Souvenirs de la Marquise de Créquy de 1710 à 1803/Tome 4/01

Garnier frères, libraires éditeurs (Tome 4p. 1-38).

SOUVENIRS


de la marquise


DE CRÉQUY


CHAPITRE PREMIER.


M. de Morfontaine et la rosière de Saint-Medard. – Le financier du Clusel. — La Duchesse de Mazarin. – Son portrait. — Une fête champêtre. – Une cascade au petit-lait. – Invasion de bestiaux dans une salle de bal. – Admonition d’un intendant à une vache. — La Reine Marie-Loséphine, alors Comtesse de Provence. – Gaieté de cette princesse en voyant cette scène. – La Comtesse de Créquy. — La famille Lejeune de la Furjonniëre. – M. Chérin. – Défaits sur les preuves de noblesse. –Procès généalogique. – La Marquise de Lhospital. — L’avocat, aujourd’hui Comte Siméon. — Procès des Mailly de Nesle contre les Mailly d’Haucourt. — La principauté d’Orange. — Fausse prétention des comtes de Nassau sur ce domaine. — Vers inédits de Boileau. — Procès pour une Ancolie, etc.

M. Le Pelletier de Morfontaine, intendant de Soissons, m’écrivit un jour pour m’avertir que le couronnement de la Rosière de Salency (où je lui avais promis d’aller présider) allait être retardé de quinze jours à trois semaines parce que la Rosière avait été saisie de la fièvre-tierce. Il me demandait si je ne voudrais pas lui faire envoyer du quinquina de la meilleure qualité.

Comme je ne savais ce que c’était que ce couronnement de la Rosière, et que je n’avais rien promis à M. de Morfontaine, je fis porter cette lettre à ma belle-fille qui n’avait jamais rien dit ni rien écrit à aucun intendant de Soissons, et qui n’avait jamais ouï parler, non plus que moi, de la Rosière de Salency. Ce magistrat passait pour un personnage extraordinaire ; mon fils ne douta pas que sa mémoire ou sa judiciaire ne fussent tout à fait détraquées, et c’était ce qu’on avait déjà ouï dire assez souvent. Quoi qu’il en fût, et comme l’adresse de sa lettre portait le titre de Comtesse au lieu du nôtre, j’imaginai que ceci pouvait résulter de quelque méprise de secrétariat, et je demandai que personne ne répondît à M. l’Intendant de la généralité de Soissons, avec qui je me réservai de nous en expliquer honnêtement.[1]}}.

Voilà Mme la Duchesse de Mazarin qui s’en mêle et qui me demande un jour comment il se fait que je ne veuille pas répondre aux lettres de son bon ami. Je lui dis je ne sais pas quoi, mais pas grand’chose, et voici Mme de Coislin qui se jette à la traverse en proférant des malédictions contre ce Morfontaine, qu’elle accusait de lui avoir fait perdre un procès. Ensuite elle en raconta des choses incroyablement ridicules, et cette grosse Mazarin se mit à pleurer, ce qui fut plus ridicule encore. De la part d’un homme, la plus forte preuve d’aversion, c’est le mépris ; de la part d’une femme, c’est le dénigrement. Damis dira de Cléon qu’il est un escroc, un poltron ; Armande en dira bien pis, suivant elle, c’est qu’il se teint les sourcils ou qu’il porte des bas pluchés. Puisque je vous parle aujourd’hui de Mme de Mazarin, je vous dirai comment et pourquoi c’était la plus étrange personne de France.

Louise de Durfort, Duchesse héritière de Mazarin, de Réthellois, de Mayenne et de la Meilleraye, Princesse de Porcéan, Marquise de Chilly, Palatine de Brie (la française) — vous voyez que c’était une assez grande dame — était régulièrement belle et parfaitement bonne, opulente, obligeante et magnifiquement généreuse ; mais tout ceci n’empêchait pas qu’elle ne fût complètement ridicule. À certaine distance, on avait de la peine à s’en expliquer le pourquoi, mais, en y voyant de plus proche, on trouvait que c’était à cause de la légèreté de sa conduite coquette ou galante (je n’ai pas besoin de vous dire lequel des deux) tant il est vrai que la galanterie ne sied pas également bien à tout le monde et que l’amour enlaidit ceux qu’il n’embellit pas. Cette pauvre femme ne pouvait jamais rien faire et ne pouvait presque rien dire sans que tout le monde se moquât d’elle ; et quand ses parens ou ses amis (car elle en avait) entreprenaient de la guider pour une affaire de famille ou dans une occasion d’apparat, il y survenait toujours des accidens si dérisoires et tellement à part de sa bonne volonté, que c’était comme l’effet d’un sortilége qu’on aurait jeté sur elle. La vieille Duchesse de Lorges était sa marraine, et Monsieur ne l’appelait à cause de cela que la Fée Guignon[2].

Si Mme de Mazarin voulait donner un grand concert avec un beau souper, savez-vous ce qu’il arrivait ? C’est que le chef d’orchestre se cassait la jambe et que le feu prenait à la cuisine. Quand elle donnait une soirée de proverbes au Roi de Danemarck, par exemple, on y voyait Arlequin qui faisait mille grimaces et disait mille sottises pour éviter de se faire ôter une dent, et ceci se trouvait tout justement la représentation de ce que le Roi de Danemarck avait fait dans la matinée, ce qui mettait toute la suite de S. M. Danoise, et surtout le Duc de Duras, frère de Mme de Mazarin, dans un embarras mortel.

On n’oubliera jamais une certaine fête qu’elle avait donnée pour Madame, Comtesse de Provence, et Mme la Comtesse d’Artois, à l’occasion du mariage de ces deux Princesses. C’était une fête champêtre, et c’était dans son hôtel à Paris. Elle avait eu l’excellente idée d’y faire venir une quarantaine de danseuses de l’Opéra qu’elle avait fait ajuster en bergères et qui devaient danser derrière une immense glace dont on avait enlevé l’étain, et qu’on avait fait descendre jusqu’au niveau du parquet de la galerie pour qu’il n’en fût rien perdu. La grande salle où devaient figurer lesdites bergères était bien peinte en perspective d’un joli paysage et tout ombragée par de hauts citronniers et de grands orangers, dont on avait enfoncé les caisses au-dessous du parquet, lequel était couvert de mousse, avec de petits sentiers garnis de fleurs. En outre, Servandoni avait imaginé d’y mettre une cascade, et l’eau qu’on y voyait couler était mêlée de lait de beurre (précaution, nous disait-il indispensable quand on veut faire jouer des eaux à la clarté des bougies, attendu qu’on n’en verrait presque rien sans cela). Toujours est-il que Servandoni n’a jamais fait décoration plus naturelle et plus charmante, et toujours est-il que les préparatifs de cette fête avaient coûté 80,000 francs.

Mme de Mazarin, qui voulait ménager une agréable surprise à leurs Altesses Royales, avait fait arriver de sa terre de Chilly, qui n’est qu’à sept ou huit lieues du quai Malaquais, un troupeau de moutons avec un chien de berger, et, qui plus est, une génisse qui passait dans son pays pour être la douceur même. Il avait été convenu qu’on ferait défiler tranquillement tout ce bétail, en bon ordre, et, derrière la glace avant de commencer les danses pastorales, et c’était pour animer le paysage de Servandoni en lui donnant un air de rusticité plus ingénu. Mais au lieu de rester à la place qu’on lui avait assignée, c’est-à-dire à la queue des derniers moutons, comme étant la plus curieuse et la plus belle pièce de la bucolique, voilà cette génisse qui perd la tête comme une grosse sotte, qui se met à bousculer les brebis avec leurs agneaux et qui s’en vient donner à front cornu dans cette glace sans tain, qu’elle fait sauter en mille éclats. Les moutons la suivent et se précipitent par la même brèche ; le chien s’en mêle et se met à les pourchasser dans toute la longueur et dans tous les coins de cette galerie dorée et jusque sous nos belles robes, où les moutons venaient s’engouffrer, tandis que le chien s’introduisait brutalement entre nous et les moutons pour les rassembler et les réunir en bercail. Il aboyait comme un diable, et la génisse allait toujours galopant d’un bout à l’autre de la galerie, en renversant ou bouleversant tout ce qui se trouvait à sa portée. Toutes les femmes étaient grimpées sur les banquettes, à l’exception de M. de la Vallière et moi, qui restâmes courageusement à nos places et qui n’eûmes pas à nous en repentir, car cette effarée ne nous approcha pas. Je me souviens que Madame et sa sœur en riaient à se trouver mal, tandis que leur cousine de Lamballe s’était fait asseoir sur une cheminée, où elle faisait des cris comme un paon juché sur un mur. Ce qui’nous divertissait le plus, mon fils et moi, c’était d’abord l’idée de cette belle recherche et cette exquise délicatesse de Mme de Mazarin, qui n’avait pas voulu que des danseuses fussent admises à figurer chez elle devant les jeunes princesses ni qu’elles s’y trouvassent au plain-pied sur le même sol que nous, à moins d’en être séparées par une glace sans tain, tandis que, pour éviter un pareil inconvénient, c’était avec des bestiaux et un chien de basse-cour que nous nous trouvions en privauté si familière. Mais ce qui nous faisait le plus rire, c’étaient les singulières injures et les étranges reproches que M. de Morfontaine adressait à cette jeune vache, qu’il allait apostropher en disant qu’elle était une effrontée, une insolente, une hypocrite, et qu’au lieu de la reconduire à Chilly, comme elle s’en flattait sans aucun doute, on allait l’envoyer, pieds et poings liés, à la boucherie banale de Mme la Duchesse, à Brie-Comte-Robert !

Il fallut abandonner la place à toutes ces bêtes éblouies et ahuries, et l’on s’en alla souper tant bien que mal. Il se trouva que les rôtis de la deuxième table avaient été renversés sur l’escalier, de sorte que votre père fut obligé de souper avec des ragoûts.

Quelques jours après la réception de cette lettre où l’intendant de Soissons me parlait d’aller couronner sa Rosière, j’en reçus une autre de la Csse Soucy, sous-gouvernante des Enfans de France, qui me proposait d’aller présenter à Versailles Mme sa fille, la Comtesse de Créquy, laquelle ne voulait s’adresser à ma belle-fille que sur mon refus, en cas d’empêchement.

Je fis répondre à Mme de Soucy que j’étais malade, et que je n’avais jamais connu d’autre Comtesse de Créquy que Mme de Créquy-Canaples, laquelle avait été présentée avant son mariage et mariée dans le cabinet du Roi, par la raison qu’elle était née Princesse de Rohan ; je lui fis dire que votre père et ses deux enfans étaient les dernières et les seules personnes de leur maison que mon fils était parti pour Angers, où le régiment de son nom tenait quartier, mais que j’allais lui faire parvenir cette lettre ; enfin j’eus soin d’ajouter que ma belle-fille était trop bien informée pour oser présenter personne à Versailles avant d’en avoir obtenu l’autorisation de son mari.

Il faut vous dire que le mari de cette prétendue Comtesse de Créquy était un gentilhomme angevin dont le nom de famille était Lejeune de la Furjonnière, et que mon fils en avait déjà ouï parler sourdement en arrivant à Angers ; je crois même qu’il avait déjà fait gratter avec un couteau par un de ses gens, les armes de Créquy que ses valets avaient aperçues sur une chaise de poste dans la boutique ou sous la remise d’un carrossier. Je ne me rappelle pas trop bien si c’était dans cette capitale ou dans une autre ville de l’Anjou ; mais toujours est-il que votre père avait ordonné cette belle exécution-là dans cette même province, et qu’il avait fait assister son homme armé du grattoir par un piquet de cavalerie. Mon fils avait d’abord eu dans la pensée que cette usurpation vaniteuse pourrait être provenue du Chevalier de Créquy, fils naturel du Comte de Canaples, et dont les armes devaient être formées d’un créquier diffamé, c’est-à-dire écimé pour brisure et en signe de bâtardise ; mais le Chevalier était dans les Antilles, à la tête du régiment de Ponthieu, dont il était colonel, et mon fils revint le plus tôt possible à Paris pour y faire poursuivre ce M. Lejeune en usurpation de nom, de titre et d’armoiries.

Je fis prier Chérin de passer chez moi pour avoir une idée préliminaire de cette famille. — Hélas ! dit-il, ce sont des gens de bonne condition et de très bonne foi. Il paraît que c’est un de leurs grands oncles, un vieux Chevalier de Malte, qui leur avait mis dans la tête qu’ils devaient être sortis originairement de la maison de Créquy parce que leurs armes sont un créquier. Ils en doutaient si peu qu’ils m’ont apporté leurs titres de famille afin d’en dresser leurs preuves, et pour obtenir mon certificat comportant leur droit aux honneurs de la cour ; mais ils ne sauraient être dans le cas de la présentation, parce que leur noblesse ne remonte qu’à l’année 1499 ; il leur manque tout juste cent ans pour être admis dans les carrosses du Roi. Ces innocens provinciaux sont venus se présenter à la gueule du loup, car vous pensez bien que je me laisserais plutôt couper le poignet que de leur signer un certificat et de laisser procéder à leur présentation. S’ils se doutaient de ce que j’ai vu dans leurs papiers… — Mais qu’est-ce à dire, Chérin ? — Madame, je ne vous en dirai pas davantage, étant lié par le devoir de mon office et retenu par la foi du serment ; mais Monsieur le Marquis de Créquy peut être assuré que ces gentilshommes d’Anjou ne sont aucunement de sa maison. Je leur ai conseillé de ne pas s’opiniâtrer dans une prétention que je trouve absurde ! Si la chose arrive en justice et qu’elle aboutisse à l’audience, ils auront à s’en repentir ; et voilà tout ce que j’en puis dire aujourd’hui.

Je supposai que Chérin avait découvert quelque trace de réhabilitation, ou peut-être même un acte d’anoblissement pour cette famille, ce qui la rejetterait à tout jamais à l’écart et à cent lieues de ce qu’on appelle gens de bonne maison ; car vous savez bien que la première et principale condition de toute véritable noblesse est de n’avoir aucune origine connue (ceci pour être censé remonter jusqu’aux temps héroïques du moyen âge et ce qu’il est convenu d’appeler la nuit des temps). Ce principe de noblesse indépendante est resté si bien imprimé dans les vieilles idées et les habitudes françaises que l’essentiel est toujours ici, pour une famille noble, de ne pas se trouver classée parmi les anoblies. C’est une position qu’on n’accepte jamais sans quelque violence ; aussi poursuit-on presque toujours des lettres de réhabilitation quand on a commencé par solliciter et finit par obtenir des lettres d’anoblissement. J’ai su que la famille des anciens Séguier, qui n’existe plus, avait détruit le premier acte de ses priviléges, aimant mieux perdre un demi-siècle d’antiquité plutôt que d’avouer qu’elle devait sa noblesse à autre chose qu’à la grâce de Dieu. La vérité pure est que les anciens Séguier descendaient d’un valet de chapelle du roi Louis XI. Je n’ai rien à dire de ces nouveaux Séguier, qui sont des Gascons, sinon qu’en arrivant à Paris ils ont pris les armes des autres, qui sont un mouton blanc. Ils n’osaient pas dire alors qu’ils fussent parens du Chancelier, et la fille de ce grand magistrat, Mme Charlotte Séguier, Duchesse de Bourbon Verneuil et Duchesse douairière de Sully, ne l’aurait certainement pas souffert.

Savez-vous bien que c’était une importante et imposante figure que celle de M. Chérin ! On ne saura pas dans la postérité ce que c’était à nos yeux que Messire Bernard Chérin, Écuyer, Généalogiste de la Maison, du Roi, de la Cour de France et de l’Ordre du Saint-Esprit, comme aussi des grandes et petites Écuries de S. M. C’était la sévérité dans la probité, la discrétion dans la pénétration ; c’était la science et la conscience infaillibles. Préposé qu’il était à la garde de l’Œil-de-Bœuf, on aurait dit que c’était les barrières du Louvre et qu’il y veillait, inévitable et impénétrable comme la mort. Il avait le secret de plusieurs familles, qu’il ne trahissait jamais par aucune parole, aucun geste, aucun air de physionomie. On n’a pas idée de tous les égards et tous les airs de tendresse que lui prodiguaient Messieurs de Coigny et de Vaudreuil ; mais les Caraman n’osaient pas le saluer trop bas ni le courtiser trop visiblement, de peur de manifester trop d’inquiétude et de laisser voir un trop long bout de leur grande oreille. Enfin c’était un censeur impitoyable, un juge incorruptible, un magistrat non-seulement propre à siéger sur les fleurs de lis, ce qui n’est pas si rare et ne dirait pas assez, mais digne de s’asseoir aux pieds du crucifix, à côté des Lhopital et des Brisson ! Comme on ne sait ce qui peut arriver au train dont on y va pour les titulatures et les présentations, il ne sera pas hors de propos de vous parler ici du droit nobiliaire établi sur nos anciennes coutumes et, comme il est impossible de ne pas finir par ordonner la fermeture d’un pareil volume il est bon d’y mettre le sinet.

On n’était présenté jadis à la Cour de France que lorsqu’on avait un rang supérieur héréditaire, ou lorsqu’on avait des parens qui fussent honorés de la familiarité du Roi, soit à raison de leurs fonctions, soit par suite de la faveur ou de la bonté particulière de S. M. mais lorsque la ruine de la noblesse fancaise fut à peu près consommée, tout le monde voulut se rapprocher de la source des grâces, et les requêtes en présentation devinrent si générales, et parfois si ridicules, qu’on fut obligé de prendre un parti pour les restreindre en les régularisant.

Le moyen dont on s’avisa fut celui d’exiger des preuves de noblesse qui dateraient de l’année 1399, c’est-à-dire d’une époque antérieure à celle du premier anoblissement dont on ait mémoire et dont il existe des traces. On a toujours dit que c’était la famille de Rouault de Gamaches qui avait été anoblie en 1400 pour services rendus à la Couronne dans la charge de Grand-Argentier de France ou ministre des finances, autrement dit. Il fut arrêté que les preuves seraient établies, comme celles des grands chapitres et autres bénéfices nobles, sur quatre titres originaux par chaque degré de filiation ; et dans les derniers temps c’était M. Chérin, généalogiste de la Cour et des ordres du Roi, qui jugeait souverainement lesdites preuves, qu’il admettait ou rejetait avec une intégrité qui ne s’est jamais démentie et sur laquelle on n’a jamais entendu s’élever le moindre soupçon. On l’accusait au contraire d’une rigueur inflexible et d’une sévérité fort impolitique. Je vous demande un peu si la politique est en droit d’intervenir dans les honneurs de la Cour ! Quoi qu’il en soit à l’égard de la politique, on peut être assuré que toutes les familles qui sont en possession d’un certificat dudit M. Chérin constatant qu’il a vérifié et admis leurs preuves de noblesse afin d’être présentées à Leurs Majestés, on peut être assuré que lesdites familles, au nombre de 94, sont d’une antiquité contemporaine aux premiers âges de la monarchie française, et que leur noblesse, sans origine connue n’est pas moins ancienne et moins vénérable que celle de la race salique, c’est-à-dire la plus noble et la première famille de l’univers.

Cependant plusieurs de ces anciennes familles avaient perdu la plus grande partie de leur patrimoine ; et certes on n’en sera pas surpris en observant, l’histoire à la main, que la noblesse française a fait la guerre à ses dépens pendant plus de huit siècles, le service militaire n’ayant cessé d’être onéreux et ruineux pour les gentilshommes de notre pays que lorsque le Roi Louis XIII organisa pour la première fois une armée française, d’après le nouveau système indiqué par le Cardinal de Richelieu. Plusieurs de ces familles en étaient donc réduites à quelques débris de leurs anciens domaines, dont le morcellement datait quelquefois de l’époque des croisades, c’est-à-dire qu’il datait de plusieurs siècles avant la coutume d’ériger des terres titrées, ce qui faisait que plusieurs de ces familles n’étaient restées en possession d’aucune autre qualification nobiliaire que celles de Chevalier et de Haut et Puissant Seigneur. Pour le bon air et la décoration de la cour de France, il fut trouvé convenable de permettre à tous les nobles qui pourraient fournir les preuves de 1399 de prendre et porter un titre féodal, tel que Marquis, Comte, Vicomte ou Baron, c’est-à-dire un titre quelconque, à la réserve de celui de Duc et de celui de Prince, que le Roi s’était réservé de conférer exclusivement ou d’approuver. Il en fut ainsi dans l’état militaire, et le Roi faisait toujours donner un titre à l’officier supérieur de ses armées auquel il accordait le grade de Colonel. On s’informait quelquefois de celui qu’il désirait porter avant d’en faire signer le brevet par S. M. Mais il est à considérer que ces sortes de qualifications purement personnelles ne donnaient aucune sorte de privilége ni de supériorité sur les autres nobles, soit dans les assemblées de la noblesse ou dans celles des états provinciaux ; les parlemens ne les admettaient jamais dans les procès, parce qu’ils ne les avaient ni vérifiées ni enregistrées, et les possesseurs de domaines titrés n’en restaient pas moins, à l’égard de ces Marquis ou Comtes à brevet, dans la pleine et paisible possession du rang et de la prééminence qui leur appartenaient en vertu des lettres-patentes enregistrées dans la cour souveraine de la province où se trouvait leur terre qualifiée.

Il ne faut pas croire que nos Rois puissent créer à volonté des duchés, des marquisats ou des comtés héréditaires ; les ordonnances prescrivent indispensablement certaines conditions territoriales et féodales, inhérentes à la nature d’un domaine, difficiles à réunir et très indépendantes de la faveur ou de la volonté royale, qui n’y peuvent rien changer. Par exemple, on ne saurait asseoir un titre de duché que sur la possession d’un domaine composé d’une ville, de douze châtellenies et de vingt-huit seigneuries paroissiales, tenues en franchise, avec arrière-fiefs, et ayant droit de haute, moyenne et basse justice. Il faut aussi que le revenu de la totalité de ce grand domaine équivaille à huit mille écus du temps de la minorité de François II (au marc le franc). Il est arrivé pour Messieurs d’Arpajon que le Parlement de Toulouse a refusé l’enregistrement des lettres d’érection pour leur duché, parce qu’il y manquait une seigneurie de paroisse. Quant à l’érection d’une terre en marquisat, je vous dirai qu’on ne saurait créer un Marquis héréditaire, à moins qu’il ne soit en possession d’un domaine substitué qui réunisse deux baronnies et six châtellenies, mouvantes de la tour du Louvre et tenues du Roi à un seul hommage. Un comté doit être formé d’une baronnie et de trois châtellenies, ou bien de six châtellenies d’une seule tenue. Les conditions pour établir un vicomté varient suivant les provinces ; mais il est assez connu que toute châtellenie doit avoir le droit de haute justice avec domination sur un ou deux arrière-fiefs. Il n’existe pas en France une seule baronnie qui ne soit composée de trois châtellenies incorporées ensemble, et, pour en ériger suivant l’ordonnance, il est indispensable encore aujourd’hui qu’il s’y trouve au moins trois clochers, autrement dit seigneuries paroissiales, et qu’elles soient aussi d’une seule tenue. Ceci n’est pas toujours praticable, à moins de s’y prendre long-temps à l’avance, et quelquefois cinq ou six générations durant. Il en est ainsi pour l’érection d’une simple seigneurie de paroisse en châtellenie ; il faut d’abord qu’elle domine au moins deux autres seigneuries vassales ; ensuite il faut qu’elle soit pourvue de la haute justice avec certains droits utiles, honorifiques et de prééminence ; enfin, il est indispensablement nécessaire d’y réunir les deux clochers les plus voisins, ce qu’il est souvent impossible d’obtenir à prix d’argent. Vous voyez donc bien que pour créer de véritables Marquis, ou des Comtes et des Barons français, il faut encore autre chose que la faveur et la volonté du Roi, c’est-à-dire qu’il faut du temps, de la persévérance, une grande étendue de domaine seigneurial, et par conséquent un grand patronage établi sur une grande fortune territoriale[3].

Il était résulté de cette dernière règle, pour la présentation, que parmi les Ducs et Pairs il se trouvait trois gentilshommes qui n’auraient pu faire les preuves de 1399. Ensuite il arrivait que des personnages en faveur obtenaient de S. M. des ordres de présentation malgré le refus et la déclaration signés par l’incorruptible Chérin. Mais celui-ci ne manquait jamais de porter sur son registre que telles et telles présentations n’avaient eu lieu que par ordre, et la situation nobiliaire des anciennes maisons qui pouvaient satisfaire aux preuves exigées n’en restait pas moins la même à l’égard de ces familles parvenues.

Aujourd’hui la cérémonie de la présentation pour les Seigneurs est une opération des plus simples. Le premier gentilhomme de service vous nomme au Roi, en vous donnant la qualification qui se trouve portée dans le certificat de M. Chérin. S. M. vous fait un signe de tête, et quelquefois vous dit un mot sur vos parens, lorsqu’ils ont eu l’honneur d’être connus d’elle ; ensuite vous la suivez à la chasse ; et voilà ce qu’on appelle monter dans les carrosses du Roi. Vous retournez faire votre cour aussi souvent que bon vous semble ; et ceci ne vous mène pas toujours à grand’chose.

La présentation pour les Dames avait lieu jadis avec plus de cérémonies et d’apparat. Après en avoir reçu l’ordre de Sa Majesté, qu’on avait fait prévenir des noms de la dame présentante et de ses deux adjointes, qui devaient toujours être des femmes de la Cour, on arrivait à la porte du grand cabinet, en grand habit, c’est-à-dire un bas de robe étalé sur un panier de quatre aunes et demie, un long manteau qui s’agrafait à la ceinture, un corset assorti, des barbes tombantes, un pied de rouge et la coiffure à la mode du temps. Il est inutile d’ajouter qu’on avait fait choix des étoffes les plus magnifiques et qu’on avait mis tout autant de diamans qu’on avait pu s’en procurer. Le Roi ne parlait pas toujours depuis que c’était Louis XVI, mais il faisait toujours un bon signe de véritable amitié paternelle ; ensuite il embrassait la dame présentée, d’un seul côté quand c’était une simple femme de qualité, et sur les deux joues quand elle était Duchesse ou Grande d’Espagne, ou bien aussi quand elle portait le nom d’une de ces familles qui sont en possession héréditaire des honneurs du Louvre avec le titre de Cousin du Roi. On s’est toujours souvenu que, dans sa jeunesse, le Roi Louis XVI appuya de si bon cœur en embrassant la Marquise de Pracontal, qui était fort jolie, très dévote et très timide, que la pauvre femme en resta dans un embarras prodigieux. Il allait recommencer de l’autre côté lorsque le Duc d’Aumont, qui était de service, se précipita entre le monarque et la jeune dame en s’écriant qu’elle n’était pas Duchesse ! ce qui fit rire tout le monde, à commencer par ce bon Roi.

On allait ensuite chez la Reine, devant laquelle on s’inclinait assez profondément pour avoir l’air de s’agenouiller, afin de prendre le bas de sa robe ; mais Sa Majesté ne laissait jamais la dame présentée le porter jusqu’à ses lèvres ; et la Reine Marie-Antoinette avait toujours l’attention de faire retomber sa robe au moyen d’un léger coup d’éventail. Il est impossible d’exprimer et de se représenter quelle était alors sa physionomie de bienveillance noble et sa dextérité gracieuse. On s’asseyait un moment devant Sa Majesté, mais seulement quand on était Duchesse ou Grande d’Espagne, et c’est là ce qui s’appelait bourgeoisement avoir tabouret chez la Reine ; ensuite on s’en allait à reculons comme on pouvait, en tâchant de ne pas s’entortiller les pieds dans son manteau qui traînait de huit aunes, et finalement on allait se faire présenter à tous les autres princes et princesses de la famille royale, qui vous attendaient poliment à tour de rôle et qui vous recevaient avec une bienveillance adorable.

Pour en revenir aux Lejeune de la Furjonnière (car cette famille nous avait fourni subitement un Comte, un Vicomte, un Abbé de Créquy et je ne sais combien de Chevaliers de Créquy), il fallut débuter par les faire citer devant le Juge d’armes de la Noblesse de France, M. le Président d’Hozier de Sérigny, lequel est encore aujourd’hui chargé de la garde et la tenue des armoirial et nobiliaire généraux. Je n’ai point de mal à dire de lui, mais il n’avait pas la réputation d’être inflexible autant que Chérin. On a vérifié dans ses registres que les armes de cette famille Lejeune avaient toujours été formées d’un créquier à sept branches lancées en pal aiguisé, tout comme le vôtre ; mais cette unique pièce de leur écu n’était pas de gueules en champ d’or, elle était d’or en champ de gueules, et non pas arrachée, mais tranchée : prenez bien garde à ceci ! Votre père et Mme votre mère étaient confondus d’une pareille énormité ; mais ils furent obligés de s’y résigner parce que la chose avait eu lieu pendant trois cent quarante ans sans contestation et sans interruption connue. — Mon Dieu, mon Dieu ! la même pièce héraldique que nous avec les mêmes couleurs que nous ! C’est-il possible et c’est-il permis ! s’écriait ma belle-fille en gémissant. Il me semble que si le créquier de ces Lejeune avait été d’argent sur un fond noir, ou s’il avait eu la tête en bas, j’en aurais pris mon parti. — Allons donc, Marquise ! un créquier la tête en bas, répondait mon fils, c’est une idée qui me paraît atroce ; il me semble que je me verrais pendu par les pieds.

En fait de sensibilité sur le fait des armoiries, il faut que je vous parle de la Marquise de Lhospital (Élisabeth de Boullogne. Elle était fille du Contrôleur-général et non pas du Boullogne des parties casuelles). Elle ne pouvait séparer l’idée d’une personne de celle de ses armoiries. — Mlle de Goulaine n’est pas belle et n’est pas riche, me dit-elle un jour, mais en revanche elle apporte ses armes en dot, et quelles armes ! Le droit de les porter vaut au moins de quatre à cinq millions ; je n’en dis pas trop !… Vous serez un peu moins surpris lorsque vous saurez que ces armes de la maison de Goulaine sont mi-parties de France et d’Angleterre, par concession de ces deux couronnes, en suite et récompense d’un arbitrage entre elles et d’un traité de paix qui furent conclus et signés par un Sire de Goulaine en 1323. Les héritiers de cet illustre négociateur sont au nombre de ces nobles gens qui vivent dans leurs terres et qui ne reviennent jamais à Versailles après la cérémonie de leur présentation. On trouve dans toutes nos provinces, et surtout en Bretagne, une foule de gens de bonne maison plus généreux que vaniteux et plus fiers que riches, lesquels entrent au service du Roi dès l’âge de seize ans, pour se retirer avec le grade de capitaine aussitôt qu’ils ont gagné la croix de Saint-Louis. On dirait que cette croix de Saint-Louis est le mobile de leur existence, le complément de la vie sociale et l’une des quatre fins théologales du gentilhomme ! On ne dira certainement pas que la plupart des gentilshommes français soient onéreux à l’État, ni qu’ils soient exigeans pour la Couronne. Cette érection de l’ordre de Saint-Louis fut une création des plus hautement politiques, et c’est encore une conception des plus économiques : c’est-à-dire économique à la manière de Louis XIV et du grand Colbert, avec un solide et fécond noyau de noblesse et d’honneur au fond de la pensée. En bonne politique, il ne suffit pas d’instituer un ordre et d’en distribuer les croix ; l’essentiel est de les bien placer pour les faire reluire : Mais retournons à notre Marquise écussonnière.

Imaginez qu’elle avait refusé d’épouser le Comte de Choiseul, aîné de sa maison, Gouverneur du Dauphiné et notre Ambassadeur à Vienne, uniquement parce que les armes du Comte étaient en champ d’azur et qu’elle avait l’horreur de tous les blasons qui peuvent se trouver sur un fond bleu (les fleurs de lis d’or exceptées). La raison qu’elle en donnait, c’est que le champ des siennes était d’un pareil émail, et que cela ne pouvait jamais produire un bon effet pour des armoiries de communauté, où les deux écussons des mariés doivent se trouver accolés en trophée d’alliance. Elle ne tarissait et n’en finissait pas sur tous les beaux motifs de sa détermination. Il y avait bien dans les armes de Lhospital une pièce qui ne lui plaisait guère, et c’était un coq, autant qu’il m’en souvient ; mais, comme les armes de Lhospital sont écartelées de celles de Narbonne et que le rouge y domine, voilà ce qui l’avait décidée pour monsieur son mari, qui du reste était bien éloigné d’être aussi grand seigneur, aussi riche, aussi bon sujet, aussi jeune, aussi bien fait, et surtout d’une aussi bonne santé que le Comte de Choiseul, avec sa funeste croix d’or en champ d’azur. On n’aurait jamais supposé que l’obligation de porter ces belles armes aurait pu lui faire manquer un mariage. « J’ai toujours éprouvé, nous disait-elle, une aversion décidée pour les hommes de qualité qui n’ont pas de jolies armes ou dont le nom de famille a quelque chose de mesquin ; mais les gentilshommes à fond bleu sont à la tête de ma catégorie de proscription. Étant riche héritière et des plus recherchées, ma première information a toujours porté sur les armoiries de mes prétendans et sur le véritable nom de leur famille. Je n’aurais pas épousé M. de Lhospital s’il avait eu des armes à petites pièces, ou si son nom patronymique avait eu l’air bourgeois, eût-il été Maréchal de France et Duc de Vitry, comme son grand-père ! J’avais juré de ne jamais épouser un homme dont les armoiries fussent en champ d’azur ; je l’avais juré par le Styx, et c’est un serment sacré ! » Belle parole d’honneur en Olympe, et serment bien formidable en effet, quand il a été proféré chez les Ursulines de Chaillot ! Elle aimait naturellement les beaux Messieurs, mais c’était à condition que leur blason n’eût rien de vulgaire et que leur nom parût grandiose ; il y avait dans son cœur de marquise et de femme galante une étrange fibre en irritation. — Voyez donc le jeune Marquis de Grancey, comme il est beau ! — Fi donc ! répondait-elle, il a des armes affreuses, des armes à fond bleu, c’est tout dire ! avec un tas de petites pièces comme un anobli par l’Hôtel-de-Ville ; et puis il a nom Rouxel, et c’est horrible à penser !… Comment peut-on s’appeler Rouxel ?

Je puis vous dire, au surplus, que j’ai connu deux filles de qualité, Mesdemoiselles de Comminges, dont l’une avait refusé d’épouser le Comle d’Effiat à cause de son nom de Coiffier-Ruzé, qui lui semblait ridicule, tandis que sa sœur ne voulut jamais se marier avec le Marquis de Porcelets, parce que les armes de cette grande et ancienne famille sont trois sangliers, qu’elle appelait des cochons, en dépit du vocabulaire armorial. Le caractère de préoccupation pour l’Héraldique est un de ceux qui nous manquent dans La Bruyère. Il n’était pas si rare autrefois, et quand on s’étonnait de ce que cet ingénieux écrivain n’en avait fait aucune mention dans son livre des Caractères, Mme de Coulanges nous disait que La Bruyère ne savait rien du blason, que c’était la seule raison qui l’avait retenu d’en parler, de peur de s’aventurer dans quelque bévue, et qu’il en avait montré devant elle un vif regret. C’est une manière de science qui n’allait guère à des roturiers, et dont les bourgeois n’avaient pas à s’occuper autrefois. On ne l’apprenait guère à moins d’être gentilhomme, ou d’être magistrat, généalogiste ou légiste. Fontenelle avait su que les mots de blason qui sont employés dans une satire de Boileau lui avaient été dictés par le Commandeur d’Estampes et personne n’ignore de qui Molière avait appris tous les termes de vénerie qu’il a mis dans sa comédie des Fâcheux[4]. Voltaire n’y mettait pas autant de scrupule et de précaution que La Bruyère et Despréaux ; il a parlé souvent d’héraldique et n’en savait pas un mot. Il est aisé de s’en apercevoir.

« J’estime fort cette bonne pensée de monsieur Gaudin, dit Gilles Ménage, c’est à sçavoir que Adam et Ève devaient manquer de récréation et trouver dans le paradix terrestre moins de plaisir que nous icy-bas, parce qu’ils n’avaient pour s’amuser ni les généalogies, ni les histoires de Concille, ni les livres de Blazon. »

Voilà donc nos adversaires en possession des armes de Créquy, jaune sur rouge, au lieu de gueules en champ d’or. Il fallut nous y soumettre, et toutes les réclamations de mon fils s’en vinrent échouer devant la prescription plus que centenaire et l’impossibilité de trouver que cette famille eût jamais porté d’autres armoiries qu’icelui créquier à sept branches lancées, porte l’arrêt, qui néanmoins défend aux Lejeune de rien innover dans la disposition de la pointe inférieure de cette pièce tranchée, non pas arrachée comme aussi de joindre à leur blason les cimier, tenant, support, devise en invocation, cris de guerre en provocation, couronne héraldique et autres insignes affectés aux Sires de Créquy, Saint-Pol et Canaples.

Restait donc à faire juger la grande affaire du nom de Créquy, dont l’usurpation ne remontait pas à plus d’une année révolue ; et du reste, il est bon de vous avertir qu’en fait d’usurpation de cette nature, on est toujours à temps de poursuivre, attendu qu’on n’est jamais arrêté par aucun bénéfice ou par aucun embarras qui tienne à la prescription. Votre père ne manqua pas de faire évoquer sa cause au parlement de Paris, afin que MM. les Ducs et Pairs pussent aller y siéger suivant leur droit, et suivant leur coutume de bon procédé pour leurs amis et leurs parens ou leurs collègues en fait de haute noblesse. En cas de procès généalogiques ou de contestations nobiliaires, ils n’y manquent jamais, et ce n’est pas ce que messieurs les parlementaires en aiment le mieux. Comme le fameux Gerbier était malade, mon fils avait eu l’idée de faire plaider sa cause par un avocat appelé Siméon[5] ; mais on apprit qu’il avait été le défenseur de cet horrible Comte de Sade au parlement d’Aix, et ce fut l’avocat Treillard que nous chargeâmes de notre affaire. Il n’y avait alors rien de plus notable et de plus honorable au barreau de Paris. Il y a long-temps que cet ordre des avocats ne vit plus, en fait d’estime et de considération, que sur le souvenir de ces dignes et grandes figures des Pasquier, des Patru, des Cochin et autres célèbres avocats du temps passé.

Nos Angevins prétendirent qu’ils devaient être issus d’un certain Raoul de Créquy surnommé le jeune, dont il n’avait pas été fait mention dans les généalogies imprimées de votre maison, parce qu’il était Précepteur de l’ordre du Temple et qu’il n’y avait pas eu de quoi se vanter d’une illustration pareille[6]. Mais comme son existence nous était connue, nous fûmes très surpris de voir évoquer la mémoire de ce beau Templier, dont la chronique de l’abbaye de Ruisseauville a parlé si gaillardement. Nous demandâmes à voir le document qui pouvait appuyer cette prétention-là. Néant ; et comme cet ancêtre prétendu de la famille Lejeune avait fait ses vœux dans l’ordre du Temple, au sortir de pagerie chez l’Empereur Baudouin, Comte de Flandres et son grand-père, il en serait toujours résulté qu’ils auraient été bâtards d’un moine et qu’ils n’auraient pas été reconnus par lui, car il apparut qu’il était mort en Palestine à l’âge de 21 ans. Mais ceci n’aurait pas encore amené le prompt dénouement de la pièce, et le bonheur voulut qu’en vérifiant les titres de nos parties adverses, on découvrît que leur noblesse avait pour origine un acte d’anoblissement du Roi Louis XII en faveur de Jean Tassin, dit le Jeune, sieur de la Furjonnière, et son valet de chambre tapissier. — Mais ces Messieurs Lejeune ont effectivement des rapports notables avec MM. de Créquy, répondis-je en apprenant cette nouvelle, et tandis que les uns gagnaient des batailles, il parait que les autres faisaient des siéges. C’était justement ceci que Chérin m’avait indiqué si discrètement.

Cependant Mme de Soucy tâchait d’ameuter contre nous toute son illustre corporation des sous-gouvernantes ; elle écrivait à tous les présidens et conseillers du Parlement lettres sur lettres, en les signant toujours Le Noir Soucy, parce qu’elle était née Mlle Le Noir ; et toujours fut-il qu’elle avait mis dans les intérêts de son gendre un certain président Dubois de Courval à qui votre père en a joliment donné sur les doigts. On l’avait nommé je ne sais pourquoi, premier commissaire à la vérification des pièces produites ; il était le neveu d’un intendant du Duc de Créquy, dont son père avait porté la livrée et par une insolente affectation d’indépendance et de mauvaise gloriole, il se refusa toujours à donner audience à mon fils. Lorsque nous allâmes saluer nos juges, assistés des trois maisons de Crouy, de la Tour-d’Auvergne et de Mailly, comme étant les plus anciennement et les plus fréquemment alliées de la vôtre, arrive en courant M. le Président Dubois qui revenait de la campagne, apparemment, car il était culotté d’écarlate avec des jarretières en galon d’or et voilà mon fils qui se met à dire à Mme de Canaples, en lui montrant cette culotte rouge avec un air innocent et bienveillant : — Il paraît que le Président Dubois a de la peine à quitter nos couleurs. Je ne vous rapporte pas ceci par admiration pour cette malice de M. votre père, attendu que j’en éprouvai sur l’heure une contrariété profonde, et qu’il n’est pas en moi d’approuver ni d’encourager des corrections si rudement appliquées à bout portant.

Le Roi me dit un jour : — Est-ce que le Marquis d’Estourmel est de vos parens ? et comment se fait-il qu’il reconnaisse vos adversaires pour être de la maison de Créquy ?

— Je ne crois pas qu’il soit directement parent de mon fils, répondis-je à S. M. mais si le Roi me le permet, je lui dirai sur ce M. d’Estourmel le peu que je sais. Sa parente, Mme d’Ossun, nous a raconté qu’à l’âge de 30 à 40 ans il allait toujours se placer à table à côté de son vieux père qui n’y voyait goutte, et que c’était pour lui dérober et lui manger tout ce qu’on mettait de meilleur sur son assiette. Il répondait à la Comtesse d’Ossun, qui lui reprochait sa goinfrerie : — Laissez donc ! c’est un vilain homme ; il a rendu ma mère très malheureuse ; il était du parti des Piccinistes contre le chevalier Gluck !

— Ce doit être une fameuse autorité historique et généalogique ! me dit le Roi. Pensez-vous qu’il descende effectivement d’un certain Cretin-Creton qui serait monté sur les remparts de Jérusalem avant tout le monde ?

— Ah ! mon bon Roi je n’en sais rien du tout, ni eux non plus. Ils disent aussi que ce brave homme en a rapporté pour eux je ne sais quelle relique, en part de prise. C’est une imagination qui leur est venue dans la tête, on ne sait comment, et tout le monde en a ri dans leur province.

Mme de Puysieulx nous disait aussi qu’ayant été faire une visite de noces à Mme d’Estourmel, la femme de notre généalogiste, il arriva dans la chambre un gros garçon de 12 à 14 ans qui était encore en jaquette et qui se mit à dire à la nouvelle mariée :

— Donnez-moi donc votre bonnet pour m’amuser.

— Mon fils, lui dit Mme d’Estourmel, il ne faudrait pas vous exprimer de cette manière, et surtout avec Madame, à qui vous allez parler avec une grosse voix… On dit : « Mme la Comtesse, je serais bien aise de jouer avec votre jolie coiffure ; auriez-vous l’extrême bonté de me la prêter ? » Je ne me souviens plus si Mme de Puysieulx avait eu la complaisance de laisser décoiffer sa jeune mariée pour satisfaire cet aimable enfant. Elle en était bien capable, afin d’en avoir un sujet mieux conditionné pour se moquer de la tendre mère et du charmant héritier des Cretin-Creton.

Vous n’exigerez sûrement pas que je vous raconte tous les détails d’un procès qui n’a pas duré moins de quatre ans ; vous en aurez tous les factum et les plaidoiries à votre disposition. Ainsi je me borne à vous dire que, malgré la protection du Marquis Cretin et celle de la Comtesse le noir souci, M. le Comte de Créquy le jeune fut condamné, par arrêt du Parlement de Paris, à quitter le nom de votre famille et par suite de cela son titre de Comte. Il avait été chargé de la totalité des frais du procès, et voilà qui fit saigner mon bon cœur, attendu que sa famille était à sa charge et qu’il était dépourvu de fortune. Aussi lui refusa-t-on d’accepter le remboursement des frais d’enquêtes, et quand il arriva pour déposer son amende au greffe, on lui répondit que tous les frais judiciaires étaient acquittés. Mon fils lui écrivit qu’entre gentilshommes il ne fallait pas se faire tomber en ruine ; que c’était au plus riche à payer pour l’autre, et qu’après avoir plaidé contre lui pour établir que nous n’étions pas de la même famille, il ne nous restait qu’à le remercier de l’honneur qu’il nous avait fait en y prétendant. Je crois déjà vous avoir dit qu’un de ses frères a continué de se faire appeler Créquy, en dépit de la sentence, et j’oserai dire au mépris de ma bienfaisance. Si l’aîné de ses frères avait encore vécu, je ne doute pas qu’il ne l’eût désapprouvé. Ce Chevalier de la Furjonnière était bien certainement le plus honnête homme du monde, et je voudrais que tous ses parens pussent lui ressembler…

En fait de procès généalogiques, il me reste à vous parler d’une indigne et scandaleuse dénégation de parenté qui fut exercée par le Marquis de Nesle contre son cousin, le Comte de Mailly d’Haucourt. Ce fut une affaire qui fit le plus grand bruit du monde, et voilà ce qui m’oblige à vous la rapporter, ce que je vais faire avec toute la brièveté possible.

Avant l’époque de cette contestation généalogique, la maison de Mailly se partageait en trois branches : celle des Marquis de Nesle, aînés de leur maison, celle des Mailly-Rubemprey, rameau de la branche de Nesle, et celle des Comtes de Mailly, Marquis d’Haucourt, qui n’était séparée de la branche aînée que depuis le seizième siècle. Le dernier Marquis de Nesle n’avait laissé que cinq filles qui devinrent Mmes de Mailly, de Vintimille, de Lauraguais, de Châteauroulx et de Flavacour, et ce fut son collatéral et son plus proche agnat, le Prince de Rubemprey, qui vint recueillir par substitution cet admirable héritage des Sires de Nesle et des anciens Princes d’Orange[7]. Il est à savoir que le feu Marquis de Nesle avait été le parrain, le tuteur et le meilleur parent du monde pour le Comte de Mailly d’Haucourt, lequel, assez mauvais coucheur de sa nature, avait entrepris de se battre en duel avec son cousin de Rubemprey, qu’il ne pouvait souffrir, et qu’il n’avait jamais pu décider à lui rendre raison pour je ne sais quel grief de jeune homme. Aussitôt que ce prudent Rubemprey fut devenu Marquis de Nesle et par conséquent chef des nom et armes de la famille, il ne trouva rien de mieux à faire que de renier les Mailly d’Haucourt en disant qu’il n’était pas bien assuré qu’ils fussent de sa maison. Irritation surabondante et provocation nouvelle avec de grandes rumeurs, ainsi qu’il est aisé de le penser. Cette dénégation de M. de Nesle était un acte de méchanceté follement ridicule, en ce qu’il ne pouvait avoir la prétention de contrôler ni démentir tous les actes souscrits par ses grands parens défunts, comme aussi tous les documens chartriers du Comte de Mailly d’Haucourt, par qui l’origine de sa branche était aussi visiblement constatée que l’existence et la clarté du soleil. Mais à cause de son caractère épineux et de sa position favorisée, ce dernier ne pouvait manquer d’avoir des ennemis et des envieux : il se trouva des personnes qui se réunirent à M. de Nesle ; il en résulta des discussions, des dissensions, des propos, des disputes, et la mêlée devint générale. Il y avait dans le régiment de mon fils un sous-lieutenant qui s’était battu contre un de ses camarades à propos du Marquis de Nesle, et quand mon fils lui demanda de quoi il se mêlait, il se trouva que ce jeune officier avait pensé qu’il était question de ce Comte de Nassau qui prend le titre de Prince d’Orange, et à qui sa famille (protestante) avait eu des obligations. Votre père lui savonna rudement la tête en disant qu’il mériterait de ne pas rester au service du Roi, pour lui apprendre à se présenter en manière de champion pour un Stathouder hollandais.

Comme épisode, et pendant que je tiens ces vilains Nassau par leurs cheveux roux, je vous dirai que la principauté d’Orange en Provence (héritage de l’ancienne maison de Baux, qui tomba de lance en quenouille et qui a fini dans la maison de Châlons) avait été réclamée par la branche hollandaise des Comtes de Nassau vers la fin du xvime siècle. C’était à raison d’un droit prétendu sur la succession de cette famille française qui ne manquait pas d’héritiers, et c’était principalement pour s’attribuer un titre de Prince, ne fût-il que de courtoisie simplement honorifique ou de prétention successive. La couronne de France, à qui la chose était d’une indifférence parfaite, avait commencé par accéder à la mise en possession de ces Allemands ; mais les héritiers de la maison de Châlons réclamèrent, et toutes les cours souveraines du Royaume ont toujours débouté de leur prétention ces Comtes de Nassau, qui n’en ont pas moins persisté à se décorer du titre de Prince, à cause de leur prétention sur ladite principauté d’Orange. Il est à savoir à présent que le Stathouder actuel ne descend pas même de ces anciens titulaires d’Orange, héritiers prétendus d’une fille de Châlons, et de plus il est très douteux qu’il soit de la véritable maison de Nassau. Son grand-père était un gentilhomme du duché de Gueldres qui s’appelait et s’armait comme ces anciens Comtes de l’Empire, et voilà pourquoi MM. des États hollandais l’ont adopté pour capitaine général, après la mort de leurs derniers Stathouders, afin de paraître en avoir conservé de la graine calviniste et républicaine.

Ce Roi Guillaume de Nassau, dont les bons Hollandais sont si fiers et si charmé, le Maréchal de Tessé m’a dit qu’il avait fait attaquer l’armée du Maréchal de Luxembourg, quoiqu’il eût dans sa poche un traité d’armistice équivalant à la paix signée, et qu’il avait dit ensuite à son ami Gourville que c’était afin de se faire tuer des soldats, parce que, la paix étant faite, il allait lui en rester beaucoup à réformer et à pensionner.

— Voici une lettre qu’il a pris la peine de m’écrire de sa main, disait un jour Mme de Maintenon, devant ma grand’mère, à Mme la Duchesse de Bourgogne. — Quelle main, s’écria la princesse, indigne de porter un sceptre, indigne de porter l’épée, indigne de porter toute autre chose que des liens de corde !…

Je vivrais dix mille ans que je ne pourrais jamais triompher de mon abomination pour les Nassau, pour cette famille de révoltés et d’usurpateurs, pour cette race hypocrite, avare et fourbe !

C’était du Comte ou plutôt du Maréchal de Mailly que je devais vous parler, car il était devenu Maréchal de France, et jamais le bâton fleurdelisé n’avait été saisi par une main plus ferme et plus experte. Son fils avait été créé Duc de Mailly, et le Roi finit par s’impatienter contre M. de Nesle, au point de lui faire dire qu’il eût à ne jamais reparaître à Versailles s’il ne discontinuait ses chicanes, attendu qu’il agissait en personne déraisonnable, en homme déloyal peut-être, et sans aucun doute en parent dénaturé. Savez-vous ce que fit alors M. de Nesle ? Il abandonna ses premières poursuites et se mit à procéder contre le Maréchal de Mailly à titre de parent, et pour exercer le droit de retrait linéager sur un de ses domaines, en vertu d’un article du testament d’un Sire de Mailly, leur aïeul commun. Ce Prince d’Orange aurait été Stathouder qu’il n’aurait pas mieux fait ! Et ce fut une belle conclusion pour toute la noblesse de France, qu’il avait trouvé moyen de maintenir en fièvre d’observation durant plusieurs années. Les meilleurs amis de M. de Nesle furent obligés de convenir qu’il n’avait ni cœur ni tête ; et voilà tout l’historique de ce fameux procès. Ne vous laissez pas dérouter par l’ignorance ou la mauvaise foi de certaines gens qui voudraient y donner plus d’importance et de consistance.

Le Maréchal avait épousé en premières noces une Colbert de Torcy, dont il avait eu la Marquise de Voyer d’Argenson, belle-fille du Ministre de la guerre. En secondes noces il avait pris pour femme une Demoiselle de Séricourt d’Esclainvilliers, dont il a eu le Duc de Mailly, qui n’a pas d’enfans. Aussi, craignant avec raison de voir s’éteindre sa branche et peut-être la maison de Mailly, car le fils unique de M. de Nesle est un singulier gentilhomme, voilà M. le Maréchal de Mailly qui vient de se remarier à soixante-dix-huit ans avec Mademoiselle de Narbonne-Fitzlaer, dont il est bien persuadé qu’il aura des enfans. C’est une jeune femme du premier mérite, et ce que j’en puis dire est d’autant moins entaché de partialité que je ne l’ai jamais vue, sans compter que la Vicomtesse de Narbonne, sa mère, est un objet d’aversion pour moi. Il est resté de la branche de Nesle un vilain Prince héréditaire d’Orange qui passe sa vie dans la plus misérable compagnie du monde. Il y parait à son ton, ses manières et son mauvais propos ; il n’est pas comme le Duc de Fitz-James, il n’a pas trouvé moyen de marcher dans la boue sans se crotter. Quand je demande à Mme de Coislin, sœur de ce Marquis, comment ils en agissent à présent avec leur autre branche : — Mais je les renie de toute ma force, dit-elle, et c’est afin de nous mettre au-dessus d’un Maréchal de France et d’un titre de Duc. Il n’appartient pas à tout le monde de regarder un bâton de Maréchal et un manteau ducal de haut en bas. Cela nous donne plus grand air et cela me paraît de fort bonne grâce. J’ai mis cela dans la tête de mon frère, et voilà ce qui nous décide à persister. Je ne le dis qu’à vous, parce que vous êtes une personne d’esprit ; n’en parlez point, mais voilà le dessous de nos cartes[8].

 
En voilà-t-il des pals en écus couronnés,
Des Lions lampassés, des Aigles allumés,
Lambrequins, Dextrochère ou Gonfanon sinistre,
Et tout ce que d’Hosier minute en son registre !
Ah ! remontez en selle, et, partant de ces lieux,
Allez, Madame, allez avec tous vos aïeux,
Sur les pompeux débris des lances espagnoles,
Coucher, si vous voulez, aux champs de Cérisoles.
Allez, je vous conjure, y chercher votre époux :
Nos modernes lambris ne sont pas faits pour vous[9] !

Voilà qui s’ajuste admirablement et qui tombe d’aplomb sur mes derniers chapitres, et je n’en disconviens pas. Mais dites-moi donc, monsieur le philosophe économiste, ou monsieur l’auteur d’un Voyage sentimental, à qui la faute ? et de quoi pourrais-je vous parler, sinon des choses auxquelles on s’intéressait de mon temps ? car alors on s’occupait de l’héraldique et des procès nobiliaires, et l’on s’en occupait avec autant d’intérêt que vous pouvez le faire aujourd’hui d’un mensonge encyclopédique de M. Dalembert et d’un plagiat littéraire de M. de Guibert. On plaidait quelquefois pendant quatorze ans et l’on dépensait quatre-vingt mille francs pour une ancolie sur un tourteau de sable[10]. Si l’on fait imprimer ces Mémoires et si l’on parle de moi comme auteur, on pourra dire que j’avais les défauts de mon siècle avec ceux de mon âge, et c’est le pire qui m’en puisse arriver. Aussi bien, suis-je peut-être la dernière personne qui puisse écrire en français sur les armoiries et les généalogies de la noblesse de France. Prenez tout ce que j’en ai dit comme si c’était une chronique, une légende, une sorte de complainte. Prenez que ce soit une litanie funéraire ou la psalmodie d’un libera, si vous voulez, et n’en parlons plus.

Voici venir la querelle des parlemens, et la révolution ne tardera pas. Il n’est pas moins naturel d’aimer son siècle que d’aimer son pays. Nous allons assister aux funérailles de l’ancien régime, et j’aurais voulu faire en sorte, au moins, que son effigie fût ressemblante.

  1. Louis Le Pelletier de Morfontaine, Chevalier, Seigneur du marquisat de Prailly et maître des requêtes de l’hôtel du Roi. Il a épousé la fille de M. Bernard du Clusel, sieur de la Chabrerie, l’un des fermiers généraux de S. M. C’est assurément la plus belle dame avec les plus grands airs du monde. Elle n’oserait descendre un escalier sans être assistée, crainte de tomber, par deux laquais en grande livrée. — Mais voyez donc ce que peuvent y faire des habits à galons chevronnés, disait Mme de Rosambo, sa belle sœur (Anne de Coskaër, fille de qualité de Basse-Bretagne). — Elle est dans le genre de {{M.|son père, qui menaçait un jour un ivrogne, à Morfontaine, en lui disant — Coquin ! je te donnerai cent coups de ma canne à pomme d’or !
    (Note de l’Auteur.)
  2. Le mari de Mme de Mazarin était Louis-Marie d’Aumont, Marquis de Villequier, qui prit le titre de Duc de Mazarin du chef de sa femme. Ils n’ont eu pour unique héritière que la Duchesse de Valentinois d’aujourd’hui. La mère était un modèle de sagesse et de vertus en comparaison de la fille.
    (Note de l’Auteur.)
  3. Il faut ajouter ici que les terres qualifiées deviennent inaliénables et substituées en vertu de leur érection. Ainsi les acquéreurs d’une terre titrée ne deviennent jamais Marquis, Comtes ou Vicomtes de telle seigneurie érigée en titre pour une autre famille que la leur ; ils sont tout simplement Seigneurs de l’ancien Marquisat, Comté ou Vicomté dont ils deviennent propriétaires, l’extinction de la race entraînant toujours celle du titre, à moins de confirmation royale et de nouvelles lettres patentes.
    (Note de l’Auteur.)
  4. C’était du Marquis de Soyecourt, Grand-Veneur de France.
  5. M. Siméon est aujourd’hui Comte et Pair de France.
  6. Quand vous lirez les anciens nobiliaires, vous y remarquerez, s’il vous plaît, qu’aucun dignitaire ou chevalier de l’ordre du Temple ne se trouve mentionné dans les filiations généalogiques, d’où l’on pourrait induire que les plus grandes familles de France ne fournissaient jamais personne à la milice du Temple, ce qui serait en opposition complète avec la vérité. Chérin m’a dit que ceci provenait originellement de l’horreur et du mépris qu’on avait eus pour ces moines, et de ce que cette disposition subsistait encore dans toute sa force au commencement du seizième siècle, époque où les anciens généalogistes avaient commencé leurs publications. — Quand on y voit, me disait-il, il avait eu de sa femme, entre autres enfans, on peut être assuré qu’il se trouve là quelque Templier qu’on a voulu dissimuler par pudeur et par égard pour sa famille, Raoul de Créquy, surnommé le Jeune, était le frère et le filleul de notre fameux Raoul, surnommé le Haut-Baron, et le cinquième fils de Gérald Sire de Créquy et de sa femme Yolande de Hainaut. Il avait suivi son père, son frère et l’Empereur Baudouin, son grand-père, à la première croisade, en 1096. Si le père Anselme, auteur si judicieux et si religieusement exact, n’a rien dit de ce jeune Raoul, c’est qu’il ne parle jamais des Templiers. — Je suis tenu, disait-il un jour à mon beau-père, de n’écrire que la vérité, mais non pas obligé de la dire tout entière ; il en résulterait des écritures à ne jamais finir, et j’ai pris mon parti de couper tous les hérétiques et les Templiers au vif des arbres… Indépendamment de la chronique de Ruisseauville et de la chronique Châtelaine, qui nous rapportent les faits et gestes de ce beau Raoul, on a de lui plusieurs titres originaux, et, par exemple, un Obiit qu’il a fondé pour un de ses amis dans l’abbaye de Hautkerke, en 1094. (Nous croyons devoir supprimer le reste de cette longue note, qui serait sûrement dénuée d’intérêt pour la plupart des lecteurs. Elle se termine par une dissertation critique sur une foule d’erreurs que Madame de Créquy reproche aux dictionnaires de Moréri et de la Chesnaye-des-Bois. Nous en avons donné la substance dans notre Avis de l’éditeur, au commencement du premier volume. Il parait aussi que M. et Mme de Créquy n’avaient pas même daigné réclamer contre l’omission de leur brevet pour les honneurs du Louvre et celle de leur grandesse, dans les almanachs et les Colombats, à cause de leur mépris pour ces sortes d’ouvrages.)
  7. Louis III, par la grâce de Dieu, Sire de Mailly, Marquis de Nesle, Prince d’Orange et de Lisle-sous-Montréal ; Marquis de Mailly en Boulonnais, de Rambures et de Montcavrel ; Comte, Vicomte et Baron de Fohain, Beaurevoir, Hugolsem Bernom, Remaugis, Saint-Méry, Pargny, Lyvry, Maurupt, Menerville et Monthulin ; Chevalier des ordres et Gouverneur de Flandre etc.

    La substitution du Marquisat de Nesle est la plus riche du royaume en territoire ainsi qu’en droits utiles. On n’a jamais connu la date de son érection, ce qui lui confère un certain éclat d’indépendance et de supériorité particulière. Si vous entendez remarquer que le Prince de Guémenée, le Marquis de Nesle et le Duc de Bouillon, Comte d’Evrem, sont les trois plus grands seigneurs de France je vous conseille de ne pas contester cette proposition car elle est de toute vérité.

    (Note de l’Auteur.)
  8. Le Maréchal de Mailly a péri sous la hache révolutionnaire à Arras, en 1794, âgé de quatre-vingt-six ans. Il est monté résolument sur l’échafaud. C’était un homme à cœur de lion, comme il y parut le 10 août, et l’on a vu dans les journaux que 13,000 citoyens de son ancien gouvernement de Roussillon souscrivirent une pétition pour demander sa mise en liberté, à raison des services qu’il avait rendus à leur province, et notamment pour avoir fait rétablir le Port-Vendre, où les navires ne pouvaient plus relâcher depuis environ deux cent cinquante ans. Il n’a laissé qu’un fils, qui reste le dernier de cette grande maison.
    (Note de l’Auteur.)
  9. Deuxième variante à la satire de Boileau. Remarque de la Monnoye, Manus. à la bibl. royale, page49.
    (Note de l’Édit.)
  10. Allusion au procès du Baron de Robertmesnil contre la famille Ancholy de Mareuil.
    (Note de l’Éditeur.)