouvel et précieux allié qu’il se flattait d’avoir acquis à Bjorkoe ; je crus simplement que l’empereur Nicolas lui ayant parlé de ma prochaine nomination à Berlin, il était curieux de me connaître avant mon arrivée. Je ne m’étais encore jamais rencontré avec l’empereur Guillaume, et la perspective d’un entretien avec lui, je l’avoue, m’impressionnait beaucoup.

L’audience eut lieu le soir, à la légation d’Allemagne, et fut entourée d’un profond mystère.

C’est à la conversation que j’eus avec lui au cours de cette audience que Guillaume II fait allusion dans un télégramme qu’il adressa à l’empereur Nicolas, dès son retour en Allemagne, le 2 août 1905, et dans lequel il lui rend compte de son séjour en Danemark.

Voici ce télégramme que je crois devoir citer en entier :


Sassnitz (île de Rügen), 2 août 1905, 1 h. nuit.

« Ma visite s’est très bien passée en raison de l’extrême Amabilité de toute la famille, particulièrement de ton cher vieux grand-père. Aussitôt après mon arrivée, la lecture des journaux danois aussi bien qu’étrangers m’a montré que ma visite a suscité un courant très vif de défiance et d’inquiétude, surtout en Angleterre ; le Roi en a été à ce point intimidé et l’opinion publique en a été si influencée que je n’ai pu aborder la question que nous avions convenu que je lui soumettrais. Le ministre d’Angleterre, dînant avec un de mes gentilshommes, s’est exprimé sur mon compte en termes très violents, m’accusant des plus basses intrigues et des plans les plus vils et déclarant que tout Anglais savait et était convaincu que je travaillais en vue d’une guerre avec l’Angleterre ayant pour but sa complète destruction. Tu peux t’imaginer ce qu’un homme dans cet état d’esprit a pu semer de germes de défiance à mon égard dans les esprits de la famille royale danoise et du peuple. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour dissiper ce nuage de méfiance en affectant une attitude tout à fait détachée et en ne faisant aucune allusion aux questions de politique sérieuse, d’autant plus que, connaissant le nombre de canaux qui mènent de Copenhague à Londres et la légendaire indiscrétion de la cour de Danemark, j’avais lieu de craindre qu’il ne transpirât quelque chose, ce qui eût été aussitôt communiqué à Londres, chose absolument impossible aussi longtemps que notre traité doit rester actuellement secret.

« Au cours d’une longue conversation avec Iswolsky, j’ai pu acquérir la certitude que le ministre actuel des Affaires étrangères, le comte Raben, et un certain nombre d’autres personnes influentes sont actuellement arrivés à la conviction qu’en cas de guerre et d’une imminente attaque sur la Baltique par une puissance étrangère, les Danois, en raison de leur impuissance sans remède de maintenir seulement l’ombre d’une neutralité contre l’invasion de leur territoire, s’attendent à ce que la Russie et l’Allemagne prennent immédiatement des mesures pour sauvegarder leurs intérêts et mettent la main sur le Danemark et l’occupent pour la durée de la guerre, ce qui, d’ailleurs, serait une garantie pour le territoire et pour l’avenir du pays et de la dynastie. Les Danois se résignent lentement à cette alternative et orientent leurs pensées en conséquence, ce qui est exactement ce que tu pensais et espérais. J’ai pensé qu’il valait mieux aborder ce sujet avec les Danois et je me suis abstenu de toute allusion. Il vaut mieux laisser l’idée se développer et mûrir dans leur tête et les laisser tirer eux-mêmes les conclusions, de telle sorte qu’ils en viennent eux-mêmes à rechercher notre appui et à se ranger aux côtés de nos deux pays. Tout vient à point à qui sait attendre. Au sujet du départ de Charles pour la Norvège, !a question a été réglée dans ses moindres détails ; l’Angleterre ayant consenti à tout, il n’y a rien de plus à faire. J’ai parlé à Charles de ses projets ; je l’ai trouvé très modéré et sans illusion sur sa tâche. Que penses-tu du programme des fêtes que l’on prépare à Cowes pour tes alliés ? Tous les vétérans de ta guerre de Crimée ont été invités à venir saluer leurs anciens frères d’armes qui combattirent avec eux autrefois contre la Russie. C’est vraiment très délicat ! Cela te montre bien combien j’avais raison quand je te mettais en garde, il y a deux ans, contre le danger de la reconstitution de la vieille combinaison de Crimée qu’ils ressuscitent rapidement pour une vengeance. Le temps était beau. Mes meilleures amitiés à Alice.

« WILLY. »


Dans ce télégramme, comme on vient de le voir, l’empereur Guillaume, après avoir constaté et expliqué, à sa manière, l’inquiétude et la défiance produites en Danemark par sa visite, fait pour la première fois allusion à un plan qui avait été évidemment discuté entre lui et l’empereur Nicolas à Bjorkoe, et qui consistait, en cas de guerre de la Russie et de l’Allemagne contre l’Angleterre, à faire occuper le Danemark par des forces russo-allemandes. En même temps, Guillaume II m’y attribue certaines déclarations visant une soi-disant tendance du ministre des Affaires étrangères du Danemark et d’autres dirigeants danois à chercher dans une pareille combinaison une garantie pour l’intégrité de leur pays et le salut de la dynastie. Ce télégramme, lorsqu’il fut publié par le gouvernement russe révolutionnaire en 1917, produisit une certaine émotion dans les pays Scandinaves, surtout en Danemark, car il révélait un plan dont rien n’avait transpiré jusque-là et semblait impliquer que la diplomatie russe, en ma personne, s’était prêtée à sa réalisation ; il est donc nécessaire que je donne à ce sujet quelques explications.

Ma conversation avec l’empereur Guillaume dura plus d’une heure. Quelques-unes des paroles que je recueillis à cette occasion de sa bouche me parurent si frappantes qu’en rentrant chez moi je m’empressai de consigner mes impressions dans une lettre privée au comte Lamsdorff. Je n’ai malheureusement pas conservé le brouillon de cette lettre, mais j’ai gardé de cette conversation un souvenir très précis.

Je me rappelle donc très nettement combien je fus étonné lorsque l’empereur Guillaume, après quelques mots au sujet de son entrevue avec l’empereur Nicolas à Bjorkoe, mais sans me révéler, bien entendu, ce qui s’y était passé, aborda la question de la situation politique générale et se mit à me développer, à grand renfort d’éloquence, la nécessité d’assurer par des moyens nouveaux la paix de l’Europe ainsi que sa conviction que ce but ne pourrait être atteint que par l’union des trois grandes Puissances continentales, — la Russie, l’Allemagne et la France, — union explicitement dirigée contre l’Angleterre. Persuadé qu’il ne s’agissait là que d’une sorte de paradoxe ou d’utopie politique, je répondis que ce plan aurait été sans doute admirable si l’on avait pu le réaliser, mais qu’un pareil groupement de Puissances me paraissait impossible pour la simple raison que la France, dans l’état actuel des choses, ne consentirait jamais à en faire partie.

Ma réponse parut visiblement déplaire à l’empereur Guillaume, qui insista pour connaître les raisons sur lesquelles je fondais mon opinion ; je me vis donc obligé de rappeler que la France était séparée de l’Allemagne par un abîme profond creusé par la perte de l’Alsace et de la Lorraine, et que tant que cet abîme ne serait pas comblé, le peuple français ne se résignerait jamais à devenir l’ami des Allemands.

A ces mots, le déplaisir de l’empereur Guillaume se changea en véritable colère, et c’est avec des éclats dans la voix qu’il me fit cette stupéfiante déclaration :

La question de l’Alsace et de la Lorraine, s’écria-t-il, je la considère non seulement comme inexistante à l’heure actuelle, mais comme ayant été tranchée à tout jamais par le peuple français lui-même. J’ai jeté, à propos du Maroc, mon gant à la France, et celle-ci ne l’a pas relevé. Donc, ayant ainsi refusé de se battre avec l’Allemagne, la France a renoncé à ses réclamations au sujet des provinces perdues.

J’avais cru, tout d’abord, à une de ces boutades pour lesquelles l’empereur Guillaume était célèbre ; quel ne fut pas mon étonnement de l’entendre revenir à plusieurs reprises, au cours de la conversation, sur l’étrange idée qu’à partir du moment où elle avait cédé à la menace allemande dans l’affaire marocaine, la France ne pouvait plus invoquer ses anciens griefs pour refuser de se rapprocher de l’Allemagne. Et comme je continuais, de mon côté, à exprimer des doutes sur un pareil changement dans la psychologie du peuple français, l’empereur Guillaume me surprit encore plus en déclarant que si, après tout, la France persistait dans son refus de se joindre à l’alliance projetée, il y avait des moyens pour l’y amener de force.

C’est cette partie de la conversation qui m’avait frappé le plus et qui avait surtout absorbé mon attention ; mais je ne suis pas moins sûr que les paroles qui me sont prêtées par Guillaume II sur la soi-disant tendance du Danemark à chercher dans une occupation russo-allemande une garantie contre une agression de la part de l’Angleterre, ont été, pour le moins, travesties. Je savais, comme tout le monde, que les Danois vivaient sous l’empire de la peur constante d’une invasion ; mais personne en Danemark ne pouvait s’attendre à ce qu’une pareille invasion vînt d’autre part que d’Allemagne. Le gouvernement danois se rendait parfaitement compte de la faiblesse militaire du Danemark et de l’impossibilité pour ce pays de résister longtemps seul à une pareille agression ; mais sa politique traditionnelle était précisément d’invoquer contre ce péril l’aide des Puissances dont la grande faute avait été, dans le passé, de permettre l’écrasement du Danemark par l’Allemagne. Il était, d’autre part, de notoriété publique qu’il existait en Danemark un parti, — celui des radicaux et des socialistes, — qui s’opposait à toute augmentation des dépenses militaires et prêchait la non-résistance à toute invasion, de quelque côté qu’elle vint. Il est possible qu’en réponse à une question de l’empereur Guillaume sur l’état des esprits en Danemark, j’aie pu mentionner ce fait ; mais il aurait été absurde de ma part d’attribuer de telles idées au ministre des Affaires étrangères danois, alors même que je savais le comte Raben plus enclin que ses prédécesseurs à entretenir de bonnes relations avec l’Allemagne, surtout afin d’améliorer le sort de la population danoise du Slesvig. Comment aurais-je pu, d’ailleurs, parler d’une attaque de la part de l’Angleterre et d’une occupation russo-allemande du Danemark, puisque j’ignorais tout des conversations qui avaient eu lieu à Bjorkoe ? De pareilles éventualités étaient, à mes yeux, absolument improbables.

Il y avait d’ailleurs une raison spéciale à ce que, de tous les diplomates accrédités à Copenhague, je fusse le moins suspect de pouvoir traiter légèrement la question de la neutralité du Danemark ou d’accepter l’idée d’une violation éventuelle de cette neutralité. On se rappelle que, pendant la guerre russo-japonaise, j’avais été appelé à assurer le passage de la flotte de l’amiral Rodjestvensky par le Grand Belt, c’est-à-dire par un détroit soumis à la souveraineté danoise : cela se passait avant les conventions de la Haye qui ont nettement réglé la question du passage des détroits neutres en temps de guerre. Le Japon mettait une grande insistance à détourner le gouvernement danois d’accorder le droit de passage à la flotte russe ou, au moins, de prêter à celle-ci l’assistance de ses pilotes brevetés. M’appuyant sur le précédent établi pendant la guerre de Crimée en faveur des flottes alliées de la France et de l’Angleterre, je réussis à obtenir les mêmes facilités, et d’autres plus grandes encore, pour la flotte russe. J’avais de cette manière contribué à établir un principe important de la jurisprudence internationale, celui de la libre navigation à travers les détroits neutres en temps de guerre, et il aurait été pour le moins illogique et étrange de ma part de discuter avec l’empereur Guillaume une violation éventuelle de ce principe. On verra d’ailleurs que, plus tard, comme ministre des Affaires étrangères, j’eus la constante préoccupation de préserver contre toute atteinte le statu quo dans la Baltique, c’est-à-dire, entre autres, l’inviolabilité du territoire du Danemark et le respect de ses droits de Puissance neutre.


Les pages qu’on vient de lire me paraissent éclairer d’une lumière suffisante l’ensemble de la situation internationale au moment où j’allais assumer la direction de la politique extérieure de la Russie.

Ce moment était véritablement critique pour l’Empire russe, incomplètement remis des secousses que lui avaient causées la guerre japonaise et le mouvement révolutionnaire. Pour moi, en ma qualité de ministre des Affaires étrangères, j’étais appelé à prendre nettement position à l’égard de la politique que le gouvernement russe entendait suivre sur le terrain international.

La situation de la Russie en Europe était déterminée par le fait que, depuis plus de quinze ans, elle était liée, par un traité formel d’alliance, à la France. L’empereur Nicolas avait, il est vrai, momentanément cédé aux efforts insidieux faits par Guillaume II pour engager la Russie dans un système politique de nature sinon à la détacher complètement de la France, du moins à la placer dans une situation infiniment plus compliquée et incertaine. L’erreur de l’empereur Nicolas n’avait été que passagère ; son sentiment d’honneur et son bon sens l’avaient empêché d’y persister, et il avait réussi, avec l’aide du comte Lamsdorff, à se dégager du piège qui lui avait été tendu. L’alliance avec la France était intacte ; mais, pendant les deux années qui venaient de s’écouler, de grands changements étaient survenus dans la politique européenne. La France et l’Angleterre avaient renoncé à leurs vieilles querelles et une ère de confiance mutuelle et d’amitié avait été inaugurée entre ces deux Puissances. La Russie avait déjà bénéficié d’une manière appréciable de cette entente pendant la guerre avec le Japon ; mais pour qu’elle pût en retirer des avantages permanents et "complets, il était clair qu’elle devait elle-même se rapprocher de l’Angleterre. Un rapprochement avec l’Angleterre seule ne suffisait pas ; il devait avoir pour corollaire une réconciliation sincère avec le Japon. En adoptant une pareille politique, non seulement la Russie fortifierait sa situation en tant qu’alliée de la France, mais elle donnerait une base nouvelle et plus solide à tout l’édifice de la Double-Alliance. Si, au contraire, la Russie négligeait de tirer les conséquences logiques de la nouvelle situation internationale et restait dans des relations tendues avec l’Angleterre et le Japon, tôt ou tard elle se trouverait dans une position difficile entre son alliée, la France, et ces deux Puissances ; l’Allemagne saisirait aussitôt cette occasion pour renouveler ses efforts en vue de la détacher de la France et de diriger ses énergies du côté de l’Asie. Or, rien ne pouvait être plus dangereux, tant pour l’avenir de la Russie que pour la paix du monde, qu’un pareil « renversement des alliances, » pour employer le mot appliqué au changement radical survenu dans la politique européenne au milieu du XVIIIe siècle et qui fut suivi de la guerre de Sept Ans. Si la Russie se détournait définitivement de la France et de l’Angleterre et se trouvait engagée dans une lutte pour la prépondérance en Asie, elle serait obligée de renoncer non seulement à son rôle historique en Europe, mais à toute indépendance économique et morale vis-à-vis de l’Allemagne. Mais si, de ce fait, la Russie devenait la vassale de l’Empire allemand, les résultats ne seraient pas moins désastreux pour l’Europe tout entière ; en effet, une fois délivrée de tout souci du côté russe, l’Allemagne n’aurait plus qu’à choisir son heure pour une attaque décisive contre la France et l’Angleterre, afin d’assurer son hégémonie dans le monde.

Tel était le formidable dilemme qui se posait à cette heure devant le ministre des Affaires étrangères de Russie et qui exigeait une prompte et irrévocable décision. Cette question avait été examinée à fond entre M. Nélidoff, le comte Benckendorff, M. Mouravieff et moi pendant mon séjour à Paris et à Londres : nous étions arrivés à cette conclusion que la politique étrangère de la Russie devait continuer à reposer sur la base immuable de son alliance avec la France, mais que cette alliance devait elle-même être fortifiée et élargie par des accords avec l’Angleterre et le Japon. C’est ce programme que je m’étais engagé à soumettre à l’Empereur en assumant mes nouvelles fonctions ; j’étais résolu à n’accepter celles-ci d’une manière définitive que si j’acquérais la certitude que ce programme avait l’entière adhésion de l’Empereur.


ISWOLSKY.

  1. Voyez la Revue des 1er juin et 1er juillet.
  2. Les deux Empereurs correspondaient entre eux en anglais. La série complète des télégrammes retrouvés à Tsarskoie-Sélo a été publiée en février 1912 dans les cahiers 6 et 7 des Études de la Guerre (Paris, Payot et Cie), qui font suivre les textes anglais de traductions françaises ; nous reproduisons ici quelques-unes de ces traductions.
  3. En réalité, le comte Lamsdorff, ministre des Affaires étrangères russe, n’avait pas été mis par l’empereur Nicolas au courant du projet de traité.
  4. Il s’agit ici d’un accord secret conclu l’année précédente entre la Russie et l’Autriche et dont il sera question plus loin.
  5. Je crois me rappeler que ce télégramme, que j’ai eu sous les yeux, portait la signature : « Your friend and ally, Willy. » (ton ami et allié, Willy.)