Souvenirs de la Sicile/Avertissement

Impr. royale (p. i-viii).

AVERTISSEMENT.


Il ne serait jamais embarrassant de dire pourquoi l’on entreprend un voyage comme celui que je viens de faire en Sicile. Outre le desir de satisfaire une juste curiosité, la raison la plus naturelle peut-être se trouverait dans l’état actuel de la société. Cet état est malheureusement hostile ; la vie devient chaque jour plus épineuse ; c’est un travail malaisé que de vivre au milieu des hommes : il est donc permis de considérer un voyage comme une trève particulière conclue avec eux.

Le départ endort les aversions ; le retour les trouve souvent distraites de leur ancienne poursuite, et, par un juste emploi de leur temps, dirigeant ailleurs de nouvelles attaques.

Il serait plus difficile de justifier la publication d’un voyage fait dans un pays déjà bien connu, lorsqu’on a résolu de ne pas instruire le procès de ses prédécesseurs. Un grand nombre de voyageurs ont décrié cette île célèbre, et le succès de plusieurs de ces relations n’a jamais été contesté. Le silence que je veux garder au sujet des erreurs dans lesquelles les autres sont tombés, me fait espérer que celles que j’ai pu commettre trouveront quelque indulgence auprès de ceux qui écriront sur la Sicile après moi.

Spectateur des troubles et des divisions qui désolaient un des plus beaux pays de la terre, j’ai dû parler des circonstances politiques qui les avaient fait naître.

J’avais à peine entendu les premiers bruits sourds qui précédèrent l’éruption de cet autre volcan, que déjà, par une secousse rapide, l’État se trouvait ébranlé jusque dans ses fondemens.

Je me bornerai à rappeler quelques faits sans prétendre assigner les causes de la révolution napolitaine et les motifs de sa réaction sur la Sicile. S’il est rare de voir avec justesse, il est souvent difficile de décrire avec exactitude ce qu’on a vu. L’avantage d’avoir été témoin oculaire des événemens est compensé par les inconvéniens sans nombre que peut offrir le récit de ces mêmes événemens. Placé trop près du tableau, on a plus de peine à bien juger de l’effet qu’il produit ; et l’obligation d’observer vite entraîne souvent vers le tort involontaire de méconnaitre les causes, ou d’en présenter des résultats infidèles. Celui qui croit avoir bien regardé, se résout difficilement à faire la part du hasard, celle de l’esprit du siècle et de la force des choses : il court ainsi le risque de ne transmettre qu’une impression fausse ou superficielle. D’ailleurs, lorsqu’il s’agit du danger ou de l’utilité d’un changement politique opéré sous vos yeux, rien ne serait plus propre égarer votre jugement que l’insolence du parti victorieux, et le spectacle des persécutions endurées par ses adversaires. Enfin la meilleure excuse du peu de développement que je donne à cette portion de mon ouvrage, se trouve dans sa nature même : je n’écris qu’un journal, sans avoir la prétention de fournir des matériaux à l’histoire.

Ceux qui étudieront désormais le caractère de la nation sicilienne, le trouveront peut-être bien différent de ce qu’il paraît être d’après des relations faites avec exactitude, et de ce que j’en ai dit moi-même. La physionomie des peuples est changée par les révolutions, comme celle d’un individu est souvent altérée sans retour par une maladie. Quelquefois aussi, et les Grecs en offrent un mémorable exemple, des convulsions subites, une juste résistance, ennoblissent des traits que la servitude avait long-temps dégradés.

J’ai laissé à mes notes comme à mes croquis leur seul mérite, celui de la vérité. Il faut être bien habile pour ne pas gâter, en le terminant, ce que l’on a esquissé d’après nature.

Un éditeur éclairé, M. Osterwald de Neufchâtel, s’est chargé de la publication de tous les dessins que j’ai rapportés de la Sicile. Plusieurs livraisons de son grand ouvrage ont déjà paru : elles ont réuni tant de suffrages, leur exécution est si pure et si vraie, que je me contenterai de renvoyer à cet ouvrage, sans louer davantage cette belle entreprise.

Les origines, les époques, des nomenclatures, des recherches géologiques, enfin des généalogies depuis Saturne jusqu’au monarque actuel Ferdinand I.er, tout cela se trouve dans quelques ouvrages sur la Sicile, publiés par des Français depuis peu d’années. Parmi ces voyages, plusieurs me semblent instructifs.

L’ouvrage de Houel offre assez d’unité et d’exactitude. Les gravures anglaises publiées récemment, où l’art du burin est poussé à un si haut degré de perfection, ont peut-être le tort de rapetisser les sites, d’en détruire le caractère, et de transporter en Sicile la lumière douteuse, le ciel incertain de l’Écosse.

Un voyageur français n’a presque confié qu’à moi qu’il sortait du collège lorsqu’il est allé en Sicile ; en effet, son style a de la jeunesse et de la chaleur. Séduit par la naïveté de sa narration, je n’en ai senti qu’avec plus de regret qu’on ne pouvait être ni jeune ni naïf à volonté.

Si le lecteur veut bien s’unir à mes impressions et tolérer mes jours de tristesse, s’il daigne continuer à me suivre dans mes excursions, il verra peut-être que l’aspect d’un beau site, ou l’effet puissant d’un noble souvenir, parvient quelquefois à dissiper les nuages de mon imagination.

L’éditeur de l’ouvrage de l’abbé de Saint-Non, publié avec un si grand luxe, monument de l’infériorité des arts à cette époque, si l’on en excepte toutefois les planches de Després ; cet éditeur, dis-je, est loin d’être ingénu. Entraîné par une imagination brillante, il n’a rien vu comme un autre ; et je suis tellement comme un autre, que je n’ai rien vu comme lui.