Souvenirs de la vie militaire en Afrique/04

SOUVENIRS


DE LA


VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.




LE SAHARA ET LE GRAND DÉSERT.




I

Le nom des Rhomsi est certes bien peu connu en France, et pourtant les Rhomsi sont une vieille famille berbère en grand renom parmi les Assesnas, sauvages habitans des montagnes qui, non loin du poste français de Saïda, séparent le Tell du Serrsous. Ce sont nos plus fidèles alliés, et, depuis qu’ils ont fait leur soumission, en 1841, ils n’ont jamais manqué à la foi jurée.

Un jour, après s’être vaillamment battus contre Abd-el-Kader, les Rhomsi, pour échapper à la vengeance de l’émir, furent obligés de chercher un refuge chez leurs amis les Harars. Partant la nuit avec un peu d’orge et des vivres pour trois jours, ils espéraient les rejoindre près des Chotts. Vain espoir ! Il fallut se remettre en route, ne marcher que la nuit dans la crainte des coureurs ennemis, et pour guide, à travers cette houle de mamelons, les étoiles du ciel. Accablés de fatigue, ils s’endormirent ; le lendemain, au jour, ils étaient égarés. Sans se laisser abattre, les Rhomsi marchèrent encore long-temps, poussant devant eux leurs chevaux épuisés ; mais enfin la petite troupe s’arrêta, et comme elle délibérait sur le parti à prendre, l’horizon apparut un cavalier agitant son burnous. — M’est avis, dit le plus vieux des Rhomsi, qu’il faut voir nos fusils, puis marcher dans la direction du douar. Si ce sont des Ouled-Rhelif, nous sommes perdus : ils nous ont aperçus ; si ce sont des Harars, ils auront moins de chemin pour venir au-devant de nous et nous faire bon accueil. — Et les Rhomsi marchèrent en avant. Bientôt de nombreux cavaliers accoururent vers eux. La prudence exigeait en effet qu’on se préparât au combat. Et comme le cheval de l’un d’eux, nommé Rhaled, avait mieux supporté la fatigue : — Allons, monseigneur, dit Rhaled au vieillard son père, montez sur ce cheval qui tient encore, afin qu’il ne soit pas dit qu’un Rhomsi soit mort pied à terre comme un berger. – Ces cavaliers, heureusement, c’étaient des amis, des gens de l’un des caïds des Harars, Mohamed-Legras, qui venaient au-devant de leurs hôtes.

Vous pouvez juger à ce trait de la fierté des Rhomsi ; leur orgueil hospitalier n’est pas moins grand, et un jour où, assis sous leur tente, nous causions : — C’est que, vois-tu, me dit l’un d’eau, jamais hôte descendu dans la tente des Rhomsi n’en est sorti, ni le lendemain, ni le surlendemain, ni huit jours après, lui et son cheval, le ventre vide.

Au mois de mars 1847, les escadrons du 4e chasseurs dont je faisais partie se trouvaient en observation non loin du douar des Rhomsi ; nous étions, du reste, dans la paix la plus profonde, et sitôt que les devoirs du service nous laissaient libres, nos journées se passaient à la chasse. Rhaled nous accompagnait souvent, et, un soir que nous rentrions avec lui, il nous dit qu’il venait de recevoir des nouvelles de l’un de ses amis des Harars, dont les douars s’étaient établis à quelques lieues de là. Mohamed, ajoutait-il, avait les plus beaux lévriers et les meilleurs faucons de la tribu ; si nous le voulions, il nous proposait d’aller avec lui à une grande chasse, qui devait avoir lieu deux jours plus tard. L’occasion était trop belle pour ne pas en profiter ; aussi, après nous être mis en règle avec notre capitaine, nous nous empressâmes d’accepter l’offre de Rhaled, et, le surlendemain, au point du jour, nous prenions la direction du douar.

Les taleb (savans) appellent seheur ce moment presque insaisissable qui précède le point du jour, où la nuit n’est plus la nuit, où le jour n’est pas encore le jour ; l’époque du rhamadan, dès que l’on peut distinguer un fil blanc d’un fil noir, l’abstinence est de rigueur pour tout bon musulman ; le seheur précède cet instant, et il est plus facilement appréciable dans les pays d’un horizon étendu : de là, au dire des savans, le nom de Sahara donné à cette région des hauts plateaux qui suit le Tell, dont l’étymologie ne serait pas non plus le mot latin tellus, mais le mot arabe tali, qui veut dire dernière, parce que le seheur ne s’y aperçoit que plus tard. Quoi qu’il en soit de ces étymologies, pour nous le Tell est la terre qui produit le grain, et le Sahara la terre des troupeaux et des pâturages. Comme me disait un jour Mohamed-Legras : « Le Tell est notre père, celui qui l’a épousé est notre mère, » ou bien encore, selon le dicton des tribus nomades, « nous ne pouvons être ni musulmans, ni juifs, ni chrétiens, nous sommes les amis de notre ventre. »

Les premiers plateaux du Sahara, nommés Serrsous, sont une succession de mamelons d’une hauteur presque égale, qui se suivent sur une immense étendue ; on dirait la houle de la mer fixée à ces sommets par une main toute-puissante. Là, entre chaque gonflement de terrain, coulent des sources d’eau vive, et s’étendent de gras pâturages à l’herbe courte et épaisse qui nourrissent ces brebis si renommées pour leur chair et pour leur laine. Plus loin, au-delà du premier horizon de montagnes, à une vingtaine de lieues des montages du Tell, commence le vrais Sahara ; là, nous disait-on, le voyageur rencontrait de vastes plaines vides et dénudées, des montages arides, des oasis aux palmiers élancés, d’autres terres où, vers le printemps et pendant l’hiver, on trouve encore des pâturages pour les troupeaux ; puis plus loin, bien loin, le pays mystérieux, les sables.

Les populations qui habitent ces hauts plateaux sont surtout guerrières et nomades. Chaque année, elles s’enfoncent dans les régions du sud, emportant toute leur fortune sur des milliers de chameaux, lorsqu’elles ont achevé leur provision de grain dans le Teil. Or, le printemps arrivait ; avec le printemps, les Harars commençaient à paraître, et c’était chez l’un d’eux que nous allions chercher le plaisir d’une chasse au faucon.

Tout était prêt à notre arrivée. Les cavaliers montaient ces jumens rapides si estimées par un bon musulman, car, lorsque Dieu voulut créer la jument, disent les ulémas, il a dit au vent « Je ferai naître de toi un être qui portera tous mes adorateurs, qui sera chéri par tous mes esclaves, et qui fera le désespoir de tous ceux qui ne suivront pas mes lois, » et il créa la jument en s’écriant : « Je t’ai créée sans pareille ; les biens de ce monde seront placés entre tes yeux ; tu ruineras mes ennemis ; partout je te rendrai heureuse et préférée sur tous les autres animaux, car la tendresse sera partout dans le cœur de ton maître ; bonne pour la chasse comme pour la retraite, tu voleras sans ailes, et je ne placerai sur ton dos que des hommes qui me connaîtront, me feront des prières et des actions de graces, des hommes enfin qui m’adoreront. »

Les chefs avaient la main droite garantie par un gant nommé smègue. Ce gant n’a pas de doigts. Les élégans le porte en peau de tigre ou de panthère. Là-dessus se perche le faucon ; souvent même un deuxième et un troisième trouvent place, l’un sur l’épaule, l’autre sur les cordes en poil de chameau qui entourent les haiks de la tête. À peine en chasse, des poules de Carthage partent devant nous, et les faucons décapuchonnés s’élèvent d’abord en ligne droite ; puis lorsque leurs yeux, accoutumés à la lumière, ont aperçu leur proie, ils fondent sur elle et l’ont bientôt mise à mort. Plus loin, au bruit de nos chevaux, deux lièvres quittèrent leur gîte, et les faucons furent de nouveau lancés. Tant que le lièvre court, il échappe à son ennemi ; mais lorsqu’il hésite pour chercher une retraite, c’est alors que l’oiseau s’accroche à son dos et commence à lui manger la cervelle et les yeux. Il en est des faucons comme des hommes : les uns sont bons, les autres mauvais. Il fallait entendre les Arabes se moquer de ceux-ci, les gourmander et les accabler de reproches ; il fallait voir l’orgueil du maître possesseur du meilleur chasseur. C’est pendant l’été que se préparent les chasses de l’hiver. L’oiseau, à son premier vol, tombe sous le piège du fauconnier ; encore sauvage, on l’habitue à courir à sa proie ; on lui prépare une chasse facile, on lui apprend bientôt à attendre l’ordre du maître, à reconnaître la voix, le signal, l’appât, à se précipiter sur la peau de lièvre jetée en l’air avec différens cris auxquels l’oiseau vorace obéit avec une ardeur sans égale[1]. Ainsi le faucon de l’Arabe redevient l’oiseau du moyen-âge, entouré de soins, de gloire et même d’honneurs.

Dans notre course, comme toujours, nous admirions la hardiesse des cavaliers et la beauté de leurs montures ; une jument surtout nous frappa. Mohamed, l’ami de notre ami Rhaled, avait une jument isabelle si légère, qu’elle aurait pu galoper, suivant l’expression arabe, sur le sein d’une femme. Comme nous lui faisions compliment de sa beauté, Rhaled nous dit : « Elle avait une sœur, qui seule pouvait lutter avec sa sœur ; elles étaient l’envie de tous et l’orgueil de leur maître, lorsque Mohamed fut emmené prisonnier par les cavaliers de l’émir : il parvint à s’échapper ; mais à peine avait-il atteint son douar, que les chaous du sultan furent signalés. Aussitôt Mohamed s’élança sur sa bonne jument, et, lorsque les cavaliers arrivèrent à la tente, ils virent aux entraves défaites que le maître s’était enfui. Le rejoindre était impossible ; l’un d’eux pourtant sauta à bas de son cheval, courut à l’autre jument, encore attachée à la corde ; mais l’enfant de Mohamed l’étendit raide morte d’un coup de pistolet. Cette jument pouvait seule atteindre l’autre jument ; l’enfant sauvait son père. »

Comme Rhaled achevait cette histoire, un des serviteurs des Rhomsi nous rejoignit. Il nous apportait une lettre du commandant de notre petite colonne, nous donnant l’ordre de revenir au plus tôt, car nos escadrons, allaient partir pour Saïda. Nous reprîmes en toute hâte la direction du bivouac, et nous apprîmes en arrivant que nous étions destines à faire partie de la colonne du général Renaud, qui devait partir le 1er avril pour une longue course dans les oasis du sud. C’était pour nous une bonne fortune, et lorsque, quelques jours après, la colonne au long convoi quittait Saïda, nous étions tous heureux de pénétrer enfin dans ces régions d’où l’on raconte tant de choses étranges.

Un équipage de barils était porté par nos mulets, car des journées entières devaient se passer sans que le soldat pût trouver de l’eau. Deux mille chameaux des Hamians et des Harars étaient chargés de nos vivres et s’étendaient sur une seule ligne, descendant les légères collines, gravissant les petits mamelons, au chant monotone de leurs conducteurs. Devant ces rabatteurs d’une nouvelle espèce, les lièvres se sauvaient par centaines ; alors, les effrayant de leurs cris, leur jetant leurs bâtons noueux, les chameliers en avaient bientôt raison, et ceux qui leur échappaient tombaient sous la dent de nos lévriers. Le soir, le bivouac ressemblait à un vaste marché ; de feu en feu, les Arabes portaient leur chasse de la journée. Sur les plateaux du Serrsous, l’économie politique aurait pu, cette fois-là, justifier un de ses axiomes, car c’est à grand’peine qu’offrant un lièvre d’une main et tendant l’autre en disant donar soldi, les Arabes parvenaient à se défaire de leur marchandise, tant le massacre du matin avait été terrible.

Deux jours après, nous bivouaquions sur le bord des Chotts. Ces immenses lacs salés, desséchés l’été, ne sont praticables en avril que par un petit nombre de passages. Le lendemain, à la diane, tout le monde était debout ; hélas ! nous étions déjà depuis long-temps réveillés par les beuglemens des chameaux, que leurs conducteurs chargeaient afin de n’être point en retard. Ces cris sont l’un des supplices d’une marche dans le sud. De l’autre côté des Chotts, nous allions trouver le Bled-el-Rhela, le pays du vide ; mais au premier soleil, avant que notre pied se fût posé sur l’autre rive, il nous sembla que cette longue file de chameaux qui s’avançaient à de longs intervalles dans l’étroit passage prenait les formes les plus bizarres : aux uns on ne voyait plus qu’une tête immense ; les autres étaient gonflés comme des navires, plusieurs paraissaient jeter des flammes et flotter dans l’air ; fin quelques-uns marchaient les jambes renversées, les agitant toujours. C’était là un de ces singuliers effets de mirage si communs dans les Chotts, et que l’on traite de fables lorsqu’on ne les a pas vus.

Notre guide était un Arabe de proie, un homme des Hamians, flibustier des hauts plateaux, coureur d’aventures, au nez recourbé comme le vautoir, à l’œil noir et limpide, maigre, bronzé, à la physionomie calme, impassible, un vrai type du Saharien ; il nous conduisit près des puits, où, sous les branchages qui les recouvraient, nous trouvâmes une eau abondante et pure. Au départ, les branches qui devaient les protéger contre les sables furent religieusement replacées, car un puits dans le Sahara, c’est un lieu sacré qui a droit aux soins et à la protection de tous les voyageurs. Puis nos marches continuèrent dans ce pays du vide, qui a quelque chose d’affreux, dont les solitudes n’ont pas la grandeur des autres solitudes : elles serrent le cœur, au lieu de l’élever ; il semble qu’un poids de malédiction soit là tout autour, et, dans ces plaines dénudées, nous avancions, voyant à droite et à gauche, à l’horizon, les montagnes arides, sans végétation, sans rien qui vînt reposer le regard fatigué. Du reste, la partie du Sahara que nous traversions alors était tristement renommée, et ce n’est jamais qu’un passage pour les nomades habitans de ces contrées.

Une fraction des Hamians-Garabas insoumise à la France se trouvait avec ses troupeaux à vingt lieues de nous, le général l’apprit par ses coureurs, et comme, depuis quelque temps, nous ne bivouaquions jamais que dans les fonds, et que, pendant le jour, le mirage empêchait de voir la poussière soulevée par la colonne, nous étions certains de n’avoir pas été découverts. Aussi, à trois heures de l’après-midi, six cents hommes d’infanterie d’élite partaient avec la cavalerie et le général, pour aller tenter un coup de main ; le reste de l’infanterie et le convoi se dirigeaient sur les puits de Nama, où nous devions les retrouver le lendemain.

La chaleur était accablante, mais ces hommes endurcis à toutes les fatigues ne craignaient ni le soleil ardent ni la pluie glacée ; à six heures du matin, la colonne s’arrêtait, les coureurs arabes nous revenaient, annonçant que les chameaux des Hamians étaient au pâturage à trois heures de marche. C’était un signe évident de leur sécurité. L’infanterie avait déjà marché quinze heures ; il y avait quatre heures du point où nous étions aux puits de Nama ; si le coup de main manquait, cela faisait près de trente heures. Le général n’ost pas lancer la cavalerie seule, et, au grand regret de nos Arabes, qui comptaient sur le butin, ordre fut donné de prendre la direction de Nama.

À une heure de l’après-midi, après avoir traversé les dunes de sable sous un soleil ardent, sans avoir trouvé une goutte d’eau depuis la veille pour rafraîchir nos lèvres desséchées, nous arrivions au lieu du bivouac, n’ayant que cinq hommes sur les cacolets, encore était-ce par suite d’accident. La cavalerie avait pris l’avance, et, lorsque du haut d’une dune de sable, nos escadrons aperçurent une immense pièce d’eau où l’on voyait, comme dans les lacs de la Suisse, le rivage se réfléchir dans l’onde limpide, il y eut un cri général, et nous nous hâtâmes de débrider les chevaux pour apaiser leur soif ; mais, à mesure que nous avancions, nous voyions toujours l’eau reculer à six pieds devant nous, si ben qu’en nous retournant, nous découvrîmes notre erreur : nous étions encore la dupe d’un mirage. En effet, l’eau se trouvait dans des dunes de sable à quatre-vingts pas sur notre droite. Il fallut puiser pour la répandre dans les auges de pierre qui entourent toujours les puits.

Le lendemain, les bagages et le reste de la colonne nous avaient rejoints depuis quelques heures, quand il s’éleva un ouragan épouvantable. En dix minutes, le ciel entier devint un rideau de nuages, et le thermomètre baissant tout à coup, à une chaleur accablante succédèrent des tourbillons de neige ; par bonheur, nous nous étions réunis, car sans cela c’était fait de nous : à trois pas on ne se voyait plus, et de peur de s’égarer on était obligé d’aller arracher, au son du clairon, les genêts qui couvraient les dunes, le seul aliment de nos feux. Le lendemain, la terre était couverte de neige. Que l’on juge des souffrance de cette nuit et des deux jours qui suivirent, car ce ne fut que deux jours après que ce rideau de nuages se dissipa. Au premier soleil, les sables de la terre rocheuse de la plaine burent la neige fondue. L’air pourtant restait glacé ; mais nous avancions vers le sud, nous l’approchant des montagnes, dont nous eûmes bientôt atteint les passages les plus élevés. À travers ces rochers de grès et ces terres rougeâtres, de temps à autre, nous rencontrions un pistachier au maigre feuillage ou des genêts à la fleur violette. Notre colonne s’allongeait, descendant par une pente rapide dans la direction de Chellala. C’était du reste toujours ce même aspect morne, désolé, plein de tristesse, et les pieds de nos chevaux ne foulaient que l’alpha ou ces petits arbrisseaux a la feuille salée dont les chameaux sont si friands.

Quand la vue s’est ainsi fatiguée pendant de longs jours, sans pouvoir se reposer sur la moindre verdure, on ne saurait croire la joie qu’il y a à contempler une eau fraîche et courante, des feuilles, de larges feuilles, et aussi des arbres dont l’ombrage vous met à l’abri du soleil. Depuis quelques jours, le soleil était insupportable, et, lorsque nous arrivâmes à l’oasis de Chellala, nous en souffrions déjà assez pour trouver délicieux ces maigres figuiers et ses rares palmiers. Le général reçut les hommes et le tribut des gens de la ville, si toutefois on peut appeler ville ce ramassis de maisons bâties en terre, dont les rues étroites et fangeuses laissent voir une population étiolée et maladive. Là, comme toujours, comme partout, le Juif, avide de gain, a sa demeure et se mêle à toutes les transactions ; c’était le premier ksour qui se trouvait sur notre route ; notre séjour y fut de courte durée : nous allions reprendre notre marche vers Bou-Semroun, oasis située plus au sud, et qui refusait de payer le tribut.

Pour arriver à Bou-Semroun, l’on suit une vallée de sable d’une assez grande largeur. Des deux côtés se dressent des montagnes arides, et parallèlement à ces montagnes, laissent un espace entre le pied de la montagne et leur base, un soulèvement de rochers à la forme de coquille renversée. Un minaret vous avertit que vous approchez de la ville, qu’une petite colline cache à tous les yeux. Du haut de la dune sablonneuse, ses jardins aux dix mille palmiers, enfoncés dans un étroit ravin de deux lieues de long, apparaissent comme un ruisseau de verdure entre deux rives de sable. Les habitans avaient pris la fuite ; mais sur le minaret l’on voyait briller les canons des fusils : c’étaient quelques fanatiques voulant mourir à la guerre sainte, qui, pour se faire tuer, tirèrent sur la compagnie d’infanterie engagée d’occuper le ksour. La colonne bivouaqua au sud, passant entre la ville et un marabout d’une architecture élégante. Qui avait pu le construire en ces terres lointaines ? Sans doute quelque prisonnier chrétien : les croix grecques incrustées dans les ornemens nous le firent supposer. Le ksour ressemble à une citadelle. Entouré par un large fossé, par de bonnes murailles en pisé, n’ayant que deux issues, Bou-Semroun pouvait braver les pillards, et dans ces ruelles étroites, dans ces maisons à deux étages, les marchandises, les grains et les richesses des tribus nomades se trouvaient en sûreté. Fort heureusement les habitans insoumis n’avaient point songé à se défendre, car il eût fallu la sape et la mine pour venir à bout de leur forteresse ; leurs portes ouvertes nous avaient permis de courir à leurs maisons, dont quelques-unes, celles qui donnent sur le ravin, sans doute la demeure des chefs, ont encore une certaine élégance. Notre bivouac et ses maisons mobiles avaient été établis près des jardins. Lorsqu’on avait descendu la pente abrupte, — de l’aridité, de la sécheresse, l’on se trouvait tout à coup transporté au milieu de la fraîcheur, du calme, du repos, près de l’eau abondante et pure d’un ruisseau limpide. Là, chaque champ est entouré d’un mur en pisé solidement construit ; là, une serrure en bois protège le brin d’orge de l’habitant du ksour, ses grenadiers, ses figuiers, sa verdure. Là s’élancent vers le ciel ces radiées énormes de palmiers dont les têtes se rejoignent dans les airs. — C’était un parc magnifique pour nous reposer de nos fatigues, des jardins qui nous fournissaient des légumes frais, — précieuse ressource après une si longue route, — et l’orge verte pour nos chevaux, sans compter ces cannes de palmier que chaque fantassin s’empressa de couper en souvenir de notre course du sud. À notre grande joie, on séjourna près de ces beaux lieux une semaine entière, et pendant cette halte nous avions cherché plaisirs et amusemens nouveaux. Le repos pour nous était une fatigue ; il nous fallait du mouvement. Aussi un soir, à son de trompe, comme sur une place de village, un grand steeple chase fut annoncé pour le lendemain dans les jardins de Bou-Semroun. Le général, la première autorité, M. le maire de l’endroit, fut invité, selon l’antique usage, à présider la fête. Tout le camp s’y rendit, les élégans à cheval, le modeste troupier la canne à la main ; une cantinière nommée Reine de Beauté devait donner au vainqueur la belle paire de pistolets offerte par le général Renaud. L’enjeu était digne du péril, car jamais la croix de Berny en ses beaux jours n’offrit de plus grandes difficultés : 2,400 mètres, aller et retour ; murs, barrières, obstacles de toute sorte, rachées de palmiers dont il fallait se garer ; enfin, après une muraille en pierre, un mur en pisé taillé de façon à ce que le cheval sautât à trois pieds de haut dans une ouverture qui ne laissait que juste le passage de son corps (pour le cavalier, il devait jeter ses jambes sur le cou du cheval, s’il voulait éviter les blessures) : tel était le terrain de la course. Tout se passa selon les règles : un membre du jockey-club, un vrai membre, nous cria le départ en anglais ; et l’avalanche galopante franchit barrières et obstacles ; mais, hélas ! il y eut plus d’une chute, et je vous assure que faire panache, quand l’on va atteindre le premier le but, se trouver pris sous son cheval, la tête entre les jambes de derrière, de telle façon que, s’il n’était à moitié mort, au moindre mouvement il vous aurait cassé la mâchoire ; puis voir pointer successivement tous les autres chevaux dont les pieds retombent près de votre tête avant de franchir l’obstacle improvisé : c’est là une rapide et singulière émotion, qui a tout au moins le charme de l’imprévu. Tant tués que blessés, tout le monde se portait bien, et chacun de rire de ses mésaventures chacun de s’égayer. Ainsi le temps passait rapide, sans souci, sans inquiétude : c’est assez dire que nous n’avions pas de malades et que la colonne aurait pu supporter les plus rudes fatigues. Les oignons d’Égypte furent regrettés par les Hébreux dans le désert ; on peut donc bien pardonner à nos soldats d’avoir aussi plus d’une fois soupiré au souvenir des petits oignons si tendres de Bou-Semroun, lorsqu’il fallut remonter vers le nord, se diriger ensuite à l’est, enfin au sud, pour gagner l’Abiot-Sidi-Chirq, un village de marabouts célèbre dans le pays.

La pente du chemin était rapide. Enfin, au dernier col, un horizon immense s’ouvrit devant nous ; à notre droite, les hautes crêtes des montagnes formaient une moitié de fer à cheval ; à gauche, cette chaîne se prolongeait vers l’est. Au pied des montagnes, comme les réseaux d’un filet, se croisaient les dunes de sable. Cette houle jaunâtre allait se confondre avec l’extrémité de l’horizon dans une même ligne poudreuse ; face à nous, une plaine de cailloux de deux lieues nous séparait des quatre villages des Ouled-Sidi-Chirq, reliés par leurs jardins aux frais ombrages. Devant ces grands espaces, le poids qui jusque-là, dans ce pays affreux, pesait sur nous semblait s’envoler, et nous éprouvions tous un incroyable sentiment de fierté et de grandeur. Une mosquée, vénération des fidèles, occupe le centre des villages. Les chefs de cette importante tribu, dont l’influence religieuse s’étend sur tout le Sahara et jusque sur une partie du Tell, étaient venus au-devant du général pour lui offrir leurs respects et l’impôt demandé.

Nous étions au 30 avril ; depuis un mois, pas une nouvelle France. À plus de cent vingt lieues de la côte, les sables du désert s’étendaient devant nous ; c’était là, aux portes de ces contrées mystérieuses, que nous allions célébrer la fête du roi. Le soir, nos petits obusiers de montagne annonçaient la fête aux gens du sud et le lendemain chaque soldat exerçait son adresse pour mériter les prix qu’offrait le général. Courses de chevaux, courses de sacs, tir sur les moutons, jeux de toutes sortes, comme pour une fête de village, se célébraient au milieu des gais propos et des rires ; chacun oubliait ses fatigues et ne songeait guère qu’il se trouvait si loin des siens et de la France. Deux petits nègres, offerts en cadeau au général avec des autruches et des haïks, nous rappelaient pourtant que nous touchions au pays inconnu, et les grondemens du tonnerre[2], qui tous les jours, à l’heure de la prière (trois heures), se faisait entendre, semblaient comme les échos de ces terres lointaines dont on raconte tant de prodiges.

Il semble, en effet, que cette chaîne de montagnes qui voit mourir à sa base les dernières vagues de la mer de sable, soit comme une barrière placée par la main de Dieu pour arrêter l’homme du nord, lorsqu’il tente de pénétrer dans les régions inconnues. Du haut de ces pics arides, qui, d’espace en espace, s’ouvrent à peine par d’étroits passages, le voyageur peut contempler ces solitudes et ces sables à qui la voix du Seigneur a dit comme aux flots de l’océan : Tu n’iras pas plus loin ; mais si le chrétien doit, pour un temps encore, renoncer à les parcourir, l’Arabe, sous la protection de la foi musulmane, ne connaît point ces obstacles, et chaque année, attirées par l’appât du gain, de nombreuses caravanes sillonnent le désert, suivant maintenant encore les routes dont nous trouvons l’itinéraire dans Hérodote.

Ce sentiment d’inquiétude que tout homme ressent au moment de s’embarquer pour une longue traversée, d’affronter des dangers inconnus, l’Arabe d’ordinaire si impassible, l’éprouve lorsqu’il est sur le point de tenter une course au désert ; c’est qu’en effet ces longs voyages ne sont qu’une longue traversée ou, comme à bord d’un navire, la même organisation, la même discipline, doivent triompher des mêmes périls. Là, comme sur mer, lorsque les passages sont plus dangereux, pour se garantir des corsaires, l’on attend qu’une autre caravane vienne doubler les forces, et alors toutes deux quittent l’oasis de refuge et sans crainte s’avancent de concert. Le respect qui entoure le hardi voyageur au retour peut faire juger de ses fatigues et de ses dangers.

La voix impérieuse, absolue, la voix du chef, avait donné l’ordre du départ, et nous devions nous éloigner après avoir entrevu ces horizons sans fin ; mais le souvenir du désert et cette impression pleine de majestueuse grandeur que nous avions ressentie ne pouvait s’effacer si vite. Bien souvent depuis lors, sous la tente des tribus nomades du Sahara, qui, dans leurs courses aventureuses vont, comme le flux de la mer, frapper tantôt une rive, tantôt une autre, nous avions interrogé ces routiers des solitudes. Un jour entre autres, après que le repas de Dieu eut rassasié les voyageurs, un vieux pilote du désert avait commencé un long récit ; mais l’heure du repos était venue avant que sa parole eût achevé de nous apprendre ce pays. La guerre et ses hasards de chaque jour nous séparèrent le lendemain, et depuis, pour chacun, il est arrivé ce qui était écrit, nous ne nous sommes jamais revus. Ce récit commencé n’avait fait qu’exciter ma curiosité sans la satisfaire, lorsque dernièrement je lus un livre qui n’était autre que la relation du vieil Arabe[3], recueillie par M. le colonel Daumas de la bouche d’un homme de même trempe. En lisant ce curieux journal de voyage, il me semblait entendre encore mon vieux conteur des hauts plateaux. J’ai pensé qu’après être venu, avec une colonne française, a l’Abiot-Sidi-Chirq, l’une des dernières oasis du Sahara, vous trouveriez, comme moi, quelque intérêt à continuer cette route avec le voyageur arabe, qui, s’enfonçant dans l’intérieur du pays, vous mènera, après six mois de courses, de fatigues et de dangers, jusqu’au royaume d’Haoussa, à plus de huit cents lieues de la côte.


II

Tous les ans, de l’Abiot-Sidi-Chirq, où notre colonne s’était arrêtée, part une caravane qui passe par Méteili, et va jusqu’au Soudan. C’est la route suivie par le conteur arabe ; mais, avant de nous y engager sur ses traces, il est bon de jeter d’avance un rapide coup d’œil sur le pays que nous allons parcourir avec lui.

L’Afrique, du nord au centre, se divise en trois régions distinctes. La première, connue sous le nom de Tell ou pays des grains, monte, par des pentes constantes, jusqu’à la région des hauts plateaux. Celle-ci sous le nom de Sahara, du Tell au désert, dont le niveau est à peu près le même que celui de la mer. Les hauts plateaux nourrissent de nombreux troupeaux de moutons, et, d’espace en espace, l’on trouve des oasis où s’élèvent des villes fortifiées, dépôts de grains et de marchandises des tribus nomades. À l’est des oasis de la province d’Oran, commence le pays de Beni-Mzab, qui renferme sept villes importantes ; ce sont les entrepositaires de tout le commerce du sud, et, au dire de la tradition, les descendans des Mohabites. Le fait est que presque tous les yeux bleus et les cheveux blonds ; leur langage aussi diffère de celui des Arabes. Schismatiques, puisqu’ils n’appartiennent à aucune des quatre sectes musulmanes autorisées, la sévérité de leurs mœurs, leur union, leur bonne foi, n’en sont pas moins célèbres, et, grace à leur activité, la plus grande partie du commerce d’échange, passe par leurs mains.

Au sud de ces plateaux de Sahara, parallèles au Tell et à la mer, commence la troisième région de l’Afrique, le désert, non pas ce désert de fantaisie que se figurent nos imaginations françaises, — du sable, du sable et toujours du sable, — mais des plaines immenses, où le regard se perd, des plaines sans eau, sans bois, ou plutôt n’ayant de l’eau qu’à certains points qui deviennent forcément le lieu de la halte. Sans doute on y rencontre des sables et souvent ils s’étendent au loin, balayés par les tempêtes : ils prennent alors les formes les plus bizarres, et reçoivent tantôt les noms de veines, tantôt celui de filets, selon l’apparence que leur a donnée le caprice des vents ; mais là aussi l’on trouve des oasis, des contrées entières, comme la grande oasis du Touat. Au-delà de ces immenses plaines se dressent des montagnes aussi fertiles que nos montagnes du nord : c’est le pays des Touareug, les flibustiers du désert ; enfin, de l’autre côté des montagnes, on découvre la terre du Soudan, la terre des Nègres, d’où l’on raconte tant de merveilles. Tel est le pays, en tirant une perpendiculaire depuis Alger jusqu’à Kachna, à plus de huit cents lieues de la côte[4]. Le royaume d’Haoussa, dont Kachna est la capitale, a été conquis, il y a trente ans environ, par une race blanche musulmane, nommée les Foulanes ; ainsi, par un singulier retour, tandis qu’une puissance chrétienne établit sa domination dans les contrées du nord, l’islamisme impose au centre de l’Afrique sa religion et ses armes.

La caravane, guidée par l’Arabe Cheggueun, était partie de Metilli, à neuf jours de marche de l’Abiot-Sidi-Chirq, cette oasis où s’était arrêtée la colonne française ; elle se mit en route au mois d’octobre, traversa les grandes oasis du Touat, le pays des Touareug, et arriva enfin, vers le mois de mars, dans le royaume d’Haoussa, au pays des Nègres. Cheggueun, son conducteur et l’historien du voyage, commence par nous donner quelques détails sur l’organisation de la troupe qui va entreprendre, sous sa direction, ce long pèlerinage.

« Dans le Sahara, nous nommons khrebir le conducteur d’une caravane, car ces flottes du désert ne se hasardent point sans chef, ainsi que vous le croyez, tous autres chrétiens, sur notre mer de sable, qui, comme l’autre, a sa houle, ses tempêtes et ses écueils. Chacune d’elles obéit passivement au maître qu’elle s’est donné ; il a sous lui des chaous pour exécuter ses ordres, des chouafs (voyans) pour éclairer le pays, un écrivain pour présider aux transactions…, un crieur public pour faire les annonces, un moudden pour appeler à la prière, un iman enfin pour prier au nom des fidèles.

« Le khrebir est toujours un homme d’une intelligence, d’une bravoure et d’une adresse éprouvées : il sait s’orienter par les étoiles ; il connaît, par l’expérience des voyages précédens, les chemins, les puits et les pâturages, les dangers de certains passages et les moyens de les éviter, tous les chefs dont il faut traverser le territoire, l’hygiène à suivre selon les pays, les remèdes contre les maladies, les fractures, la morsure des serpens et les piqûres du scorpion. Dans ces vastes solitudes où rien ne semble indiquer la route, où les sables souvent agités ne gardent pas toujours les traces du voyageur, le khrebir a pour se diriger mille points de repère : la nuit, si pas une étoile ne luit au ciel, à la simple inspection d ! une poignée d’herbe ou de terre qu’il étudie des doigts, qu’il flaire et qu’il goûte, il devine où l’on est, sans jamais s’égarer. »

Tel doit être le khrebir d’une caravane, tel est Cheggueun. La caravane peut se confier à lui, il est marié trois fois : — dans le Touat, à Insalah, — chez les redoutables Touareng, comme à Mételli, à l’autre extrémité de la route. Il est jeune, grand et fort : c’est un maître du bras ; son œil commande le respect, et sa parole prend le cœur ; mais si dans la tente sa langue est douce, en route il ne parle qu’au besoin et ne rit jamais. Allons, hardis compagnons, laissez-vous entraîner par les récits de Cheggueun ; croyez-le lorsqu’il vous dit : « Le Soudan est le plus riche pays du monde ; un esclave n’y vaut qu’un burnous ; l’or s’y donne au poids de l’argent ; les peaux de buffle et de bouc, les dépouilles d’autruche, le sayes[5] et l’ivoire s’y vendent au plus bas prix ; les marchandises des caravanes y centuplent de valeur. Vous êtes des fous, ô mes enfans, de vous arrêter à Timi-moun[6], beau voyage, long comme de mon nez à mon oreille ! Voulez-vous être riches ? allons au pays des Nègres. Souvenez-vous que le prophète a dit :

« La gale (des chameaux), son remède est le goudron, « Comme la pauvreté, son remède est le Soudan. »

Comment résister à l’amour des aventures, à l’appât des richesses ? Malgré tous les dangers inconnus, la caravane s’organise, et chacun de ceux qui la composent va d’abord chercher des marchandises d’échange aux entrepôts des Béni-Mzab ; puis, revenu avec la charge de trois chameaux, l’on songe aux provisions de la route. Voici en quoi ces provisions consistent pour chacun : « un saà (sac de 80 kilogrammes environ) de couscoussou, un saà et demi de dattes, une outre de beurre, de la viande séchée, deux outres pleines d’eau, un seau en cuir avec sa corde pour abreuver les chameaux, deux paires de chaussures, des aiguilles à coudre le cuir et des lanières pour les raccommoder, un briquet et de l’amadou. »

Mais, pour un si long voyage, ce n’est pas assez de pourvoir à la faim et à la soif ; il faut être en garde contre les attaques à main armée, car les meilleurs amis d’un voyageur sont un bon fusil, un pistolet et son sabre. Les compagnons de Cheggeueun prirent donc ces armes « avec des pierres à feu, de la poudre et des balles pour l’avenir, et pour le présent vingt-quatre coups tout prêts dans les vingt-quatre roseaux de la cartouchière[7]. » Chacun d’eux ensuite choisit quatre forts chameaux bien bâtés, bien outillés : trois pour les marchandises, l’autre pour les bagages et l’on décida que le jeudi serait le jour de la séparation, car le prophète a dit : « Ne partez jamais qu’un jeudi et toujours en compagnie ; seul, un démon vous suit ; à deux, deux démons vous tentent ; à trois, vous êtes préservés des mauvaises pensées, et, dès que vous êtes trois, ayez un chef. »

Comme l’on quittait Mételli, la caravane a rencontré la belle Messaouda, dont le nom veut dire heureuse, le cheik Salah et sa fière jument. Les yeux ont été réjouis par une jeune femme, par un beau cavalier, par un beau cheval. S’il plaît à Dieu, le voyage sera heureux, car au départ Dieu avertit toujours ses serviteurs par un présage ; mais il faut être prudent, « car celui qui met la tête dans le son sera becqueté par les poules. »

Il faut écouter les conseils de Cheggueun, les retenir religieusement, se fier en lui ; son œil est toujours en éveil et à l’heure du repos sa vigilance redouble. « Au premier bivouac, comme les voyageurs cédaient au sommeil, ils furent éveillés par une voix forte qui crait : « Eh ! les gardes ! Dormez-vous ? » C’était Chegguenn, qui, de la porte de sa tente, avait fait cet appel. — Nous veillons, répondirent les gardes. — Et le calme reprit. Une heure après, la même voix les éveilla encore, et d’heure en heure il en fut ainsi jusqu’au matin. »

La caravane avançait toujours, mais, à mesure qu’elle gagnait vers le sud, la prudence de Cheggueun devenait plus grande, et aux précautions ordinaires il en ajoutait d’autres encore. Il se leva plusieurs fois pendant la nuit pour tenir les gardes éveillés et pour crier luimême d’une voix forte aux maraudeurs qui pouvaient être tentés de l’attaquer :

« Ô esclaves de Dieu, vous entende, celui qui tourne autour de nous tourne autour de la mort !

« Il n’y gagnera rien et ne reverra pas les siens !

« S’il a faim, qu’il vienne, nous lui donnerons à manger !

« S’il a soif, qu’il vienne, nous lui donnerons à boire !

« S’il est nu, qu’il vienne, nous le vêtirons !

« S’il est fatigué, qu’il vienne se reposer !

« Nous sommes des voyageurs pour nos affaires et nous ne voulons de mal à personne. »

Grace à toutes ces précautions, l’on arriva heureusement jusqu’à l’Oued-el-Hameur, le rendez-vous des voleurs et des coureurs d’entreprises. En ce lieu, la vigilance fut plus grande encore, et Cheggueun dit aux voyageurs :

« Ne parlez que très bas, ou ne parlez point du tout. C’est ici qu’on peut dire : Le silence est d’or.

« Liez la bouche de vos chameaux, et, quand ils seront couchés, évitez de passer auprès d’eux, pour que les mugissemens qu’ils pousseraient à la vue de leurs maîtres ne donnent point l’éveil à l’ennemi.

« Il faudra, cette nuit, vous contenter de dattes ; nous ne ferons point de feu, nous n’irons point à l’eau ; les traces de nos pas pourraient nous déceler, si même des espions embusqués ne nous voyaient pas ; ne battez pas le briquer, les étincelles nous trahiraient ; ne fumez point, la fumée du tabac s’évente à de grandes distances, quelques hommes la sentent à deux ou trois lieues.

« Préparez vos armes, et que tout le monde veille, car les voleurs disent :

La nuit, c’est la part du pauvre,
Quand il est courageux. »

De halte en halte, la caravane atteignit à Guclea, à sept journées de Timi-Moun, l’une des villes de la grande oasis du Touat. Là, pendant de longs jours, elle se repose sous les ombrages des palmiers dans les jardins délicieux où, chaque soir, cette population aux mœurs faciles vient chercher la fraîcheur et la joie. Là, les vieillards disent à ceux du printemps : Allez, allez, jeunes gens, vous amuser avec les jeunes filles. À Guclea, l’hospitalité est une règle pour tous, et la veille du départ Bou-Bekeur, l’un des habitans, réunit les voyageurs dans un repas d’adieu.

Comme ils demandaient à leur hôte de leur faire amener son fils, enfant plein de grace et de vivacité : — Il dort d’un profond sommeil, leur répondit Bou-Bekeur ; — et ils n’insistèrent pas davantage.

« Le repas fut abondant, les causeries très animées ; on y parla beaucoup des chrétiens et de la guerre ; on disait que les armées étaient innombrables comme le vol d’étourneaux en automne, les soldats ensemble, alignés comme les grains d’un collier ferrés comme des chevaux ; que chacun d’eux portait une lance au bout de son fusil et sur le dos un bât qui contient ses provisions qu’à tous ils ne faisaient qu’un seul coup de fusil ; on vantait leur justice les chefs ne commettaient point d’exactions ; devant les cadis, le pauvre valait le riche. Mais on leur reprochait de manquer de dignité, de rire même en disant bonjour, d’entrer dans les mosquées sans quitter leurs chaussures, de ne point être religieux, de laisser à leurs femmes une trop grande liberté, de se faire leurs complaisans, de boire du vin, de manger du cochon et d’embrasser leurs chiens.

« Le lendemain, au point du jour, quand ils quittèrent leur hôte, il leur parla ainsi : « Lorsque je vous ai dit hier au soir : Mon fils dort d’un profond sommeil, il venait de se tuer en tombant du haut de la terrasse où il jouait avec sa mère. Dieu l’a voulu ; qu’il lui donne le repos. Pour ne pas troubler votre festin et votre joie, j’ai su contenir ma douleur, et j’ai fait taire ma femme désolée en la menaçant du divorce ; ses pleurs ne sont point venus jusqu’à vous, mais veuillez ce matin assister à l’enterrement de mon fils et joindre pour lui vos prières aux miennes. »

Ces paroles furent accueillies par les Arabes avec un sentiment de douleur mêlé d’admiration, et tous allèrent religieusement enterrer le pauvre enfant. « Telle est la loi de l’hospitalité. Un hôte doit éloigner de sa maison toute douleur, toute querelle, toute image de malheur qui pourrait troubler les heures de ses amis ; le prophète, qui a donné ces paroles, a dit encore : Soyez généreux envers votre hôte, car il vient chez vous avec son bien ; en entrant, il vous apporte une bénédiction ; en sortant, il vous emporte vos péchés. »

De Guelea, l’on alla coucher au marabout de Sdi-Mohamed-ou-Allal, au milieu des dattiers que Sidi-Mohamed avait plantés lui-même. C’est le marabout Sidi-Mohamed qui disait à ses serviteurs : « Méprisez cette terre, qui ne vaut pas l’aile d’un moucheron, et maudissez les biens du Chitann (Satan). Sidi-Mohamed était du reste un homme de Dieu célèbre par les légendes pieuses qu’il aimait à raconter. En voici une, entre autres, que le voyageur ne manque jamais de rappeler à celui qui, pour la première fois, s’arrête auprès du marabout vénéré, dernière demeure du saint homme :

« Un Jour, Sidna-Aïssa (notre seigneur Jésus-Christ) fit rencontre du Chitann qui poussait devant lui quatre ânes lourdement chargés et lui dit :

« — Chitann, tu t’es donc fait marchand ?

« — Oui, seigneur, et je ne puis pas suffire au débit de mes marchandises.

« — Quel commerce fais-tu donc ? « — Seigneur, un excellent commerce : voyez plutôt.

« Des quatre ânes que voici, et que j’ai choisis entre les plus forts de la Syrie, l’un est chargé d’injustices ; qui m’en achètera ? les sultans.

« L’autre est chargé d’envies ; qui m’en achètera ? les savans.

« Le troisième est chargé de vols ; qui m’en achètera ? les marchands.

« Le quatrième porte à la fois, avec des perfidies et des ruses, un assortiment de séductions qui tiennent de tous les vices ; qui m’en achètera ? les femmes.

« Méchant, Dieu te maudisse ! reprit Sidna Chitann.

« — Que m’importe, si je gage ? répliqua Chitann.

« Le lendemain, Sidna-Aïssa, qui faisait sa prière au même endroit, fut mis en distraction par le jurement d’un ânier dont les quatre ânes, accablés sous la charge, refusaient la route. Il reconnut Chitann.

« — Dieu merci ! tu n’as rien vendu ? lui dit-il.

« — Seigneur, une heure après vous avoir quitté, tous mes paniers étaient à vide ; mais, comme toujours, j’ai eu des difficultés pour le paiement.

« Le sultan m’a fait payer par son khalifa, qui voulait tromper sur la somme ;

« Les savans disaient qu’ils étaient pauvres ;

« Les marchands et moi nous nous appelions voleurs ;

« Les femmes seules m’ont bien payé sans marchander.

« — Et cependant je vois que tes paniers sont pleins encore, objecta Sidna-Aïssa.

« — Ils sont pleins d’argent, et je le porte au kadi (à la justice), répondit Chitann en pressant ses ânes.

« O mes frères, ajoutait Sidi-Mohamed-ou-Allal, l’homme libre, s’il est cupide, est esclave ; l’esclave est libre, s’il vit de peu.

« Pour vous reposer, choisissez les tentes ; pour demeure dernière, les cimetières ; nourrissez-vous de ce que produit la terre ; désaltérez-vous à l’eau courante, et vous quitterez le monde en paix. »


La caravane arriva à Timi-Moun, après trois jours de marche. Dans le trajet, elle s’était arrêtée à un autre marabout, celui de Sidi-Mohamed-Moul-el-Gandouz, où l’on déposa, selon l’usage, l’offrande du voyageur. L’affamé trouve là sa nourriture, et nul n’y mange plus que sa faim, ou n’y boit plus que sa soif, car il périrait en route. Il n’y a pas de gardiens pour surveiller les provisions ; pourtant on ne cite pas d’exemples d’un indiscret ayant abusé de l’hospitalité de Dieu. « Et cela se passe au milieu du Sahara, loin des yeux des hommes ; mais Dieu est partout. »

À Timi-Moun, Cheggueun conduisit les voyageurs chez Sid-el-Adj-Mohamed-el-Mahadi. Ils lui firent les présens d’usage, attendant, selon ses conseils, la caravane de Tidi-Keult pour se rendre avec elle à Insalah. Le pays de Touat, que la caravane venait d’aborder au nord-est, est borné à l’ouest par le Maroc, et s’étend jusqu’au grand désert au sud. Le Djebel-Batten le borne sinueusement à l’est dans toute sa longueur. Le Touat est une vaste succession d’oasis entrecoupées de pleines sablonneuses ; on y compte, disent les Arabes, autant de villages que de jours dans l’année, et l’on y rencontre deux populations de races et de mœurs distinctes : les gens du Touat proprement dit, d’origine berbère, qui ont eu de nombreuses alliances avec les Nègres, habitent presque tous les villes et les bourgades ; les Arabes campent en tribus sous la tente. Timi-Moun est la capitale d’une des cinq circonscriptions : elle est fortifiée et divisée en neuf quartiers ; elle a sept grandes places, et chaque rue est affectée à un genre spécial de commerce. Il s’y fait un très grand nombre d’opérations d’échange.

La caravane de Tidi-Keult arriva après onze jouis d’attente. Les deux khrebirs réunirent les voyageurs, et, après leur avoir parlé, ouvrant le livre de Si-Abd-Allah et l’élevant à la hauteur de la tête : « Jurez par ce livre saint, dirent-ils, que chacun est le frère de tous, que tous nous ne faisons qu’un seul et même fusil, et que, si nous mourons, nous mourrons tous du même sabre ; » — et tous ils le jurèrent de la bouche et du cœur.

Le départ fut fixé au lendemain. Pendant la route, un nommé Mohamed, qui avait bu de l’eau à même la peau de bouc et sans lui faire prendre l’air un moment dans une tasse, fut atteint d’une fièvre lente et de diarrhée. L’on consulta Cheggueun ; il lui avaler une décoction de henna, qui soulagea presque immédiatement le malade, et pendant ce temps il lui disait : — Il faut savoir souffrir la soif en voyage ; les buveurs ne vont pas loin ; ils sont comme les grenouilles : à peine sortis de l’eau, ils meurent. Ne les emmenez point en caravane ; c’est autant de pâture pour les oiseaux de proie et les chacals.

Près d’Insalah, la caravane de Tidi-Keult se trouvait dans son pays, et les marchands de cette caravane traitèrent les voyageurs de Metilli comme des hôtes. Insalah est une ville de cinq à six cents maisons avec une casbah, mais sans muraille d’enceinte. Une source nommée la Source du fils de Jacob prend naissance au centre et l’alimente : du côté du sud, des vergers et des plantations de dattiers dominent la ville ; mais, sur les autres côtés, les sables chassés par le vent s’amoncellent jusqu’au pied des maisons. À Insalah, Cheggueun avait retrouvé une de ses femmes. C’était une jeune fille de sang un peu mêlé, dorée comme le soleil, et dont la taille était d’une souplesse et d’une élégance admirables ; ses yeux étaient noirs comme la nuit sans lune et sans étoiles. Pendant l’absence de son mari, elle demeurait chez son père.

Chaque jour, l’on attendait une autre caravane qui devait renforcer la troupe voyageuse de cent cinquante hommes et de six cents chameaux. La caravane d’Amedry. Les marchands de toutes les caravanes réunies demandèrent alors à Cheggueun de se mettre à leur tête.

« O mes enfans ! leur dit Cheggueun, je serai volontiers voire khrebir, et, s’il plait à Dieu, je vous mènerai en bonne route, où ni vous ni vos chameaux n’aurez faim ni soif. Je m’en charge, je me charge encore de vous faire traverser en paix le pays des Touareug ; mais, vous le savez, ils sont injustes, orgueilleux et forts : il vous faudra les flatter. N’oubliez pas le proverbe :

« — Si celui dont tu as besoin est monté sur un âne, dis-lui : Quel beau cheval vous avez là, monseigneur !

« Ils sont avides et méchans ; il vous faudra les acheter : ces dépenses-là vous regardent. Mais écoutez-moi : quand je vous dirai avec mon œil : Donnez, — préparez un cadeau ; quand je vous dirai : Veillez, — ouvrez les yeux et les oreilles. Retournez donc à votre camp, achevez vos préparatifs, et revenez tous dans deux jours ; nous partirons le troisième au matin. »

La caravane marcha dans les sables jusqu’à la chaîne du Djebel-Mouydir, succession de mamelons peu élevés, sablonneux ou pierreux, coupés de ravins et de petites plaines, la plupart arrosées par des sources. Cette chaîne s’étend jusqu’aux montagnes de Foucas, à l’est ; dans le sud, jusqu’aux montagnes d’Hoggar, le pays des Touareug.

Les Touareug, qu’on appelle vulgairement les Voilés, se sont répandus de temps immémorial dans le pas inhabité depuis le Sahara au nord jusqu’au Niger au sud, et depuis le sable qui vient de l’Océan à l’ouest jusqu’à l’Abyssinie à l’est. Ils se rasent la figure et les moustaches, et portent des cheveux si longs, qu’ils sont quelquefois forcés de les tresser. Une longue chechia rouge couvre leur tête, fixée pas une étoffe de soie noire qui se rabat sur la figure et leur sert de voile, car, disent-ils, des gens comme nous de doivent pas se montrer. Leurs armes sont une longue lance à large fer, des javelots de six à sept pieds, dont la pointe est doublée de crocs recourbés, qu’ils portent attachés en faisceau sur le devant du mahari (chameau de pur sang) ; le bouclier rond, maintenu au bras gauche par des lanières de cuir et fait de peau de buffle ou d’éléphant du Soudan ; le poignard, qu’il renferment dans une gaîne appliquée sous l’avant-bras gauche, où il est attaché par un cordon, de manière que le manche de l’instrument, qui vient se fixer au creux de la main soit toujours facile à saisir et ne gêne en rien le mouvement ; ce poignard ne les quitte ni le jour ni la nuit. Quelques chefs seuls ont des fusils. Toutes ces armes sont à craindre ; mais la meilleure, c’est le sabre, le large sabre.

« Les balles et le fusil trompent souvent.

« La lance est la sœur du cavalier, mais elle peut trahir.

« Le bouclier, c’est autour de lui que se groupent les malheurs.

« Le sabre, le sabre, c’est l’arme du Targui, quand le cœur est aussi fort que le bras. »

Grace à Cheggueun, qui avait là encore une femme et des enfans, la caravane franchit heureusement ces défilés, où elle s’allongeait, chameau par chameau. Protégée par Ould-Biska, le chef de cette vaillante tribu de pillards, elle traversa sans encombre le pas des Touareug, admirant la beauté des eaux et ces moutons qui n’ont point de laine et dont l’énorme queue traîne à terre[8], mais toute tremblante au récit des effrayantes actions des Touareug. Une seule histoire, celle d’Ould-Biska lui-même, fera juger des mœurs sauvages de cette tribu. Kreddache, qui était avant Ould-Biska le chef des Touareug fut tué dans un combat par Ben-Mansour, de la tribu des Cgambas. À cette nouvelle, il y eut deuil dans le Djebel-Hoggar, et chaque noble prononça ce serment : « Que ma tente soit détruite, si Kreddache n’est pas vengé ! » Kreddache laissait une femme grande et belle, au cœur vaillant. Bien souvent, Fetoum avait suivi, le cheik en razzia, animant du geste et de la voix les combattans, souffrant comme un homme la faim, la fatigue et la soif. Selon la loi, elle devait commander jusqu’à ce que son fils eût l’âge du pouvoir ; mais celui qu’elle épouserait commanderait avec elle, et tous briguaient sa main. Comme un jour de conseil elle avait dit : « Mes frères, celui de vous qui m’apportera la tête de Ben-Mansour m’aura pour femme, » le soir même toute la jeunesse de la montagne, armée en guerre, la saluait en disant : « Demain, nous partons pour aller chercher ton présent de noces. — Et je pars avec vous, » répondit-elle.

Ould-Biska commandait la troupe. Pendant de longs jours et de longues nuits, ils marchèrent vers le nord, où s’étaient retirés les Chambas. Arrivés à dix lieues seulement de l’endroit du campement, ils se cachèrent, du soleil couchant au soleil levant, dans les ravins.

« La nuit suivante, ils reprirent la plaine au trot allongé de leurs maharis : à minuit, ils entendirent devant eux les aboiemens des chiens ; un moment après enfin, à la clarté des étoiles, quinze ou vingt tentes leur apparurent au pied d’un mamelon.

« Voici le douar de Ben-Mansour, dit au chef de la bande le chouaf (éclaireur) qui l’avait guidé. — Ould-Biska jette alirs le cri du signal, et tous les Touareug, en criant comme lui, s’élancent sur les tentes.

« Le sabre but du sang pendant une heure. De tous les Chambas, cinq ou six seulement, les plus heureux et les plus agiles, s’échappèrent ; encore Ould-Biska, d’un coup de lance, arrêta-t-il un des fuyards.

« Au jour levé, Fetoum fit fouiller les tentes bouleversées ; sous chacune, il y avait des cadavres : hommes, femmes, enfans, vieillards, elle en compte soixante-six. Par la grace de Dieu, un pauvre enfant de huit ou dix ans n’avait pas été massacré ; un Targui l’avait trouvé, sous une tente abattue, blotti entre deux outres en peau de chèvre ; il n’était point blessé, mais il était couvert de sang.

« — Connais-tu Ben-Mansour ? lui demanda Biska.

« — C’était mon père.

« — Où est-il ?

« — S’il est mort, il est là derrière ce buisson ; il m’emportait en fuyant, un de vous l’a frappé, nous sommes tombés ensemble.

« Tout ce sang est de lui, ajoutait-il en pleurant, et sa main soulevait son burnous ensanglanté.

« Fetoum, c’est moi qui l’ai tué, s’écria Biska. Mes frères, ajouta-t-il ensuite en s’adressant aux Touareug qui se pressaient autour de Fetoum ; cette nuit nous a fait de grands ennemis, épargnons cet enfant ; une générosité en appelle une autre.

« Au même instant, deux Soukmaren (fraction des Touareug) arrivèrent apportant le corps de Ben-Mansour, l’un par les pieds, l’autre par la tête ; la foule s’ouvrit devant eux pour leur donner passage, et se resserra bientôt plus pressée pour voir le cadavre qu’ils avaient déposé sur le sable devant Fetoum. C’était un homme de race, tout-à-fait blanc ; la lance d’Ould-Biska l’avait frappé dans le dos et était sortie par la poitrine.

« Fetoum immobile, mais les lèvres contractées, le regardait avidement.

« — Ould-Biska, dit-elle, je suis à toi comme je l’ai promis, mais prends ton poignard, finis d’ouvrir le corps du maudit, arraches-en le cœur et jette-le à nos lévriers. — Et il fut fait comme elle avait ordonné ; les chiens des Touareug ont mangé le cœur du chef des Chambas. »

C’est à l’aide des chameaux nommés maharis que les Touareug accomplissent ces admirables coups de main ; car, dit le proverbe :

Les richesses des gens du Tell, ce sont les grains,
Les richesses du Saharien, ce sont les moutons,
Les richesses des Touareug, ce sont les maharis.

« Le mahari[9] est beaucoup plus svelte dans ses formes que le chameau vulgaire ; il a les oreilles élégantes de la gazelle, la souple encolure de l’autruche, le ventre évidé du lévrier ; sa tête est sèche et gracieusement attachée à son cou ; ses yeux sont noirs et saillans ; ses lèvres, longues et fermes, cachent bien ses dents ; sa bosse est petite, mais la partie de sa poitrine qui doit porter à terre lorsqu’il s’accroupit est forte et protubérante ; le tronçon de sa queue est court ; ses membres, très secs dans leur partie inférieure, sont bien fournis de muscles à partir du jarret et du genou jusqu’au tronc, et la face plantaire de ses pieds n’est point large et n’est point empâtée ; enfin, ses crins sont rares sur l’encolure, et ses poils, toujours fauves, sont fins comme ceux de la gerboise. »

Le mahari supporte mieux que le chameau la faim et la soif. Le chameau crie à la douleur ; plus courageux, le mahari ne la trahit jamais et ne dénonce point à l’ennemi l’embuscade ; aussi la naissance et l’éducation de ces précieux animaux est-elle entourée des plus grands soins. Le jeune mahari a sa place dans la tente, les enfans jouent avec lui, il est de la famille ; l’habitude et la reconnaissance l’attachent à ses maîtres, dans lesquels il voit des amis. Au printemps, on coupe tous ses poils, et, de cette circonstance, il prend le nom de bouketaa (père du coupement). Pendant toute une année, il est libre et ne quitte qu’au printemps suivant, lorsqu’on le sèvre, le nom de bouketaa pour prendre celui de heug[10]. C’est alors que son éducation commence. On lui met un licou dont la longe vient en travers de ses pieds, et on le laisse entravé jusqu’à ce qu’il ait compris ce qu’on veut de lui, et qu’il reste un jour tout entier sans faire un mouvement à la place où l’aura mis son maître. Puis le heug est soumis à d’autres épreuves : on rive à sa narine droite un anneau de fer qu’il gardera jusqu’à sa mort ; cet anneau lui tient lieu de mors ; on y ajoute la rahhala, sorte de selle dont l’assiette est concave, le dossier large et haut, le pommeau élevé, mais échancré de la base à son sommet. Le cavalier est assis dans la rahhala comme dans une tasse, le dos appuyé, les jambes croisées sur le cou du mahari et assurées par leur pression même dans les échancrures du pommeau. Le moindre mouvement sur la narine imprime à l’animal une douleur si vive, qu’il obéit passivement ; il oblique à gauche, il oblique à droite ; il recule, il avance, et s’il est tenté par un buisson et qu’il se baisse pour y toucher, une saccade, un peu rude l’oblige sur-le-champ à prendre une haute encolure ; enfin, lorsque le heug sait, s’arrêter, quelque vitesse qu’il ait prise, quand son cavalier tombe ou saute de la rahhala ; si le heug sait tracer un cercle étroit autour de la lance que le cavalier plante en terre et reprendre le galop dès qu’elle est enlevée, son éducation est complète, il peut servir aux courses ; ce n’est plus un heug, c’est un mahari. Telle est l’éducation de ces coursiers du désert, dont la rapidité merveilleuse, la sobriété, l’énergie et le courage rendent faciles ces entreprises que l’on traiterait de fables, si l’on ne savait que le mahari permet de les accomplir. C’est, comme nous le disions, la grande fortune des Touareug, dont la caravane traversait le territoire.

La marche était longue et pénible ; mais enfin l’on arriva au point culminant de la montagne. La caravane avait à ses pieds une pente abrupte et couverte de broussailles. Les yeux se perdaient vers le sud dans la plaine jaunâtre, aussi loin qu’ils pouvaient aller. « Alors, dit le narrateur arabe, pour la première fois je compris l’immensité de cette parole : Bénissez le Seigneur autant que les sables sont étendus. » Le lendemain, Ould-Biska faisait ses adieux à la caravane.

Après bien des marches encore dans des plaines sans fin, où l’œil exercé du pilote savait retrouver la route à ces signes qui échappent à tout autre, la troupe voyageuse atteignit ces montagnes qu’elle avait long-temps aperçues comme des points bleuâtres à l’horizon, ces montagnes habitées par les peuplades nègres, sentinelles avancées du Soudan. Là croît en abondance le hachich, dont l’ivresse se vend à Tunis et à Tripoli ; là se trouvent ces arbres semblables à nos peupliers, d’où découle la gomme blanche, — l’oum-el-nam (la mère du monde), espèce de figuier à essence résineuse que l’on brûle comme un parfum, et cet arbuste au large fruit, pilé dans un mortier, forme une pâte tenant lieu de beurre dans la cuisine des Arabes ; enfin le bjady, dont la feuille, pareille à celle du chou, donne un goût de citron aux alimens avec lequelques on la fait cuire.

L’on approchait d’Aguedez, la première grande ville du Soudan. La caravane ne fit que traverser cette ville, et il fallut bien des jours de marche encore pour atteindre Kachna, terme du voyage. Kachna est située dans une plaine marécageuse, traversée par une petite rivière et bien cultivée. De nombreuses plantes inconnues à l’Afrique du nord poussent dans cette plaine. Kachna est la capitale du royaume d’Haoussa, conquis depuis trente-cinq ans par les Foullanes, race blanche musulmane, qui impose à ces peuples sa religion et sa domination. À l’arrivée, l’hommage habituel fut rendu par les principaux de la caravane à Mohamed-Omar, qui commande à Kachna comme serki (lieutenant) du sultan Bellou, dont la résidence est Seketou.

« La maison d’Omar est immense ; des gardes veillaient le la porte, où vint les recevoir un intendant nommé Abouky-Euzerma.

« Dans la cour principale étaient enchaînés deux lions à crinière noire, mais faits au bruit sans doute ; largement nourris d’ailleurs, ils dormaient couchés à terre, la tête sur leurs pattes, et ne semblaient point les voir ; il en fut ainsi d’un éléphant libre et familier, auquel un esclave donnait à manger de l’herbe fraîche et des feuilles de maïs ; mais ils effrayèrent des autruches, qui partirent au galop en battant des ailes, et, par une porte latérale, gagnèrent le jardin.

« L’oukil les introduisit enfin dans une vaste salle appelée guidan-serki, c’est notre hakouma (salle de réception). Omar y était assis sur une estrade recouverte avec des tapis du Maroc et garnie de coussins en peaux tannées, bariolées de diverses couleurs.

« Sur les quatre faces, les murailles étaient ornées de peaux de lion et d’antilope, de dépouilles et d’oeufs d’autruche, d’arcs et de flèches, de larges sabres et de lances, d’instrumens de musique et de pièces d’étoffes écarlates ; çà et là des oiseaux divers étaient grossièrement peints en rouge, jaune et noir.

« De chaque côté de l’estrade, et au-dessous d’Omar, les chefs de son gouvernement et ses secrétaires étaient assis par terre sur des nattes ; tous avaient la tête nue et rasée ; le chef seul était coiffé d’une haute chechia rouge ; il était vêtu d’un ample pagne à larges manches, rayé bleu et blanc, recouvert par deux burnous, l’un bleu de ciel et l’autre rouge ; ses jambes étaient nues, et je pus remarquer qu’il n’avait point de culotte.

« Aux portes de l’hakouma de nombreux chaous et des esclaves noirs maintenaient les curieux, et la musique jouait dans la cour.

« Deux fois par jour les musiciens viennent ainsi lui faire honneur, et cet honneur est pour lui seul dans la ville. En abordant Omar, son intendant se courba respectueusement jusqu’à terre, fit le simulacre de ramasser un peu de poussière et de s’en couvrir la figure, et, se relevant, il lui baisa les mains. »

Pour les gens de la caravane, ils entrèrent avec dignité que des musulmans et des marabouts doivent garder, mais sans ôter leur chaussure et sans saluer autrement qu’en portant leur main droite à la hauteur de la poitrine. Cela n’empêcha pas le serki de faire grand accueil aux voyageurs, et, sur la demande de Cheggueun, il accorda la vente des marchandises, se réservant seulement l’achat des draps moyennant un esclave par coudée, et, comme il n’avait pas assez d’argent, c’est-à-dire assez d’esclaves, le grand tambour de guerre fut battu dans la ville, et l’armée du sultan partit en chasse. Un mois après, elle revenait, ramenant une multitude d’esclaves, et, comme le sultan allait au-devant d’elle, le chef des musiciens improvisa ce chant :

« De tous les sultans qui vivent sur la terre, aucun ne peut faire face à la poitrine. Tu es l’ami du courage et l’ami des chevaux.

« Point d’ennemi qui puisse éviter ta flèche ; tu es un enfant du bouclier, le maître de forces sans nombre.

« Le but, qui pour les autres est loin, est près de toi.

« Ce que tu demandes à l’est et à l’ouest est à tes pieds.

« Il n’est pas de terre où celui qui fuit puisse éviter ta lance.

« Celui qui se réfugie près de toi est sûr de trouver protection.

« Tu fais baigner les pieds de ton cheval dans les eaux du Dimbou.

« L’oiseau peut voler du matin à la nuit, il faut qu’il se repose dans ton empire. »

Ainsi, comme on le voit, au fond de l’Afrique, au royaume des nègres comme au royaume des blancs, les puissans, qu’ils soient rois ou peuples, trouvent toujours des flatteurs. Les esclaves attendaient l’acheteur ; ils furent choisis, et trois jours, selon l’usage, furent donnés pour les cas rédhibitoires. Avant ce temps, on peut rendre :

« Celui qui se coupe avec ses chevilles en marchant ;

« Celui dont le cordon ombilical, est trop exubérant ;

« Celui qui a les yeux ou les dents en mauvais état ;

« Celui qui se salit, comme un enfant, en dormant ;

« La négresse qui a le même défaut ou qui ronfle ;

« Celle ou celui qui a les cheveux courts et entortillés (la plique).

D’autres esclaves ne sont jamais achetés ; tels sont ceux d’une race particulière, anthropophage, ou ceux appelés Kabines, qui passent pour avoir la puissance d’absorber la santé d’un homme en le regardant, et de le faire mourir de consomption. Leurs cheveux, tressés en deux longues nattes de chaque côté de la tête, les font reconnaître.

Tous les achats étaient terminés. Partie au mois d’août, la caravane se trouvait à Kachna au mois d’avril : c’était l’époque du retour, et tous avaient hâte de se remettre en marche. Dans toute cette longue route, nous retrouvons toujours Cheggueun, le conseil de tous, le bouclier des faibles et l’appui des forts. La surveillance des Nègres était de chaque seconde. Jusqu’au milieu du grand désert, l’œil du maître ne pouvait se fermer sur ses esclaves sans craindre qu’ils ne cherchassent à s’enfuir tant ils redoutaient d’être dévorés. Par deux fois, il y en eut qui parvinrent à rompre leurs chaînes comme l’on traversait un pays montagneux, couvert de broussailles. Heureusement pour les propriétaires, la caravane avait avec elle des kiafats, ces gens merveilleux qui lisent les traces, les moindres signes : quelques grains de sable foulés leur suffisent pour reconnaître, à ce qu’ils prétendent, l’âge, le sexe ; ils vont même plus loin : ils soutiennent qu’à son pas seul ils distinguent la femme de la jeune fille. Quoi qu’il en soit, dans les marais comme à travers les broussailles, un brin d’herbe, une feuille froissée, leur servaient à retrouver les fugitifs, et, lorsque tous croyaient avoir fait fausse route, l’on retombait toujours, grace à eux, sur la piste.

Tout à coup, pendant une de ces chasses, les kiafats s’écrièrent : « Tenez-vous prêts, un lion est ici ! — Alors plus d’un regretta sa tente ; mais tous les fusils s’armèrent. — Les pas du lion suivent les pas des Nègres, ajoutèrent les kiafats ; soyons hommes, car il ne peut être bien loin… Groupés aussi serrés que possible, les voyageurs avancèrent en silence, le fusil haut, précédés par les kiafats, qui tout à coup se jetèrent en arrière. — Voyez ! dirent-ils. Un énorme lion dormait au pied d’un arbre, sur lequel se cachait un nègre ayant au pied, retenu par sa chaîne, son compagnon ou plutôt les restes de son compagnon à moitié dévoré. Les chameaux effrayés se sauvèrent d’abord, et quand on se glissa pied à terre jusqu’à lui, le lion avait disparu ; mais le nègre tout tremblant restait encore dans l’arbre. N’ayant pu rompre les chaînes, les esclaves n’en avaient pas moins poursuivi leur fuite. Attaqués par un lion, tous deux avaient cherché à se réfugier sur un arbre, et d’un bond l’animal affamé avait saisi le moins agile, qui, lâchant prise, était tombé la tête en bas, et avait été dévoré sous les yeux de son compagnon. Le lion alors s’était endormi. »

Ce ne fut pas la dernière aventure du retour, et il fallut la vieille expérience de Cheggueun pour guider jusqu’au port tous ces gens qu’il commandait en maître absolu, comme le capitaine à son bord, ainsi qu’il le disait lui-même.

Vous rappelez-vous cette symphonie si pleine de charme que vous avez entendue à Paris il y a quelques années ? L’Orient avec tous ses parfums, le désert et cette impression pleine de majestueuse grandeur qu’il inspire, semblaient avoir été transportés en ces notes harmonieuses. La curieuse relation rapportée par M. Daumas nous a fait retrouver ce même caractère primitif du pays, de l’Arabe et de sa nature. Le récit de Cheggueun a tout l’imprévu d’un roman, et lorsque l’on arrive à la dernière page, on se surprend à dire : « Quoi ! déjà ! Ce n’est pas qu’il ne renferme les plus savantes et les plus curieuses recherches sur le commerce, sur la traite des esclaves et l’esclavage chez Les musulmans ; mais ce qui domine surtout dans ce voyage, c’est la poésie du désert. On vit, avec Cheggueun, de la vie de l’Arabe voyageur ; on partage ses périls, ses souffrances et ses joies. Nous ne connaissons qu’une chanson saharienne qui retrace avec la même vérité cette vie nomade si chère aux tribus des hauts plateaux. Ces vers que le Saharien psalmodie dans ses longues marches sont comme un épilogue naturel au récit de Cheggueun, et ils rendront peut-être mieux que nous n’avons su le faire l’impression produite en nous par les naïves causeries du khrebir :

« L’Arabe nomade est campé dans une vaste plaine ;
Autour de lui rien ne trouble le silence,
Le jour, que le beuglement des chameaux,
La nuit, que le cri des chacals et de l’ange de la mort.
Sa maison est une pièce d’étoffe tendue
Avec des os piqués dans le sable.
Est-il malade, son remède est le mouvement ;
Veut-il se régaler et régaler ses hôtes,
Il va chasser l’autruche et la gazelle.
Les herbages que Dieu fait croître dans les champs
Sont les herbages de ses troupeaux.
Sous sa tente, il a près de lui son chien,
Qui l’avertit si le voleur approche ;
Il a sa femme, dont toute la parure
Est un collier de pièces de monnaie,
De grains de corail et de clous de girofle.
Il n’a pas d’autre parfum que celui du goudron
Et de la fiente musquée de la gazelle.
Et cependant ce musulman est heureux,
Il glorifie son sort et bénit le Créateur :
Le soleil est le foyer où je me chauffe,
Le clair de lune est mon flambeau ;
Les herbes de la terre sont mes richesses,
Le lait de mes chamelles est mon aliment,
La laine de mes moutons mon vêtement.
Je me couche où me surprend la nuit ;
Ma maison ne peut pas crouler,
Et je suis à l’abri des caprices du sultan.
Les sultans ont les caprices des enfans
Et les griffes du lion ; défiez-vous-en.
Je suis l’oiseau aux traces passagères ;
Il ne porte avec lui nulle provision ;
II n’ensemence pas, il ne récolte pas :
Dieu pourvoit à sa subsistance. »


PIERRE DE CASTELLANE.

  1. Les Arabes, pour rappeler le faucon qui tente de s’éloigner, jettent en l’air une peau de lièvre, en poussant un cri aigu pour attirer l’attention de l’oiseau-chasseur. Le faucon, qui croit le lièvre vivant se précipite avec une rapidité telle que souvent il touche la terre avant que l’appât soit retombé.
  2. Par un phénomène singulier, tous les jours d’été, vers cette heure, il s’élève un coup de vent et un orage à l’Abiot ; il dure environ deux heures.
  3. Le Sahara et le Grand Désert, itinéraire d’une caravane au pays des Nègres, par M. le colonel Daumas. – Paris, 1849, chez N. Chaix, rue Bergère, 20.
  4. De l’Égypte au Darfour, qui se trouve à peu près à la même hauteur du côté est de l’Afrique, il semble que le pays présente le même caractère. M. Théodore Pavie, dans cette Revue même, a donné une curieuse analyse du voyage au Darfour du Cheik-el-Tounsi. — Voyez la livraison du 1er janvier 1846.
  5. Etoffe de cotonnade fabriquée par les Nègres.
  6. Ville et marché du Touat, à trois cent quatre-vingts lieues de la côte.
  7. Les Arabes placent leurs cartouches dans l’intérieur de roseaux coupés.
  8. Il y en a un de cette race au Jardin des Plantes.
  9. Dans une course dans le sud, j’ai vu des maharis, et j’ai pu ainsi vérifier moi-même l’exactitude de cette description.
  10. Du verbe hakeuk : il a reconnu, il s’est assuré ; ce qui veut dire que le mahari de deux ans commence à être raisonnable.