Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 2/Texte entier

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Deuxième Livraison


L. BOULAIN
Auteur du Raz de Sein
SOUVENIRS
DE LA
Basse Cornouaille
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LA FONTENELLE

Vie du Partisan Ligueur


DÉTAILS INÉDITS
sur Douarnenez, Plogastel-Saint-Germain, Penmarch, Quimper, Pont-Croix.

NOTICE
sur N.-D. de Roscudon, de Pont-Croix, saccagée en 1597.
En vente : chez l’Auteur, à Pont-Croix, Finistère, et chez l’Imprimeur

Guingamp, imprimerie P. Le Goaziou
La Fontenelle
Vie du Partisan Ligueur

dédicace



Une étude historique, quand l’intérêt de l’action se concentre dans une région, dans une localité, plus qu’aucune autre œuvre littéraire a besoin d’une dédicace qui explique son opportunité, qui soit comme un pavillon qui couvre un convoi en marche sous les feux de l’ennemi.

RAZ DE SEIN a été dédié aux compagnons qui me guidaient dans ces parages peu explorés et dangereux.

La première livraison des SOUVENIRS DE LA BASSE CORNOUAILLES, était dédiée à mes compatriotes.

À qui pouvais-je mieux dédier mes études sur La Fontenelle, sur N.-D. de Roscudon à Pont-Croix, qu’à l’excellent citoyen, que nous venons de perdre, et dont le trépas foudroyant mais héroïque a mis toute la région en deuil.

Adolphe Alavoine, était depuis de nombreuses années, maire de Pont-Croix, et conseiller général du canton, et nul ne songeait à lui disputer un honneur, dont il était digne.

Je lui avais dès longtemps communiqué mes recherches dans les archives, qu’il approuvait… il avait lu le manuscrit. C’est à son initiative que je dessinais le Menhir historique des Droits de l’Homme, que l’on remarque à la première livraison, et il était heureux de voir les caractères si bien reproduits par l’image.

Il me le disait la veille de sa mort… Oh fatalité ! C’est à 120 mètres de ce menhir que, le lendemain, il faisait héroïquement le sacrifice de sa vie, en essayant de retirer des flots, Alice de Beaufonds ; dans un premier essai, il avait réussi à retirer le frère, aussi en danger de périr.

Ces trépas héroïques, ont leur récompense, je vous en donne la garantie, intrépides sauveteurs, qui vous vous dévouez, pour les inconnus qui vous appellent dans l’abîme. Dieu, dit Saint Augustin, a récompensé les actes humains des romains… et nos couronnes, les éloges posthumes que nous dédions, n’ont de raison d’être, que dans cette suprême et consolante conviction de l’immortalité de nos âmes, que notre ami possédait comme nous.

Memoria justi cum laudibus, dit l’Écriture, que des louanges soient accordées à la mémoire de l’Homme Juste,

Oui, mais il m’est pénible de ne pouvoir adresser ces louanges qu’à la mémoire d’Alavoine… que les compagnons de ce cercle que nous avons fondé ensemble, acceptent la dédicace que je suis heureux de leur offrir. Ils n’ignorent pas que c’est là, aux heures de solitude, que la plupart de ces documents ont été recueillis et écrits.

Pont-Croix, le 20 Novembre 1895.


I

La Fontenelle dévastateur de la Cornouaille

PROLOGUE

Auprès des générations du XVIe et du XVIIe siècle la terreur inspirée par le nom de la Fontenelle, se maintint vivace, les légendes et Guerz de l’époque sont là, pour le dire.

Les tristes désastres occasionnés par la ligue s’effacèrent devant la figure de ce génie du mal, du meurtre, de la rapine et de la cruauté. Cette ombre s’obscurcit elle-même, dès le XVIIIe siècle, pourquoi ? Parce que la fin du XVIIe siècle eut aussi de déplorables excès, la Terreur, la chouannerie dans ses mauvais jours, firent confondre des faits, des actes de cruauté, de vengeance personnelle souvent, qui en somme ne furent que la répétition des mêmes cruautés.

Cependant la mémoire de La Fontenelle est restée : c’était, qu’on me permette l’expression, l’histoire de Croquemitaine, notre enfance a été bercée par ces histoires. Mais, conséquence inéluctable de tout ici bas, les années, trois siècles, je puis le dire, ont amené confusion dans les événements intéressant la Basse Cornouaille, le théâtre de cette vie de sang, de duplicité, de rapine et d’audace, un travail nouveau s’imposait, pour éliminer des faits, pour scruter avec soin la vie si courte du partisan qui mourut à 28 ans. J’ai communiqué mes hésitations à un écrivain de grand talent… ses ouvrages ont eu plusieurs éditions qu’ils méritaient… Monsieur A. Le Braz, auquel je communiquais mes hésitations (on n’ignore pas que les travaux sur la Bretagne ont dirigé ses études) comprit bien les difficultés du sujet. Avec la plus grande courtoisie il me dit : Je vais vous mettre en rapport avec un lettré dont la vie s’est passée à compulser les archives…

Un simple billet d’introduction, me conduisit vers un excellent homme, un vénéré savant que nous avons eu le malheur de perdre il y a quelques mois. Monsieur Luzel, archiviste à Quimper… il est mort regretté de tous dans tous les partis.

Ce vrai savant breton, m’accueillit avec la plus grande bienveillance, et après quelques mots sur l’importance du sujet : Avez-vous, me dit-il, les loisirs et le temps d’un bénédictin. Je veux vous parler franchement, il faudrait lire, Dom Morice, Dom Taillandier, Dom Lobineau, d’Argentré, etc., et ceux-ci eux-mêmes n’ont fait que commenter la chronique sèche, aride de votre compatriote, le chanoine Moreau, qui fut en quelque sorte Curé de Pont-Croix.

Ils ont bien puisé dans le procès de 1602, mais vous ne l’ignorez pas, ce procès ne fut pas exempt de passion.

Dans la Basse Cornouaille, on ne rencontre que des souvenirs d’actes cruels, atroces, tandis que dans le pays des Côtes-du-Nord, à Paimpol, à Tréguier, à l’île Bréhat, en un mot dans tout ce pays que je connais si bien, on ne trouve que des louanges à la mémoire de Guy Éder.

Il y a donc eu deux phases dans sa vie, vie si courte cependant.

Son histoire en Basse Cornouaille est obscure, eh bien ! faites comme les autres, brodez un roman ; et je vois encore le bon rire du vieillard qui me parlait, m’avouant que je ne trouverais rien dans les archives, et que personne ne pourrait me contredire…

Il est bien facile de donner ce conseil : faites un roman ! Mais pour fabriquer un roman sur un sujet obscur, il faut deux choses essentielles… d’abord du style et de l’imagination.

Du style ! mais tout le monde peut en avoir quand on veut rester simple… un bon point pour moi, qui sans ambages, prétends à la simplicité et qui m’en fais un titre de gloire… Quant à l’imagination… n’en a pas qui veut… et le style, si simple qu’il soit, s’arrête devant des phrases qui ne veulent pas venir…

Je me contenterai donc de ce que j’ai pu glaner, dans la Basse Cornouaille ; si je réussis à intéresser les lecteurs, si j’en ai, en me tenant à la réalité des faits, je serai heureux et mon but sera atteint.

Un style simple obtient une indulgence que n’obtient pas le style prétentieux.

Et s’il est vrai de dire, que le style c’est l’homme, on aura bien jugé.

Je pourrais là-dessus citer quelques vers d’Horace, mais alors ! alors on dirait que je donne un démenti à ma plume, et je n’y tiens pas.

Seulement je dois faire remarquer qu’aucune liaison ne peut avoir lieu, ne peut se rencontrer, je veux bien le dire, dans une narration de cette vie d’aventure. On le peut dans un roman, on le peut dans l’histoire, mais alors, on a des données précises, parce que les faits s’enchainent… Je ne présenterai donc que des tableaux en suivant des données historiques.

Jour de la Pentecôte, 2 Juin 1895.
Nous sommes en 1895 : Trois cents ans nous séparent de ces époques troublées, qui virent le triste gouvernement du Valois et la Ligue… Les événements se passent de 1590 à 1602.

La bonne Duchesse était regrettée en Bretagne, on aimait encore ces Ducs tout puissants qui avaient du sang Breton dans les veines… Le Français n’était pas encore l’ami… Dans bien des cœurs un antagonisme secret existait… Quelques villes seules avaient quelques rares adhérents à la réforme, qui ne s’était pas étendue dans la province.

La France se trouvait livrée au mauvais vouloir des royaux, des ligueurs des huguenots, des espagnols et surtout des moines et chanoines, qui avaient une voix prépondérante dans les affaires du temps… Un mot plus tard fut inventé, qui résumera ma pensée, et ce mot ne fut inventé qu’un siècle plus tard… une pétaudière

Comme une propriété divisée par les escrocs et la justice, incendies, surprises, pillages, viols et félonies, tout était moyen de persuasion, par lesquels, on ramenait le peuple à la fidélité à son prince et à son Dieu.

La contrée était infestée de brigands de toutes armes, sous toutes bannières, égorgeant, criant, Lorraine ou Henri, Navarre ou Jésus… purs prétextes… religion et royalisme, comme en beaucoup d’autres temps étaient des moyens de faire valoir des prétentions ambitieuses, ou des prétextes pour les déguiser…[1] La Bretagne montra beaucoup de modération. Avec beaucoup de résistance, la Bretagne entra dans la ligue. Avec beaucoup de répugnance plusieurs villes entrèrent dans le parti, et si plus tard, on la vit une des dernières se ranger sous les lois de Henri IV, c’est qu’un prince ambitieux, Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, était parvenu à force d’adresse à lui faire un devoir de sa rébellion… ne leur disait-il pas : La conservation du culte de vos pères, doit être plus sacrée à vos yeux, que les droits de Henri de Navarre, huguenot… Âgé de 24 ans, beau-frère de Henri III, il fut nommé gouverneur de Bretagne… Il était jeune, il était ardent, n’était-ce pas assez pour voir germer dans son âme des pensées ambitieuses ? Ne pouvait-il pas arriver premier ? D’abord fidèle à Henri III, il soutint l’attaque des huguenots. Mais ensuite le mauvais état des affaires de la ligue faiblement dirigée, ne permettant plus ni d’espérer ni de craindre la domination du pouvoir légitime, ne valait-il pas mieux agir pour son propre compte ? Logique d’un homme ambitieux et hardi.

En somme sans l’avouer, chacun conservait son but secret… Crimes, pillages, dès lors qu’il n’y avait plus d’autorité, se perpétraient en Bretagne.

De pâles récits jusqu’ici ont été faits sar cette division d’ambition… Souvenirs restés dans l’état vague, et beaucoup confondent dans leur esprit, des faits, des légendes, des épisodes, des crimes, que l’on met au compte de 1793… les buts n’étaient pas les mêmes cependant.

La ligue eut un prétexte religieux. Lisez les écrivains de l’époque. Il fallut la main de Dieu pour sauver la vieille France.

Les vertus des ligueurs n’y furent pour rien. La Révolution vit les excès : on ne saurait le nier, le réveil du peuple fut terrible, bien pardonnable somme toute… Que de passe-droits à venger, que de droits à acquérir, que d’injustices à réparer, que de situations à niveler… Le vent soufflait à la liberté : pouvait-on y parvenir sans quelques écarts… pour obtenir la liberté, l’unité dans l’ordre suivant les expressions de Lacordaire, des éliminations étaient nécessaires.

Dans notre pays, on se tairait sur la ligue si le nom de La Fontenelle n’était pas là, bien obscure il est vrai son histoire, puisqu’elle n’a su que donner quelques romans historiques… Mais combien dans ce mode, il est difficile d’atteindre le talent de Walter Scott, maitre de genre, Il sait nous faire revivre aux temps qu’il dépeint, il dessine les mœurs de l’époque… ajoutez-y le langage, et vous croirez vivre au milieu d’eux.

Ici les matériaux ne manquent pas… Dom Morice, St-Luc, Dom Lobineau, Ogée, d’Argentré, le chanoine Moreau ont laissé des détails… Le chanoine Moreau, enfant du pays, est le plus à même de nous renseigner… Aussi est-ce chez lui que les écrivains ont tous puisé… autrement fallait-il recourir à de grandes compétitions qui n’ont plus le style de notre temps. Restons donc à notre pays, nous retrouverons des localités que nous connaissons, les noms de quelques familles connues. Quand La Fontenelle disparut à la suite de l’amnistie, plusieurs ligueurs sont restés parmi nous, dans nos campagnes et ont fait souche… Allez donc, ethnographes, chercher une homogénéité dans les races… Sans aller plus loin, à l’époque de la Révolution, à l’époque des guerres de l’Empire, le même fait s’est reproduit, et je connais tels et tels de ma ville natale qui ont leur origine à Lyon, en Auvergne, en Picardie. Toujours est-il que ces faits moins nombreux autrefois, se produisirent à la suite de la ligue.

Je suis témoin d’un exemple récent qui donne raison à ma thèse. Il y a une dizaine d’années. deux cultivateurs fort âgés l’un et l’autre avaient une chaude discussion d’intérêt et de voisinage.

Ils allaient presqu’en venir aux coups… À bout d’invectives, avec un geste de souverain mépris, l’un d’eux lança à son adversaire ce suprême dédain en langue bretonne… Race Fontenellet… descendants des ligueurs de La Fontenelle… Ce fut assez pour faire abandonner la place, et la paix ne fut pas faite… Quelques jours après, je demandais explication de cette injure.

Quoi, vous ignorez, me dit l’insulteur ? Je tiens de mon père que vous avez connu et qui est mort fort âgé, cette famille est de la lie de La Fontenelle, race de brigands… Ne voyez-vous pas comme ils sont querelleurs dans cette famille, combien tous ils sont vindicatifs, combien ils ne sont pas bretons… Ensuite il me fit une énumération de quelques maisons connues dans le pays, et dont je n’avais songé à scruter l’origine… Jamais je n’avais remarqué qu’ils fussent plus processifs que les autres gens du Cap Sizun. Les noms seulement différaient, avaient une terminaison française… Ceci me prouvait cependant que malgré les années, les souvenirs n’étaient pas entièrement effacés.

Les archives restant muettes pour certains faits, donnons malgré tout, une biographie de La Fontenelle, mais exacte celle-ci.

En 1589, un jeune gentilhomme breton, âgé de 15 ans, s’échappe du Collège de Boncourt, troque avec les juifs sa robe de chambre et ses livres de classe, contre un poignard et une épée. Il part seul à pied pour Orléans où se trouvait le duc de Mayenne soutenant le parti de la ligue… Peu de mois après, cet enfant de 15 ans, commandait à plus de 3,000 hommes, son nom devenait cri de guerre, il ruine les campagnes de la haute Bretagne, puis il termine par celles de la Basse Cornouaille.

La ligue éteinte, il disparaît un instant pour reparaître accusé faussement dans la conspiration du Duc de Biron. Il est jugé, condamné, exécuté à Paris en 1602.

La courte biographie que je donne de ce dévastateur de la Cornouaille, est celle de… Guy Éder de Beaumanoir de Lavardin, Baron de La Fontenelle… Cet homme qui en si peu d’années, dans une carrière si étrange, partout déploya une énergie indomptable : on le connait sous le nom de La Fontenelle.

Parti de Paris pour Vannes, c’est ici que nous le prendrons. À un quart de lieue de Vannes, il existait une colline dominant cette ville antique. Cette cité a une grande histoire… n’est-ce pas de son sein que partirent sous la conduite de Bellovèse, ces hardis marins qui s’en furent fonder Venise, 950 ans avant J.-C. ? Longtemps elle résista aux légions de César… Terribiles sunt britonnes, quando dicunt, Torrebenn.

Reportons-nous à cette colline, à une nuit du 8 août 1589… Un grand nombre d’hommes sont réunis sous un bouquet de sapins, tous plus ou moins armés, plus ou moins équipés. Il y avait complot évidemment. Des éléments hétérogènes le composent. Tous ils sont de divers endroits de la Bretagne bretonnante, et de dialectes plus ou moins différents.

Kermélec, mercier de Vannes se présente introduisant un jeune homme, mieux équipé que les autres. Son costume est plus brillant, sa toque est surmontée d’une aigrette rouge, une épée pend à son côté, à une ceinture qui dessine une taille svelte et élégante… Cependant le costume paraît usé, fatigué par un long chemin. Le jeune homme prit l’attitude d’un spectateur indifférent. Son visage, malgré son extrême jeunesse, exprime un sentiment profond de réflexions, dominées par une pensée aventureuse, hardie. — Kermélec se faisant place, vivement entre au centre du groupe, et dit d’une voix forte… Henri de Valois, est mort assassiné par un F. Jacobin, Jacques Clément… le 1er août au matin, il laisse sa couronne à Henri de Navarre, qu’il a salué roi de France… On savait que Kermélec revenait de Paris.

Ces quelques paroles laconiques imposèrent un moment de silence.

Tout allait donc finir pour eux, voilà le résultat.

Aussitôt un homme d’une trentaine d’années, ayant la tournure d’un marin d’allures décidées, prend la parole.

Il se nommait Jérôme Kervel, était de Douarnenez. Sa première profession avait été la pêche, il s’était jeté dans la ligue, sans avoir de convictions religieuses, comme les autres qui l’accompagnent il était pillard et débauché.

Les hobereaux de campagnes, les fins bourgeois étaient en grande partie restés chez eux. La masse des ligueurs était formée d’un ramassis de Douarnenez, Quimper, et des campagnes environnantes.

Jérome Kervel avait la voix forte, dominant la foule, et dans un langage moitié breton, moitié français il dit :

Ah merci, Kermélec, la mort de Valois met fin à nos incertitudes… vides sont nos bourses par suite des mauvaises affaires des princes, et ceux-ci sont toujours funestes au pauvre peuple.

La ligue au profit de Mercœur n’est plus une bonne source, nous le savons tous, puisque nous allions l’abandonner. Si le Duc triomphe, serons nous plus riches, non, nous resterons toujours aussi pauvres aussi malheureux (paoul ato) nous resterons ses vassaux, s’il est battu ce sera la même histoire… nous serons les vassaux du vainqueur (paoul ato).

Eh bien, notre sûreté l’exige, restons ligueurs, puisque nous le sommes, mais soyons ligueurs pour notre propre compte comme nous en avons formé le projet.

Seigneurs huguenots, seigneurs catholiques, tous boivent, mangent, s’engraissent, s’enrichissent au dépens du pays, et le pauvre pays est ruiné et ne peut suffire à notre industrie.

Faisons comme eux et pillons… Le roi de France est loin, et si un jour il vient à nous, nous serons forts et riches, alors nous ne céderons qu’aux promesses d’argent et d’amnistie.

Choisissons un chef, un capitaine parmi nous (a dus tu), et en guerre aussitôt, il n’est que temps vous le savez bien.

Il paraît que c’était dans les projets du complot, car ils furent unanimes… oui un chef, un capitaine qui guerroiera au nom de Mercœur.

Sans attendre, Kervel ajouta… Ce chef sera moi, si vous le voulez… Il paraît que le marin n’était pas aimé, car un murmure significatif fut la réponse… C’était un refus. Ah dit un gaillard déterminé… Qui es-tu, Jérome Kervel, pour nous commander, nous voulons bien marcher mais pas sous tes ordres… Tu connais ta baie, tu connais tes côtes, tes salaisons… tu portes un poignard, tu as une arquebuse, et après ? Qui de nous n’en a pas ? Tu n’auras pas ma voix.

Vraiment, Michel Tanguy, crie le pêcheur : Pour toi, tu ne comptes pour rien ici… Le premier, tu devrais faire silence (peoc’h, peoc’h) toi, ton père était huguenot, et ta mère ne t’a fait catholique que pour vivre de l’église par la ligue… Il fallut séparer les deux ligueurs jaloux, car ennemis depuis longtemps ils allaient en venir aux mains… L’assemblée surexcitée cria de nouveau… un chef, un maître auquel nous obéirons tous.

Le jeune homme à plumet rouge, resté jusque-là impassible lève la tête, et tirant son épée du fourreau, repoussa un des assistants, et se mettant au milieu du cercle : Ce sera moi, votre chef compagnons.

À la surprise que causa cette exclamation, tous le regardèrent étonnés… néanmoins un peu d’admiration se manifesta. L’air audacieux et ferme de Guy Eder parlait en sa faveur. Kervel ambitieux déçu, ricana… Jeune page, qui es-tu ? Tu ne portes les couleurs, ni de France ni de Bretagne, peut-être, es-tu pour les espagnols, et don Diego Brochers est-il débarqué au Blavet ? T’envoie-t-il prévenir Nicolas Aradon, gouverneur de Vannes, qu’il est temps d’aller reprendre Hennebont ? allons, parle donc… veux-tu nous enrôler sous les bannières espagnoles ?

Kervel ne fut pas interrompu par un rire bruyant, car la tenue du beau cavalier avait fait impression, aussi ajouta-t-il simplement… Kermélec, tu es un brave de vieille date, ligueur endurci, incapable d’une trahison : Quel est cet étranger que tu amènes, et qui veut de suite commander à des Bretons… Il faut un Breton pour des Bretons, et tous nous sommes Bretons ici… Guy Eder, s’était croisé les jambes, restant immobile appuyé sur son épée dont la pointe était à terre.

Le mercier répond sans hésiter.

Je revenais de Paris, comme vous le saviez tous. Depuis Rennes cet étranger a fait route avec moi, jusqu’à Vannes, où il venait pour rejoindre les troupes du Duc… Pendant une nuit, trois soldats royaux nous ont surpris, attaqués, en nous barrant le passage insolemment, je me croyais perdu forcé d’abandonner rançon… mon jeune homme a dégainé, j’ai entendu le heurt d’une épée, ce ne fut que l’affaire d’un instant… et mon compagnon m’a dit sans porter secours aux royaux… Mes armes sont bonnes, j’en remercierai les juifs qui me les ont vendues… partons ! la route est libre… Nous nous sommes éloignés à la hâte, et mon compagnon m’a demandé l’état des affaires, et l’hospitalité, il est digne de nous je vous assure, audacieux et brave entre tous… je lui ai parlé de notre rendez-vous sur la colline, et il m’a accompagné… Et se retirant, Kermélec s’en fut prendre place près du beau jeune homme.

La troupe impatientée, criait toujours… Nommons un capitaine pour nous commander, et ils regardaient le beau gaillard de 15 ans, car ils avaient reconnu en lui un homme supérieur, digne d’être à la tête des ligueurs hardis comme eux, déterminés comme eux à tout… Ce chef ce sera moi, vous dis-je, dit Guy Eder. Je suis Breton, je me nomme Guy Eder de Beaumanoir de Lavardin, baron de La Fontenelle, je vous promets la victoire, le pillage, la fortune, moi aussi je veux vivre, je saurai mourir pour vous, si vous savez mourir pour votre chef, et ce chef je veux l’être : je le serai.

L’assemblée était électrisée, spontanément, trente épées, autant de poignards se lèvent, au cri de vive le baron de La Fontenelle. Kervel lui-même subit l’ascendant général, car déjà ils avaient promis de prendre un chef, mais on n’en trouvait aucun d’assez influent ni d’assez imposant pour donner des garanties à un bon commandement.

Guy Eder savait parler à des ligueurs, ou prétendus tels, car tous ils étaient gens de sacs et de corde, néanmoins il s’agenouille, tous l’imitèrent… Se relevant, il brandit son épée, sus sus ! soldats de l’union, et que Dieu nous protège. Ce fut toujours son cri de guerre, auquel il joignit le nom de Mercœur… Il ne l’avait jamais vu, et s’en souciait peu, mais c’était un pavillon couvrant la marchandise.

Le lendemain, on incendiait un hameau, aux environs de Carnac… Les habitants affolés fuyaient entendant retentir derrière eux, le cri, vive Guy Eder.

Il n’est pas difficile de comprendre l’état de ces désespérés… l’instinct commun de la conservation, le besoin les avait réunis… Comment vivre désormais après une vie de rapines qu’ils avaient menée à la suite du Duc de Mercœur, qu’ils abandonnaient, parce qu’ils prévoyaient la fin des beaux jours, le Duc pouvait se soumettre, et tout prendrait fin.

Reprendre le travail, impossible ! la pêche, la côte, impossible ! pouvait-on rentrer dans les familles elles-mêmes ruinées.

Qu’arriva-t-il en 1871… Nous sommes en siècle de progrès, et cependant, y a-t-il eu plus de sagesse, plus de lumière. C’était la conséquence des privations endurées en commun, l’oubli du travail, le manque de discipline… Ils allaient être obligés cependant de se plier à une main de fer, car Guy Eder nomma immédiatement ses lieutenants qui furent Kervel et Tanguy.

Kermélec resta le conseiller et l’ami, et son influence s’exerçait visiblement sur la troupe.

Guy Eder avait dit… d’autres compagnons viendront et nous deviendrons maîtres de la Bretagne. Temps de pesantes ténèbres, époques agitées, une main invisible bouleverse les peuples, les font rouler les uns sur les autres… D’autres fois, une action plus lente est le moteur invisible… C’est quand sans rien déplacer, les événements se bornent à changer la face des nations… Ces catastrophes laissent les peuples méconnaissables.

La ligue participant de ces deux actions, emporte un double intérêt par là-même.

Toutes ces considérations ne paraitront pas superflues, avant d’arriver aux atrocités commises en Basse Cornouaille. Elles ne les excuseront pas, mais elles les feront prévoir.

Considérons la ligue, comme première révolution des temps modernes en France.

1789 n’est pas un second acte, pas plus que la prétendue anticipation de l’écrasement de la féodalité par les rois n’en fut le premier. La ligue est une révolution, 1789 en est une autre, et ces deux réactions n’ont rien de commun entr’elles, l’enchainement de l’histoire est le seul lien qui les unit.

Henri IV pose les fondements d’une société nouvelle, Louis XIV doit en achever le faîte.

La noblesse ne consiste plus que dans quelques titres fastueux. Les provinces représentées par de grands vasselages vinrent se fondre dans une concentration, seule l’armée perdit la dernière sa physionomie féodale. Le pouvoir se dépouilla de ses vieux freins, un lien inconnu lui est imposé, celui-ci plus puissant que les autres, l’Opinion. Despotique dans ses institutions, le gouvernement devient moderne dans ses effets.

La Bretagne réunie à la France nous occupera désormais. Le chanoine Moreau sera notre guide.

Ce chanoine est né à Beuzec, Cap-Sizun, dans un village dont je ne trouve le nom que dans une paroisse voisine, mais limitrophe, et peut-être même ce même village pouvait-il être jadis de la juridiction de Beuzec : à Kergadou, il fut pourvu de la prébende importante de Beuzec en 1595, et celle-ci était vacante par la mort de Henri de Haffonds.

Je dois le dire, les archives de Beuzec ont été brûlées il y a environ un siècle… manière bien simple d’écrire l’histoire, mais regrettable pour les chercheurs. Il m’a donc été impossible, malgré mon vif désir, d’y puiser… Moreau était auparavant, conseiller au présidial de Quimper, nommé le 14 décembre de cette année, fabrique de la cathédrale, il fut député à Rennes pour défendre les intérêts du chapitre de Quimper. Dans un voyage à Paris il fit la connaissance de La Fontenelle, au collège de Boncourt.

Ce chanoine Moreau, habitait à la tour du Chastel (place Saint-Corentin) à la maison prébendale, vis-à-vis de l’une des portes septentrionales de la cathédrale, où il est enterré.

Il était de l’époque, il est donc plus à même que qui que ce soit de nous dire que Guy Eder naquit au château de Beaumanoir-Eder, commune du vieux Quintin, dans la trève de Leslay.

Le nom de Beaumanoir illustra le combat des trente. Ce n’est cependant pas de la famille de ce brave chevalier, que descend Guyon.. petit nom qu’il se donnait. L’écusson armorié placé aux portes du vieux manoir, porte cependant les armes de la famille, nous dit M. Le Bastard de Mesmeur qui l’a visité… Guy Eder prit le titre de baron de La Fontenelle d’une maison noble de son patrimoine… Moi-même j’ai rencontré dans les environs de Plestin-les-Grèves, des De Beaumanoir habitant la campagne et en portant le costume.

Voici le portrait de La Fontenelle, tel que je l’ai trouvé décrit dans un auteur ancien.

Craint plutôt qu’aimé de ses condisciples, il n’exerçait sa terrible influence sur eux, que dans les occasions où une offense était dirigée contre lui, ou contre ceux pour lesquels il avait du penchant… Adroit, supérieur à tous dans les jeux, il n’y mettait aucune malveillante animosité mais dans l’emploi de ses forces, et lorsqu’il s’agissait d’une répression, on remarquait un développement de facultés au-dessus de son âge.

Physique régulier, pouvant faire deviner le moral. Les mouvements de son corps n’étaient pas sans grâce, leur souplesse avait quelque chose de rapide, d’instantané, dont l’allure se trouve dans les animaux de l’espèce la plus cruelle… Visage d’une grande beauté. Les yeux étaient bleus. Les sourcils noirs contrastaient avec une chevelure blonde ; une bouche bien dessinée s’ouvrant rarement pour sourire, le serrement de ses dents qui se montraient à découvert, décelait une contraction nerveuse intérieure.

Lorsqu’il se livrait à sa nature, lorsque les passions pour lesquelles il se montrait organisé se mettaient en jeu, il n’y avait pas de termes pour rendre l’effet terrible que produisait l’ensemble de sa personne.

Il en est ainsi dans la nature… Les types qui rappellent l’oiseau de proie, le félin, le fauve ne devraient pas vous tromper… ils le font, hélas ! cependant… l’avenir vous dira qu’ils agissent avec des instincts mauvais, quand le sentiment religieux, l’éducation première ne vient pas corriger ces défauts. Ils sont bons quelquefois, mais aussi ne faut-il pas que leurs intérêts soient en cause… Souvent ils sont nés pour de grandes actions, mais alors il faut qu’ils soient dans un milieu propice, et alors ils feront tout pour y arriver… Je dis tout ceci pour les hommes qui font une étude spéciale des tempéraments.

Le chanoine Moreau qui se rendit à Paris en 1589, eut l’occasion de pronostiquer la vie du célèbre ligueur, c’est peut-être à cela que nous devons l’histoire de la ligue en Bretagne.

Le Collège de Boncourt venait d’être rebâti ; c’était le rendez-vous des jeunes Bretons… Le principal du Collège s’appelait Pierre Galland. Dans les célèbres et regrettés Collèges de la Cie de Jésus, on les appelait, pères Recteurs.

Il n’y avait rien d’étonnant dans la visite du chanoine, rien d’extraordinaire non plus, si le P. Galland ou bien des auditeurs, ont conservé la mémoire ou la relation de l’incident relatif à Guy Eder enfant ou plutôt adolescent — il avait 15 ans. —

Reportons-nous à ce vieux temps, à ces vieux collèges dans lesquels l’instruction et l’éducation étaient loin d’être ce qu’elles sont aujourd’hui.

L’entrevue eut lieu au réfectoire. Il y avait fête, et le livre de lecture devait être abandonné, n’attendait-on pas la visite de la députation de la Basse Cornouaille ? Les élèves alignés autour des tables, étaient debout, on n’entendait que le bruit traînard des pas des valets, alors appelés cuistres.

Le Père Recteur, homme sévère, craint des élèves, introduisit les invités. Comme on le pense, les jeunes écoliers n’avaient de regards que pour les députés de la Cornouaille. Sans donner grand temps à mettre chacun à sa place, la voix du père Galland, toujours sérieuse, se lève et appelle… Guy Eder de Beaumanoir.

L’écolier étonné, dresse brusquement son front pâle et pensif. D’un pas lent et fier il traverse le réfectoire, il s’arrête devant le groupe avec une inclination de tête hautaine… vrai salut de gentilhomme, et attend, silencieux et droit, sans manifester aucune émotion comme si cet incident ne l’avait pas rejeté dans un monde extérieur.

« Messire de la Fontenelle, dit le P. Recteur, voici un noble clerc de l’évêché de Cornouaille, ses talents lui ont mérité l’honneur d’être choisi pour défendre les us et coutumes de votre pays… Je suis désolé de n’avoir à lui rendre de vous que triste compte d’insubordination. »

Le visage d’Eder resta froid… Cette manière peu flatteuse le froissait cependant, car une contraction des traits indiqua le contre-coup d’un effort produit par ces paroles sévères bien que justes, tendant à éloigner de lui un homme de sa Bretagne, pour laquelle tous les vrais Bretons ont un culte.

L’écolier pâlit légèrement.

Le chanoine lui dit : « Je suis peiné de ne pas vous voir suivre les traces glorieuses de ces hommes dont notre Bretagne s’honore, de n’avoir rien de flatteur à dire à votre frère ainé, Amaury, loyal et brave gentilhomme.

» Cependant, si vous voulez m’engager votre parole de Breton, de chercher désormais à réparer vos fautes, je n’apporterai à votre famille que la nouvelle de votre résolution. » Le chanoine Moreau, on le voit était un excellent homme, mais le P. Galland qui, nécessairement, avait prémédité cette leçon, interrompit avec le même air sévère.

« Si vous voulez lui épargner un sacrilège, faites lui plutôt jurer de ne plus lâchement écraser les enfants, qui n’ont ni son âge ni sa force, de ne plus fatiguer ses maîtres contraints de lui infliger des punitions, devant lesquelles son orgueil ne peut fléchir, et qui pour lui ne sont pas des leçons, car il reste indifférent à toutes, c’est avec dédain qu’il les subit. »

L’adolescent fièrement, la figure colorée d’un rouge pourpre : « J’écrase ce qui me gêne, et je ne regarde pas si c’est un ver ou un serpent… je l’écrase, c’est plutôt fait. »

Un grand silence d’attention se fit… Guy Eder lève le front et sans regarder le P. Recteur, il s’adresse à Moreau :

« Voulez-vous que je vous parle en homme, de vous à moi, comme si nous étions seuls, et il paraissait tout à fait indifférent aux autres professeurs et condisciples — ils n’étaient rien pour lui.

» La vie est chose de Dieu, dans laquelle il a marqué à chacun sa destinée. Croyez-vous que les prudences humaines puissent changer l’œuvre du maître… Sa volonté est là… j’ai foi à mon destin. »

Moreau souriant d’abord devint soucieux aux dernières paroles.

« Comment donc enfant de 15 ans, remplissez-vous les heures du jour avec pareilles pensées ? Quel sommeil est le vôtre ? L’ennui doit vous dévorer… Vous croiserez donc les bras, avant de vous livrer à de glorieux travaux ? Vous attendrez donc l’heure de Dieu ? Enfant, vous êtes sur une pente glissante, vous faites erreur.

— Non, répond La Fontenelle, sans hésitation, c’est vous qui errez, on voit que vous n’avez pas entendu la voix du destin…… Et avec une énergie hautaine : « Malgré vous, malgré tout le monde, je marcherai le front haut seul et libre, toujours en avant, jamais je ne reculerai. Si j’écrase quelques hommes, tant pis pour eux, je fermerai l’oreille et je ne reculerai pas.

Et les yeux de l’adolescent s’illuminèrent d’un éclat subit et dominant la foule, comme indifférent, il va reprendre sa place.

Pauvre enfant, dit maître Moreau hochant la tête, prends garde, prends garde à toi… Et il resta un instant soucieux quand le P. Galland l’invita à s’asseoir pour prendre place au festin qui les attendait… Personne ne riait.

Ceci se passait un dimanche de mai 1589… Quelques jours après, Guy Eder s’évadait du collège, vendait ses livres, ses effets d’écolier, achetait un poignard et une épée. Il voulait rejoindre le Duc de Mayenne, mais il fut dévalisé en route par une troupe nombreuse ; il ne put se défendre car il avait été surpris. Forcé de revenir au Collège, il n’y resta pas longtemps.

Quelques jours après il abandonnait le Collège de Boncourt, pour toujours ; il se dirige cette fois vers la Bretagne pour aller voir le Duc de Mercœur, qu’il voulait rejoindre cette fois-ci : c’est à ce moment précis que je vous le dépeins arrivant à Vannes, avec un compagnon qu’il avait fait en route, Kermélec, ligueur aussi mais réfractaire et associé à une bande à part, gens lassés de se battre sans grand profit : J’ai raconté comment il se fit nommer chef…

À la tête de la troupe qu’il sut rendre disciplinée et soumise à ses ordres, il se mit à commettre des rapines, sans trop examiner s’il avait affaire à de vrais ennemis de l’union. Il savait trouver quelques prétextes pour trouver quelques motifs. Il arborait bien le pavillon de Mercœur, mais c’était plutôt pour son propre compte…

Son frère Amaury était bien pour la ligue, mais il n’était pas militant, fit désapprouver la conduite de son cadet. Celui-ci n’écouta rien, et lui enleva ses domestiques qui vinrent avec d’autres compagnons des environs de Quintin, grossir la troupe du partisan qui n’avait que quinze ans.

Aussitôt qu’il se vit à la tête d’une troupe plus nombreuse, car d’abord il allait avec prudence, se contentant de piller quelques hameaux isolés, chez quelques seigneurs partisans avoués de l’autorité royale, il se mit à piller les châteaux des environs, partout il répandait la terreur, avec une préméditation stratégique si je puis m’exprimer ainsi, voulant terroriser au point que son nom (peut-être ce fut lui qui le fit répandre), devint celui-ci répandu par les campagnes à son approche : ar bleï ! ar bleï !… le loup ! le loup !

Il étendit ses ravages dans les évêchés de Tréguier, de St-Brieuc simulant d’abord le respect des églises. Il n’y voyait pas encore son intérêt, plus tard il ne les respectait plus.

Se sentant plus fort, il se mit en tête de s’emparer de Guingamp. Sa bande était un ramassis de Bretons auxquels se joignirent quelques Espagnols, et tous étaient pleins d’audace, et ne reculaient devant rien, car ils ne redoutaient rien. Il avait su inspirer une grande confiance… Il se jeta sur le château de Coëtfrec, à quelque distance de Lannion… Cette place surprise, La Fontenelle s’y fortifia, en faisant sa principale résidence, on devrait dire son repaire si l’on voulait exprimer une idée juste.

Lannion pillée, Paimpol ensuite, il revint sur ses pas, alla jusqu’à Landerneau… Tristes époques, vraiment sans autorité, sans autres lois que celle du brigand.

Arrivé dans le Bas-Léon, il fut forcé de s’arrêter par crainte des troupes de Sourdéac, gouverneur de Brest, il retourna de nouveau sur ses pas, rentra dans les Côtes-du-Nord, toujours impunément.

Toujours au nom de Mercœur qu’il ne connaissait même pas… le Duc avait bien conclu une trêve, mais combien la trêve importait peu à Guy Eder qui ne prenait conseil que de lui-même.

Enfin la garnison de Tréguier, outrée de tous ces brigandages, vint attaquer le repaire de Coëtfrec, où il avait laissé des troupes… Celles-ci furent forcées de capituler, et d’abandonner la place… La Fontenelle à cette nouvelle qui lui parvint par un soldat échappé au massacre, n’en devint que plus furieux, plus audacieux, et sa bande partageait ses sentiments… Alors il donna le nom de représailles à ses cruautés.

Kermélec, de Vannes, prudent et de bon conseil, lui était dévoué… Il ralliait par son influence les plus turbulents de la bande… Tanguy, choisi pour Lieutenant à Vannes, ainsi que Jérôme Kervel, maintenaient le fanatisme qu’inspirait la vue du panache rouge toujours porté par le chef… Celui-ci avait adopté casque et visière historique qu’il ne relevait jamais… La troupe ne pouvait donc se rendre raison de son jeune âge.

Sans posséder un grade bien distinct dans la troupe, un troisième avait une réelle autorité sur les ligueurs indociles… il s’appelait Rheunn, René. Il était natif de Poullan, près Douarnenez. De haute taille, âgé de 28 ans, ses longs cheveux noirs flottaient sur les épaules, comme aux vieux celtes. Les traits de son visage basané, avaient une inconcevable expression d’audace et de finesse.

Jamais il n’avait abandonné le costume de son village, une armure ne lui allait pas, par-dessus ses braies bouffantes. On voyait simplement qu’il faisait partie de la troupe, par une longue épée qu’il portait à sa ceinture de cuir… Celle-ci soutenait en même temps un large coutelas, qui lui tenait lieu de poignard.

Guy Eder l’aimait beaucoup, l’estimait fort pour son dévouement surtout pour son audace.

« Si dans une mêlée, mon brave Rheunn, tu sentais une lame s’appuyer sur ta gorge, sois sans crainte et appelle ton chef, il te répondra. »

Ces paroles, La Fontenelle les avait dites un jour, où il avait dû la vie à Rheunn dans un moment critique.

Jusqu’au dernier moment, Rheunn restera fidèle à la cause… il dénonçait les traîtres que l’on punissait illico.

Les pertes éprouvées à Coëtfrec avaient été réparées, plus de 2,000 hommes marchaient sous les ordres de l’adolescent de Boncourt… Celui-ci avait savamment enrégimenté ses recrues, il avait nommé de nouveaux lieutenants.

Chaque jour on viendra vous dire, et je l’entends moi-même dire à des gens bien intentionnés qui n’ignorent pas les recherches faites pour ce travail :

Dans tel endroit il y avait un camp de La Fontenelle, une autre personne dira la même chose, indiquant un endroit différent, un château plus éloigné… Oui, mais il faut s’entendre… Devenu chef de quelques milliers d’hommes le partisan disséminait ses troupes, avait différents lieutenants et par des ramifications savantes, en vrai stratège, il les tenait sous la main, les poussant, les dirigeant quand il fallait.

Kervel, rapace, avide, ne donnait jamais à sa troupe le moindre repos, aussi était-il à l’avant-garde, toujours en maraudes funestes aux malheureux… Il faisait fuir en jetant le cri d’’alarme que nous avons dit : ar bleï, ar bleï (le loup, le loup).

Un autre souvenir est encore resté, c’est celui du son de corne de La Fontenelle… Celui-ci devait donc un peu relever la visière pour donner ce son aigu, strident, qui se répercutait au loin… Malgré tout, La Fontenelle a laissé dans quelques pays, des souvenirs presque romanesques… Il en est de même dans les histoires de banditisme… Dans les pays de Tréguier, des chants sont à sa louange. Qu’est-ce à dire et comment expliquer cela ? Je me le demande : faut-il l’appliquer à la seconde phase de sa vie ? Il n’en voulait donc pas d’abord aux pauvres paysans et ses pillages n’allaient-ils qu’aux châteaux ? Enfin donnait-il ses ordres ?… On est forcé de le reconnaître, il existe toujours de grandes qualités réunies à de grands défauts. C’est souvent la conséquence. Les unes n’excusent pas les autres.

Quoi qu’il en soit, dans toutes ces marches, dans toutes ces contremarches, le jeune chef sut déployer une grande tactique, une grande ruse, surtout un grand talent à couvrir ses compagnons, ce fut toujours son but, ménager le sang des siens, au détriment de l’ennemi, ce fut même on le verra plus tard, un des grands motifs de ses représailles sanglantes… Les chefs de la ligue semblaient compter avec lui… et lui ne se gênait pas pour dire : « Nous arriverons à être les maîtres de la Bretagne, alors nous ferons ce que nous voudrons. »

J’ai donné succinctement toutes ses prouesses dans le Léon, dans le pays de Tréguier, dans les Côtes-du-Nord. Je n’y attachais pas grande importance, puisque mon but n’est que de peindre le dévastateur de la Cornouaille seul. Ceci n’est donc que comme une première couche de peinture, sur laquelle je vais tâcher d’appliquer la teinte vraie, ses prouesses en Basse Cornouaille.

Nous laisserons le partisan après tous ces méfaits arrivant dans les environs de Carhaix… Là il prend possession de l’église Saint Trémeur… C’est là qu’il établit ses magasins, son arsenal, son château fort… À cette époque beaucoup d’églises étaient fortifiées.

Avant d’arriver à son campement à l’île Tristan, d’où il opéra si cruellement, je parlerai de l’incident que je vais raconter, La Fontenelle fait prisonnier à Vannes.

C’est en 1592 qu’il s’installa à Carhaix, mais ce n’est plus la Basse Cornouaille pour laquelle seule je désire écrire.

Je dois avouer que l’incident de Vannes est toute l’histoire de la conduite antérieure, parce qu’il narre toutes ses cruautés multiples, qui sont les chefs d’accusation.


II

La Fontenelle aux États de Vannes

Je viens de dire que le Duc de Mercœur avait bien conclu une trêve, mais cette trêve importait peu à Guy Eder qui ne prenait conseil que de lui-même.

Le Duc profitant de la trève avait convoqué les États à Vannes.

Le baron de La Fontenelle qui guerroyait au nom de Mercœur, mais sans ordres précis, songea à faire connaissance avec le chef de la ligue, qui ne devait pas être sans avoir eu connaissance de ses exploits… il n’était pas convoqué, et abandonna sa troupe qu’il confia à ses lieutenants.

Toujours audacieux, visière baissée, il se présente à la salle des séances… Son nom seul était connu, mais il ne le savait pas si redouté, malgré tout il prend place. Le Duc de Mercœur présidait.

La séance fut inaugurée par des doléances, et toutes se rapportant aux pillages de Guy Eder… Plaintes de Guingamp, plaintes de Lannion, plaintes de Paimpol, de Landerneau, de Châteauneuf-du-Faou, etc., etc… Le nombre était grand, les ravages avérés.

Le Duc ayant parlé dans la salle, un grand silence se fit. « Députés des États, je vous donne la parole… d’abord à ceux de Paimpol »… Trois acclamations, vive le Duc de Mercœur se firent entendre. Aussitôt un vieillard se lève, et d’une voix tremblante il dit :

« La Ville de Paimpol et son territoire ont été dévastés, et nous venons nous plaindre du chef qui combattait en criant cependant, vive Mercœur. »

Et quel est le nom de ce chef, demanda le Duc. La Fontenelle dit le vieillard… Aussitôt un sourd murmure se répand dans la salle, nom d’un brigand semblait-on dire. Mercœur répond… J’ai entendu parler de ce chef qui combat sous ma bannière, et j’ai entendu dire que c’était un homme hardi et audacieux… malgré tout, après de pareils méfaits il mérite la corde, et il l’aura… quant au secours d’argent que vous demandez, je l’accorderai, mais quand le pape aura payé les sommes d’argent qu’il promet toujours à la ligue, et qui tardent à venir. Ensuite il ajouta : Députés de Landerneau, qu’avez-vous à dire ?

Ce fut la même histoire, mais plus dramatique s’il est possible. Eh bien, dit le Duc, quel est le nom de ce chef dont vous ne voulez pas prononcer le nom ?… La Fontenelle, dit comme avec terreur le plaignant, riche Léonard du Bas-Léon.

Le Duc en colère… Il sera deux fois pendu… Mordieu après ce que vous en dites, quel est donc ce coquin ?

Je m’étonne cependant, dit Mercœur, il a une vaillante épée, et toujours je l’ai appris avec plaisir et de bonne source, il pénètre dans les places qu’il occupe, en criant vive le Duc de Mercœur, et c’est avec ce cri qu’il a plusieurs fois, taillé en pièces des partis royalistes… mais qu’importe, mordieu, il ira à la potence qu’il mérite… En attendant, à cause de ces ravages, pour cette année seulement, j'exempte ceux de Landerneau de la taxe dont ils sont imposés depuis 1408. Je passe à d’autres doléances suivant l’ordre d’inscription.

Nombreuses plaintes furent portées encore contre des faits de cruauté, de ruse et de rapine et de barbarie… Un jour toute la campagne environnant un de ses camps fortifiés, se trouve parsemée de cadavres… on les comptait par centaines, de gens que l’intérêt de la conservation avaient réunis pour se défendre et s'opposer à de nouvelles exactions… Guy Eder défendit de laisser relever les morts, qu’on laissait en pâture aux fauves nombreux de l’époque… Le cadavre d’un ennemi mort, a toujours bonne odeur ajouta-t-il ironiquement… L’émotion de la salle entière était grande quand le Duc fermement mais avec une extrême colère prit de nouveau la parole.

« Députés de Châteauneuf-du-Faou, vous avez la parole, et votre agitation paraît extrême, parlez sans crainte, ma justice ne vous fera pas défaut. »

Seigneur Duc, dit, les larmes aux yeux, un homme jeune encore, mais on voyait à sa manière qu’il était habitué à manier la parole dans les procès, ses intonations indiquaient un membre de l’ordre judiciaire… Ceux du Faou se sont servis de votre serviteur pour réclamer prompte justice… Un pillard incendiaire, un sacrilège qui vient sous les couleurs de la ligue, contre toutes les formes de la justice, et au cri de vive Mercœur, il s’est emparé de la ville, l’a frappée des contributions onéreuses, a pillé l’église… Un des soldats digne de marcher sous les ordres d’un tel chef, a enfoncé le Tabernacle, s’est emparé du Saint-Ciboire. Les hosties consacrées ont roulé à terre, un prêtre indigné, bien que repoussé à coups de hallebardes, s’est trainé jusques aux hosties éparses. Dans sa ferveur il a communié cinq fois pour s’opposer au sacrilège… Le soldat furieux l’a frappé de sa pique, et l’a tué… À ces paroles dites avec entrainement calculé, oratoire, pathétique, la salle se lève, les membres crient, vengeance, vengeance… Et le Duc au comble de l’agitation.

Et c’est encore le baron de La Fontenelle le chef coupable est-ce lui le chef de ce soldat… Lui, Monseigneur, vous ne vous trompez pas, c’est cet homme qui partout répand la terreur, sous votre nom qu’il emprunte pour commettre tant de crimes révoltants… Un frémissement parcourt l’assemblée, et le Duc ne se possède plus, il frappe le plancher de l’estrade du fourreau de son épée de combat, et ses yeux étincèlent, car sa colère est au paroxysme. La Fontenelle, lui toujours, lui, encore ce brigand plein d’audace et de cruauté… mais c’est donc un vieillard endurci dans le crime, c’est donc un monstre hideux que le bourreau seul saurait regarder et punir, et d’où vient-il donc ce baron maudit ? Qu’on le trouve qu’on l’amène mort ou vif… Et sa colère n’était pas jouée, son émotion le trahissait dans tous les traits… Qu’on le trouve, qu’on l’amène mort ou vif…

Un gentilhomme dont la visière était baissée se lève, avec calme il s’avance au milieu de la salle… tirant son épée du fourreau il la dépose aux pieds du Duc, ensuite lentement levant la visière du casque, la tête haute il dit, froidement : Me voici, je suis Guy Eder, baron de La Fontenelle.

Nul ne saurait peindre l’expression qui se produisit dans la salle… Les assistants ont les yeux tournés vers cette belle tête ombragée de longs cheveux blonds… Sur son visage la grâce, le charme séduisant de la jeunesse malgré toute l’âpreté d’une pensée guerrière et aventureuse… Le Duc reste interdit et stupéfait. J’ai demandé dit-il, qu’on m’amène le baron de La Fontenelle… Haussant la tête froidement, insolemment c’est moi, dit le fier jeune homme.

Eh quoi, le dévastateur de Paimpol, de Landerneau, du pays de Tréguier, le meurtrier de Châteauneuf serait vous ? Et les traits du Duc expriment un étonnement indicible.

Oui, c’est moi, répond l’inconcevable adolescent.

Toi, toi, toujours toi, mais c’est impossible.

Quel est ton âge ?

Dix-sept ans.

Les membres des états assis intimidés, considèrent presqu’avec autant d’angoisses que de curiosité, l’élégante et noble figure du jeune homme, chef déjà célèbre, redouté partout.

Quant au Duc, il paraissait vouloir échapper à l’obsession d’un rêve. Après être resté examiner l’étrange coupable qui s’offrait à lui, il reprit avec une dignité sévère, mais sans colère

Par quelle insolence inouïe, fléau de la province que tous ici accusent, viens-tu jusque dans cette assemblée braver ma justice ? Guy Eder ferme et respectueux : je viens me justifier. On m’accuse, Seigneur Gouverneur, de crimes monstrueux, eh bien moi, je les dénie, et j’accuse mes dénonciateurs, et les rôles vont changer… On l’interrompt, et sa dernière phrase il la répète en l’accentuant… Oui je les dénie, et je mérite des louanges… J’ai voué mon sang, ma vie aux intérêts de la Sainte Union, Duc, vous en êtes l’illustre chef, j’ai arboré votre drapeau sans vous prévenir, sans vous connaître, c’est vrai. Je ne suis pas fait pour obéir et j’ai pris un commandement où la fortune me l’a offert… Plus de 3 000 braves marchent à ma suite et je combats pour vous… Mais oui, nous sommes entrés à Paimpol, à Lannion, à Landerneau, à Châteauneuf, à Carhaix, tous ces bourgs étaient infidèles à votre Seigneurie, c’est-à-dire, qu’ils chantaient pour la ligue, mais ils travaillaient pour les royaux… J’ai frappé des contributions, eh bien ! ne valait-il pas mieux fouiller dans les poches des rebelles que d’épuiser les trésors d’un noble chef, auquel je ne demande rien. Un de mes soldats a tué un prêtre… j’ai enterré le prêtre et j’ai fait pendre le soldat… Qu’a-t-on à me reprocher ?

Que les princes viennent, que Navarre avec tous ses huguenots apparaisse vous les verrez se joindre à eux… Ma défense, mes preuves les voilà… Soyez-en témoin et juge Seigneur Duc, et que Dieu vous assiste… Et ces paroles il les dit avec assurance. Reculant de quelques pas, debout et impassible, Guy Eder attendit l’effet de ses paroles.

Vous êtes donc, dit Mercœur, le parent de maréchal de Lavardin qui de huguenot se fit catholique, en entendant sonner le beffroi de la Saint-Barthélemy… C’est mon cousin, il était franc ligueur et s’est vendu à Henri de Navarre, je prie pour son âme… Prie Dieu pour toi-même dit Mercœur soucieux… Autant d’années, vous avez vécu, comte de Beaumanoir Eder, autant d’heures il vous reste à vivre et lentement, s’adressant aux nombreux archers qui siégeait à la porte de la salle… Archers, saisissez-vous de cet homme. Guy Eder leva sur le Duc, des yeux qui n’exprimaient pas la terreur, mais une extrême surprise.

Un sentiment involontaire voulut qu’il porta vers le ciel ses grands yeux bleus, et saluant le Duc atterré, il sortit de la salle, au milieu des archers, qu’il dominait de sa haute taille. Messieurs, dit le Duc d’une voix mal assurée, et imposant silence aux députés dénonciateurs, et restant soucieux. La séance est levée.

La séance fut levée au milieu d’une agitation générale.

Le soir, les chefs bretons se réunirent. Une longue conversation s’en suivit, ils réfléchirent, et le soir, ils furent au Duc… Vous avez besoin, Seigneur, de secours, il vous faut l’appui des gens de guerre.

Entre tous, La Fontenelle est le plus brave, le plus audacieux. Mercœur, heureux de comprendre, rendit de suite la liberté à Guy Eder… Ce fut un pardon, une absolution, mais à une condition. Vous m’accompagnerez avec vos troupes sous les murs de Craon, attaqué par les Anglais.

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Guy Eder ne faillit pas à sa promesse, et de Craon, il donna des preuves de bravoure, et de grand talent militaire, la victoire resta à Mercœur… et La Fontenelle s’empressa de revenir continuer ses pillages… On se demande comment une répression ne vint pas y mettre un frein.

Je donne une explication qui me paraît juste et conforme à l’histoire et à l’esprit de l’époque.

La mort de Henri III, avait décuplé l’ambition de son beau-frère Gouverneur de la Bretagne, qui voulait s’emparer de toute la province pour lui-même, et il faisait croire aux Bretons que l’arrivée du Béarnais au pouvoir royal, eut été une menace pour la religion… Tout le clergé, tous les catholiques restaient attachés à la ligue, à laquelle se rattachaient paysans ecclésiastiques, haute noblesse… C’étaient les conservateurs d’alors… Bourgeois, parlement, petite noblesse de cœur avec le Béarnais, étaient le clan opposé.

Mercœur avait intérêt à temporiser, attendant tout des circonstances, le temps est le meilleur conseiller semblait-il dire.

Quimper était tantôt pour le roi, tantôt pour la ligue, mais davantage pour celle-ci… Ne vit-on pas le Maréchal d’Aumont forcé plus tard d’y venir, et l’argument le mieux compris par les Quimpérois fut de nombreuses batteries au sommet du mont Frugy… et de pareils arguments parlent mais ne convainquent qu’en apparence.

Aussi, on le vit bien, ne s’opposa-t-elle qu’avec mollesse aux déprédations de La Fontenelle, à son passage sous ses murs pour aller s’emparer de l’île Tristan… Alors aussi successivement eurent lieu, les sièges de Quimperlé, de Lamballe, de Kerouzère, de Guingamp, de Blain, etc… La Fontenelle ne nous étonnons pas, était comme oublié dans son île, éloigné qu’il était du centre des opérations.

La religion catholique n’était qu’un prétexte pour les ligueurs… Le cri de l’union vive Mercœur, un pavillon couvrant une marchandise égoïste. Les clairvoyants voyaient bien le jeu de Mercœur, car le Béarnais avait embrassé la religion catholique en 1593.

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Cependant on s’obstinait à tromper les populations. On maintenait savamment le désordre, et La Fontenelle en homme habile en profitait.

Est-ce pour cela que les archives sont muettes ? tout me porte à le croire, et la bonne fortune m’a procuré une excellente preuve à l’appui de ma thèse.

Que l’on aille à la chapelle de St-Pierre, en Plogonnec, et que l’on traduise comme je l’ai fait une inscription de 1594…

La voici telle que je l’ai copiée.

Clavigeri templi quod longum diruit œvum,
Claudius hic nemeus, prima fondamenta jecit.
Tertius Henricus, francos cum jure regebat… etc., etc.

Claude de Névet posa les premiers fondements du temple élevé à St-Pierre (clavigeri) — Henri trois roi légitime de France — 1594.

Notez bien que Henri de Valois était mort en août 1589, assassiné par Jacques Clément. La population de Plogonnec ne s’en doutait même pas… On ne ferait plus cela je pense avec l’instruction obligatoire… mon Dieu… qui sait ? les politiciens sont si habiles, que quand on le désire on fait croire aux électeurs que nous avons la paix, alors que nous sommes toujours en guerre… Il fait comme le disait Jules Ferry, faire de bons placements de pères de famille.


III

La Fontenelle se rend à l’Île Tristan


La Fontenelle avait promis au Gouverneur de la Bretagne d’aller avec ses 3,000 hommes d’armes aguerris, le rejoindre sous les murs de Craon… il luit tint parole. Dès lors qu’il s’agissait de batailler, rien ne pouvait le retenir. C’était un temps d’arrêt dans sa vie de rapines et d’exactions. Toujours est-il que l’apport du célèbre partisan ne fut pas une quantité négligeable… Ses troupes étaient aguerries, disciplinées, et il donna les preuves d’un grand talent militaire.

Quant à lui, il était peu inquiet des résultats d’une victoire, où tant de réformés trouvèrent la mort… Impatient de reprendre sa vie d’aventure, il revint vers la Basse Bretagne, se croyant désormais sûr de l’impunité ; il s’était acquis les grâces du Duc de Mercœur, cela suffisait. Qui aurait osé parmi les royaux, peu nombreux du reste en Bretagne, mettre un frein à cette vie de batailles, de luttes dans lesquelles il restait toujours vainqueur ; sans grand risque nous devons le reconnaître, pour les motifs énumérés au tableau précédent.

Avec sa bande il se retrancha à Carhaix. L’église Saint Trémeur fortifiée était son arsenal. Là se trouvaient ses magasins, où des richesses étaient accumulées… là aussi se trouvaient toutes ses munitions… Landerneau, les Côtes-du-Nord avaient subi ses exactions, le pays s’était appauvri, il fallait chercher un théâtre nouveau à de nouvelles prouesses, et se répandre au loin.

La position topographique de Carhaix ne lui inspirait aucune confiance… De tous points il se voyait découvert, et cette situation exigeait une surveillance plus grande.

Trouver dans la Cornouaille, un repaire à l’abri des coups de main, voilà quel était son objectif.

Comment lui vint l’idée de venir s’établir à l’île Tristan ? Nous devons croire que son dévoué Rheunn, de Poullan, n’y fut pas étranger.

Rheunn, enfant du pays dut lui parler-de la situation topographique de cette île, isolée par la mer et de ce côté facile à défendre, car nous devons nous reporter aux armes de l’époque… Ensuite l’accès par terre n’était pas non plus chose facile, car on ne connaissait nullement les combats à longue portée, seulement les combats corps à corps, un à un, par petits groupes. Car il calculait tout, et à ces conditions ses hommes d’armes pouvaient défier une troupe nombreuse.

Il savait que les circonstances allaient lui donner le loisir de se fortifier à son aise, sans une attaque prochaine de qui que ce fût. Là même au fort Tristan il ne pouvait être surpris par la famine.

Ce qui frappait dans ses soldats, c’était la confiance qu’ils avaient, non seulement dans son courage, mais dans la haute portée de son intelligence. Tous lui obéissaient sans un murmure.

Un jour il dit à son chef d’avant-garde : « Que demain soir, pour le coucher du soleil, mon nom soit répété par les échos de la baie de Douarnenez. L’église Saint Trémeur devra être évacuée promptement. Nous passerons sous les murs de Quimper et personne ne songera à nous arrêter… Les intelligences que j’ai dans la place, ne me feront pas défaut… et qu’importe ! »

L’île Tristan vue de Douarnenez, du vallon de la rivière, des hauteurs de Ploaré, semble un mamelon, s’élevant du sein de la mer… Alors on pouvait parler d’une portée de canon, que serait-ce aujourd’hui avec un fusil Lebel ? D’une part c’est Tréboul, d’autre part Douarnenez, tout autour une ceinture de rochers, dont la chaîne s’élève jusqu’à la grande mer. La base, du moins à son accès, reste à sec dans les marées basses, par mer on peut juger de la difficulté de son accès, par les rochers énormes qui hérissent ses flancs abrupts.

C’est sur le sommet de cet îlot, à la place du fanal actuel, et sur les coteaux que Guy Eder en 1595 songea à bâtir son repaire. Comme aux aigles, il lui fallait une aire inaccessible… il l’y trouvait.

Le 29 mai, Jérome Kervel attaquait vers le déclin du jour ; au milieu de la nuit, La Fontenelle achevait la conquête de la ville, s’emparait de l’île Tristan…

Aujourd’hui Douarnenez à bon droit prend le nom de ville, mais à l’époque c’était une bourgade modeste accroupie à l’entrée de la baie. La troupe de Guy Eder, longeant les montagnes d’Arrhée, sans prendre souci de la garnison de Quimper, prit un repos à Locronan : on n’y commit aucune exaction, qu’est-ce à dire ? N’avait-elle pas une année auparavant subi les exactions du partisan ? Locronan n’était pas alors ce triste bourg que nous traversons aujourd’hui, où les bestiaux restent dans les rues pâturer l’herbe que les pas des rares voyageurs n’ont pu fouler. Alors des tisserands nombreux et riches, renommés dans tout le pays, y avaient accumulé d’immenses richesses… Comme plus tard Penmarc’h, Locronan dut sa ruine à La Fontenelle.

L’année 1594 lui avait été funeste, et les États généraux assemblés à Vannes, avaient entendu les réclamations portées par ses délégués. Qu’avaient-ils pu contre le bandit qui, au nom de Mercœur, et de la Sainte Union, avait dévasté le territoire, établi des contributions qu’ils ne purent payer, au prix d’innombrables tortures, telles que des trépieds rougis au feu, et la bastonnade.

Qu’auraient-ils pu prendre en 1595 ? La population s’enfuit dans les bois de Névet, et l’on ne songea pas même à la poursuivre. Les partisans silencieusement se présentèrent par les hauteurs de Ploaré, où la magnifique église ne devait pas encore être construite, puisqu’elle date du XVIe siècle.

De ces hauteurs on domine la baie et Tréboul alors petit village. Montrant l’île Tristan : « Voilà mon futur royaume, ma future île Guyon, que nous saurons rendre imprenable. » Et s’adressant à Rheunn son soldat préféré : « Rheunn, tu m’accompagneras, et nous verrons tout à l’heure, si Jean de Guengat qui commande au nom de Sourdéac, voudra se défendre cette fois… Je veux le prendre vivant., et nous en tirerons rançon. »

Il disait vrai… Il se chargea de Guengat qu’il surprit au lit, et le saisissant à la gorge il le fit prisonnier.

De fond en comble Douarnenez fut détruite, du moins dans la partie faisant face à l’île, et dans les parages que nous nommons le Guet… On incendiait ce que l’on ne pouvait abattre, après avoir égorgé ou gardé pour rançon quand le gibier en valait la peine.

Le moment était favorable, et l’on ne faisait pas quartier.

Riches marchands, quelques nobles s’étaient réfugiés, croyant échapper par l’isolement ; ou même par l’espoir d’être secourus par la garnison de Quimper… Croyez-vous que ces craintes et ces soucis inquiétassent les routiers ? Vous vous tromperiez beaucoup, car ils savaient à quoi s’en tenir… Au contraire, ils ne se montraient que plus tenaces et plus avides… La mémoire est encore restée des tourments que l’on fit endurer à quelques riches marchands, pour obtenir d’eux la divulgation de leurs trésors… et de ces paroles atroces de soudards : pas de mal aux filles et nous repeuplerons !

Les secours de Sourdéac n’étaient pas à escompter, et s’il arrive il aura à qui tenir… Nous serons fortifiés pour lors, disait-il.

En effet, les royaux comptaient sur la trêve qui partout ailleurs s’observait, et Sourdéac, de Brest avait assez à faire lui-même pour s’occuper de Guy Eder qu’il laissa se fortifier.

On mit la tête du partisan à prix, comme un chasseur qui vend la peau de l’ours avant de l’avoir tué… La Fontenelle ne fit qu’en rire et disait : « Voilà bientôt un an que le huguenot s’est fait catholique, et mordieu, il me traite déjà en hérétique… » Et son rire sardonique devant la troupe réunie indiquait le mépris qu’il faisait de ses ennemis et de leurs menaces. Le prestige du panache rouge grandissait, et l’on pouvait dire que la gloire de l’adolescent de 21 ans était à son apogée.

Le partisan donna à son île, le nom d’île Guyon… C’est mon royaume à moi, disait-il !


IV

Plogastel Saint-Germain

Deux mois après la prise de l’île Tristan et la ruine de la ville de Douarnenez, la terreur se mettait partout… De force, les habitants avaient été employés aux travaux des fortifications dont La Fontenelle avait pris la direction générale. Tanguy et Kermélec de Vannes activaient… et le tout fébrilement, mais à demeure. Kervel, le farouche lieutenant, commandant l’avant-garde sans respect pour sa ville natale Douarnenez, surveillait et nous avons dit combien il était cupide et avide.

Les capitaines royaux n’osaient s’aventurer qu’à une certaine distance, et les communes avoisinantes épouvantées, consternées, voyaient avec terreur l’achèvement des fortifications, menaces permanentes pour elles.

Alors, notables, paysans des environs de Quimper, de Pont-l’Abbé, de Pont-Croix, d’Audierne, résolurent d’aller attaquer le commencement des travaux à l’île Tristan, de tout détruire, de forcer La Fontenelle à abandonner la place… D’un commun accord, ils choisirent un chef pour la direction d’une attaque collective, et leur choix tomba à l’unanimité sur le jeune Du Granec, fils du comte de Pratmaria, habitant le château du Laz, près Châteauneuf.

Les confédérés paysans firent choix de Plogastel St-Germain comme lieu de concentration.

Plogastel était autrefois le seul point fortifié du pays. Le nom du bourg dérive de ce premier Castel qui fut élevé par les romains pour surveiller les velléités de révolte des clans voisins (plebs castelli, plogastel).

D’autres ont prétendu que la redoute que l’on voit encore datait du moyen-âge, quand l’éternelle lutte pour la domination se traduisait par des prises d’armes incessantes… On avait des fortifications dans la lande… Les talus écroulés d’une redoute circulaire, surveillent inutilement depuis des siècles, les anciennes routes de Quimper et de Douarnenez se dirigeant sur Plogastel.

La nouvelle de cette prise d’armes parvint au partisan par l’entremise de quelques soudards au retour de maraudes, La Fontenelle ne fit qu’en rire et aucune crainte ni émoi ne se manifesta, et cependant ses fortifications n’étaient pas achevées. « Les communes ont donc oublié mes dernières leçons, dit-il à ses lieutenants, j’atteindrai cette paysantaille et pas un n’échappera au fer de mes soldats, et il ajouta en riant, je vais leur jouer un petit tour de ma façon, et il ne cacha pas qu’il irait lui-même les prendre au gîte, à Plogastel même, et nous rirons en les voyant courir les hautes landes de ce pays.

Les paysans étaient nombreux, mais pas armés, quelques fourches, des faulx, des coutres de charrues, voilà quels étaient leurs engins de guerre, comme plus tard nos mobilisés au camp de Conlie. Eux aussi pauvres conscrits pris un peu partout, dans les petits bourgs, dans les hameaux, dans les villages, furent rassemblés sans cohésion, sans autres armes que quelques mauvais fusils, la plupart sans baïonnette et cela pour arrêter un ennemi victorieux, aguerri, armé, parfaitement outillé… L’affolement du moment fit perdre la tête à nos gouvernants. Au camp de Conlie la gaieté française sut encore prendre son parti, parlant de ces simulacres de fusils, de ces manches à balais qui servaient aux exercices, le chansonnier gaulois disait encore :

Ce sont là nos engins, nos machines de guerre
Et vraiment nous trouvons
Ces mousquetons
Fort bons
Pour ce qu’ils nous font faire…

Aussi plus éclairés, ceux-ci mieux que nos gouvernants d’alors crièrent-ils vite… d’ar guer, potred, d’ar guer…

À Plogastel ce n’était pas la même chose : les pauvres paysans d’alors confiants dans leur nombre, dans leurs Pen bas déro, (matraques en chêne) dans quelques vieux mousquets amenés par quelques anciens ligueurs, transfuges de l’armée de Mercœur, se croyaient sûrs de la victoire, et cependant ces ligueurs transfuges n’étaient pas les plus vaillants, ni les plus valides, ils n’étaient pas non plus, les plus expérimentés.

Les pauvres laboureurs naïfs et crédules avaient bien bonne volonté ; en somme trois à quatre mille pauvres diables se préparaient à une lutte qu’ils ne croyaient pas si prochaine, contre un ennemi rusé aguerri, que rien ne ferait reculer.

La Fontenelle, n’avait que 22 ans c’est vrai, et c’est ici le cas de dire… « chez les âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années »… Mais il était habile, cruel et rusé, sachant diriger son opération, mieux que des vieux capitaines, et je l’ai déjà fait remarquer, il mettait son talent, sa gloire à couvrir ses soldats, nul n’a su plus que lui, être avare du sang de ses compagnons.

Dès la veille au soir, secrètement il partait à la tête de 400 cavaliers armés jusqu’aux dents, laissant les travaux et la surveillance du fort à un lieutenant, La Boule.

Reportons-nous à cette époque, suivons cette troupe de cavaliers lourdement chargés et équipés… C’est par petits groupes qu’ils avancent à travers des chemins impraticables, des routes à peine frayées dans un pays presque désert, passant près des chaumières vides ou abandonnées… quelques prisonniers furent retenus pour qu’ils ne puissent donner l’alarme.

Le plan d’attaque était des plus simples, le stratagème enfantin, arriver à l’improviste au jour naissant, entourer le camp des confédérés, presque à cerner… une fois biens postés, une dizaine de cavaliers devaient se détacher de la troupe, s’avancer à découvert comme des soudards égarés à l’aventure… Ils devaient se faire reconnaître des paysans déjà levés, une fois reconnus, le mot d’ordre était de feindre la peur, de revenir lentement sur leurs pas, pour attirer le gros de la troupe qui ne manquerait pas d’être tout le camp en éveil, et ces pauvres niais enserrés dans un cercle de fer devaient infailliblement se faire égorger et écraser… Stratagème d’une naïveté primitive que les sauvages emploient encore dans les pays ou les fauves pullulent encore… On les enserre dans des traquenards, alors quelques personnes peuvent les larder et de piques et de pieux durcis au feu.

Ce que Guy Eder avait prévu arriva.

Les confédérés de la place étaient déjà tous en mouvement, quand les dix soudards soi-disant égarés font leur apparition dans la lande… quand les routiers se furent bien montrés, un grand émoi se lève dans le camp des paysans qui se rassemblent, mais quand les soudards feignirent d’avoir peur, quand ils firent montre de reculer lentement, à la hâte on prévint du Granec qui arrive, jeune lui même il est dupe du stratagème : « ce sont des maraudeurs égarés dans la lande, ce sont les soldats de l’île Tristan qui ont perdu la route ». À la hâte il s’arme et donne l’ordre de fondre sur les dix soldats… Les paysans se précipitent sans ordre, sans cohésion, et comme par un filet, 3 000 paysans à peine armés, se voient cernés par 400 soudards bardés de fer, ricanant sous casques de la naïveté de la paysantaille… en un moment 1 500 et plus sont couchés dans les landes.

On dit que la vue de ces infortunés campagnards, dont il n’avait jamais eu à se plaindre inspira au partisan un moment de pitié.

Hélas faut-il y croire ? alors ça ne fut qu’un éclair, car nul ordre ne fut donné pour faire cesser le massacre, et à perte de vue, on entendit des tueries, en ricanant les fauves égorgeaient des victimes, comme le crocodile, qui dit-on, pleure quand il croque un enfant… Peu s’échappèrent, on ne poursuivit pas le reste… La leçon était complète, la leçon suffisante… La Fontenelle toujours avisé, avait donné l’ordre de prendre Du Granec vivant… Il pensait à tout, le rusé partisan, et son but nous le découvrirons un jour à venir.

Du Granec fut fait prisonnier, conduit à Douarnenez, et quelques jours renfermé à l’île Tristan.

Trois jours après on le relâchait, et Guy Eder lui disait… Allez, baron du Granec, retirez-vous, soyez prudent désormais, car si le chef de l’union vous pardonne aujourd’hui, une autre fois, il sera inexorable.

Du Granec se le tint pour dit, et s’en fut sans rançon.

Les pauvres diables dupes de l’échauffourée, au nombre d’au moins deux mille, restèrent sans sépultures. Les loups nombreux à cette époque eurent plusieurs journées de ripaille.

Ces évènements lamentables ont-ils complètement disparu dans la mémoire des habitants ? hélas oui… aucune légende ne paraît s’y rapporter, le nom du bandit est resté inconnu, c’est même quelque chose d’extraordinaire, mais quand le soir tombe, tout dans la région se peuple d’êtres indéfinissables et terribles, d’êtres morts dont l’idée jette l’épouvante dans les cœurs les plus braves… et cependant c’est une race vaillante, toujours prête à se jeter au milieu de dangers réels, et elle recule devant des périls imaginaires.

Cette terreur superstitieuse des esprits errants dans la nuit, n’est nulle part plus développée qu’en Basse-Bretagne, a-t-elle sa source dans ces temps qui sont déjà loin dans le passé, ou bien encore, la ferons nous remonter à cette époque inconnue, où d’après une hypothèse récemment émise, certaines parties de la péninsule n’étaient aux âges préhistoriques de la pierre polie, qu’une simple nécropole, cimetière de tout un grand peuple.

Pour suivre l’ordre chronologique, mais rien que pour cela je dirai quelques mots d’une attaque, qui ne fut qu’une simple escarmouche sans importance… quelques mois après le massacre de Plogastel.

Un capitaine Depré, ou Després avait commandé les royaux à Quimper, alors que Guy Eder passait non loin des murailles qu’il bravait impunément pour se rendre à l’île Tristan : il ne s’était pas opposé au passage des ligueurs… Personne n’en connut le motif, toujours est-il qu’on lui en fit un crime, oui quand le massacre de Plogastel fit du bruit… Il fut mandé à Paris pour ce fait, passa en jugement et cela va sans commentaire, la peine capitale était la conséquence. Pourquoi, demandait-on, tant d’apathie, pourquoi ne s’était-il pas opposé à la construction des forts, pourquoi ne s’était-il pas opposé, n’avait-il pas prévu le massacre des pauvres paysans confédérés, sans expérience. Probablement les plaintes et les raisons de Du Granec humilié ne furent-elles pas étrangères à son arrestation.

Toujours est-il que le châtiment allait avoir son exécution.

Des amis influents furent ses avocats, qui plaidèrent avec bonnes raisons à l’appui, l’ignorance et la surprise.

Després, vaillant capitaine, put revenir, mais à la condition expresse de s’emparer de l’île Tristan ou de s’y faire tuer… Il accepta la mission, car sa bravoure ne pouvait faire l’ombre d’un doute. Il se prépara donc à une expédition… La Fontenelle, nous le savons avait des émissaires dans la place de Quimper, qui nous l’avons dit n’était qu’à moitié pour le Béarnais.

L’île était déjà fortifiée ou à peu près quand Després parut à la tête d’un millier de combattants, qui ne connaissaient pas assez les ruses du chef ligueur.

Hardiment, Després s’avance à marée basse… et des soldats embusqués, postés par avance firent feu, et le chef des royaux désarçonné tombe sur le sable… Il avait promis de se faire tuer, il tint sa parole, mais l’épouvante se met parmi les siens.

Bonne leçon dit La Fontenelle, ils sauront désormais à qui ils ont affaire, et je saurai prendre mes précautions à l’avenir.

La terreur du nom s’en accrut d’autant et ce nom était la terreur des royaux, le nom de Guy Eder valait une compagnie.


V

Rapt audacieux de Marie de Mésarnou

Le chanoine Moreau est mon guide, et c’est à cette époque qu’il place le rapt de Mademoiselle de Mézarnou. 1595.

La Fontenelle voulait ceindre deux couronnes, il fut Tibère, Néron, il voulut être Lovelace, Don Juan.

Le bon chanoine se contente de dire : Guy Eder porta l’audace jusqu’à aller enlever une fille, riche héritière de Bretagne, et en faire sa femme, Marie de Mézarnou n’avait que neuf ans… le bon chanoine ajoute naïvement : il n’en eut pas d’enfant.

Eh bien, mon cher compatriote, puisque vous étiez de Beuzec et quelque peu curé de Pont-Croix, je vous prends ici en flagrant délit d’erreur, car l’opinion la plus reçue est qu’elle avait douze ans, à part cela tout le reste est vrai.

Mézarnou, une des plus belles habitations fortifiées, du pays de Léon à Plounéventer, appartenait au sieur de Parcevaux, seigneur de Mézarnou, un peu parent de Guy Eder, qui lors des massacres de Landerneau, lui avait fait visite.

Comme tous les seigneurs bretons de l’époque, Vincent de Parcevaux penchait pour la Sainte Union, comme actuellement tout noble ou qui prétend l’être sera royaliste… Les temps changent, les opinions ou du moins leurs modes sont et seront les mêmes… pour beaucoup c’est une affaire de bon genre.

Mézarnou existe encore aujourd’hui, bien conservé, ressemblant à la plupart des maisons nobles du XVIe siècle… on voit encore les murs du parc, cernant environ 25 hectares.

Vincent de Parcevaux avait une cinquantaine d’années, fort doux de caractère, brave et d’une grande franchise.

Son hospitalité était reconnue de tous, et dans ses réceptions il déployait un grand faste.

Renée de Coëtlogon son épouse, était veuve de Pierre Le Chevoir de la commune de Prat, dans le pays de Tréguier et de Lannion.

De ce premier mariage était issue une charmante fille, que l’on appelait Pennèrez, parce qu’elle était le plus riche parti de la noblesse bretonne.

Le chanoine Moreau dit : elle avait dix mille livres de revenu, c’était énorme à cette époque… maintenant c’est la fortune de bien des filles d’épiciers, qui ont vendu de la cannelle au cornet. La mère lors de la première visite du partisan, se trouvait absente. À cette nouvelle visite que fit le jeune homme de 20 ans, roi de l’île Tristan, titre qu’il se donnait, l’aventureux ne voulut pas effrayer par une suite nombreuse… il avait seulement une escorte de six hommes.

Mézarnou ne s’effraya pas, seulement cette visite le flattait peu… quand on est riche, bien qu’il n’eût aucun soupçon des intentions de Beaumanoir, mal renommé, on a quelques sujets d’inquiétudes que l’on n’ose pas exprimer… au contraire.

La Fontenelle avait conservé bonne mémoire de la riche vaisselle, des belles coupes, des belles aiguières d’argent, et aussi de la jeune héritière… La Fontenelle avait tous les talents, il sut donc déployer ceux de la galanterie, se montrant désolé de l’absence de Madame de Parcevaux retenue près d’une parente malade, au manoir de Mesgouez, près de Morlaix.

« Je n’ai que peu d’instants à vous donner, dit Eder ; je le regrette beaucoup, il sut parler avec adresse en faisant l’éloge des troupes qui lui obéissaient sans murmurer, de leur bravoure et de toutes leurs qualités… etc… malgré tout il me serait agréable que ma présence au château qui se trouve sur mon passage, ne soit pas ébruitée : à part lui, le rusé compère se disait : Le destin prépare tout pour le mieux, il rendait presque grâce à Dieu. La dame est absente, et mon bien aimé cousin, peut-être, pour m’engager à ne pas rester trop longtemps, se dit forcé de l’aller rejoindre dans deux jours, tout est pour le mieux.

Mon cousin orgueilleux vraiment de sa vaisselle, ne trouvera pas étonnant que je l’emporte pour aussi en faire étalage à mon trésor de l’île Guyon, où je saurai la bien conserver pour ma petite cousine qui est si jolie.

Le souper se passe gaiement, Guy Eder n’avait dit mot de son escorte. La cousine Marie, à laquelle nous donnerions 12 ans, malgré Moreau, se montra charmante, affectueuse, tendre pour le beau cavalier. La troupe était restée campée dans une haute lande.

On doit croire aussi que l’impression faite par le beau cousin, fut avantageuse… Dam ! il n’avait que vingt ans… si jeune et si renommé… Les cousins un peu… comment dirai-je pour exprimer ma pensée sans froisser… oui les cousins un peu lurons, ne sont pas ceux qu’on aime le moins ; ils plaisent davantage, Guyon avait annoncé son départ pour le lendemain, l’innocente jeune fille avoua qu’elle le regrettait… tout cela allait au baron, qui d’abord n’en voulait qu’à la belle vaisselle, mais qui aussitôt forma le projet de l’enlever et d’en faire sa femme.

Dès l’aube le partisan est levé de bon matin, pénétrant dans la chambre de Mézarnou… Mon cousin, je viens vous faire mes adieux, je regrette de ne pas pouvoir faire mes adieux à Marie qu’il ne faut pas réveiller… voici pour elle un léger souvenir… c’était un diamant magnifique, étincelant. Puis il prend congé de Vincent de Parcevaux, qui à part lui, est enchanté du départ… La Fontenelle attendit aux alentours, dans la plus grande discrétion… aussitôt qu’il est assuré du départ du châtelain de Mézarnou, il va rejoindre ses hommes qui étaient reposés et dispos… j’ai bien parlé de six compagnons, mais quelques autres étaient survenus pendant la nuit, guidés par Rheunn qui avait des ordres. Le mot d’ordre pour la troupe fut celui-ci… escalader les murs, pénétrer dans le château, faire rafle de la fameuse vaisselle d’argent dont mon cousin est trop fier… mais pas de mal aux domestiques, bâillonnez-les, et étranglez les chiens s’il le faut.

À la nuit les domestiques dormaient, on les bâillonna puis on les lia étroitement sur les lits… Guy Eder indiqua l’endroit où la vaisselle se trouvait rangée en montre par ostentation, leur dit-il, donne des ordres pour leur agencement, et aventureux se dirige vers la chambre de la demoiselle Marie qui dormait… on dort si bien à 12 ans, quand on rêve au brillant cavalier dont l’image hante les rêves dorés d’une jeune fille.

Mais avant d’arriver à la chambre de Marie, il faut faire ouvrir la chambre de la gouvernante, une duègne d’un certain âge, un peu revêche… celle-ci réveillée en sursaut est sur le point de s’évanouir… elle pousse en vain de hauts cris qui ne peuvent attirer la domesticité prisonnière. La porte est fermée et résiste aux efforts du jeune homme… ouvrez aussitôt, et obéissez promptement… le manoir est au pouvoir de brigands, et je viens veiller sur ma cousine et la défendre… La gouvernante ne veut rien croire.

Guy Eder exaspéré crie… vite ouvrez, ou craignez ma vengeance, je veux sauver ma cousine… ouvrez, ou j’enfonce la porte par mes hommes à coups de hache. Marie est réveillée par les cris, elle se met sur son séant, et la gouvernante va la rejoindre dans la chambrette.

Le cousin dit toujours : ouvrez vite, vite, cela presse.

La duègne raconte à la jeune maîtresse que le château est aux prises d’une bande de brigands, elle est hors d’elle-même, votre cousin de Beaumanoir est à la porte, il prétend être accouru pour vous sauver des mains des voleurs.

Sang Dieu, criait toujours Guy Eder exaspéré de toutes ces lenteurs, sinon la porte s’ouvrira à coups de hache, et il frappait du pied… et sa botte était solide, croyez-le bien.

Marie effrayée cherchait à s’expliquer le retour du cousin, souvent elle avait entendu médire de lui, de ses ruses suivies de prouesses, elle n’y croyait pas… lui si beau, si élégant, si prévenant elle n’y croyait pas… peut-on croire au mal, quand on a le cœur pur d’une jeune fille… ouvre vite je t’en prie, ma vieille Marianne, ayons confiance en Dieu et dans la bonne Vierge… Tu vois, mon cousin veut me sauver, il ne veut pas que les brigands m’enlèvent. Guy Eder se précipite dans la chambre ouverte enfin… sortez d’ici à l’instant, dit-il à la gouvernante, je veux rester seul avec ma cousine qui va s’habiller de suite… ses yeux étaient si effrayants que la vieille Marianne crut avoir affaire à l’ange des ténèbres, elle se signait à plusieurs reprises, un soudard qui avait suivi le chef à quelques pas, la poussa par les épaules et lui fit descendre les larges marches jusqu’au rez-de-chaussée : jamais elle n’avait dégringolé si vite.

Que se passe-t-il, mon cousin, dit la jeune fille à peine vêtue ? — Des brigands se sont introduits dans le château, je viens vous retirer de leurs mains, et vous protéger. — Quoi vous suivre dit la jeune fille tremblante. — Il le faut, cousine, c’est votre salut, je veillerai sur vous. — Ah ! vous n’êtes pas méchant comme on le dit. — Habillez-vous vite, dit Eder, je vais surveiller la bande… Comme il est heureux que votre père et votre mère soient absents, c’est à eux que l’on voulait, et l’on abandonnait vos appartements pendant le pillage… peut-être si l’on vous soupçonnait ici, vous prendrait-on comme otage. Moi je savais que vous étiez ici, on n’y viendra que plus tard, dépêchez-vous.

Voulant rassurer davantage la pauvre enfant confiante :

« À Landerneau, j’ai appris le vol projeté pour la nuit : ces voleurs ont voulu embaucher pour le coup à faire, des gens qui me sont dévoués ; on voulait les racoler pour le pillage… oh ces pilleurs ne sont pas de la ligue, sans cela j’aurais essayé de les détourner… je ne suis arrivé qu’à temps… l’enfant confiante croyait tous ces mensonges… un bruit se fit dans les communs du château… ils vont maintenant à la chapelle, vite préparez-vous, je vais tout préparer pour le départ.

Il sort, et va donner des ordres à ses compagnons, qui dans d’immenses pièces de toile rassemblent les objets précieux.

S’adressant à un soldat… Je vais prendre les devants… Sellez à la hâte mon cheval, préparez-en un autre que je vous ai indiqué, un seul homme à cheval m’accompagnera.

Vous me retrouverez à l’endroit que j’ai indiqué à Rheunn, allons et preste !…

La Fontenelle remonte, trouve la jeune fille en pleurs, mais confiante… pauvre mère, pauvre mère disait-elle…

Venez, cousine, ne vous inquiétez pas de votre gouvernante, cette vieille folle court les maisons voisines, on n’osera pas, on ne pourra même pas venir à son secours ayez confiance en moi.

Les chevaux attendaient à la porte de la cour, comme toutes les nobles demoiselles, la Pennerèz savait monter à cheval, elle était même excellente écuyère… ils partirent au galop…

Après une longue course, ils s’arrêtèrent dans un logis préparé d’avance, on les attendait… Ne craignez plus cousine, dit Guyon plein de déférence, quand luira le jour nous partirons en toute sécurité, mes soldats viendront et nous feront escorte.

Ceux-ci ne tardèrent pas, amenant un riche butin… En route dit le chef, pas de temps à perdre.

L’héritière est couverte de couvertures de laine, et part confiante, suivant au galop… des relais étaient commandés, le partisan avait en effet des complices et des espions dans nombreux châteaux et manoirs… Sans encombre, ils arrivèrent à Douarnenez, après s’être reposés un instant dans un manoir voisin de la route… comment n’aurait-elle pas eu confiance dans les renseignements plausibles d’un parent si dévoué… Dans quelques jours lui dit le jeune homme je vous ramènerai, alors votre bon père sera là pour vous défendre et de mon côté je veillerai sur vous.

Pareilles histoires, à semblables époques, ne sauraient étonner !

Guy Eder ne savait trop se louer du destin.

Le chanoine Moreau dit qu’il en fit sa femme, et qu’il n’en eût pas d’enfant. Il est le seul historien de ce rapt audacieux, mais d’autres sources sont venues qui ne contredisent pas le rapt mais qui donnent une issue plus probable à l’affaire.

Arrivé à l’île Tristan, quelques jours après, il partait avec l’héritière et la confiait à la sœur de son lieutenant de Romar, seigneur de Murion.

Celle-ci était supérieure des Ursulines à Saint-Malo.

Ceci est plus probable, car nous retrouvons La Fontenelle avec Marie qu’il entourait de soins et d’affection, après son départ de l’île Tristan, à Coadélan, à Trébriant qui étaient du domaine des biens de l’héritière.

Que l’on juge cependant de la douleur de la famille de Parcevaux… Un rapt de 40,000 écus et une fille adorée… Dans leur colère, ils songèrent à dénoncer le ligueur à Henri IV… Hélas ! que pouvait l’autorité royale elle-même ? La crainte des fureurs du partisan les fit taire. De son côté, Guy Eder envoyait un messager à Mézarnou. « Ma cousine est conduite dans une maison religieuse, j’ai juré de l’épouser quand elle aura 15 ans. L’abbesse de la communauté est une amie de la famille. Ne faites pas de recherches pour revoir votre fille, ma vengeance saurait vous atteindre : elle m’aime, et elle est heureuse. »

On se le tint pour dit : contre la force, y a-t-il une résistance ? On ronge son frein quand les lois sont impuissantes à vous protéger… alors, et même maintenant.

Ce fut dans un des manoirs de Marie de Mézarnou, qu’on fit le baron de la Fontenelle prisonnier, et il était heureux après tant de traverses soutenues avec résignation… On est allé jusqu’à dire que son dernier mot, son dernier regret dans le supplice atroce de la place de grève sept ans après, fut pour Marie de Mézarnou… Les fauves se laissent donc dompter quelquefois… J’ai connu cependant des fauves que jamais un bon mouvement, une largesse n’ont pu dompter… Souvent la race humaine est pire que les fauves… Ceux-ci ne raisonnent pas, les autres raisonnent.


VI

Saccage de Penmarc’h

Un aventurier de la trempe de La Fontenelle pourrait-il prendre quelque repos ? Sa conduite passée est demeurée impunie. Il brave les troupes royales… il regarde autour de lui, cherchant des victimes. Tanquam leo rugiens, circuit quœrens quem devoret. Attaquer Quimper ! il ne l’oserait, car des secours pourraient survenir. Les campagnes de Plogastel, de Pouldreuzic, de Pont-Croix, d’Audierne, du Cap-Sizun sont réservées pour la maraude, et il ne s’en prive pas. Aussi songea-t-il à Penmarc’h, aujourd’hui bourgade, mais alors dans sa splendeur, et quelle splendeur !

À quoi attribuer la décadence de cette ville faisant un grand commerce, de grains, de bestiaux, de salaisons avec les ports d’Espagne ? Une affreuse tempête, un cyclone qui détruisit 500 barques, fut une des causes.

Autrefois elle comptait 8 000 habitants, pouvait mettre sur pieds 3 000 arquebusiers.

Les habitants n’étaient pas sans inquiétudes au sujet du partisan surtout après le massacre de Plogastel.

Suivant l’usage de l’époque, l’église de Tréoultré avait été fortifiée. Il en était de même de Kériti port voisin.

J’ai parlé dans Raz de Sein, de l’affaissement progressif du littoral, il est très remarquable ici. La cité s’étendait au loin, un raz de marée, me disait M. Lacroix, mort l’année dernière, fit voir un jour des constructions ignorées, même quelques mauvais canons sur des pans de murailles. Je les ai vus, me disait le regretté M. Lacroix.

Les habitants du pays vous diront, d’immenses prairies s’étendaient sous la mer, c’est ce que me répétait dernièrement un vieillard du pays, âgé de 78 ans.

La Fontenelle aventureux voulut prendre connaissance des lieux dont il désirait s’emparer : « Je dois connaître les endroits qui recèlent les richesses, la situation exacte du terrain ». Dans ces époques troublées, chacun dissimulait ; et nous savons combien ce chef cependant si courageux, était avare du sang de ses compagnons.

Pour cette visite, il fit choix du lendemain d’un pardon célèbre.

Accompagné de quelques hommes, une dizaine, il arrive.

En ce moment tout était en fête. De Plobannalec, de Treffiagat, de Plomeur, de Loctudy, des bourgs environnants en un mot, on était accouru.

Les costumes sont restés les mêmes que du temps de Henri IV. Le langage est aussi le même, sa vitalité se manifeste avec une énergie singulière. La masse du peuple n’emploie jamais d’autre parler… Écoutez les voix dans les foules, ou les propos échangés dans les champs, ou autour du foyer, vous ne saisirez que des sons, absolument inintelligibles aux oreilles françaises. Si au souffle du vent dans la lande, se mêle la mélancolie de quelque chanson monotone, soyez sûrs que les paroles sont en breton. Cette énergie inconsciente se maintiendra longtemps encore… Dans quelques endroits du Finistère le costume a subi certainement avec l’idiome, l’inéluctable destinée qui met fin à toutes choses. Les signes précurseurs d’une disparition prochaine se manifestent en beaucoup d’endroits. Dans beaucoup de cantons les larges cols, les hautes coiffures, les formes amples, tout ce qui avait grand air, s’est rétréci, rapetissé, atrophié, comme des organes qui vont devenir inutiles.

Dans certains points, les anciens costumes si singulièrement variés sont même remplacés par des habits sans caractère, qui ont un double mérite, ils coûtent moins cher et peuvent passer partout, sans attirer l’attention.

Mais pour le pays dont nous parlons, les modes antiques se défendent vaillamment… Dans les pays de Plomeur, de Pont-l’Abbé, de Penmarc’h, le costume des habitants n’a subi aucune modification importante, essentielle. L’ensemble est d’un beau caractère, et offre pour les deux sexes des particularités étranges

Dans le vêtement féminin, la partie bizarre consiste dans une pointe raide, grosse tout au plus comme le bec d’une plume, et qui forme le sommet d’un petit triangle de toile, s’élevant au-dessus du front… Cette pointe attire l’attention, et c’est par son nom que l’on désigne communément la région où le port en est de rigueur… pays des bigoudennesBrô ar bigoudennet. On prétend que cette extrémité capricieuse a été importée par des Hellènes… on dit même que ce nom dérive du grec ayant signification, pointe d’osier.

Pour les hommes la bizarrerie consiste dans la veste en raccourci, que la longueur excessive du gilet fait paraître encore plus courte… à peine la veste recouvre-t-elle les omoplates. Le gilet au contraire s’étend jusque sur la région infiniment plus basse.

Les tailleurs, parias de la Bretagne, ont-ils pris mesure sur un étrange coléoptère, que l’on rencontre fréquemment en été dans les sentiers des environs. De tous les insectes innombrables qui abritent leurs ailes diaphanes sous des élytres cornées, le staphylin est le seul, dont l’enveloppe protectrice ne dépasse pas la longueur du corselet, laissant ainsi sans défense les deux tiers du corps. À côté de ces parties extravagantes, existent des ornements gracieux qui ont conquis droit de cité définitif dans le domaine changeant de la mode, leurs nuances chatoyantes qui donnent l’illusion de quelque chose d’exotique sont bien connues sous le nom de costumes bretons… Les hommes et les femmes portent en effet sur la poitrine des broderies éclatantes dont les dessins rayonnent au-dessous des visages jeunes et vieux, soucieux et gais.

Leurs lignes capricieuses rappellent exactement les figures géométriques groupées avec art, et les imitations de dentelles que des artisans inconnus sculptaient il y a trois siècles sur les meubles des campagnes bretonnes… Ces meubles anciens ont été et sont encore en grande vogue… aussi en trouve-t-on rarement dans les campagnes.

Autrefois, paraît-il, les anciens portaient ces vêtements avec de graves et pieuses sentences brodées sur l’étoffe.

Je m’étends là-dessus, car ce riche et pittoresque costume est un de ceux qui frappent le plus les touristes étrangers.

Voici ce que dit un grand artiste, écrivain et peintre à la fois : « Pour les Bigoudennes, les corsets écrasent la poitrine et ne serrent pas la taille, l’ensemble est chez elles très lourd, très grossier en dépit des ors, de la soie, de la finesse du drap, de la recherche des couleurs. » La coiffure est pour elles le grand sujet de coquetterie : le retour des cheveux lisses appliqués à plat sur le serre-tête est peu élégant, vue de dos une femme de Pont-l’Abbé est peu attrayante, mais de face, le serre-tête de tulle coquettement planté sur le haut de la tête, la coiffe de velours rehaussée de broderies d’or, la mentonnière avec son nœud sur le côté du visage donnent du piquant aux fraiches jeunes filles du pays… et ce nœud du côté est toujours de couleur voyante.

Les hommes ont fière tournure. Les petits hommes trapus qui par un phénomène ethnique observé en Angleterre comme en France, forment une partie importante de la population bretonne y sont rares.

Grands et forts, les jeunes hommes ont la taille cambrée, et leur vêtement qui s’y adapte exactement fait ressortir les avantages de leurs formes.

Tout ce monde puissamment bâti, vit cependant de peu… ils sont fiers et indépendants… ce caractère indomptable s’observe dans quelques communes, particulièrement Plovan et Plozévet, en un mot dans tout ce que nous nommons la baie.

J’aime à m’étendre sur tous ces détails, parce que c’est dans cette masse de population que La Fontenelle se présenta à Penmarc’h. Dans les environs de ce pays la population est toujours la même. Seulement de nos jours, il s’est formé à une distance de quelques kilomètres de Penmarc’h, du bourg, une agglomération de plus de 2,000 habitants, et qui est en pleine voie de développement. Cette ville en formation, se nomme Guilvinec. Le noyau provient de Douarnenez, et les femmes en portent le costume. L’industrie de Douarnenez, s’y est introduite.

Cette digression, on la pardonnera à un breton, elle était en quelque sorte de mon sujet…

La Fontenelle arrivait donc un jour de fête, et celle-ci allait son train… Il faut y avoir été, pour pouvoir parler de l’exubérance de gaieté qui préside aux réunions de ce beau pays de Pont-l’Abbé.

De tous côtés retentissaient, clameurs bruyantes, mendiants circulant dans la foule… Les cabarets en plein vent, regorgent de monde, on riait, on causait, et de quoi, se serait-on inquiété ?

Jeux installés partout, danses attirant la foule… Quelques emplacements étaient encombrés, car diverses joutes de lutteurs, alors plus populaires qu’aujourd’hui faisaient former cercle… Le partisan et les quinze aventuriers font leur entrée, s’introduisent dans la foule… Guy Eder pour ce jour là avait revêtu des vêtements luxueux, et c’est d’une manière souriante qu’il se présente… visière levée, contre son habitude, pour que chacun puisse voir sa bonne mine… il n’avait que 21 ans.

Les habitants sont fiers de voir un seigneur étranger prendre part à la fête… Guy Eder sait se montrer gracieux et aimable. Quelques-uns cependant ont soupçonné sa présence, en quelques instants la nouvelle s’en répand : crescit eundo.

Lui, s’aperçoit aussitôt de l’effroi qu’il inspire, lui qui n’ignore pas que son nom est maudit dans toute la Cornouaille… Il prend un air bon enfant, grâcieux, prévenant et dit : « Mes amis. je suis venu m’amuser comme vous, prendre part à votre fête. »

Ses compagnons le quittent un à un, sans faire mine de rien, observent la situation de l’église qui renferme les richesses, ils donnent un coup d’œil de connaisseurs aux fortifications, Tanguy, le lieutenant note tout dans sa mémoire… Malgré tout femmes et jeunes filles étrangères au bourg se hâtent de déguerpir… cependant qui oserait accuser les bigoudennes de pruderie ?… Tant s’en faut, surtout maintenant.

La Fontenelle, généreux près des joueurs, lançait des pièces de monnaie aux curieux qui semblaient s’apprivoiser, devenaient même importuns… La population acceptait de trinquer avec les soudards familiers vis à vis de tous, car les roublards ayant remarqué la terreur inspirée par le nom redouté, ne se lassaient pas d’exalter sa franchise, sa bonté, sa générosité… et lui toujours souriant, toujours aimable, avait tous les talents que l’être humain sait déployer pour plaire.

Quand le bruit strident de la corne vint sonner le boute-selle, les indigènes captivés regrettaient son départ… Kenavo, kenavo, disaient-ils…

Pauvres habitants, vous aviez tort de lui répéter, au revoir, kenavo. Vous n’en avez pas fini avec le bandit. Dans quelques jours, il reviendra, mais hélas ! ce ne sera plus en ami, ce ne sera plus l’homme souriant à vos jeux, galant à l’égard de vos filles.

C’est le fauve, c’est le loup qui viendra dans la bergerie sans défense. Combien trouve-t-on comme cela des niais confiants ouvrant leurs bras aux fauves masqués qui viennent pour les dévorer ? Pauvres gens de bonne foi, desquels on ne saurait trop se moquer, et qu’on ne saurait trop plaindre.

Pauvres habitants de Penmarc’h, précipitez-vous dans vos forts, montez à votre tour élevée et fortifiée, partout où vous pourrez trouver un abri : pour lui et les siens, il n’y aura pas de cachette trop obscure, il connaît par avance tous les replis du terrain.

Alors la ville avait de beaux édifices, une commanderie de templiers, de moines rouges comme on les appelait alors, elle avait sept églises le tout donnant sur la mer. Le commerce malgré les temps mauvais était florissant, une véritable flotte se pressait dans son port, que des fortins il est vrai défendait mal, et par la suite des temps malheureux, les hommes d’armes étaient absents.

Alors Penmarc’h avait plus d’habitants que Quimper, Brest, Nantes presque.

Quelques jours après la visite du partisan, sa bande accrue de nombreux espagnols qui alors guerroyaient en Bretagne pour le Duc de Mercœur, arrive subitement.

Le plan d’attaque était donné d’avance, et les routiers rapaces riaient d’avance sous la visière de leurs casques

Non loin de l’église, une halte fut ordonnée, près de Tréoultré, le plus grand des deux forts et le mieux fortifié, puisque le système de défense partait du bas, c’est-à-dire, depuis le cimetière jusqu’au sommet de l’édifice, le haut du clocher.

Seul et toujours en ami, La Fontenelle s’avance : Eh quoi, vous avez peur ? Comment vous vous défiez de votre ami ? Mais je viens simplement rendre visite à vos belles côtes si renommées… Si j’y arrive entouré de nombreux soldats, c’est que les populations se défient de moi ? On est toujours prêt à me chercher querelle, à moi, cependant qui ai tant à redouter d’ennemis jaloux. Mais, que Diable, vous êtes tous bons catholiques, qu’auriez-vous donc à craindre de la Ste-Union ? Mais vous, gens de Penmarc’h, vous pouvez défier tous les hérétiques de La Rochelle et d’ailleurs. Et comme toujours se croisant les bras, il attend une réponse.

Ainsi il devait procéder deux ans après à Pont-Croix, et c’était une réminiscence de Tite Live, des conciones.

Les naïfs villageois, ne connaissent ni les fables d’Ésope, ni les fables de Phèdre, encore moins celles de La Fontaine qui n’était pas encore né, se laissent prendre à ces paroles mielleuses, confiants ils abandonnent la tour et les fortifications… Des soldats masqués escaladent aussitôt les murailles du cimetière, c’était le plan d’attaque tracé d’avance, et les bandits bardés de fer tombent subitement sur une population confiante, sans défense.

Quelques-uns se rendent pour n’être pas massacrés : sans cela il était général le massacre de la population.

À gorge déployée les soldats riaient en enlevant le butin renfermé dans l’église, et ce ne fut pas après un long temps… On se pressa pour se ruer sur le fort Kérity, et quand deux mille maisons se trouvèrent en feu.

4 à 5,000 habitants furent massacrés, quelques-uns furent torturés. Les femmes qui survécurent, ou ne réussirent pas à s’échapper, subirent des outrages. De Kérity, trois cents barques apportèrent à Douarnenez les objets de valeur, et pour combler la mesure et l’opprobre, des gens valides furent contraints au travail et au transport.

Il faut remarquer ici que beaucoup de commerçants riches étaient restés à Penmarc’h, n’imitant pas en cela ceux d’Audierne et du Cap Sizun qui s’étaient réfugiés à l’abri des canons du château de Brest.

Grand fut le nombre des prisonniers, et l’on en faisait quand on en pouvait espérer rançon, les autres ne recevaient pas quartier. Les prisonniers à demi nus, durent s’envelopper de couvertures, quand on les força à marcher, à prendre la route, c’était pitié à voir par les chemins et les sentiers, par les landes stériles, ces files d’hommes, de femmes, de jeunes filles de toutes conditions. Une soldatesque ivre les escorte, entre deux rangées de lances, piques droites et levées, et mousquets encore chauds et sanglants. À la lueur des flammes ils se mirent en route, leurs derniers regards dans leurs sanglots, furent pour leurs demeures anéanties, s’écroulant l’une après l’autre avec un bruit sinistre.

L’église de Tréoultré fut le théâtre du plus grand massacre.

Une église et quelques maisons, voilà dit un voyageur, sur les lieux même : « Voilà tout ce qu’il reste d’une ville jadis florissante, et l’on se demande quelle fatalité ou quelle malédiction a pu peser sur cette terre, quelles qu’aient été les horreurs de la guerre et celles des brigands tels que La Fontenelle, pour que jamais plus la vie n’ait pu germer, comme étouffée sous l’amoncellement des cendres. »

Le chroniqueur Cornouaillais, le chanoine Moreau se charge à sa façon de nous en donner une explication.

Sentencieusement, il dit : « Certains crimes se commettaient dans l’église, et la cause se trouvait dans le trop grand rapprochement des lits entourant la nef sacrée. Dieu veuille, ajoute le chroniqueur, en expiation de leurs offenses que cela leur serve pour leur salut. » Il ajoute : « De ce ravage de Penmarc’h demeura telle ruine qu’il ne sera de cinquante ans possible de se relever.

Ne prophétisait-il pas vrai ?… Il y a 300 ans, trois siècles de cela, qu’on y aille maintenant…

Le partisan ne se contenta pas de la ruine de la cité commerçante. Comprenant toutes les ressources de la situation, il envoyait quelques jours après, un fort corps de troupes avec munitions, prendre possession des forts de la ville ruinée.

Ils vécurent d’abord de maraudes, Plomeur, Plobannalec, Plonéour, étaient des terrains d’exactions journalières, comme les environs de Douarnenez, Poullan, le Cap Sizun, durant les années d’occupation de l’île Tristan… ils repeuplèrent à leur manière, car dès l’année suivante, il y eut une recrudescence d’augmentation de la population… Le partisan donnait-il donc des ordres à ses soldats pour réparer le mal commis par les massacres ? Je ne crois pas que cela fût nécessaire.

Plus tard, nous le verrons dans un autre tableau, Sourdéac, gouverneur de Brest, vint les déloger, avant de se rendre à Douarnenez, pour le siège de l’île Tristan.

Sourdéac fit suspendre les cadavres des soldats qu’on y fit prisonniers, aux tours de Tréoultré.

La Fontenelle en apprenant ce récit, devint furieux, promit de ne plus faire quartier aux soldats royaux qui tomberaient entre ses mains… Avouons cependant qu’il faisait de la sorte œuvre de bonne stratégie : il espérait qu’en conservant des troupes dans ces forts, il n’aurait plus à craindre de ce côté en cas d’attaque du fort Tristan.

Nous verrons que sa ruse fut déjouée par les royaux.


VII

Île Tristan assiégée

On peut dans un roman rompre la monotonie. Les romans historiques brodés sur la Fontenelle ont eu cet avantage. On a su grouper des épisodes d’amour, de famille… Le caractère du partisan ne prêtait guère cependant… le côté sentimental, ne pouvait je le suppose, donner grande saillie.

Ce n’est donc que par une chronique sèche qu’il est possible de rendre la note promise… la vérité de l’histoire, des dates, autant qu’il est possible.

Quand Vertot eut écrit son siège de Rhodes, on vint lui apporter des faits précis, exacts contredisant ceux qu’il avait avancés… mon siège est fait, se contenta-t-il de dire, nous n’avons donc là-dessus que des fleurs de Rhétorique, et non la vérité… pour ma part je tiens à me tenir à la vérité, ce sera aride, mais bref… le style n’est pas la vérité.

Remettons la situation au clair… quand le maréchal d’Aumont était venu au nom du roi combattre les ligueurs, surtout les Espagnols soutenaient dans la rade de Brest, il s’attarda près de ceux-ci, et les Espagnols étaient fortement retranchés dans le fort de Crozon, à la pointe sud-ouest de Roscanvel, ceux-ci soutinrent un siège de six semaines en septembre 1594… Le plus sérieux et le plus terrible qu’il y eût en Bretagne… une maladie pestilentielle ravagea les troupes, s’étendit jusqu’à Quimper, l’île Tristan fut épargnée, cependant d’Aumont n’y vint pas. Guy Eder n’est qu’un détrousseur de grand chemin, objectait le maréchal… ces propos n’émurent pas La Fontenelle… il ne s’en montra même pas froissé, était-il du reste le seul gentilhomme qui se livrât aux rapines ?

Les Espagnols étaient les alliés des ligueurs, et ceux-ci prépondérants dans la rade de Brest, garantissaient de ce coté le royaume prétendu de La Fontenelle, plus tard il songea aussi à se garantir du côté de la terre en laissant une garnison à Penmarc’h. Celle-ci en cas d’attaque de l’île serait venue inquiéter les assiégeants par derrière…

L’ambition de Guy Eder s’en accrut d’autant. Il avait nous l’avons dit, ramené de Penmarc’h une flotte véritable qui admirablement dirigée par les marins de la côte, écumait les plages de la baie de Douarnenez (ce qui ne lui était pas difficile), elle ruinait le commerce local… s’aventurant même plus loin, elle surprit un vaisseau anglais dans les parages de l’Iroise,… l’équipage eut beau réclamer pitié, il fut précipité dans les flots… il n’y avait donc plus de limites à son ambition… il songea un jour à se procurer des canons, et porta une pointe jusqu’à Brest. Bien que les Espagnols eussent été battus l’année précédente, Sourdéac, gouverneur de Brest eut vent du coup de main. À la tête de neuf vaisseaux il donna la chasse à ceux de La Fontenelle et les atteignit près de Camaret. Les ligueurs n’en avaient que trois… un des navires du partisan fut démoli et coulé bas… Les deux autres se hâtèrent de venir à l’abri du fort Tristan.

Croyez-vous que cet échec pût déconcerter l’aventurier ? au contraire, il donna à son plus adroit lieutenant, de Romar, seigneur de Murion, une mission d’espionnage. C’était de se rendre à Brest sous un déguisement de pêcheur.

Disons en passant que les archives de St-Brieuc, disent que cet envoyé était fort instruit pour son temps, et c’est chez sa sœur dans une communauté de Saint-Malo, qu’il avait dirigé Marie de Mézarnou.

L’échec reçu près Camaret, le dépit d’une tentative, surprise de nuit, avortée, détermina le partisan qui n’avait pu surprendre les canons. Un espion intelligent était nécessaire pour savoir ce que l’on pensait de lui là-bas.

La population de Brest, alors en 1596, n’était tout au plus que de 2,000 habitants disséminés à l’abri du château-fort. De Romar habile s’introduisit dans un cabaret fréquenté, survint un sergent d’armes qui dit : Bientôt nous allons déloger le bandit du fort Tristan, et vous bourgeois, si vous n’êtes pas des lâches, vous demanderez à suivre les troupes du gouverneur.

Au plus vite de Romar qui a tout compris revient prévenir son chef…

Le sergent avait dit vrai… Sourdéac part de Brest, accompagné de quelques seigneurs… Rosmadec, Molac, seigneur de Pont-Croix, le seigneur de Guingamp, etc., l’accompagnaient, quelques mauvais canons d’affût étaient trainés à la suite d’une nombreuse troupe qui prit par Châteaulin.

Marche discrète pour donner le change (on ignorait l’espionnage de de Romar). La troupe se dirige sur Penmarc’h, pour réduire en premier lieu la garnison mise par La Fontenelle. Cette diversion était intelligente, car celle-ci détruite dès lors qu’elle ne s’attendait pas à une attaque, ne saurait donner d’inquiétude quand on irait à l’île Tristan.

La garnison surprise se défendit vaillamment… mais les mauvais canons ruinèrent les palissades à bout portant… on fit un massacre de tous les routiers, une partie fut pendue au clocher.

La surprise de l’attaque de Penmarc’h fut grande à l’ile Tristan, dès qu’elle fut ébruitée… La Fontenelle était furieux quand il en eut la nouvelle, il vit bien que l’on allait venir ensuite à lui, il ne se découragea pas et rassembla tout son monde au fort Tristan, et attendit…

Sourdéac ne se pressa pas et voulut s’assurer de Quimper, qui regrettait plus que jamais le pardon fait par St-Luc.

Charles de Liscoët, évêque de Quimper, félicita Sourdéac au nom de Dieu et du roy… vous allez enfin anéantir ce terrible fléau… La ville elle-même s’engagea à prendre les dépenses de l’expédition à sa charge.

Les intentions étaient bonnes, mais promettre et tenir c’est deux, on le verra plus tard… on détestait tellement La Fontenelle que tous les vœux étaient pour Sourdéac, à la suite des promesses de Quimper, les royaux vinrent occuper Tréboul et les hauteurs de Douarnenez. Ils étaient bien jalonnés en fer à cheval, ils fermaient toutes les issues, eh bien et après, à quoi cela leur servait-il ? À haute mer, une ceinture d’eau assez forte les séparait… à basse mer aurait-on le temps d’approcher, au risque de se faire prendre par la nappe d’eau, et de se faire massacrer à la suite.

Le partisan demeurait peu inquiet du résultat, comme je l’ai déjà dit autre part, il faut se rapporter aux armes de l’époque, on ne connaissait pas les combats à longue portée… où pourrait-on essayer une escalade, soit de nuit soit de jour, comment pourrait-on se rencontrer dans un combat corps à corps, un à un ou même par petits groupes.

L’armée des royaux put bien s’installer à son aise, on n’y mit pas d’obstacle, et ce fut d’abord une vraie parade… ils s’aventuraient bien un peu, et La Fontenelle se contentait de temps en temps d’aller jeter le désordre dans les rangs des royaux… et quelques barques se trouvaient prêtes à reprendre les ligueurs qu’on ne pouvait poursuivre.

Au fort la discipline la plus sévère était observée par ordre. Le partisan donnant aux royaux le spectacle curieux de soldats paradant sans soucis des assiégeants, passant et repassant d’un air narquois.

On avait bien établi de terre quelques batteries, à quoi cela servait-il ?…

Les routiers s’asseyaient sur les remparts, aux fenêtres des maisons, sur la colline semblant compter les coups, faisant des gestes de gamin les plus grotesques, et depuis cette époque la pantomime n’a pu changer… quand ils comptaient les coups, de grands éclats de rire saluaient les boulets impuissants qui tombaient à l’eau à distance, on le comprend bien avec les tromblons de l’époque… et quand un groupe assez important de royaux ou d’officiers se trouvaient en vue du côté ennemi, le cri bruyant et souvent répété de vive le Baron de La Fontenelle se faisait entendre.

À une basse marée, Sourdéac commanda une attaque, Guy Eder le laissa déployer ses compagnies, braquer quelques mauvais canons, et il riait de son rire perfide quand quelques batteries cachées au fort firent une décharge qui tua beaucoup de royaux, et les forca à se retirer à la marée montante. La mer se chargea d’enlever les cadavres.

Sourdéac rassembla un conseil, les uns étaient pour une surprise de nuit… c’était hasardeux, on risquait de se faire prendre, l’île avait comme alliée la marée. L’avis qui prévalut était d’attendre l’arrivée de vaisseaux de Brest… et les plus sages disaient ; la famine seule viendra à bout de l’île Tristan.

Et comment la famine pourrait-elle en venir à bout ? Sourdéac ne se doutait nullement des approvisionnements accumulés à l’île… ensuite les bateaux allaient à la mer, et des pêches fructueuses venaient ravitailler les assiégés… rapportons-nous toujours aux armes de l’époque.

Un soir quatorze vaisseaux parurent à la pointe de la Chèvre, on les aperçut dans le lointain s’approcher. Sans délai dès le matin, ils vinrent s’embosser, canonnèrent le fort… On n’avait pas à redouter de ce côté un débarquement impossible, et l’artillerie de mer alors encore plus défectueuse que l’armée de terre, envoyait bien quelques boulets, mais ricochant à peine sur la falaise et tombant à la mer.

Sur ces entrefaites le temps devint mauvais, et les vaisseaux furent contraints de se réfugier sous ce que nous nommons le grand port, qui n’avait alors ni son môle, ni son fanal… Les navires royaux étaient impuissants à surveiller les barques de pêche, soit de nuit soit de jour… Les marins expérimentés choisissaient l’heure, la base et le moment… on ne songeait même pas à leur barrer la route.

Il fallait bien en finir cependant, et Sourdéac décida une attaque générale et par mer et par terre.

Ce n’était pas l’avis des vieux chefs, des barbes blanches, mais il est toujours des impatients, et parmi ceux-ci, se trouvaient deux jeunes hommes… un était Du Granec, le vaincu de Plogastel, et le chevalier de Treffilis du même âge que La Fontenelle, brûlant de le rencontrer dans une mêlée… On dit que pour celui-ci il y avait une rivalité de Boncourt.

Pour nous qui connaissons ces plages, reportons-nous à cette époque.

D’une part une forteresse admirablement fortifiée, c’est une justice que tous rendirent à La Fontenelle, n’oublions pas que c’était cent ans avant Vauban.

D’autre part, une plage de sable couverte d’hommes d’armes, d’arquebusiers à cheval, argoulets, mousquetaires, quelques pièces mal dirigées sur de mauvais affuts, tout cela attendant le moment propice pour l’attaque… Quand le moment est venu ils se mettent en branle, il y a même de l’ardeur, car on n’a que le temps strict… Une partie des ligueurs, gens aguerris fait une sortie subite, La Fontenelle commande, et le fidèle Rheunn ne le quitte pas suivant son habitude. Guy Eder s’attend à la rencontre de Treffilis, car il est prévenu, il le cherche même dans les groupes, car il ne tient pas à Du Granec… Les hommes sont pleins d’entrain, mais avec La Fontenelle une lutte corps-à-corps ne saurait durer, après quelques passes, le vaillant chevalier de Treffilis, tomba la gorge percée d’un coup d’épée… Ce jeune chef étaient fort aimé des siens qui avaient suivi la rencontre prévue, et dont ils virent l’issue, ils essayèrent bien de le venger mais tout était calculé par la défense, à un moment donné des troupes fraiches font irruption, prennent les royaux en flanc, essayent de les faire prendre par le flot qui survient à temps, pour faire les assaillants reculer, malgré la voix des chefs qui sont impuissants à dominer l’effroi que cause le flot qui s’approche… Les assaillants se retirent, mais quelques hommes dévoués emportent le cadavre du jeune Treffilis. Sur un ordre du partisan, les ligueurs renoncent à la poursuite, et rentrent à l’île triomphants, gais et contents, le cœur bien aise, et le cri de vive le baron de La Fontenelle se fait entendre. Les vaisseaux de Brest ne furent d’aucun appui car on n’avait pas à les redouter.

Le lendemain avec solennité, le corps de Treffilis fut inhumé dans la vieille église de Tréboul.

Et voici que ce siège durait depuis plus de 40 jours, tous les assauts avaient été infructueux… Sourdéac fit demander des secours promis à Quimper… mais hélas ! je l’ai dit : Promettre et tenir c’est autre chose.

On reçut une réponse évasive… Elle aurait dû être prévue vu les malheurs des temps et malgré la haine inspirée par le vainqueur… Il était impossible de donner un secours d’argent, quant aux troupes encore moins, on en avait trop besoin pour défendre Quimper.

Le vieux Sourdéac était exaspéré. Que n’eut-il pas donné pour tenir entre ses mains le cruel partisan ?

Lui Gouverneur de Brest, se voir contraint d’abandonner la place, et quelle place !… Il rassemble son conseil il est découragé… Puisque Quimper nous refuse assistance, puisqu’il est impossible de déloger l’oiseau de proie de son aire inaccessible, il serait folie de rester ici plus longtemps. Qui pourrait nous accuser de lâcheté ? Notre conscience n’est-elle pas là pour nous dire que nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, nous avons fait notre devoir.

On fut unanime à l’approuver.

Quel fut l’étonnement de Guy Eder… Les vaisseaux qui n’avaient rien fait disparaissaient au large le lendemain, et les royaux aussi abandonnaient leurs retranchements… Le jour même La Fontenelle fit incendier Tréboul et les quartiers encore debout de Douarnenez… Ils avaient donné abri aux troupes du roi.

Et bien de Romar, dit-il, au seigneur de Murion, son lieutenant… On ne saurait me reprocher d’avoir donné à mon île, le nom de Guyon… n’est-ce pas mon royaume à moi… Les plus vaillants capitaines de la Bretagne sont contraints de fuir avec déshonneur, ils me laissent la place libre, ne le voyez vous pas ?

L’île Tristan, baron de La Fontenelle, est bien à vous, dit le lieutenant, il n’y a qu’un seul homme en France, un seul qui puisse vous en chasser… Quel est donc cet homme, dit fièrement Guy Eder… Le Béarnais, capitaine… Qu’il vienne, je l’attends, dit audacieusement le partisan, avec un air de défi non joué.

Mais auparavant, qu’il me laisse au moins le temps et le loisir de rendre visite au Duc de Mercœur, qui m’attend à Nantes, pendant la trêve qu’il a signée

Je pars un de ces premiers jours…


VIII

Vérité sur le voyage de La Fontenelle à Nantes

Mercœur avait on le sait bien, fait une trêve, entre temps comme il avait su que le partisan s’en souciait peu, il manifestait le désir de le voir à Nantes, ville dans laquelle il se trouvait attendant tout des circonstances, et il était obligé de feindre.

De son côté le parti du Roi, craignait que le Duc ne livrât les places dont il avait le commandement au roi d’Espagne, qui eut été trop heureux d’en prendre possession.

L’aventureux Guy Eder ne faillit pas à une visite, et n’avait-il pas des navires capturés à Penmarc’h et des marins expérimentés ? Comme toujours son fidèle Rheunn, de Poullan devait l’accompagner. Un des meilleurs voiliers est aménagé et il part, remontant la Loire… on ne redoutait guère alors les croiseurs de haute mer. Un messager vint prévenir le Duc de l’arrivée du hardi partisan. Mercœur le dit à ses amis intimes : Nous verrons aujourd’hui, le terrible comte de Cornouaille… Sans doute, vous voulez rire, dit son principal conseiller, un italien de Florence… si justice parlait, il ne faudrait pas parler du roi de la Basse Cornouaille, mais il faudrait lui donner nom, roi des pendus, c’est un mécréant, un brigand que la corde atteindra — Je te donne, mille sous, dit le duc, si tu te sens le courage de répéter cette phrase devant le baron de La Fontenelle, et sans en changer un mot !… Le timide conseiller répliqua : Monseigneur, je n’ai pas été dressé à me battre contre les loups… mais si votre altesse veut me croire, la venue de La Fontenelle à Nantes, lui sera plus funeste que la venue de Louis XI à Péronne ! Êtes-vous de cet avis, Messieurs… Faut-il pendre celui qui nous vient comme ligueur et allié ; pour ma part, je ne le ferai pas. Je vous convie à m’accompagner au port, pour recevoir mon fidèle et dévoué serviteur et allié,… cruel peut-être, mais toujours heureux… cela excuse bien des choses.

Ceci se disait dans la cour du château de Nantes… Le Florentin ne put qu’exprimer dans ses traits, le dégoût que lui inspirait la venue de l’objet indigne de la bienveillance du maître.

Que veux-tu, mon pauvre conseiller, la catholicité de Navarre fait tort à notre cause… avec sa messe et son absolution, ce diable de Béarnais, a renversé mes projets, il a presque ruiné ma fortune… — C’est votre faute, seigneur Duc, si vous aviez voulu en 1595, accepter la proposition de Duplessis-Mornay, la Bretagne restait votre propriété… mais, vous vouliez un duché tout catholique, vous teniez au Pape et à Rome, plus qu’à la couronne… ne vous plaignez pas, voilà votre malheur, n’en accusez personne.

Le Duc répondit sévèrement : Silence, tu deviens aussi hérétique, laisse-moi… le Florentin piqué répond : Amen et s’éloigne de mauvaise humeur, au moment où de grands cris partent du port… quelques hommes descendaient d’un beau navire… Le partisan descend aussitôt, il est fastueux dans ses vêtements, c’était une de ses manies, il aimait à frapper les yeux, à exciter l’admiration… Par dessus une étincelante armure, il portait une pelisse fourrée d’hermine : la tête recouverte d’un superbe casque que surmontait le légendaire panache rouge…… comme toujours la visière dorée était baissée : un superbe manteau recouvrait majestueusement le tout.

Vrai Dieu, dit le Duc, notre héros de la Cornouaille, n’est pas appauvri par la guerre — ces paroles sont restées historiques, commue les suivantes : à combien d’hommes ce beau manteau a-t-il coûté la vie ?… Le partisan avec suffisance énuméra ses hauts faits…… sans embarras, La Fontenelle s’était incliné devant le prince… sous des marques de soumission il témoigna tant de bonnes grâces que le Duc descendu de cheval, lui tendit la main.

Que le baron de la Fontenelle soit le bienvenu, dit Mercœur, ce nom fit circuler dans la foule un frémissement d’horreur, qui se laissa apercevoir… seigneur, dit le Duc, vous le voyez, la Cornouaille n’est pas seule à redouter votre nom, et le bon peuple de Nantes a entendu parler de vos prouesses.

Votre altesse doit à la terreur que j’inspire, la conservation de la bannière de l’union dans la basse Cornouaille.

Je vous en témoigne ma gratitude, et Guy Eder s’inclina. D’un air très affable le prince ajouta : Ouvrez un peu les rangs pour livrer passage à mon hôte et ami… à petits pas on gagna le château, à travers une foule de curieux. Guy Eder sûr de son effet, releva la visière, pour que chacun pût être frappé de la beauté de son visage toujours jeune.

Vous avez un beau titre, sire Duc, dit le partisan… le Duc devint soucieux ; je vais cependant y renoncer, c’est probable, et regardant Guy Éder fixement : Craindriez-vous pour vous, sire de La Fontenelle… Le maître de la Cornouaille a prouvé qu’il ne craint ni le bourreau ni les balles des gens du roy. Mais, est-ce donc, pour assister à l’abaissement de votre gloire que votre altesse, m’a fait venir ?… Non, dit fièrement le Duc, aucun danger ne menace ma gloire qui ne court aucun risque, tant que j’aurai une épée pour me défendre… si j’arrive peut-être à me décider à rendre les armes à Henri de Navarre, ce sera parce que je croirais le faire, accédant de la sorte, aux vœux des peuples bretons qui sont las de la guerre… j’espère que le baron de la Fontenelle suivra mon exemple.

Guy Éder resta atterré de ces ouvertures… non au courant des évènements, il n’était pas habitué à voir la ligue, telle qu’il la soutenait victorieusement à son île, comme pouvant être vaincue, il ne voulait pas la voir à son déclin… La ligue n’est donc plus, dit-il, nous verrons, et je ne désespère pas encore… Sire Duc, avez-vous donc traité avec les royaux ? Pas encore, dit Mercœur, mais je tenais à vous pressentir… une longue conversation resta secrète, et suivit ces paroles… Ils passèrent une longue heure ensemble loin du conseiller… Le soir, à la marée descendante, La Fontenelle reprenait la route de son île… mais il partait décidé on le verra bien à ne tenir aucun compte des paroles du Duc… mettre les armes à bas, jamais plutôt travailler pour mon propre compte. Mercœur me voyant partir plein de confiance, relèvera sa bannière… s’il se range, il ne peut forcer la Cornouaille à accepter la paix du roi… mon île, c’est mon royaume, je saurai m’y défendre et m’y maintenir.


IX

La Fontenelle fait prisonnier à Kerguélénen

Je m’étendrai un peu plus longuement sur l’épisode qui suit, car il a donné lieu à de nombreux commentaires. On blâma beaucoup le délégué du roi à Quimper, dans les circonstances suivantes.

S’emparer de Guy Eder, n’était pas chose facile, combien cependant les royaux eussent désiré le faire prisonnier !

Les populations étaient terrorisées, beaucoup de malheureux avaient été réduits à chercher refuge dans les bois, dans les creux de rochers… mais que pouvait-on ?

Mercœur avait bien fait une trêve, on sait que cela importait peu à La Fontenelle qui n’allait qu’à sa guise.

Les troupes royales restant sur la défensive, le baron de l’île Tristan ne sortait pas de son repaire imprenable.

Il ne sera pas facile de me déloger de mon nid, qu’ils viennent, je les attends, voilà ce qu’il ne cédait à personne. Je défie les troupes de Quimper et des autres villes.

L’ennui de ne pouvoir batailler le poursuivait, il eut désiré prendre l’offensive, et se disait…, Comme je n’ai rien à redouter dans mon royaume, il me serait bon d’entretenir de nouvelles intelligences avec la place de Quimper.

À Kerguélénen, poste fortifié, poste d’avant-garde, pour la garnison de Quimper il y avait un commandant de troupe qui n’était pas breton, et ce château de Kerguélénen est situé entre Douarnenez et Quimper… Une attaque de cette position était inutile, c’était donner l’alarme aux royaux nombreux qui seraient arrivés de Quimper, car là aussi on était prêt.

Le commandant de ce poste avancé s’appelait Du Clou il était à la tête d’un régiment poitevin, de l’armée du roy en Bretagne… Ce commandant à tort ou à raison, ne passait pas pour avoir la confiance de d’Espinay de St-Luc envoyé extraordinaire du roi, qui l’y maintenait cependant, et il faut le dire, à ces époques troublées, il était difficile de savoir à qui donner la confiance, dès lors que la place de Quimper elle-même était mal affermie.

Du Clou, le poitevin, avait eu au temps jadis différentes relations, assez suivies même avec le lieutenant Kervel, qui nous le savons guerroyait pour La Fontenelle et avec lui, car il commandait l’avant-garde.

L’idée vint au baron de l’ile Tristan, de profiter de ces anciennes relations, pour savoir de Du Clou, dans une entrevue nocturne, quelle était la situation exacte de la place de Quimper… il en connaissait bien l’esprit, mais ignorait le nombre de troupes renfermées dans la ville à ce moment.

Rheunn, de Poullan, ami dévoué du partisan, et son confident, lui avait dit souvent et souvent :

Kervel est traître, n’ayez en lui aucune confiance.

La Fontenelle s’en défiait bien, mais il l’avait mis à la tête de son avant-garde, tout en le surveillant : il l’avait entouré de vieux ligueurs éprouvés, et s’il gardait le lieutenant c’est que Kervel, homme farouche, était un épouvantail pour les populations, et son intérêt le maintenait du parti de la ligue.

Kervel me craint, disait Guy Eder, il n’ignore pas que mon poignard saurait l’atteindre en cas de trahison, n’importe où… bah le destin est là, j’irai quand même… ses idées de prédestination ne le quittèrent jamais, on le verra jusqu’aux derniers jours de sa vie.

Kervel est prévenu de se rendre au fort, pour recevoir des instructions. Ménagez-moi, lui dit le chef, une entrevue avec votre ancienne connaissance Du Clou, faites adroitement, j’ai besoin de lui… usez de promesses d’argent, il ne résistera pas à ce nerf de la guerre.

Ce fut une affaire entendue, et Kervel s’introduisit à la nuit à Kerguélénen… Comment remplit-il sa mission, ce fut un secret : et les actes de vénalité étaient si communs à cette époque que rien ne doit étonner, l’intérêt étant le seul guide, quand il y a plusieurs partis en présence.

Le lendemain Kervel revenait au fort avec une lettre ainsi conçue :

Monseigneur et ami, Baron de
La Fontenelle,

« C’est avec plaisir que je vous donne des nouvelles de nos conventions avec les compagnies de Quimper ; j’en ai grâce à Dieu de bonnes à vous donner. Tous nos amis de la baie ont fini par décider un coup de main, je n’ai plus qu’à m’entendre avec vous sur quelques détails nécessaires pour les fins desquels je vous donne pour demain rendez-vous demandé, une entrevue, à mi-voie du fort et du manoir de Kerguélénen. Du matin et seul… Dieu vous garde. »

Du Clou,
Commandant du régiment poitevin
de l’armée du roy en Bretagne.
Kerguélénen, 15 Juin 1596.

La Fontenelle comprit bien ce que cela voulait dire, car il dit à son lieutenant… je me mets en route vers minuit.

Du Clou prévoyait-il la fin prochaine de la ligue, puisqu’il y avait trêve, croyait-il faire meilleure affaire en se rattachant au parti royal, en se mettant en plein dans les bonnes grâces de d’Espinay de Saint-Luc, envoyé royal.

Quoi qu’il en soit, il allait trahir le partisan, car dès le soir, il avait soin d’apposer une trentaine d’arquebusiers, cachés le long des haies.

À la pointe du jour Du Clou se rend à l’endroit désigné. Guy Eder, suivant les conventions, n’avait que son lieutenant La Boule… Les deux chefs s’avancent à cheval, se saluent, s’embrassent et descendent pour s’entretenir… par quelques paroles, Du Clou distrait Guy Eder, c’était sur la situation de Quimper et cela le préoccupait… soudain de la haie les quinze soldats se lèvent, le partisan, étonné, surpris, ne peut saisir son épée, malgré sa force prodigieuse, il est tenu en respect, désarmé, garrotté, tout était préparé d’avance.

La Boule épouvanté n’a que le temps de s’enfuir, on ne songeait pas à lui, on en voulait au chef, le lieutenant rentra au fort Tristan.

La Fontenelle garrotté est conduit à Quimper. Sur le parcours on n’entend que des cris de mort, de triomphe, on pourrait au moins reposer.

Fier et hautain dans ses entraves, Guy Eder ne perd pas courage il avait la visière baissée, et l’on pouvait juger des sentiments qui l’animaient… chacun aussi peut se rendre compte du jeune âge du bandit qui est la terreur de toute la contrée.

Ce traître de Kervel devait me porter malheur songeait-il… ah si je tenais Du Clou, traître et félon.

La foule se rassemble, et d’Espinay de Saint-Luc, est aussitôt prévenu de la capture… c’est en cet envoyé du roi, que le chef des ligueurs qui sont en trêve ailleurs, met son espérance.

Ordre est donné aussitôt par le délégué du roi, de soustraire le captif à la fureur du peuple, qui menace, d’autant plus fort qu’il n’a rien à craindre.

Faites bonne garde près de lui, dit le gouverneur, vous savez à qui vous avez affaire… recommandation inutile… La garde est triplée, le loup ne pourra pas sortir de la cage, dont il voudrait bien briser les barreaux ; mais hélas impossible ; il ne pourrait en sortir, sa ruse ne servirait de rien aujourd’hui, peut-il invoquer la trêve lui qui ne l’observait jamais ?

La nouvelle de la capture apportée à de Saint-Luc, lui occasionna une grande joie, mais quand il connut la manière dont on s’était servi pour s’en emparer, il ne sut cacher son mécontentement… c’était un guet-apens, et cela n’allait pas à sa nature loyale de vrai soldat.

De Saint-Luc, était un type parfait de cette antique aristocratie de noblesse et de manières… de très haute mine, il avait excité l’envie dans le palais du Louvre… on était fier, quand on le voyait à la tête de ses hommes d’armes, rehausser son panache blanc. Ancien favori de Henri III, courtisan habile, il avait une très grande valeur, mais il était plus habitué de la cour que des camps… Navarre l’avait distingué à la bataille de Courtras, l’avait fait chevalier de ses ordres, lui avait promis de le nommer grand-maître de l’artillerie, aussitôt que cette place deviendrait vacante… Le Béarnais l’avait envoyé en Cornouaille, avec tous pouvoirs ; il savait que le maréchal d’Aumont l’avait laissée peu affermie dans l’obéissance, et l’on voulait savoir à quoi s’en tenir.

Avant de se rendre à Quimper, il passa quelques jours à Rennes, comme tous les autres grands seigneurs de l’époque, il était joueur. Dans cette ville il avait contracté une forte dette de jeu. Chacun le savait, et lui aussi était désireux d’éteindre ce que l’on appelle une dette d’honneur. Comme la ligue était à sa fin, il répugnait à de Saint-Luc, de livrer à la justice, un homme comme La Fontenelle déplorerait les cruelles expéditions de sa jeunesse, et mettre le roi de l’ile Tristan, entre les mains de la justice du parlement, c’était l’envoyer à une mort certaine : bien que dans tous les partis, il y eut à se reprocher bien des écarts, mais pas d’aussi grands. Un motif existait bien, mais personnel de jalousie : La Fontenelle était le cousin de Lavardin, et celui-ci, malgré les promesses du roi, avait pris la place promise de grand-maître de l’artillerie… Cette vengeance personnelle était indigne d’une âme noble et loyale comme celle de Saint-Luc… en vain l’aurait-on fait valoir.

Songeant cependant aux souffrances de la Cornouaille, les sentiments généreux qu’il éprouvait, venaient lutter contre des sentiments de rigoureuse justice… Son premier mouvement avait été de remettre le jeune partisan en liberté… N’avait-il pas lui aussi rendu la liberté à Du Granec.

La trahison seule a mis entre nos mains, se disait-il, un homme brave, mais qui n’est qu’égaré, un chef qui pourrait revenir à des sentiments meilleurs, devenir un capitaine loyal, dévoué. Les ordres de clémence du roi sont formels : « Soyez surtout cléments, n’oubliez pas que les ennemis qui restent encore sont des français, et je suis le père de tout le peuple.

Il raisonnait juste le comte de Saint-Luc, mais les ligueurs avaient-ils prouvé qu’ils étaient bons francais quand ils proposaient la couronne au roi d’Espagne.

Cette proposition fut soumise au parlement, et cette grave assemblée s’indigna, et déclara formellement que la couronne de France ne pouvait appartenir à un souverain étranger. N’en est-il pas cependant de nos Jours qui ne raisonnent pas avec plus de patriotisme… rien de nouveau sous le soleil.

D’autres raisons militaient encore dans l’esprit de l’envoyé du roi… Dès la première entrevue avec le partisan, Saint-Luc, songea à rendre la liberté : il était soldat, il aimait les gens de guerre… Que dirait-on dans l’armée, s’il livrait au parlement un homme que la trahison seule avait pu livrer ?… Il est ennemi, mais il n’est pas le seul, il s’est montré cruel, très cruel, les royaux sont-ils exempts de reproche… et puis en somme, La Fontenelle est bon, il est jeune, il est de bonne noblesse, et quand sa soumission sera obligatoire, ce qui arrivera à bref délai, ne sera-t-il pas un excellent serviteur ?

Depuis quelques jours, Guy Éder restait éloigné de son ile, quand le délégué royal se fit introduire dans la prison.

Saint-Luc fit retirer les soldats, puis prenant la parole : « Eh bien, Monsieur le baron de La Fontenelle, êtes-vous décidé à mourir ? Soyez-en sûr, c’est le sort qui vous attend. »

Guy Éder répond froidement : « Oui, mais bravement et en gentilhomme, quand l’heure aura sonnée, mais non pas à la suite d’une trahison, et j’ai l’espoir de sortir libre d’ici. Le comte de Saint-Luc saurait-il sanctionner une perfidie ? Je ne m’attends pas à cela de son honneur de soldat.

En prononçant ces paroles, il frémissait de rage, lui, La Fontenelle, être à la merci de ce fier gentilhomme, et encore il lui devrait la vie… L’envoyé du roy, se mit à lui narrer ses méfaits. Guy Éder impassible, sans l’interrompre le laissa épuiser son indignation. Tout à coup, hypocritement.

Le plus noble gentilhomme de France, laisserait-il un Beaumanoir finir sa vie sur un gibet ? — Ce serait justice cependant, et ce serait mon devoir. — Le jeune homme relève la tête : « Alors il eût fallu me prendre loyalement… sang noble ne peut mentir, et celui qui coule dans vos veines se refuserait à commander froidement mon supplice… Saint-Luc alors se mit à regarder fixement le partisan et resta plongé dans ses réflexions.

Guv Éder aussi réfléchit, et ses réflexions se portèrent vers le faible connu du général… Tout homme est à vendre, il suffit de savoir de quelle monnaie le paver.

Tout le monde savait que Saint-Luc aimait le faste, qu’il était large, dépensier, il aimait donc le vil métal qui est le nerf de toutes ces qualités.

J’ai rendu la liberté à Du Granec, moi je suis fier d’être votre prisonnier, et j’espère ma liberté de vous.

Chaque jour, dit le général, il m’arrive des députations demandant votre tête… Tous les habitants du pays voisin la réclament, ils souhaitent la voir rouler à la tour du Chastel (place St-Corentin)… mais, sang Dieu, ils ne sont pas soldats ces gens-là… que comprennent-ils à la guerre ? Et, d’un air dédaigneux et hautain : « Je ne veux pas me laisser influencer par personne, qu’ils le comprennent bien ! Ces cris de bourgeois ne me vont guère… Je suis le maître ici, je le serai, et j’entends l’être… Que votre famille tremble pour vous, je l’admettrai, mais parce qu’elle a l’espoir de vous voir sortir de l’ornière où vous êtes… Heureusement, je veux vous considérer comme prisonnier de guerre. »

Je ne le suis que par trahison, dit fièrement le jeune homme, ce n’est pas par un acte de bravoure que mon adversaire s’est emparé de ma personne… Et comme au dehors les clameurs de la populace continuaient, Saint-Luc frappa du pied, impatienté. Je ne me laisserais influencer par personne, qu’ils le sachent une fois pour toutes… Je vous remercie, et vous serais reconnaissant… Du Granec m’avait combattu loyalement, je lui ai rendu la liberté sans rançon, et moi je m’engage ici, à vous faire apporter 14,000 écus d’or… Oh ! non pas pour ma rançon, mais ce sera comme souvenir de moi. Le rusé partisan avait d’abord parlé de loyauté, de noblesse, et maintenant d’un seul coup il entrait dans la place. Qui n’a pas ses faiblesses ? Grands et petits nous sommes ses sujets… ni les temps ni les hommes ne changeront.

À ce moment, le chef de la garde entra dans la prison… Monseigneur dit le sergent, une députation des magistrats de la ville, des échevins, des notables, désirent vous voir à l’instant… Je les ai introduits dans la salle, ils veulent, disent-ils, vous parler de La Fontenelle. — À ces paroles, de Saint-Luc fronce le sourcil, c’en était trop pour sa patience… D’abord Goujat, tu auras désormais soin de parler comme le doivent les gens de ton espèce, d’un noble gentilhomme, fût-il à Montfaucon, entends-le bien… Annonce que je me rends à la salle à l’instant. Et il sortit, mais le partisan vit bien qu’il avait touché corde sensible… une corde qui vibrait réellement… l’or, et aussi loyauté et noblesse.

L’assemblée des notables était nombreuse, mais pour un soldat tel que Saint-Luc, l’ensemble était déplaisant…

Dès son entrée, le général demande : à quel heureux hasard, dois-je l’honneur de votre visite ? Un personnage peu sympathique prend la parole. Nous venons vous témoigner nos respects et nos félicitations, vous dire, la reconnaissance que la bonne ville de Quimper vous gardera, pour la punition exemplaire d’un brigand, le baron de La Fontenelle qui a causé tant de ruines à ce pays du roi… Saint-Luc resta silencieux et froid… L’orateur, plus humblement, ajouta : ce sera certes grand plaisir pour sa majesté et pour son bon peuple, que la condamnation à mort, du bandit… et la diligence qu’on y aura mise, sera appréciée de tous.

L’orateur, ouvrait de grands yeux, en examinant sur les traits de l’envoyé du roi, l’effet produit par ses paroles, et cependant il dit plus humblement encore : Monseigneur, nous allons nous-mêmes apprendre aux bourgeois, au peuple de votre bonne ville qui attend, toute la reconnaissance, qu’ils devront au gouverneur délégué de sa majesté.

Saint-Luc, mécontent dit d’une voix rogue et ferme : ce sont là des choses, auxquelles, vous et vos pareils n’êtes pas initiés, et entendez-le bien, qui ne sauraient exister qu’entre sa majesté et moi.

Et il dit hautement, s’adressant à tous ceux qui étaient présents et ne semblaient pas à leur aise : Messieurs les magistrats, voilà, sang Dieu, une étrange chose que les bourgeois se mêlent de gouverner, et de s’en donner le ton… et sévèrement : Je ne tiens mon commandement que de Dieu et du roy, je le leur rendrai, mais en attendant je ne dois compte qu’à eux. Le blason de ma noblesse est mon code à moi, à moi, comte de Saint-Luc, Messieurs de Quimper, ajouta-t-il, en laissant percer la raillerie, et moi aussi… une fois pour toutes, n’oubliez pas que c’est dans mon honneur que je trouve mon devoir, que désormais ce soit chose convenue entre nous. Et prenant un parchemin scellé : Allez je suis occupé, je vous reverrai dans la salle du conseil… et les députés faisant piteuse retraite se retirèrent.

Le général se tournant vers quelques officiers présents : Vraiment, ces faquins de justiniens et bourgeois, voudraient faire de moi, un de leurs échevins, presque leur valet ? Et comme du dehors on entendait quelques cris encore… Faudra-t-il par hasard, dit-il, en écartant les gardes, et rentrant dans la prison de Guy Éder, qu’après la réception des maris bourgeois, je reçoive aussi les doléances de leurs épouses, jeunes et vieilles… Sang Dieu, ils n’y reviendront pas je l’espère… Il était de mauvaise humeur, et se calma en se rapprochant du prisonnier qu’il attira dans l’embrasure d’une croisée… il traça quelques lignes sur un parchemin… voilà ce qu’il me faut dit-il, en montrant quelques chiffres alignés.

C’est raisonnable, dit le partisan en pliant le parchemin. Veuillez, dit le baron, faire porter au fort Tristan, jusqu’au retour je suis vôtre… Oh croyez bien, dit Saint-Luc, c’est comme don que j’accepte, ce sera un don du sire de La Fontenelle, lequel sang Dieu, tient dit-on, bons bahuts ferrés et dorés, en son île Tristan… un vrai trésor de Salomon, chacun le sait, c’est en considération de l’illustre maison des Beaumanoir, que je vous fais grâce, aussi en souvenir de la liberté rendue à Du Granec. Demain vous pourrez retourner à votre île, mais rappelez-vous les paroles d’un soldat : Aussitôt votre retour, licenciez vos troupes, j’ai pitié de votre jeunesse… faites amende honorable, expatriez-vous pour quelques temps, faites solliciter votre pardon par votre cousin Lavardin, puissant à la cour… moi-même je vous promets d’obtenir du roi, l’oubli de vos actes passés… c’est cette espérance seule qui me guide en vous laissant aller… car si j’avais la pensée que vous puissiez agir autrement, je serai le premier à vous faire conduire à Rennes et à vous y accompagner.

Si vous êtes sourd à ma voix, vous serez cruellement puni, et cela sans tarder ; car partout nous sommes vainqueurs… ne criez plus, vive Mercœur, il fera sa soumission vous le saurez avant peu et personne désormais ne saurait vous soustraire à l’ignominie du gibet.

Toutes ces recommandations ont été conservées par un auteur, auquel je les emprunte en les abrégeant, le jeune homme ne répondit rien à ces paroles sermonneuses, et il se contenta de dire : Si jamais, le baron de La Fontenelle, rend son épée, ce sera entre les mains du noble comte qui me donne ses conseils.

Le lendemain la rançon demandée fut expédiée par les soins de De Romar, et Guy Éder sortait de grand matin, pour n’être pas reconnu des habitants : il avait une escorte de cavaliers royaux, qui dirent quelques paroles aux miliciens gardiens de la porte Médard… on ouvrit les portes au chef de l’escorte. Le partisan semblait étudier les murailles, puis il s’arrêta soudain… archers, avez-vous ordre de me conduire jusqu’à ma porte… il fait assez jour maintenant, et pour me protéger aujourd’hui, j’ai une bonne garde, avec laquelle je ne crains personne au monde… Monseigneur doit savoir que nous sommes chargés de l’escorter dit le chef pendant que Guy Éder souriait à sa vaillante lame… à ce moment quatre soldats de l’île, parmi lesquels se trouvait l’ami Rheunn, le dévoué soldat parurent, mandés munis d’un sauf-conduit signé du gouverneur… Soldats, dit le baron aux royaux… assez de peine que je vous donne, buvez à ma santé et à notre prochaine entrevue… en même temps il leur jetait une bourse bien garnie… vivement il partit au galop de la monture, qui lui avait été donnée de l’écurie du gouverneur…

Arrivé sur une hauteur, montrant à ses compagnons la cathédrale : Dans peu je reviendrai là, mais ce ne sera pas les mains liées… Quimpérois vous me rendrez au centuple, l’argent que j’ai payé à Saint-Luc… Du Clou saura ce qui l’attend, et il partit au galop de son cheval.

Ne vous l’avais-je pas dit capitaine, dit Rheunn, quand ils se trouvèrent dans les sentiers tortueux, entourés de hautes landes qui abrégeaient le chemin, Kervel est un traître, à la nouvelle de votre retour, il a décampé pour ne pas vous voir, pressons le pas, il se rend à ce moment près de Du Clou à Kerguélénen, nous pourrions le rencontrer encore… Il mourra de ma main, dit le partisan d’un air féroce, nous allons lui barrer le passage… Ils prirent donc le chemin que devait suivre le traitre Kervel, et entre temps ils le virent déboucher dans la plaine… il était seul, et ne s’attendait pas à la rencontre.

Le premier mouvement de Kervel fut de prendre la fuite, Guy Éder s’élance avec la rapide violence du tigre, et Kervel est renversé de sa monture tant le coup était violent. Le cheval du jeune chef se cabrant, celui-ci le maitrise, et descend de sa monture… Kervel est plus âgé que la Fontenelle, il est aussi d’une vigueur supérieure à celle du jeune homme qui s’était élancé sur lui. Le lieutenant veut se dégager et cherche à enlacer dans ses bras nerveux… Je veux être seul contre lui, dit Éder à Rheunn qui allait à l’aide du capitaine, qui allait tomber, mais il porte dans la cuisse de son adversaire un coup de poignard qui coupe la courroie du cuissard et pénètre jusqu’à l’os. Kervel tombe à son tour… ils sont à genoux l’un vers l’autre, la position allait être difficile pour Guy Éder qui rugissait comme une bête féroce… Kervel a confiance dans le poids de son corps, dans la Vigueur de son bras, il se laisse en quelque sorte rouler et était parvenu à renverser son adversaire, il allait lever le bras pour frapper quand Guv Éder plus agile déplace par un soubresaut Kervel qu’il renverse de côté, et lui plongeant son poignard jusqu’au manche entre le nez et l’œil gauche en disant : Adieu, Kervel, Dieu t’assiste et il se relève brusquement, laissant à terre le cadavre du traitre… Éder se relève, Rheunn, dit-il, attache-le par les jambes à la queue de ton cheval, et ne lui épargne pas les cailloux du chemin.

Le cadavre fut trainé jusqu’au fort, et là hissé au sommet du seul sapin de l’ile. Un instant après, le corps ballotait dans l’espace, au-dessus des têtes de quelques soudards et de Rheunn qui disait : ainsi périssent les traitres… vive le baron de La Fontenelle.

Les compagnons répétèrent ce cri car Kervel était détesté, et ceux qui donnèrent la main à traîner le cadavre mutilé, le firent avec joie, Kervel était détesté.


X

Siège de Quimper

Les sages avis du loyal de Saint Luc, qui avait cru ramener le partisan au parti du roi, en lui rendant la liberté, tombèrent sur un terrain trop couvert de broussailles… Les hommes cyniques comme Guy Éder laissent les oiseaux venir enlever la bonne semence, trop de pensées ambitieuses sont là, prêtes à les étouffer : pas un seul grain ne germe, et quand il germe il meurt, faute de soins.

La reconnaissance est un fardeau pour les esprits de sa trempe, d’autres préoccupations agitent son âme rancunière.

Pendant sa captivité, il avait ruminé divers projets de vengeance. Les habitants de Quimper ont demandé ma mort, ce sera dit-il dent pour dent, œil pour œil, la loi du talion.

L’attaque de l’ile Tristan par Sourdéac arrêta ses projets de vengeance, l’insuccès des royaux lui donna de l’orgueil, c’est avec cet esprit qu’il vécut, qu’il fit son voyage de Nantes, plus décidé que jamais en entendant les hésitations du duc de Mercœur qu’il accusait de pusillanimité, en retournant de Nantes, il longea avec son navire les roches de Penmarc’h, sa colère s’en augmenta d’autant, en songeant au massacre de sa troupe… et puis, il avait su que Charles de Liscoët et les Quimpérois avaient promis des subsides aux troupes venues de Brest pour le déloger… sans succès — au contraire… nouveau motif pour punir la capitale de la Cornouaille… en sortant de Quimper une fois délivré de la prison, il avait jeté aux murailles, un coup d’œil de connaisseur, et l’on sait que les aigles ont la vue perçante.

Je vous reverrai semblait-il dire, mais ce ne sera pas enchaîné dans un mauvais charriot, à canaille, canaille et demi.

De Romar était son confident… j’entrerai à Quimper pour ramener cette capitale à l’union…… j’ai des intelligences dans la ville… La soumission de la place n’a été que forcée. Le meilleur argument du maréchal d’Aumont, a été, ses batteries sur le mont Frugy… on ne l’ignore pas.

De quelle façon, les Quimpérois ont-ils accueilli les démarches du sénéchal de Baud, voulant livrer la ville à Lézonnet, gouverneur pour le roi de la place de Concarneau ? ne l’ont-ils pas conspué ?… oui, Quimper sera à nous, j’en réponds, et en m’attachant cette ville, j’éclipse l’hésitant Mercœur, peut-être même avec le prestige de la victoire deviendrais-je chef de l’union ? Quos perdere vult Jupiter dementat.

C’était bien l’avis des lieutenants, eux aussi, avaient une politique, moins haute comme portée évidemment : et ils risquaient moins… leur principal objectif était le pillage, le butin… ils raisonnaient autrement que le chef… La ligue est à son déclin, chargeons nos coffres… avant que le chef qui répondra de tout, ne capitule, engraissons-nous, on nous pardonnera nos faits de guerre.

Au retour de Nantes, l’attaque de Quimper fut décidée… ils ne sont pas nombreux dans le moment, ils n’ont pas pu venir se joindre aux royaux à l’ile Tristan… voilà un moment bien choisi… son calcul semblait juste, et de Romar plus prudent cependant l’approuva.

Il y eut deux attaques consécutives, et les deux attaques furent un avortement complet une débâcle ignominieuse… je ne m’étendrai pas, les archives sont muettes, les légendes contradictoires… J’en ai entendu donner plus d’une et chacun la donne à sa manière, comment alors savoir la vérité ?

Donnons d’abord un aperçu de la situation du pays à cette triste, très triste époque… nous sommes fin de siècle pareillement, et comparons ! vous ne trouverez pas en moi, ce que dit Horace, laudator temporis acti, censor minorum. Alors misère partout, et dans les villes, et encore plus dans les campagnes. Famine provoquée par l’état des esprits, par le manque de travail, et elle faisait des Victimes nombreuses.

Les campagnes n’étaient pas cultivées, le pain faisait défaut, l’on était réduit en maints endroits à se nourrir d’herbes, d’oseilles cuites… on ne connaissait alors ni pommes de terre ni beaucoup de légumes d’alimentation… Les paysans avaient abord cherché des refuges dans les creux de rochers, mais ne s’y trouvant pas en sûreté, pas plus que dans leurs champs, ils vinrent mendier un asile dans les villes, l’outillage aratoire si mauvais qu’il put-être, faisait défaut… on incendiait des champs de landes et de genets, on grattait tant bien que mal à la suite et c’était la seule préparation pour la semaille à venir, d’autres s’attelaient à de mauvaises pièces de bois, simulacres de charrues anciennes… nulle part on ne construisait. Des fauves avides de chair humaine pullulaient partout. Chaque jour on entendait parler de voracité des loups, qui avaient dévoré femmes et enfants. Ces fauves pénétraient dans les habitations, et sous les yeux des parents effrayés commettaient des dégâts faisaient des victimes… ils arrivaient aux portes des villes, sautaient directement à la gorge, au point qu’on leur donnait le nom d’hommes-loups… une femme de Kerfeunteun revenait du marché, elle est attaquée en plein jour… elle était enceinte, et le fauve instinctivement lui sauta aux entrailles… elle fut mise à mort, avant qu’on put la secourir.

Tous ces détails sont donnés par les auteurs de l’époque surtout par le chanoine Moreau, (histoire de la ligue en Bretagne). Toutes ces circonstances malheureuses, étaient un grand apport, un apport inespéré pour un succès du partisan, qui l’escomptait encore plus que la terreur inspirée par son nom.

Ensuite le vaillant comte de Saint-Luc, n’était plus là. Cet envoyé extraordinaire du roi, avait un prestige, une autorité que ne possédait pas Kermoguer, le gouverneur… celui-ci n’était pas un homme de guerre, tout le monde le savait… sans doute, il était brave, mais il n’était pas homme d’action, et de plus, ses forces étaient disséminées un peu partout.

L’attaque de nuit fut décidée par La Fontenelle, et tout avait été préparé pour cela. On devait partir avant la fin du jour pour arriver vers les minuit surprendre Quimper dans le sommeil.

Si le plan réussissait, Quimper allait être pillée et le plan avait toutes les chances de réussite !

Mais voilà ! on ne pense pas à tout… Le partisan avait dans la garnison de Quimper quelques émissaires. Comment les royaux ne purent-ils avoir avec la troupe de l’ile Tristan d’autres intelligences ? On ne cacha pas assez le but de l’expédition, on s’y prépara trop ouvertement. Un sergent d’armes, paraît-il, avait quelques obligations à Kermoguer, ce fut la cause de l’avortement de l’entreprise car le gouverneur fut averti à temps… il connut l’heure du départ, la route que l’on devait suivre, le plan de l’attaque, et un homme sur ses cardes peut défier un corps de troupe nombreux… un bataillon embusqué vaut un corps d’armée.

Au déclin du jour les routiers partaient de l’ile Tristan, bien réconfortés, bien dispos, pleins d’entrain. On gardait un silence complet pour ne pas donner l’éveil, jusqu’à ce qu’on eut rejoint les chemins creux et détournés que ces maraudeurs connaissaient à merveille… on devait prendre par le Juch, les Vallons au-dessus du Guengat, passer sous Prat-en-Raz et avancer ainsi par le vallon. C’est à peu près le tracé de la diagonale du chemin de fer. Les grands chemins alors n’étaient pas entretenus, mais les traverses de villages à villages étaient plus fréquentées, on les néglige maintenant… ils ne font pas suer davantage les cantonniers qui n’existaient pas alors, et qui maintenant arrosent de leurs sueurs les grandes voies de communication.

Dans le vallon la troupe pleine d’entrain, allait, se croyant sûre du succès… quand on n’eut plus à craindre de donner l’éveil, les langues se délièrent.

L’avant garde longeant le steir, avançait sans crainte, et insouciante… de joyeux propos, les propos les plus grivois avaient leur cours… ces farces de soudards faisaient rire, et le chemin semblait plus court… les routiers de La Fontenelle ne craignaient ni Dieu, ni diable.

Le manoir des Salles est sur la route, et au-dessous il est un chemin par lequel tous doivent passer avant de reprendre la hauteur, où les plus grandes précautions de silence doivent être reprises : au manoir des Salles les propriétaires étaient absents, et l’avant-garde avait un détour à y faire, on jugea le moment propice pour échanger avant de faire un silence relatif, les derniers propos du chemin.

Belles dames de Quimper, jeunes vierges candides qui dormiez à cette heure, d’un sommeil si pur, comme vous aviez raison le lendemain d’aller allumer des cierges aux autels de vos saints et saintes vénérés qui sûrement durent vous protéger ce jour-là… l’avant-garde des ligueurs se trouvait massée dans un endroit découvert de la route, près d’un taillis bordant le chemin… entré temps un solide gaillard de l’avant se détourne… Compagnons, nous pouvons bien dire, qu’avant demain, bonnes bourgeoises et leurs gentilles filles pourront se procurer beaucoup de plaisir sans péché, elles n’auront pas besoin d’absolution car nous ne leur demanderons pas leur consentement. À ces paroles dites d’un air goguenard, une vive lueur se fit, une décharge de nombreuses arquebuses, comme un coup de tonnerre, vint mettre un désordre épouvantable dans les rangs. Ce fut une débâcle dans la demi-obscurité d’un simple rayon de lune, les chevaux buttent, les hommes vocifèrent, les blessés se plaignent et il y avait des morts sur les cadavres desquels on piétinait… cette première décharge est suivie d’une seconde dans le gros de la troupe le cri de trahison se fait entendre, on ne songe plus aux blessés… chacun pour soi et sauve qui peut… chacun s’en retourne au plus vite, le reste de la troupe fait volte-face, et en toute hâte on le pense bien… La partie était perdue.

Kermoquer averti par le sergent d’armes avait donné des ordres, 150 arquebusiers embusqués à cet endroit étaient plus que suffisants pour arrêter un corps d’armée.

Ils étaient partis en secret sous le commandement d’un homme hardi… on les avait vus descendre le Pitchéry et ils s’étaient embusqués à leur aise, attendant à couvert et dans le silence le moment favorable.

Ces braves archers sauvèrent Quimper, on les attendait avec impatience… personne ne dormait on leur fit une ovation.

C’est moins gaiement que les routiers revinrent au fort, on chercha le traitre qui ne vint pas chercher sa récompense, bien il fit, il savait le sort qui l’attendait.

Le coup a manqué, dit La Fontenelle… mais aussi, qu’elle imprudence a-t-on eu de parler trop tôt… je n’aurai plus d’autre confident que moi-même… c’est partie remise.

Sans rien dire en effet, il prépare une attaque sérieuse. Cela ne devait pas attendre car tout était prêt… cette fois ce devait être en plein jour jour… il se disait… on nous croira déconcertés, allons pendant que c’est chaud… une attaque subite sera d’un effet irrésistible, d’autant plus qu’elle sera spontanée…

Le 30 mai 1597, il partait à la tête de ses hommes d’armes.

Un grand nombre chariots avaient été réquisitionnés pour ramener le butin aux cavernes de l’ile… et comme il prévoyait tout, quelques navires capturés à Pemmarc’h remontèrent l’Odet, navigable jusqu’à Quimper.

Les troupes furent concentrées sur le plateau de Prat-ar-Raz, on les fit prendre quelques repos le long des broussailles qui dominaient le château.

Alors c’était un antique manoir gothique à tourelle. Le château actuel de date plus récente est plus moderne, avec ses grilles style Louis XIII.

Deux compagnies se détachaient du corps d’attaque, l’une de chevaux légers, cavaliers sans armes défensives, montés sur des bidets du pays de Briec, pleins de feu, infatigables. C’étaient un peu les hussards.

Ensuite des arquebusiers sur de plus lourds chevaux. Ceux-ci portaient casques, un peu comme nos dragons, mais de forme évasée, des rondachiers armés de coutelas suivaient pesamment à pied, on n’en comptait qu’une cinquantaine vrais colosses, et ceux-ci faisaient l’office de nos sapeurs, ils allaient les premiers couverts de larges boucliers à l’attaque des barricades, venait ensuite l’infanterie… Des cartouches comme des clochettes pendaient à un baudrier ceignant le corps.

La croix blanche de Lorraine signe de la ligue s’apercevait sur tous, mêlée à des images de vierges et de saints, collées sur des morceaux d’étoffe écarlate parmi des croix, des médailles, des chapelets… Derrière cette masse, une réserve immobile sur d’énormes chevaux… et ces cavaliers avaient casque, cuirasse, lances, hallebardes, et toute cette troupe était aguerrie, prête à tout.

Le hardi partisan de haute prestance, avait ce jour là revêtu son costume des grands jours… Velours rouge, hermine par dessus… costume de fête, de triomphe, voyant, pourpoint vert à aiguillettes d’argent, grosse chaîne d’or se roulant autour de la collerette, avec une splendide écharpe de soie aux couleurs de la ligue, plaquée de ses armes, rehaussée d’or… Sa ceinture brodée d’argent soutenait une lourde rapière faite à sa taille… il portait d’élégantes bottines retombant sur des éperons dorés…… Son grand cheval de bataille, plein de feu, blanchissait son frein d’écume.

Sur les hauteurs de Prat-ar-Raz, après une halte, Guy Éder harangue ses troupes avides de marcher.

Il croyait surprendre au moins à-demi, mais on faisait le guet, et du haut des tours de Saint-Corentin, on aperçoit les ligueurs… Il était dit-on, dix à onze heures du matin, par une journée de beau soleil de mai.

On pouvait s’attendre à tout de l’audace du chef ligueur, et la population surprise se rend sans ordres aux remparts, plus ou moins armés. Sang Dieu, dit La Fontenelle, je promets à ces satanés bourgeois le sort des habitants de Penmarc’h, aussitôt que quelques capitaines gascons m’ouvriront les portes.

Il comptait sur la trahison et ce fut lui qui fut trahi.

De Romar fut porté avec quelques troupes de réserves à l’arrière, pour rejoindre à un ordre donné. On peut se rendre compte de l’inquiétude de la Bourgeoisie, qui savait la plus grande partie des hommes d’armes absente.

Kermoquer fit de son mieux, loin qu’il était de tout secours car la garnison tenait campagne… On connaissait la ruse du partisan… par quelle porte tenterait-il son entrée ? Et chacune des portes devait être surveillée.

Sans doute la porte Médard semblait la plus désignée, mais ne pouvait-il pas faire une diversion… On comptait la porte de la rue Neuve, la porte Bihan, flanquée de sa tour, la porte Saint-Antoine, des regaires et la porte par Cos-Ty…

Les archives, je l’ai dit, sont muettes, et ce qui a été dit, a été bordé, changé, contredit c’est de la légende, c’est de l’histoire, c’est du roman, on peut dire que l’affolement étant général, la surprise de l’imprévu si grande, les évènements si précipités si pleins d’incohérence qu’on ne peut rien donner de précis.

Ce qu’il y a de certain, c’est que la troupe put pénétrer dans la ville, aux cris de vive Mercœur, vive le baron de La Fontenelle.

Une barrière fut emportée à l’entrée, vis-à-vis la venelle qui conduisait à St-Jean… On se trouvait à la place Saint-Mathieu. La caserne n’existait pas alors, elle était plus vaste qu’aujourd’hui… Une plus grande quantité d’hommes pouvait se masser dans la place, alors plus vaste devant une communauté qui plus tard tint lieu de caserne… La Fontenelle prononce de sa voix forte, non pas, ces paroles, qui étaient son cri habituel… Sus, sus, soldats de l’Union, à sac, à mort, et que Dieu nous protège… Aujourd’hui il leur tint le petit discours suivant, qui fut un abrégé des paroles dites un instant plus haut, à la halte sur les hauteurs de Prat-ar-Raz.

On distinguera bien la politique qui le dirigeait. Cependant d’abord, il avait eu l’intention du massacre de Penmarc’h, c’était dans son désir cruel, ici il tendait à la conquête.

« Il ne s’agit pas ici, mes braves, d’un massacre à bon plaisir, d’une tuerie ducale,’telle que le fit à cette ville le Duc de Monfort.

Pillez, voilà tout, n’assassinez pas… Jouez de l’épée, faites feu de vos arquebuses sur les hommes armés, respectez femmes, enfants, vieillards. Si l’un d’entre vous enfreint mes ordres, je l’envoie rendre compte au diable… C’était bref mais énergique. »

Qu’advint-il ? Il est à croire que les troupes du partisan, si gaies quelques instants auparavant, furent impressionnées par l’avortement de la première entreprise, qu’elles se trouvèrent mal à l’aise dans une ville, où devaient se trouver nombreuses ressources pour la défensive, les bruits de guet-apens se mirent à circuler dans les rangs et gagna la troupe, cette vague inquiétude fit perdre aux hommes subitement leur hardiesse accoutumée, leurs chefs eux-mêmes ne semblaient pas leur inspirer de la confiance, ils étaient hésitants, comme à tâtons, voulant reculer au lieu de faire un pas en avant… Ils étaient immobilisés quand quelques coups d’arquebuses partent d’un coin de la place… Les chefs commandent, en avant, ils restent sourds quelqu’inspirative que soit leur voix… Aussitôt ils entendent dans le lointain le bruit de pas de cavalerie, il n’était pas bruyant, mais ils pensent que c’est une avant-garde, et on les avait assurés que la ville était dégarnie de cavalerie. La Fontenelle vocifère et crie : Sus, sus, soldats de l’Union. Vains efforts, ils restent sourds, et comme un seul homme la troupe recule, entrainant La Fontenelle lui-même. dont le cheval se cabrait par les efforts qu’il faisait pour le maintenir.

Ce fut une panique indescriptible, une reculade générale incompréhensible, et produite par quoi ? simplement par l’arrivée d’une cinquantaine de cavaliers, jeunes gens de la ville, jeunes gens des meilleures familles de Quimper qui s’étaient réunis à la hâte pour venir à l’aide des soldats peu nombreux, ils le savaient bien… Voici ce qui était arrivé. De Kerallain, fils du gouverneur de Concarneau, était la veille descendu à l’hôtel du Lion d’Or, alors près du pont du Steir aux environs de la place Médard… Aussitôt qu’il apprend la nouvelle de ce qui se passe à la porte de la ville, il enfourche sa monture, engage les quelques cavaliers qui l’accompagnaient à en faire autant, et à sa troupe vinrent se joindre les jeunes gens de Quimper. Ils viennent au-devant des ligueurs épouvantés, un pêle-mêle s’ensuit, ce fut incompréhensible… les trainards parmi les ligueurs mordent la poussière… De Romar, à la tête de la réserve veut s’opposer, enrayer la panique, rien n’y fait, les siens aussi font volte face, et lui même forcé de suivre le mouvement, recule.

Vraiment ce jour semblait destiné à voir échouer tous les mauvais desseins du partisan.

Au moment même de l’arrivée de Guy Éder, un capitaine Gascon, Mayence, neveu de l’évêque Charles de Liscoët revenait du Faouët avec sa troupe assez nombreuse. Il entend une arquebusade, s’informe à la hâte, et n’hésite pas d’accourir avec sa troupe cependant harassée. La reculade incompréhensible commençait déjà. L’arrivée de sa bande causa un effarement.

Nous sommes poursuivis par une armée entière, c’est le Béarnais qui vient d’arriver à Quimper, fuyons, fuyons… il est tout près… En vain La Fontenelle s’oppose, en vain il veut rallier, il est entrainé lui-même. Il vocifère, il blasphème, il jure, rien n’y fait, c’est un écroulement, un affolement. ses soldats restent insensibles… L’histoire dit que de ses propres mains il immola des fuyards, c’est possible, mais rien n’y fit. Pas un ne veut aller de l’avant et court à la reculade.

Il n’y a si bonne retraite qui ne s’effectue sans perte d’hommes, à plus forte raison doit-on en perdre dans une déroute complète… Une cinquantaine de soldats de l’ile Tristan resta sur le premier kilomètre… mais on ne leur donna pas longtemps la chasse.

Le partisan parvint à arrêter la panique avant d’arriver à Prat-ar-Ras… Il proférait les plus grands blasphèmes, parcourait les bandes éparses au trot de son cheval… l’effet était d’autant plus irrésistible, que son visage caché par sa visière baissée, exerçait sur la plupart de ses gens qui le connaissaient à peine, une terreur superstitieuse.

Une scène se passa qui fait frémir. S’arrêtant devant le soldat porte-drapeau rouge de l’Union.

« Indigne catholique, n’as-tu pas senti le feu brûler tes mains, quand tu portais, dans ta fuite, la bannière de Guy Éder.

« Misérable ! qu’as-tu donc vu sur cette place St-Mathieu. As-tu vu Gralon avec tous ses saints bretons ? étaient-ils sur des chevaux ailés, portant scapulaires au bout de leurs épées flamboyantes, imbécile, pourquoi ne pas t’arrêter, pourquoi ne pas t’asseoir devant eux ! Le diable fait peur aux saints, indigne porte-drapeau… Retourne à Douarnenez, tu es un lâche, un misérable que je saurai punir… » On raconte que le soldat dans son effroi par un mouvement convulsif de terreur, s’enfonça un poignard jusqu’au manche dans le côté, et tomba à genoux.

Cet incident témoigne de l’effarement des brigands, il fit sur les assistants une impression profonde

La nuit les retint près de Prat-ar-Ras, et l’on prit toutes les précautions de défensive contre les quimpérois. Mais ceux-ci satisfaits d’une victoire inespérée, inattendue, incompréhensible, miraculeuse, ne songèrent pas à inquiéter.

Si l’attaque avait réussi, que de malheurs à déplorer, quel butin ! quel massacre !

Les chariots partirent vides, les chaloupes armées qui avaient dépassé Bénodet, furent contraintes de repartir.

Le capitaine Mayence, le gascon, neveu de l’évêque Charles de Liscoët, arrivé si à point, fut grièvement blessé… il en mourut.

Je donne la parole au chroniqueur de l’époque. Celui-ci ne dit pas du tout comme l’histoire qui se raconte, Mayence arrivait inopinément du Faouët. Il ne dit pas que ce capitaine était arrivé à la porte de la rue Neuve quand il entendit l’arquebusade… il ne dit pas qu’il arriva par un Gué sous Locmaria à la tête de ses hommes d’armes.

« Entr’autres y mourut des premiers, le capitaine Mayence, en bien faisant comme il avait toujours de coutume, et quelques douzaines des siens avec quelques-uns des assaillants.

« Ce capitaine fut regretté des siens, et à la vérité, il était regrettable pour sa valeur, honnêteté, modestie… Aussi lui fit-on à Quimper obsèques fort honorables mémorant de son assistance à cette ville contre La Fontenelle.

« Son corps y étant rendu, le clergé, où était l’évêque Charles de Liscoët, alla en bel ordre le recevoir jusqu’à la porte Médard, et rendu à Saint-Corentin, après lui avoir fait un solennel service, fut inhumé dans une vieille tombe d’Évêque, en la chapelle de la Trinité au haut de l’église… etc… » Ce que je puis dire pour avoir vu ouvrir et fermer la tombe lors dudit enterrement, et combien que l’on fut disposé à lui faire de grands honneurs à ces funérailles.


XI

Saccage de Pont-Croix

L’échec de Quimper que suivait une déroute sans précédent, fut lamentable. Honteux, silencieux, la tête basse, les routiers rentraient le lendemain au fort Tristan.

Abandonnant sa monture. La Fontenelle se jeta sur son lit en proie à la colère, au désespoir le plus violent. Plusieurs jours il se renferma dans son appartement, ne prétendant voir personne… marchant à pas précipités, on l’entendait blasphémer, maudire la couardise de ses soldats… D’où donc est venue cette panique soudaine incompréhensible, chez des hommes qui ne reculeraient devant rien ? Il y a là quelque chose de diabolique, et cependant ils ne craignent pas le diable. Broncheraient-ils devant lui ?… Oh les lâches, s’écriait-il, ils sont restés sourds à ma voix, et cependant je les ai toujours conduits à la victoire. Comment moi-même aveuglé, ai-je pu les suivre ? Au moins, pouvais-je leur barrer la route ? Quel était le démon qui me retenait ?

Le lieutenant De Romar aussi affecté que le chef voulait briser son épée, s’enfuir de l’ile, avec peine on put le retenir.

Quelques jours se passèrent dans ces idées sombres, dans ce dégoût de la vie… l’esprit agité par les terribles réflexions qui l’obsédaient il rêvait pour l’avenir des représailles atroces, et quand la pensée de ne pouvoir trouver le moyen pour y parvenir lui venait il était exaspéré.

Si Mercœur fait sa soumission, s’il reconnaît Navarre, qu’adviendra-t-il ? Si celui-ci vient en Bretagne avec des troupes nombreuses, il punira, il sera sans merci quand il se verra maître absolu… mordieu, mettre bas les armes, licencier mes compagnons ? impossible ! quelle humiliation pour moi, roi de l’ile, maître de la Cornouailles.

Saint-Luc me le disait bien… retirez-vous dans un de vos manoirs… faites-vous oublier… Le pouvais-je, pouvais-je moi, victorieux me retirer dans un manoir délabré, y demeurer dans l’inaction, ignoré, exécré de tous… oh misérables soldats, lâches compagnons qui avez fui, entrainant vos chefs dans la déroute.

Dans ces moments d’explosion, sa figure atroce de fureur reflétait les sentiments de colère qui l’animaient, on l’entendait blasphémer, vociférer… se croisant les bras : je ne me suis pas vengé de Du Clou ? je n’ai pas repris ma rançon que la trahison seule m’a enlevée ! Oh oui… 3,000 écus et mon honneur.

Soudain, on vient lui annoncer qu’un de ses lieutenants, La Boule, s’est laissé surprendre à Pont-Croix. La vitesse seule de sa monture a pu l’arracher avec quelques cavaliers qu’il conduisait à la maraude, à une captivité certaine, à la mort même ; car Lavillerouaut, gouverneur de la place, a ensuite fait pendre les routiers laissés entre ses mains, et cela sommairement, afin d’effrayer les maraudeurs de l’avenir… Le moment était mal choisi, on attisait le feu de la colère.

Furieux, écumant de rage, Guy Éder sort de son appartement. Qu’on fasse venir La Boule à l’instant, je l’attends de suite ; « je veux que les habitants de Pont-Croix apprennent ce qu’il en coûte de massacrer mes hommes, et nous avons dit combien il était avare du sang de ses soldats.

Ils ont tué mes compagnons ! Ce bourg subira le sort de Penmarc’h, je le jure… en disant cela, ses yeux lançaient des éclairs.

La Boule, dit-il, sans entendre le rapport : fais de suite préparer l’expédition et que ma vengeance soit complète.

La Boule, rapace bandit, homme cupide, avide, voyait combler ses vœux les plus chers… il répond à son chef…… nos hommes aussi veulent se laver de la honte de Quimper, sur ma lame je réponds d’eux, ils feront leur devoir… nous allons marcher dès demain… soyez sans crainte tout sera prêt… armes et chariots.

De Romar seigneur de Murion fut laissé à la garde du fort. De bon matin, les routiers partaient pour Pont-Croix, il n’était nullement besoin de stimuler l’entrain des compagnons, qui tous portaient la tête haute comme au lendemain d’une victoire. Quoi d’étonnant ? L’expédition n’avait pas d’aléa… succès certain, butin immense, sans grands dangers à courir dans une localité ouverte et sans défense… tous le savaient… Jadis Pont-Croix s’enorgueillissait d’un château fort, mais il était démoli depuis longtemps. Des constructions récentes en 1893, ont mis à jour les anciennes douves du château… quelques souterrains y aboutissaient et se voient encore dans quelques maisons voisines avec des escaliers dont les dalles sont énormes.

C’était une noble et illustre maison que celle des seigneurs de Pont-Croix — Les Rosmadec-Tyvarlenn y exerçaient haute et basse Justice… curieuse histoire vraiment que celle de ce grand marquisat… cette histoire est faite mais non encore livrée au public… espérons qu’elle le sera dans un avenir prochain… il me serait ici facile, de reconstituer la lignée, depuis les croisades jusqu’au dernier des Rosmadec-Tyvarlenn.

Cette illustre famille donna plusieurs gouverneurs à la ville de Quimper, et dans la rue des Regaires, il existait un hôtel appartenant à la famille de Rosmadec.

La dernière héritière des biens du marquisat devint marquise de Mollac et cette famille devint seigneur de Pont-Croix… Sous Henri IV, au siège de l’ile Tristan, un marquis de Mollac fut un des plus acharnés adversaires de La Fontenelle, quand il vint de Brest avec le gouverneur Sourdéac. Lors de la révolution, les biens et revenus du marquisat de Pont-Croix étaient du chef de la marquise de Forcalquier, princesse de Canisi.

Les archives de Quimper disent : pour le 3o gouverneur de ce nom — Jeudy 16 février 1730, on installa René-Alexis, seigneur, marquis de Mollac et de Pont-Croix, gouverneur des ville et château de Quimper… etc… il est le parrain de la seconde grosse cloche, nommée Renée-Mauricette, coulée le samedy, 7 du présent mois, 1735, qui contient le poids d’environ 4 240 livres… etc… la marraine était demoiselle de Plœue, dame du Guilguiven… etc.

Bertrand de Rosmadec, fils des barons de Pont-Croix, est considéré comme le bienfaiteur de Quimper dont il fut un des plus illustres prélats… il fit plus de bien à lui tout seul, disent les archives que la plupart de ses prédécesseurs ensemble.

Chanoine en 1408, il succéda à Gatien de Monceau en 1416, d’importantes fondations connues sous le nom d’aumôneries furent créées par lui… j’ai sous les yeux le texte latin qu’il est inutile de donner ici. Je me contenterai de dire qu’il fonda la rente de ces aumôneries… 2 267 écus d’or bons et vieux (boni et veteris) et un petit mouton d’or semblable (cùm parvo mutone auri consimilis) c’était une monnaie de l’époque.

Une léproserie fut installée et agrandie par lui, à l’extrémité de la rue neuve au lieu dit, Penn-ar-Stang… Une chapelle sous le vocable de la Magdeleine aussi à Penn-ar-Stang, elle s’y trouvait il y a quelques années. Le palais épiscopal subit beaucoup de réparations, Lanniron, propriété des évêques de Cornouailles fut aménagée… La nef de la cathédrale fut construite et le portail fut fondé en 1424, et le jour du 25 juillet fut terminé. Habitants de Quimper, quand aux grands jours de fête vous entendrez le tintement sonore de la cloche le Bertrand, rappelez-vous qu’elle fut donnée par ce fils des barons de Pont-Croix, Bertrand de Rosmadec. Ce saint évêque, riche d’autres bonnes œuvres, mourut à Quimper : il est inhumé à la cathédrale et son tombeau s’y trouve encore… on y remarque les armes de la famille, un lion rampant.

Un descendant de cette illustre famille existe encore à Versailles, il y a quelques années, il est venu visiter le berceau de la famille…

À l’époque dont nous parlons, 1597, le gros bourg de Pont-Croix était sans défense et le sire de Lavillerouaut était à la tête de la milice… La veille de l’arrivée de la Fontenelle, il avait épousé une riche héritière de la contrée… Yvonne de Kerbullic (ce doit-être probablement Kerbellec, mais je suis le chanoine Moreau).

Le jour des noces, un curieux incident survint aux pieds de l’autel… comme le prêtre officiant donnait à la jeune fille émue, le titre d’épouse, une vieille femme s’approcha, frotta le front de la jeune fille avec l’eau que contenait une fiole, disant : « Itron Villerouaut, dour feunteun Kérinec, om laka da vervel, ar stad ar c’hras. » Madame de Lavillerouaut, l’eau de la fontaine de Kérinec fait mourir en état de grâce… Amen répond le jeune chef en repoussant la bourledenn… Je l’ai dit c’était la veille du massacre de 1597, un lundi probablement, puisque la veille, le dimanche, le gouverneur avait fait pendre les soldats de La Fontenelle… ce qui lui coûta si cher.

La Fontenelle arrivait subitement, il ne put empêcher l’annonce de son arrivée. Les paysans affolés accoururent donner l’alarme, criant (ar blei, ar blei) le loup, le loup.

L’écho répétait ces cris, quand le son strident de la fameuse trompe retentit… La panique devint générale… à la hâte quelques barricades furent crées, mais pauvres gens que pouvaient-ils, contre ce fléau dévastateur de la Cornouailles entière.

Beaucoup des paroisses environnantes et du Cap Sizun, prévoyant l’arrivée du partisan s’étaient réfugiées à l’abri des canons de Brest, mais la plus grande partie des habitants de la contrée, avaient cru mettre leurs richesses à l’abri, dans le clocher de N.-D. de Roscudon (voir notice N.-D. de Roscudon). Cette église collégiale, si élancée et si belle, fut fondée par les seigneurs bannerets de Rosmadec Tyvarlenn… Nous savons qu’à ces époques troublées, les églises étaient toutes fortifiées. Il en était de même à Tréoultré à Penmarc’h.

Hardes, bahuts, encombraient la tour, et Guy Éder n’avait pas tort de compter sur un riche butin.

Partie de l’ile Tristan, la troupe fit d’abord route au grand complet par le chemin tracé à Comfort… Un vieil auteur de l’époque, nous dit, que cette route était déjà tracée par Pont-Croix et Audierne, mais on lui donnait le nom de chemin de Quimper, longeant la voie romaine au lieu dit, Lochrist, où se trouvait une chapelle dont nous avons vu les ruines.

À Lochrist, la troupe se scinda, une partie descendit vers les rives du Goyen, deux autres bandes sous les ordres de La Fontenelle lui-même prirent par le nord, passant par les hauteurs de Kérudullic, après avoir suivi la voie romaine qui se trouve dans le vallon. Rien d’étonnant dans cette bifurcation à ce petit hameau, situé à 3 kilomètres de Pont-Croix, village très ancien, où avait lieu une réunion renommée, près de la chapelle qui n’existe plus… c’était là que se faisait autrefois la vente des chevaux gras de Cap Sizun. Jusqu’en 1835 elle s’y maintint, je ne saurai dire comment, ni par quel arrangement, elle fut transférée à Quimper, où elle devint la foire renommée du 15 avril… Sur cette place de foire, encore en ces derniers temps, une place est réservée aux chevaux gras du cap Sizun, qui avaient là une place réservée, avec une affiche spéciale… Chevaux, race du Cap… était-ce par suite d’un arrangement, d’une entente avec les producteurs, alors renommés dans le pays, auxquels on enlevait la foire de Lochrist, je n’ai pu le savoir, je constate le fait, tout en déplorant comme les autres la perte de cette excellente race.

La troupe qui descendait vers le Goyen, et qu’un lieutenant commandait, avait plus de chemin à parcourir. La route que nous avons vu tracer n’existait pas encore… ils prirent par le vallon, dédaignèrent Lanviscar, alors peuplé de tailleurs pauvres. La troupe se concentra aux moulins des seigneurs de Pont-Croix, qui existaient alors au bas des prés, que le Goyen inonde tous les hivers… La route actuelle qui y confine se nomme encore Pont-ar-veil-Goz… pont du vieux moulin, c’était alors l’aval du canal où plus tard on construisit un nouveau moulin. Ce canal forme une ceinture aux pieds de la ville qu’elle baigne dans toute la longueur du canal, jusqu’à l’endroit qui prend le nom de tête du canal… Pen-ar-c’han, tête du canal.

La troupe gravit les coteaux boisés de Poul-ar-c’hantic, débouchèrent à l’endroit nommé Toul-Ker. À ce point les bandits trouvèrent les premières barricades, mais que pouvaient les pauvres habitants ? Ce fut un massacre de tous ceux qui faisaient mine de se défendre. Les fuyards de la vaste place allaient se jeter dans la gueule du loup, car la Fontenelle arrivait par le nord, et ne faisait pas quartier.

La place actuelle si bien aplanie en 1825, était alors couverte d’énormes amas de rochers, dans les interstices desquels plusieurs voulurent se cacher… mais on leur fit une chasse sans merci ; il en fut de même dans l’endroit que l’on nommait la Butte que plusieurs ont vu détruire, là était l’emplacement du château fort dont on a retrouvé les douves en 1893, C’était un amas de broussailles et de ronces… La plus grande mêlée se trouva à l’endroit que l’on appelle depuis, rue Chair. Là le sang coulait, et ceux qui connaissent la pente du terrain peuvent s’en rendre compte… C’était alors une côte abrupte et le pavage n’existait pas ? puisqu’il ne date que de 1825… Les cadavres furent roulés jusqu’au bout du canal, à Penn-ar-c’hant tête du canal la marée enleva les morts et les mourants. Il en fut de même à l’endroit de la petite rue Chair, qui a conservé le nom.

La Fontenelle nous l’avons dit, avait pris par le côté nord, longeant les poullou, qui ont donné le nom au boulevard du Poullou… c’était des marécages. Par cet endroit on arrivait à l’endroit fortifié, N.-D. de Roscudon.

Les terrains avoisinants l’église étaient alors découverts, quelques jardinets, quelques champs, formaient alors l’emplacement de ce magnifique enclos que nous connaissons, on y voyait quelques maisons, devant donner logement aux chanoines de la Chapellenie. Pont-Croix jusqu’à la révolution ne fut qu’une trêve de Beuzec.

C’est en 1610 que l’on construisit le couvent des Ursulines que l’on désaffecta en 1793, après en avoir expulsé les religieuses qu’on laissa vivre à Pont-Croix… c’est dans ces bâtiments, que l’on installa en 1816, le petit séminaire actuel, magnifique établissement qui s’agrandit tous les jours et que nous nommons le collège.

La rue adjacente conduisant à l’église a conservé le nom de rue du Couvent, et l’entrée de l’avenue de la gare a conservé le nom de coin de l’enclos.

Il n’y a rien d’étonnant dans cette digression pour un enfant du pays, et elle donne exactement la situation des lieux par lesquels le partisan dut passer.

La Villerouaut et les invités du mariage seigneurial allaient se mettre à table, quand les premiers fuyards vinrent donner l’alarme… Les gens de la noce n’ont que le temps de se réfugier dans la tour fortifiée… nombreux miliciens les suivent et se barricadèrent à la hâte.

Parmi les notabilités, se trouvait Messire Jean Cosquer, natif de Pont-Croix, mais curé de Pouldreuzic… probablement il était l’officiant du mariage de la veille.

Le chanoine Moreau, curé de Beuzec dont la chapellenie de Pont-Croix, n’était qu’une trêve, nous dit dans sa chronique. « Messire Jean Cosquer était homme capable et de bonnes études… » c’est tout ce qu’il en dit.

La tour était facile à défendre, un simple escalier en spirale y conduit et se voit encore… il ne peut donner place sage qu’à une personne Jean Cosquer soutenait le courage de tous, et il était impossible de se rendre compte des premières tueries exercées à Toul-Ker et à la rue Chair.

Arrêtez, soldats, avait dit le partisan… ne montez pas à cette maudite tour… assez de morts comme cela, il faut que Pont-Croix boive le sang de ses enfants, et le rusé partisan s’approcha employant à distance le même système qu’à Tréoultré en Penmarc’h… il avait vraiment étudié Tite Live. Qu’est-ce dit-il ? On me résiste à Pont-Croix, mes soldats y sont tués, mon nom y est maudit ? et si pour subvenir aux frais énormes de la guerre en faveur de la Sainte-Union, le pauvre Guyon vous parle d’une modique contribution, vous chassez mes employés, pire que cela vous les pendez ! Aveugles et insensés qui en voulez à ma bannière, qui ameutez contre mol les paroisses environnantes, vous agissez mal vraiment… Guy Éder de Beaumanoir est votre allié naturel… Tanguy de Rosmadec, de vos illustres marquis, n’a-t-il pas en 1561, épousé une Marguerite de Beaumanoir quelque peu ma cousine… allons montrez donc vos visages.

Personne ne se montrait aux galeries. Quelques instants de silence se firent, et ils essayèrent une fois le tour de l’édifice, firent en sorte d’ouvrir les portes barricadées à l’intérieur, quelques habitants renfermés dans la chapelle de la Madeleine y furent renfermés, cette chapelle située au nord d’ouest du cimetière, dans l’angle, n’existe plus… Les archives de la mairie disent qu’elle fut abattue en 1793, pour cause de vétusté et menaçant ruine… Les soudards essayèrent ensuite d’enfoncer la porte près de l’enfeu, non loin des orgues et donnant sur le cimetière… on l’appelait la porte des lépreux… Celle-ci était éloignée des meurtrières, néanmoins quelques arquebuses pouvaient atteindre… allons continua Éder, je vous donnerai un passe pour venir librement ramasser des coquillages sur les rochers de la côte.

Le silence continuait toujours… puisque cela ne sert de rien, dit La Fontenelle, je viendrai bien à bout de vous, à deux reprises on fit le tour du clocher… quelques coups d’arquebuse ayant blessé des soldats, ce fut une explosion de colère… à la fin une porte fut enfoncée, et il donna ordre de faire avancer les charrettes à pillages, pleins de fagots, de genets verts, landes sèches et vertes, car tout avait été prévu.

Le tout fut engouffré dans l’église, dans le sanctuaire. Le maître autel fut profané… l’incendie fut allumé, une fumée épaisse s’élança par toutes les issues, on avait hermétiquement fermé les portes.

La fumée salissait le ciel, empoisonnait l’air. Le long des colonnes la flamme s’élevait, une dizaine de chariots avaient été chargés de combustibles, un peu partout, le long du chemin, dans la ville, quelques habitants furent asphyxiés dans les escaliers de la tour. À trois reprises différentes, La Fontenelle cria « Lavillerouaut, viens traiter avec moi de la vie des braves qui sont sous tes ordres.

Un homme descend enfin porteur d’un message… après quelques pourparlers bien brefs, il fut convenu « que le gouverneur, sa femme, messire Cosquer, etc, etc, sortiraient avec vie sauve, et seraient conduits hors de tout danger… ce fut solennellement que La Fontenelle confirma.

Le premier, le gouverneur descendit, suivi de tous les autres. Lavillerouaut s’inclina fièrement devant Guy Éder… mais celui-ci violait déjà le traité en ordonnant le pillage.

Ne me remercie pas encore dit ironiquement. La Fontenelle, tu peux te préparer à mourir… mes hommes, tu les as fait pendre sommairement, le sang veut du sang, c’est l’évangile du baron de l’ile Tristan… et puis n’êtes vous pas tous pour le Béarnais, huguenot quand-même.

Messire Jean Cosquer atterré, prononce le mot… parjure. Quand à vous prêtre, ne vous moquez pas, et commencez si vous le voulez bien, à leur tirer le diable du corps par la confession, à la potence vous irez, vous avec les autres, et des premiers, vous avez excité vos hommes contre moi, tous, oui tous je le vois, n’entendez-vous pas les morts qui crient vengeance… Oh ! cela ne tardera pas, croyez le bien… allons, allons vite, dites vos litanies et soyez brefs… Lavillerouaut voulut s’élancer, mais désarmé, on le lia à un arbre, tandis que la jeune femme jetait des cris suppliants, ces cris désespérés n’émurent pas les soudards, qui avaient autre chose à faire.

Jean Cosquer curé de Pouldreuzic, fut incontinent hissé à une échelle et pendu haut et court. Sommairement on procéda près des miliciens… et le lieutenant La Boule l’âme damnée, riait aux éclats, criant au pied du gibet : « Le prêtre ne fait pas trop de grimaces pour un corbeau, » et les soudards sans cœur, à son exemple insultaient, couac, couac, couac… mais la victime n’entendait plus… il était là, la langue dehors, ballottant dans l’espace.

Allons, sire gouverneur, dit l’infâme lieutenant vous aurez fait pendre mes compagnons de dimanche dernier, la veille de vos noces, vraiment… allons, votre tour va venir, et sang Dieu, votre gavotte ne sera pas gaie, pas aussi gaie que celle de vos noces, et les soudards pendaient sans relâche… évidemment la place actuelle avait quelques arbres, comme cela se rencontre encore, à l’entour des sanctuaires vénérés, là où se rassemblent les pardons, peut-être, et c’est l’avis de quelques-uns, la scène se passait-elle dans le cimetière adjacent.

Toujours la visière baissée, Guy Éder assistait impassible, sa haute taille dominant la foule.

On a dit qu’une vengeance personnelle l’animait contre Lavillerouaut et cela depuis le collège de Boncourt, où ils se seraient connus, mais le gouverneur de Pont-Croix, était plus âgé de quelques années, il faut que ce soit du roman, et je tiens à raconter les faits, tels que l’histoire les a conservés, à la suite du procès de 1602, à Paris, où la dame du seigneur fut le principal témoin, et a donné le détail de cet horrible drame.

Reportons-nous à ce moment terrible… une fumée épaisse enveloppe la place, le sommet de l’église profanée est sous un nuage… Des pillards descendent de la tour chargés de butin, et tout s’empile dans les chariots dégarnis de la paille, des landes, des genêts empilés dans l’église… le bruit est effroyable, sinistre, une soldatesque ivre, hurle, insulte les pendus, dont les cadavres ballottent dans le vide, au-dessus des têtes… Des brocs de vin, d’hydromel circulent à la ronde et proviennent des maisons pillées… à tous moments, le cri, vive le Baron de La Fontenelle se fait entendre… celui-ci inflexible et morne, reste les bras croisés… on sait que c’était sa pose favorite.

De sa voix forte il crie… Tous ici vous êtes traitres à votre partie… vous avez forfait à l’honneur… aucune loi ne saurait vous protéger, ne saurait protéger des traitres à leur cause et à Dieu, repentez-vous… si un serment a été surpris à ma clémence, je m’en suis allègrement dégagé, j’en avais le droit. Sus, sus, soldats de l’union à sac, à mort, et que Dieu nous protège.

Un hurlement de bêtes fauves échappées répond à ses cris et blasphèmes.

Toujours maintenu vivant, le pauvre Lavillerouaut, voit ces horreurs, comprend tout, et ne quitte pas des yeux sa pauvre Yvonne… La pauvre demoiselle de Kerbullic, jeune femme de la veille, ne peut plus qu’éclater en sanglots, entrecoupés de cris déchirants, on la maintenait contre la muraille, elle ne s’aperçut pas que des mains impudiques arrachaient son collier d’or et de perles… elle était insensible. Mais hélas ! ce n’était pas la fin de ses douleurs et de ses hontes.

Il est rapporté que La Fontenelle, éprouva un moment de pitié, à la vue de tant d’infortunes… exista-t-il ? alors ce ne fut que l’éclair d’un moment… L’infâme La Boule, par quelques mots à voix basse fit taire cette impression d’un moment. Guy Éder s’écartant de cette scène d’horreur, va activer le pillage, et donner un coup d’œil au butin.

Pendant ce temps, l’ignoble lieutenant, salissait de ses étreintes, la pauvre femme garrottée à demi-morte, incapable de se défendre, et cette infamie se commettait sous les yeux de l’amant de la veille… Lavillerouaut, eut aussi avant de mourir, la douleur de voir la soldatesque effrénée et ivre, s’assouvir de luxure sur la pauvre victime. Tous ils se livrèrent aux derniers outrages. Tout ceci a été confirmé en 1602.

Devant la haute cour, on ne put accuser La Fontenelle, de viol jusqu’au dernier moment il s’en défendit énergiquement. Qu’on le lise au chapitre dernier de ce livre… La Boule avait le sourire aux lèvres, en invitant les soudards à se succéder.

Se promenant à grands pas devant ce bel édifice, dont la fumée sortait encore, Guy Éder donne à ses bandits rassasiés, l’ordre de mettre fin à ces horreurs… Le butin fut immense, on le compta après le saccage des maisons et de la tour… Ce ne fut qu’au dernier moment qu’on donna le coup de grâce au gouverneur.

Ensuite le chemin fut repris par Poullan, on y allait plus lentement car l’on était fatigué, plusieurs misérables trébuchaient dans les ornières… si l’on allait plus lentement ce n’était certes pas pour ménager les forces des infortunés enchaînés trainés à la suite… Les pauvres bourgeois et notables mouraient de faim et la soif les dévorait.

Le chanoine Moreau, vous dira dans le vieux style du temps, l’histoire des tourments endurés par nos pauvres ancêtres… Ceux qui purent payer une forte rançon furent relâchés, les autres périrent dans les cachots infects, dans des sentines immondes, quelques-uns expirèrent dans des tourments, de tonneaux remplis d’eau froide, d’autres furent assis sur des trépieds rougis au feu.

Quand on reconstruisit le presbytère actuel, quelque distance du clocher, d’immenses amas de cendres et de bois carbonisé furent trouvés et découverts… on ne pouvait leur donner d’autre origine que l’incendie de 1597. On ne trouva aucun ossement, et nous avons déjà dit que morts et mourants furent roulés à la mer qui les emporta.

Trop ivres pour suivre leurs compagnons quelques soldats restèrent après le gros de la troupe, ils purent jouir du spectacle de cette désolation.

Triste spectacle assurément dont il est facile de se rendre compte : flaques de sang dans les rues, lambeaux de vêtements, portes brisées ou entr’ouvertes… Quelques femmes, quelques enfants avant pu se cacher dans les souterrains, ou ayant été épargnés, non par clémence, mais par lassitude… Tableau sinistre assurément… On devait y voir quelques animaux errants dans les rues désertes, des chiens hurlant aux portes des maisons vides et appelant leurs maîtres disparus.

Je me trompe cependant : pendant deux jours consécutifs, et tandis que les derniers soldats se gorgeaient encore, une femme pâle, échevelée, se trainait plutôt qu’elle ne marchait sur la place de l’église, sanglotant et pleurant, elle appelait au secours sous le gibet de Lavillerouaut, là, les mains croisées en signe de désespoir, elle donnait à son mari les noms les plus doux… La pauvre Yvonne de Kerbullic était folle, des chants étranges sortaient de sa bouche… Elle suivit les soldats jusqu’à la plage de Tréboul, les suppliant de lui rendre son cher mari. Un jeune pêcheur de Tréboul la recueillit, elle était près de mourir.

Elle n’en mourut pas cependant, on la verra un jour principal témoin au procès de 1602… N’y voyez-vous pas comme moi, la main de Dieu… Qu’ils dussent être tristes ses souvenirs, toute sa pauvre existence.

Quant à La Fontenelle, il n’en mourut pas non plus. Eh quoi, disait-il en riant… eh quoi, Mercœur me garderait rancune pour tout cela… Eh bien vraiment ! Que lui se souvienne de Locpéran… Là-bas, on se souvient bien de l’humanité du beau Duc, sur les bords de la Loire.

Le 15 juin 1596, quarante jeunes filles, poursuivies par lui et les siens, se jetèrent à l’eau, pour mériter les protections de la Vierge, qu’elles implorèrent en vain… Oui, elles échappèrent à la mort, mais aucune au déshonneur. Vraiment, chers compatriotes qui me lisez, avouons que les gens de la Sainte Union, les prétendus défenseurs de nos droits et principes religieux de cette époque n’y allaient pas de main morte…

J’ai consulté les archives de Pont-Croix pour l’année 1597… Elles donnent seulement une interruption de quelques semaines dans les registres de baptêmes. C’était alors, en mauvais latin, qu’on a mille peines à déchiffrer que se tenaient les registres de l’état civil… Des signatures accompagnées de monstrueux paraphes, défigurent la page, maintenant c’est encore la mode de signatures illisibles par fantaisie.

Il est étonnant qu’on n’ait pas conservé la mémoire dans le pays… Aucun souvenir n’est resté, aucune légende ne s’est faite parmi les générations qui nous ont précédées… seul le nom de La Fontenelle est resté, symbole de cruauté, de parjure et de perfidie.

La seule histoire qui se raconte, et que nous avons nous-même entendu narrer souvent, est que les mécréants arrivèrent un jour d’assemblé, que les cloches de N.-D. de Roscudon se mirent à tinter d’elles-mêmes, sans qu’une main d’homme eut besoin de tirer la corde… Oui, mais cette histoire se raconte aussi à Penmarc’h, et nous avons dit dans le chapitre qui a trait à cette épisode, que quelques jours avant le massacre de Tréoultré, l’aventurier de l’ile Tristan avait fait une apparition de quelques heures, c’était un jour de fête, où paysans et bigoudènes de la contrée se livraient aux danses et aux jeux.

Quelques jours après, il jouait un tour de sa façon, et ne dansèrent pas une gavotte aussi gaie… c’est la musique de La Fontenelle.

NOTA AU SACCAGE DE PONT-CROIX

Un vieux prêtre de ce pays me racontait ceci : Le curé de Pouldreuzic, que l’on fit pendre un des premiers, avait entonné l’hymne Audi benigne conditor… il est probable qu’il ne put l’achever, et qu’il ne put amener… amen… Cela était-il resté dans la mémoire de quelques-uns des otages qui reviennent de l’Ile Tristan, après paiement d’une forte rançon ? Les otages furent pris parmi les chanoines de la chapellenie car Messire Jean Cosquer fut le seul prêtre sacrifié… J’ai consulté les archives, et les prêtres étaient nombreux alors desservant l’église. Voici les noms que je trouve en 1598, après le passage du partisan…

Cosquer il signa quelquefois Cosker, Helgouarc’h, Alanus, Gargadennec, Tanguy, Fily, Philippe, Cornou, Kergroix Capellanus… ensuite Vigourous.

Parmi les noms des habitants les plus communs, je relève… nobilis vir, noble homme Roupiou, Le Bars, Godek, Lagadek, Plouzenneck, Deuflik, Killivik… etc… Coadou, Gargadennek, Hascoët. Souvent le nom de Bougeant se présente à cette époque dans les archives, ce qui me donne à penser, que le célèbre Père Bougeant, jésuite, dont les écrits sont si remarquables et dont quelques-uns ont été censurés, devait provenir de cette famille de Pont-Croix.

Les notices, les dictionnaires biographiques le donnent cependant comme natif de Quimper, ainsi que le célèbre père Hardouin… Mais celui-ci a longtemps conservé de la famille à Quimper.

Plusieurs de ces noms de 1597 sont encore portés par des familles de la ville, mais l’orthographe bretonne a été francisée.

Ainsi on trouve, Gargadennec, Lagadec, Deuflic, Godec… le c a pris la place du k, que la langue latine ne possède pas. Killivik se trouve francisé de la manière suivante : Quillivic, nom très commun à Pont-Croix et aux environs.

En faisant ces recherches, en recherchant ces noms dans les archives, je les ai déchiffrés au moyen de la loupe, car l’écriture de l’époque était à la transition de l’écriture gothique à l’écriture actuelle.

Je crois faire plaisir à mes compatriotes, en indiquant encore les noms relevés à cette époque, parmi les notables :

Costry, Goraguer, Puzelat, Salaün, Guosguen, Cazariel, Ogant, Dagorn, Joannès, Conan, Gallou, Coatguiriou, Louarn, Cosquer…

Il y en eût parmi les otages probablement.


XII

La Paix du Roi

Trois cents ans nous séparent de ces tristes événements, grandes et terribles leçons pour les peuples.

Ce saccage de Pont-Croix fut le dernier acte de cruauté du partisan, dont les soudards continuaient les ravages dans la contrée. Dès 1598, La Fontenelle voyait ses compagnons moins confiants. Beaucoup d’évasions se produisaient, les routiers abandonnaient le fort, se retiraient dans les campagnes, de là quelques noms étrangers parmi nous… La prudence les éloignait et beaucoup étaient fatigués de cette vie de brigandage. Henri IV était reconnu, Mercœur avait mis bas les armes. Et La Fontenelle toujours endurci, s’entêtait, se sentant peut-être trop coupable, il était trop fier pour faire un premier pas.

Cependant que de terribles réflexions, il devait faire ? comment ses nuits avaient-elles sommeil ? il se tenait sur la défensive.

Un soir un messager se présente… probablement les préoccupations qui obsédaient son esprit, avaient-elles porté leur fruit, car il ordonna d’introduire l’envoyé du Duc de Mercœur… c’était ainsi qu’il s’annonçait.

Le messager n’avait pas donné son nom, mais quand il parut, le chef ligueur reconnut le rusé Florentin, conseiller du Duc. Sans doute l’Italien rusé, n’avait pas pu se soustraire à la mission qui lui avait été confiée.

Il est obséquieux comme tous les valets de prince et humblement il dit : « Dieu soit en aide au baron de la Fontenelle… » celui-ci peu patient de sa nature et moins que jamais devant cette figure qui ne lui revenait pas répond… « Le diable m’épargne, lorsque le complaisant du Duc, vient à l’heure où sortent les corbeaux de nuit. De quoi s’agit-il ? parlez vite… Le rusé Italien s’avance, remet un rescrit qui n’est autre que l’édit de pacification… Au fait dit Guy Éder… Est-ce le traité de votre maître avec le Béarnais ? Je ne connais pas de pareilles pièces… jamais je n’ai fait que la guerre, moi Baron de La Fontenelle et il froissa le parchemin… et après un moment de silence. Est-ce l’acte de reddition de la Cornouaille ? est-ce mon arrêt de mort ?… par la messe, je ne croyais pas le Duc si félon… Et vous Florentin de malheur, oiseau de mauvais augure, auriez-vous mille poignards sous vos guenilles, Guy Éder de Beaumanoir, Baron de La Fontenelle ne remettrait pas sa cause entre des mains si sèches, et si viles que les vôtres… Le partisan se mit à marcher à grands pas, sans jeter un regard sur le seigneur de Murion de Romar, qui l’accompagnait.

Le Florentin n’était pas rassuré, il dit cependant : « ne maudissez pas qui vous veut du bien… » cet écrit contient plutôt un traité d’alliance… et un seul article vous concerne.

Guy Éder répondit : Je serai curieux de le lire… et il lut rapidement quelques lignes… et dit… mais je ne Vois ici que des sommes à donner ?… ah m’y voici… quoi vraiment ? pour ce pauvre Guy Éder. Lavardin de Beaumanoir, ni ordres, ni faveurs !… et soumission sous quinze jours… ah oui, sang Dieu ! j’y songerai, et je verrai vraiment alors, si l’obéissance à Philippe II agonisant, compensée par un bon marquisat, ne vaut pas mieux que la soumission à Henri IV, si avare de ses faveurs, et relevant la tête… et que dit le Duc de Mercœur ? il vous souhaite, Baron de La Fontenelle, mille prospérités dit le Florentin.

Ah, ah ! empressement magnanime vraiment, vrai dévouement de prince, dit le partisan avec mépris ; et se croisant les bras et relevant la tête… on est beau-frère de Roi, grand dans ce monde, on a du crédit, des honneurs, on commande à des soldats… un beau matin une envie de guerre civile vous prend, le rôle de rebelle à son avantage… vite on hisse un drapeau à ses armes, on fait sonner la trompette, et les peuples accourent, et les mécontents se présentent, et les dupes naïfs prennent place, se mettent en marche, entrent en guerre… D’abord tout marche bien, et la confiance suit le succès… quand il arrive que les bonnes chances disparaissent, quand le ciel s’assombrit, le rebelle princier se soumet, s’amende : et vite, oui vite un traité qui sacrifie tout… et les honneurs seront pour le chef : mécontents dupes naïfs, partisans, on les sacrifie, on les abandonne à la merci du maître offensé… et ces mécontents, ces dupes, ces partisans seront punis !! ah, par sainte Anne, nous le verrons bien cette fois ! Sang Dieu, sang Dieu !! Ceci ne sera pas aujourd’hui… valet de prince, vil porteur de sots messages, retire-toi, emporte ton damné traité… et Guy Éder lui jette à la figure l’édit et le traité… Le Florentin fuit, disparaît, heureux de pouvoir sortir du fort, ne songeant pas à regarder derrière lui.

Mais l’Italien fourbe a retenu ce qui a trait au roi d’Espagne, plus tard ces paroles seront invoquées, et seront causes de l’arrestation.

Guy Éder néanmoins resta songeur et soucieux.

Vraiment lutter seul, c’était dangereux, impossible… ensuite l’état de démoralisation de ses troupes l’inquiétait.

Quelques jours se passèrent… un beau matin à peu de distancé du fort on découvrit plusieurs cavaliers bien montés, qui arboraient un drapeau blanc en signe de paix.

Des costumes luxueux avaient remplacé l’armure de guerre… un messager annonce à haute voix… des officiers du Roi, ceux-ci arrivent de Quimper, portent panaches blancs, écharpes de même couleur et se donnent comme des envoyés du comte de saint Luc ; ordre est donné de les accueillir avec honneur et distinction, ces seigneurs mettent pied à terre dans la place ouverte… ce n’était plus des messagers obséquieux comme l’Italien fourbe du Duc de Mercœur, mais des courtisans habiles à manier la parole… Le roi, disent ils, professe pour le brave baron de La Fontenelle, des sentiments de haute estime… Ce fut l’ouverture habile des pourparlers. Le roi comprend l’état d’esprit d’un brave, toujours heureux, mais les circonstances sont là… vous avez fait une promesse au comte de saint Luc qui s’en souvient… Le moment est venu de tenir la promesse… si jamais je me rends, ce sera au noble comte de saint Luc, vous en souvenez-vous ?

Un des envoyés tend un rescrit… dont le contenu dit…

Nous, comte de saint Luc, commandant de toute la province de Bretagne au nom de sa majesté le roi, Henri quatrième du nom, par la grâce de D1eu, roi de France et de Navarre, et Messire Guyon Éder, Lavardin de Beaumanoir Éder… etc… capitaine tenant pour le parti de l’Union, le fort Tristan en Cornouaille, avons arrêté les bases d’un traité qui doit donner naissance à une paix solide, désirée par tous les gens de bien.

Le comte de saint Luc s’engage à faire rembourser au dit sire de La Fontenelle, des deniers propres de sa majesté, les sommes qu’il a payées pour sa rançon et les intérêts d’y celles…

C’était procéder de manière habile, en homme qui connaissait le gouverneur de l’ile Tristan… S’oblige en outre, à ce qu’il soit tenu dans la dite ile Tristan, quatre compagnies de gens de pied, de cinquante hommes chacune, avec sa compagnie de gens d’armes, et deux capitaines appointés pour servir à la marine, aux gages de 400 livres chacun, avec sa compagnie de gens d’armes et appointements de gouverneur du fort, pour être le tout payé des deniers de sa majesté, affectés à cette province, etc. etc.

De plus le baron de La Fontenelle commandera en l’absence des lieutenants du roi en la dite province, navires, vaisseaux ronds, qui seront entretenus pour le compte de sa majesté en la côte de Bretagne.

En outre lui promet, le dit comte de saint Luc, obtenir du roi, qu’il ne sera nullement recherché pour ce qu’il a fait depuis les guerres ; et que les assignations qui lui seront légitimement dues, pour raison de la garnison, lui seront acquittées depuis les guerres, moyennant que dessus, promet le dit sire de La Fontenelle, d’entrer au service de sa majesté et de venir trouver le comte de Saint Luc dans six semaines. — Pour plus de sûreté, se charge le dit Sire de Saint Luc de faire homologuer en la cour du parlement, toutes lettres d’adresse, d’abolition nécessaires qui seraient expédiées par la dite majesté… fait à Rennes, etc. etc.

Guy Éder appuyé sur un bahut, restait immobile et muet… Tout à coup sortant comme d’un sommeil.

Ce traité, Messieurs, est le même que celui dont le comte de Saint Luc, a eu la bonté de me faire l’offre, lorsqu’il m’a délivré à la rançon de 2 239 écus d’or… je me tiens pour son obligé… puis élevant sa haute taille, élargissant ses épaules… Si jamais, le Baron de la Fontenelle, remet son épée à main d’hommes, ce qu’il ne saurait décider encore, ce sera entre les mains du noble comte de Saint-Luc, mais lorsque Lavardin de Beaumanoir traitera, ce sera avec le roi.

Sans manifester trop d’étonnement, les seigneurs saluèrent… La Fontenelle les retint ajoutant,… Messieurs, avant de nous quitter, écoutez ce ne sera pas long.

« Mon parti a été celui de la France entière malgré sa défaite le parti reste sacré à mes yeux. Tant pis pour les lâches et les traitres, j’ai eu le courage de m’opposer au Béarnais qui prétend en ce jour nous réunir tous… Les partis se confondent dans le vainqueur, si je reste seul je deviens factieux… Le roi d’Espagne ne demanderait pas mieux que de m’aider… moi je n’aime pas à voir les étrangers se mêler de nos affaires, je ne veux relever que de Dieu… Il m’est pénible de repousser les conditions du noble Comte de Saint-Luc… c’est un digne gentilhomme qui possède toute mon estime, mais la nécessité m’y contraint… Les envoyés n’insistèrent pas sur une modification de réponse… Il fallait traiter avec le roi.

Un mois après la garnison recevait une nouvelle visite, mais plus importante.

Plusieurs membres du parlement de Bretagne, quelques hauts dignitaires de la Couronne se présentaient… Ils portaient des parchemins armoriés, d’où pendaient de larges sceaux d’étain :

Ceux-ci restèrent étonnés de l’excellente tenue des troupes du fort, eux qui s’attendaient à trouver un ramassis sans ordre et sans discipline.

Le Lieutenant de Romar, seigneur de Murion. était nous l’avons dit très instruit pour son temps, se contenta de prononcer ces paroles qui n’ont pas besoin de commentaires.

« Quand on traite avec un Sultan, un Visir ou un Schah de Perse, il faut toujours se méfier du muet qui prépare le cordon… » Ce proverbe oriental, il le dit, mais non devant son capitaine, il faut le reconnaître.

La Fontenelle appuyant fièrement son gantelet sur le pommeau de sa redoutable épée, invita son état-major à s’approcher pour prêter l’oreille au message du roi, dont un gentilhomme délégué donne lecture.

J’abrège le tout.

Guy de Beaumanoir Éder, Baron de La Fontenelle, puisque la divine providence, etc. etc… pour ces causes, nous ayant présentement, notre ami de Beaumanoir, commandant maintenant en nos villes et places de Douarnenez et l’Île Tristan, fait connaître qu’il était non moins disposé à notre obéissance… etc., etc… avons dit, déclaré et ordonnons… que ès ville et fort Tristan et Douarnenez, il ne fera autre exercice que la religion apostolique et romaine, ains à autre lieu de l’ile et lieux circonvoisins… voulons outre cela, et nous plaît, que le dit seigneur de La Fontenelle et tous ceux qui l’ont suivi et asservi durant les présents troubles, jouissent les mêmes grâces, conditions et concessions déclarées par notre édit fait sur et faveur de la réduction à notre obéissance de notre cousin le Duc de Mercœur, etc., etc… Lui seigneur de La Fontenelle, officiers, soldats, qui l’ont assisté leurs veuves et héritiers, quitte et déchargés de tout crime, meurtres brûlements, etc., etc., dont à toujours nous abolissons mémoire, notamment de la prise de Penmarc’h… imposant sur toutes les choses susdites, silence perpétuel à nos Procureurs généraux… et d’autant que dans les, présents troubles il a été pour la défense et conservation des dites place et fort Tristan, fait plusieurs levées de deniers, sur les paroisses des évêques de Tréguier et de Cornouaille, sans qu’on en ait conservé forme, registre, ordre ni autre formalité, lesquelles levées, le dit sire de La Fontenelle a eu sur les bras avant tout que besoin était, avons donné et donnons à icelui, tout ce qui a été pris, manié et reçu, sans qu’il soit besoin d’en rendre compte… cy donnons mandement et nos amis et féaux conseillers tenant notre cours de parlement à Rennes, chambres de nos comptes… etc.

Donné à Angers… etc.
Signé : Henri

Et plus bas… par le roi… signé Potier, scellé de cire verte sur ce replit écrit… enregistré pour y avoir recours… etc., etc.

Ce parchemin fut présenté à La Fontenelle qui le posa négligemment sur la table.

La même commission prit un autre parchemin et lut ce qui suit :

Henri par la grâce de Dieu… etc., etc., et signé Henri et plus bas signé, Potier…

C’était la confirmation par le roi au sire de La Fontenelle au commandement du fort Tristan.

Toutes ces preuves se trouvent dans l’histoire de Bretagne, Dom Taillandier… volume III page 1662.

Le gentilhomme s’apprêtait à lire d’autres papiers.

La Fontenelle par un mouvement de générosité, ou plutôt par une sorte d’impatience, arrêta brusquement lecture et fit défiler ses soldats devant les commissaires royaux.

Il m’a été fastidieux de déchiffrer toutes ces pièces, mais leur reproduction est nécessaire pour faire ressortir la mauvaise foi… car trois ans après, Guy Éder subissait son jugement à Paris, et Potier, était un des juges… Expliquez donc ce manque de parole royale. De Romar avait mille fois raison en citant son proverbe.

Certes La Fontenelle ne méritait pas pitié, il avait commis trop de crimes, mais c’étaient paroles royales… oui mais, ce sont là, jeux de prince.

Le soir un splendide festin fêtait la paix du roi, et le vin coulait à profusion dans les coupes. Quelques ligueurs endurcis se montraient peu satisfaits mais le vin était bon, et le bon vin aidant, la gaité se mit dans les rangs… à la fin du festin tous crièrent vive le roi… et ce cri passait de bouche en bouche, des commissaires aux ligueurs…

La fête eut-elle été complète, si la chanson historique et connue de tous, n’eut pas été entonnée ?

Vive Henri quatre,
Vive le roi galant,
Ce diable à quatre,
À le triple talent,
De boire et de battre,
Et d’être vert galant.

Le partisan dit-on était triste… à quoi servait-il ? il fallait se soumettre…

Le fort fut laissé sous le commandement d’un lieutenant et Guy Éder partit pour un voyage… probablement se rendit-il chez son frère… dans le pays de Tréguier, son absence fut de quelque durée… Cette époque de la vie du partisan est pleine d’obscurité.

Il revint cependant au fort Tristan, voici dans quelles circonstances…

Des bruits non sans fondement circulent.

Plusieurs capitaines Bretons avaient eu à se plaindre de l’astuce, de la perfidie, de l’insigne mauvaise foi du partisan, ils ne voulaient pas croire à un retour de la part d’un tel homme, à une plus droite… Il a toujours anguille sous roche, disaient-ils.

Sourdéac, De Mollac, les vaincus de Brest, firent insister auprès du Roi, pour que l’on arriva à ordonner la destruction complète des travaux de fort Tristan, bien qu’une lettre royale en eut donné le commandement au Baron de La Fontenelle, avec d’autres conditions avantageuses. Des commissaires munis d’ordres formels arrivèrent au moment où Guy Éder n’était pas là, un hasard heureux fit que le partisan survint la veille au soir de leur arrivée.

À la vue des ordres dont ils sont munis, La Fontenelle frémit de colère et de rage… Je m’opposerai, dit-il, à son lieutenant, à l’exécution de toute démolition au fort… Ses colères allaient le reprendre, et nous connaissons le paroxysme de ces états chez lui… Il parvint à se maîtriser car son premier mouvement avait été de les faire jeter à la mer, de refermer de nouveau ses portes.

Un manque de parole de roi serait indigne ? il ne pouvait y croire… Ce n’est que par erreur qu’il a pu donner des ordres de démolition.

Cette citadelle est importante, nécessaire contre les Anglais qui nous menacent toujours… on doit la conserver, puisque les Espagnols n’ont pas abandonné nos côtes de Bretagne. L’exécution d’une pareille perfidie ne pourrait provenir d’un ordre royal ?

Il va le dire à son lieutenant La Boule, qui avait reçu les émissaires la veille, car lui n’avait pas accédé à une demande d’audience faite par eux. « Je m’opposerai à toute démolition… un manque de parole de Roi est chose indigne, mais l’infâme La Boule, le plus coupable à Pont-Croix était un traitre… » il avait bien su pour lui-même, se faire octroyer de lettres d’abolition et d’oubli… Les traitres de cette sorte changent souvent d’opinion. C’est toujours la politique de bien des gens, se ranger du côté du plus fort… et cela se voit chaque jour, il en est qui sont toujours du côté du manche.

La Fontenelle est désespéré, se voyant impuissant il fait jurer à son lieutenant de ne laisser rien faire, de s’opposer à tout travail, et sans vouloir entendre les commissaires, il dit, qu’il part pour Paris… il quitte le fort aussitôt, confiant dans l’obéissance de La Boule… il arrive à Rennes, où le parlement le fait arrêter… j’avoue qu’ici on est mal renseigne sur tous ces détails… toujours est-il, qu’on le retint prisonnier… Ce fut d’abord à Rennes, mais on le trouve plus tard écroué à Saint-Brieuc (ceci est certain).

Et pendant la détention, le fort tombait sous le marteau des démolisseurs… Les garnisons de Quimper, de Brest, de Morlaix même sont mises en réquisition, et firent des prodiges, car elles firent disparaître toutes traces.

Quelle était donc grande la crainte du héros, puisque l’on prenait tant de précautions… craignait-on un retour inoffensif ?

J’ai lu les lettres de pardon accordées à La Boule, inutile de les donner ici, Dom Taillandier les relate. Un pareil traitre payait sa dette, se faisait oublier par de nouvelles obséquiosités… c’est une manière de se faire pardonner, le moyen employé par les lâches, sous tous les gouvernements… que d’exemples on pourrait citer ? que d’alinodies qui font rire

On remit Guy Éder en liberté, mais on ne lui cacha pas le tour qu’on lui avait joué, en détruisant à son insu des redoutes si savamment édifiées, qu’il eut défendu comme une tigresse défend sa progéniture.

Sombre et abattu, irrité, il se rend à Beaumanoir près de son frère Amaury et pendant quelques semaines, il part visiter d’anciens ligueurs, et cela de châteaux en châteaux, pendant cela, ses ennemis ne dorment pas, de nombreuses plaintes sont portées de Penmarc’h, de Pont-Croix… D’autres localités exposent leurs doléances ; ils portent plainte contre leur bourreau, contre celui qui a vécu de rapines, de vol, d’exaction, de cruautés, jetant les yeux sur les lettres d’abolition et de pardon, sur ces arrêts conçus dans des termes si paternels qui ne sauraient cacher une arrière-pensée il répondait : c’est parole de roi, c’est donc sacré.

Nous le trouvons retiré à Coadélan, château du patrimoine de Marie de Mézarnou dont il avait fait sa femme.

Amaury vint le voir dans cette solitude, et ce frère ainé ne lui cacha pas tout ce qui se tramait contre lui à Paris.

On est allé jusqu’à dire que Guv Éder fit un voyage à la capitale, en tous cas il ne dût pas être de longue durée, car on le retrouve encore à Coadélan et autres lieux.

Triste et désolé pendant tout cela, La Fontenelle reste confiant dans la foi jurée… il visite ses manoirs délabrés, ainsi que ceux du patrimoine de Mézarnou… aussi le voit-on, à la Ville Doré près de Saint-Brieuc, au manoir de La Fontenelle contiguë, Trégueux. Tantôt il allait visiter Paimpol, Tréguier, l’ile Bréhat.

Les familles ruinées par lui se tenaient à l’écart… lui tendait à multiplier ses bienfaits dans le pays, à les redoubler même… je veux disait-il, que longtemps après moi, la jeunesse des pays environnants, parle du seigneur de Coadélan et de Trébriant.

Est-ce à ce revirement, à ces manières bienveillantes de Seigneur que l’on doit ces complaintes du pays de Tréguier, lui doit-on toutes ces louanges car les Guerz en font un homme bon et généreux… Rien n’y put faire, il ne put se faire oublier… et croyez-vous, que si l’on échappe à la justice des hommes, on puisse échapper à la justice du Dieu qui est patient parcequ’il est éternel.


XIII

La Fontenelle prisonnier au nom du Roi

La première, la famille de Lavillerouaut avait porté des plaintes… Il y eut quelques mois de répit à ce désir de vengeance. Pendant quelques temps le silence se fit, mais en haut lieu, il y eut plus de recrudescence paraît-il à cet acharnement posthume.

Justice, avait dit la famille. Le roi n’a pu pardonner pareils crimes, ce ne sont pas des faits de guerre, mais de scélératesse.

Sur ces entrefaites, la conspiration de Biron éclate. Comment le nom de La Fontenelle fût-il en jeu ? Le rusé Florentin, l’envoyé de Mercœur avait donc parlé… À l’ile Tristan, ne lui avait-on pas dit ? Je verrai si un marquisat offert par Philippe II ? N’avait-on pas trouvé des Espagnols au fort ?

Un jour, M. de Coëtnizan, commandant les troupes royales à Morlaix (ordre du 16 août 1602), reçoit du Gouverneur de Bretagne, l’ordre de s’emparer sans délai du baron de La Fontenelle. Personnel à Coëtnizan… remarquons que d’Espinay de Saint-Luc, n’était plus gouverneur de Bretagne.

Guy Éder se trouvait alors à Trébriant, près Plestin… Ce manoir situé en Trémel était bien délabré, simple corps de logis, au milieu d’une cour.

Ces détails intéressant peu, j’abrège.

La Fontenelle se promenait à cheval dans un petit bois avoisinant les communs du château… il est seul, livré à ses réflexions… Que de souvenirs agitent son âme !

Coëtnizan débouche subitement dans la clairière, il est accompagné d’une trentaine d’hommes… Il saisit subitement Guy Éder à la gorge… Au nom du roi je vous arrête.

Guy Éder veut se dégager, mais trente arquebuses sont braquées sur sa poitrine… Le lion veut se précipiter, mille étincelles jaillissent de ses yeux…… misérables traitres, vocifère-t-il, et il essaie de se frayer un passage.

Un soldat a saisi les guides du cheval, il est forcé de lâcher prise pendant qu’un des assaillants saisit son épée qu’il ne peut reprendre.

Les hommes d’armes, les uns par devant, les autres par derrière parviennent à le lier… nous savons quelle est sa force prodigieuse, mais elle est impuissante… À Morlaix on ne l’ignore pas, aussi a-t-on choisi de vigoureux hommes d’armes.

Baron de La Fontenelle, vous êtes prisonnier du Gouverneur militaire de Morlaix, au nom du roi, je Vous arrête.

Ordre est donné à deux vigoureux gaillards, de ne pas le quitter des yeux.

Le lendemain il est conduit à Rennes… Quelques jours d’incarcération ne peuvent abattre sa force d’âme. Monbarrot, le gouverneur de Rennes, à reçu l’ordre de le diriger sur Paris. C’est un voyage de plusieurs jours.

Sur ses traits on remarque la colère, la rage du lion, du tigre qu’un piège a capturé… et c’est le corps brisé qu’il arrive à Paris à neuf heures du matin.

Le bruit de l’arrivée du dévastateur de la Cornouaille se répand dans Paris… C’est le ligueur exécré, craint de tous que l’on amène, et la curiosité la plus grande s’empare de toutes les classes de la société.

La Fontenelle est conduit à la Bastille Saint-Antoine. Craignait-on donc que les hautes tours de cette forteresse fussent nécessaires pour rassurer ses ennemis ? À peine si le prisonnier daignait se réconforter d’un peu de nourriture.


XIV

Jugement de La Fontenelle. — Atrocités de son exécution

Remettons-nous à cette époque, il faut toujours avoir devant les yeux, quand on désire peindre un tableau, le temps, les lieux, l’époque, les gens, les mœurs.

Les esprits, plus calmes à la suite des guerres, jouissaient d’une paix désirée, comme un bon sommeil qui vient réparer les forces après une longue marche, une journée de fatigue.

La nouvelle de la capture du Baron devait donc surprendre et faire grand bruit, surtout à la cour du roi.

Le récit des faits était bien parvenu à la capitale, mais on fait toujours la part de l’exagération, et puis, quand soi-même on n’a pas souffert des crimes que l’on raconte, on n’en voit pas autant l’horreur. La distance, le temps sont des instruments d’optique qui grandissent ou rapetissent.

On fait des héros, on crée des martyrs, là où l’on ne saurait trouver que des événements ordinaires. En somme qu’avait commis La Fontenelle de plus que les autres ligueurs ? El si le roi l’a gracié, que lui veut-on ? Sa vie ignorée, retirée, bienfaisante depuis trois ans doit jeter un voile sur le passé, sur sa vie d’aventure. Cela se disait partout, même à la cour.

Dans quelques années que dirions-nous, si l’on parvient à se saisir du pseudo-malade de Bornemouth, du grand acheteur de conscience que tant de gens ont eu intérêt à laisser dans l’ombre, et pour lequel on a inventé une maladie… Quoi qu’il en soit, admettons le hasard d’un gouvernement honnête…… Ceci pourrait arriver ! Admettons que ce gouvernement fasse subir un jugement à Cornélius Herz, que dirait-on ?

Ne faudra-t-il pas encore des flots d’encre pour raconter l’histoire des méfaits dont on l’accuse, et pour l’aveu desquels on n’aura pas à inventer de tortures, car ils étaient sous la plume de tous nos publicistes plus ou moins reptiles.

L’histoire de ces méfaits, contre lesquels les consciences honnêtes n’ont pas eu assez de mépris serait oubliée. Les générations d’alors n’y croiront plus… et ces tristes aventuriers, imprenables, insaisissables, Cornelius Herz et Arton, ne présenteraient pas la physionomie fière distinguée de Guy Éder.

Que de tristes pensées s’élevaient dans son esprit, dans l’ombre de ce lugubre cachot ? Quelles images du passé à sa mémoire ? Ses premières années à Boncourt ! Ses succès à la guerre ! Son luxe ! Son autorité à l’ile Tristan ! Penmarc’h, Pont-Croix, ne lui causaient aucun remords… Ces hommes de bataille donnent le nom de représailles à ces faits de guerre, il s’en font presque des titres de gloire.

On a parlé du paroxysme de ses colères, oh alors dans ce cachot on les vit éclater… Oh ! la parole d’un roi exclamait-il ? Mercœuvr, félon ! Saint-Luc, perfide ! Ah ! si j’étais libre ! À pas précipités il marchait dans le cachot… Rheunn mon fidèle… criait-il… il donnait des ordres à des soldats imaginaires qu’il entrevoyait dans l’ombre. Hélas tout cela était loin, loin, et il se sentait oublié.

Son esprit surexcité n’éprouvait de moments de calme, que quand la pensée de son frère Amaury et de Marie de Mézarnou, venait s’offrir à lui… Quelquefois, comme le lion mourant, il s’affaissait sur sa misérable couche… Les gardiens terrifiés entendaient ses cris de haine et de colère.

Quelquefois on l’entendait cependant dire : Villerouaut se venge et je ne suis pas le coupable, le plus coupable est La Boule, le traitre qu’on laisse libre, impuni… le traitre, il jouit du pardon du roi, dont la parole devrait être sacrée… et c’est sur moi, que l’on se venge.

Le 14 septembre 1602, on le fit paraitre devant ses juges. L’interrogatoire commence… charges et informations avaient été portées à MM. du Grand Conseil.

On ne put l’impliquer dans la conspiration de Biron ? Restait seulement à parler des traits de scélératesse, non militaires, et non détaillés dans l’amnistie du roi, et ils étalent nombreux.

Le président était Achille de Harlay… et je donne aussi le nom des assesseurs, Potier Nicolas, Étienne Fleury et Philibert Turin, les mêmes qui avaient siégé dans le procès du Duc de Biron et si je les nomme c’est qu’aussi on vit leurs noms dans l’amnistie du roy… et cependant ils étaient juges à ce jour.

L’interrogatoire commence par la reddition de Douarnenez… et l’on vit bien que le florentin, l’oiseau de mauvais augure avait relevé les paroles relatives à Philippe II agonisant.

Dans leurs mémoires, L’Étoile, de Thou, Sully lui-même, affirment que le partisan fut convaincu de relations coupables avec les ennemis de la France, et les Français d’alors ne se seraient pas contentés d’envoyer le juif Dreyfus à la prison de Cayenne.

Enfin on arrive aux faits criminels de cruauté.

On parla des massacres exercés à Tréoultré, à Penmarc’h. On raconta la pendaison de Jean Cosquer, curé de Pouldreuzie, des miliciens de Pont-Croix, on parla du supplice de Lavillerouaut, La Fontenelle se montrait dédaigneux, mais quand on arrive à l’histoire du viol de la marquise Yvonne de Kerbullic, ce fut un coup de théâtre, malgré les gardes qui le maintiennent, Guy Éder se lève… ses yeux lancent des éclairs, il se démène. Oh c’est infâme ! c’est infâme !… À moi soldats, à moi, venez dire à cet homme qu’il a menti… C’est l’infâme La Boule que vous avez et que vous laissez tranquille, oui c’est lui, le seul coupable… De Harlay en vain veut l’interrompre, il ne le put… Non, je ne suis pas coupable du viol, que la Dame parle, que les témoins se lèvent… Sa colère tomba tout-à-coup, il se voyait perdu, déshonoré… il se rassit, se laissa tomber sur le banc dois-je dire, je suis perdu, déshonoré… c’est une vengeance… Tout ce que vous avez dit mérite la mort… J’y souscris… Je ne dirai plus rien… C’est le destin.

On parla des supplices endurés par les notables de Pont-Croix, des eaux glacées, des trépieds rougis sur lesquels il fallait s’asseoir pour avouer qu’on avait caché son trésor.

On parla du vaisseau anglais capturé dans l’Iroise, des marins que l’on avait jetés à la mer et qui criaient grâce. Mais en vain d’autres faits de cruauté furent encore énumérés… N’avait-il pas fait mourir un prisonnier de faim ? Un autre, par un supplice horrible, ne l’avait-il pas gavé, selon l’expression de ce jour, en lui faisant absorber des aliments, en quantité telle qu’il dût en crever sic… Il ne disait plus rien, c’est ma destinée avait-il dit… Tous ces faits furent dénoncés, prouvés.

Et il allait mourir, lui que le roi Henri IV avait gracié. Guy Éder resta impassible quand le premier Président vint lui lire son arrêt à la suite d’une courte interruption.

L’arrêt portait : Que le Baron de La Fontenelle serait appliqué à la question ordinaire, puis à la question extraordinaire… Son corps serait trainé sur une claie dans les rues de Paris, puis roué en place de Grève, pour être ensuite exposé… Il faut remarquer que l’arrêt portait le nom seul de La Fontenelle… en considération de son illustre famille… Le roi permit que le nom de Beaumanoir ne fut pas même cité.

Oui, ce fut un grand coupable, un bandit ne méritant aucune pitié.

Mais rappelons-nous ceci : Guy Éder fut nourri dans les sentiments de la noblesse bretonne, il ne se fit ligueur que par haine de la Réforme… Rappelons-nous que c’est avec regret qu’il vit la fusion de son pays à la France, qu’il en conserva toute sa vie une espèce de rage.

Ses succès le grisèrent. Il devint ambitieux, et l’homme colère, vindicatif, foula aux pieds lois divines et humaines. Fanatisé par le destin, il attendit la mort dans son cachot.

À la question ordinaire, on lui fit subir le supplice des brodequins… Son énergie étonna ses bourreaux… La question des brodequins est atroce, les pieds sont mis dans des brodequins d’airain, et quatre coins soit de bois dur soit de fer, sont frappés avec force, brisent les chairs, les muscles, les nerfs… le sang jaillit des veines… La question extraordinaire n’est pas plus barbare, ce sont quatre autres coins que l’on introduit sous les autres et qui broient les os, mettent le membre en bouillie.

Aucun aveu, aucune parole ne sortit de sa bouche, il ne perdit même pas connaissance.

Ensuite le corps fut jeté dans un dégoûtant tombereau, pour le conduire au supplice… Un prêtre octogénaire l’avait confessé et absous, il l’accompagna dans l’ignoble traîneau… C’était le 27 septembre 1602… La Fontenelle avait à peine 28 ans.

Le cortège arriva en place de Grève, une pluie fine tombait. Ses beaux cheveux blonds que la sueur et les douleurs du supplice avaient emmêlés, se trouvaient collés le long de son large front… Une foule immense, houleuse est sur le parcours… Elle se presse pour voir la figure encore belle… Sur le passage les fenêtres sont encombrées.

Le vieux prêtre ne cesse de l’exhorter, et il semble l’écouter attentivement… Sans sourciller, La Fontenelle regarde la terrible croix de Saint André qui doit terminer le supplice, il ne témoigne aucune émotion… Les bourreaux sont stupéfaits et le vieux prêtre de 82 ans lui dit : Courage, mon fils, ce ne sera qu’un instant, courage… Moi bientôt j’irai vous rejoindre au ciel : que ces mots sont sublimes, le ciel en est le prix. Une dernière fois il lui présente le Christ, sa suprême consolation, Guy Éder l’embrasse avec ardeur et amour.

Les bourreaux le déshabillent en le portant : comment en effet ses pieds mis en bouillie pourraient-ils le soutenir ? Et pendant tout ce temps, son histoire circule dans la foule… C’est Plogastel St-Germain, c’est Penmarc’h c’est Pont-Croix. On exagère, on amplifie… C’est un tigre buveur de sang, un traitre qui a voulu livrer la Bretagne aux espagnols. D’autres parlent de sa naissance illustre, d’autres exagèrent ses actes de bravoure, on parle de son courage de lion.

Enfin dix heures sonnent à l’Hôtel de Ville, c’est l’heure indiquée par le jugement, La Fontenelle est couché sur la croix, ses yeux sont tournés vers le ciel, tandis que la tête repose sur une pierre… Près de lui, le vieux prêtre est à genoux, et sanglote lui-même, tandis que le patient qui n’est pas encore mort, semble jeter un dernier regard sur le passé. Quelques personnes des plus rapprochées, prétendirent qu’il murmura deux mots, qui furent : Amaury : Ma pauvre Marie !

Une lourde barre tomba successivement sur chacun de ses membres, elle les brisa, ainsi que reins… Deux violents coups sur la poitrine furent assénés… il était déjà mort.

Son corps fut délié, porté sur une petite roue horizontale. Le bourreau lui ploya les cuisses de façon que les pieds touchassent au sommet de la tête… On le lia à cette roue et le cadavre resta exposé aux regards du public… La foule eût le loisir de contempler ses restes.

L’histoire du supplice est vraie dans tous ses détails, quant à d’autres faits qui ont été racontés, c’est du roman.

Comment peut-on supposer que son frère Amaury ait assisté au supplice ? On peut bien le croire, et ceci serait possible, les parents de quelques victimes s’y trouvèrent. C’est là une consolation que la vengeance humaine se donne.

Comme nous l’avons dit, Henri IV du vivant même de La Fontenelle donna ordre de raser le fort Tristan, et l’on voit que les garnisons de Quimper, Brest et Morlaix surent bien se charger de l’œuvre, et qu’ils y mirent même des soins, car on ne retrouve plus les traces… aucune même.

Je trouve cependant dans les archives le détail suivant en 1616, le baron Claude de Névet, époux de Françoise de Téal reçut ordre de la régente Anne d’Autriche de fortifier, de rétablir le fort Tristan. Ce baron habitait le château de Névet, sa juridiction s’étendait sur seize paroisses, s’exerçait jusqu’à Pouldavid.

Ces ordres ne reçurent aucune exécution, il n’y en a pas une trace… Quoi qu’il en soit l’ile Tristan a conservé le nom de fort… N’avons-nous pas tous entendu dire… M. de Penanros du Fort pour le distinguer des autres membres de la famille.


NOTICE
SUR N.-D. DE ROSCUDON
De Pont-Croix
Saccagée en 1597

N.-D. de Roscudon, église paroissiale de Pont-Croix, classée depuis longtemps comme monument historique vient d’être l’objet d’importantes restaurations.

Quelques esprits, malgré l’évidence, s’obstinent à montrer les pouvoirs publics hostiles, les accusent de malveillance, de parcimonie, d’indifférence même, à l’égard des édifices religieux… en trouveront-ils la preuve dans les généreux dons suivants ?

Le ministère des Beaux-Arts donne
6,000 fr.
Le ministère des Cultes
3,500
Le Conseil Général
600
La Fabrique de N.-D. de Roscudon
5,000
La municipalité
200
15,300 fr.

Le faible don de la municipalité n’étonnera pas. Sans doute elle aime ce monument qui fait sa gloire, mais elle est limitée dans ses ressources… et nous le savons tous, le denier de la veuve fût le plus agréable à Dieu.

Était-ce assez pour arriver à parachever tous les travaux… loin de là… Le zèle de notre curé doyen, pour l’embellissement de son église l’a compris. M. Téphany s’est adressé aux bourses généreuses de ses paroissiens. Il est allé, de porte en porte, recueillir le don du riche et l’obole du pauvre… le besoin était grand et son appel a été entendu… des merveilles s’en sont suivies. Mais hélas encore insuffisantes pour arriver à la parfaite réalisation des besoins… L’hiver est venu et les ressources sont épuisées… ce sera dans l’avenir un nouvel appel et les cordons des bourses se délieront encore… Le succès qui a couronné le premier assaut est le sûr garant qu’un nouvel appel produira un meilleur résultat, s’il est possible : le premier élan est le seul qui coûte et quand il est suivi de succès, c’est avec plus d’entrain qu’on recommence, surtout quand on n’ignore pas que les cœurs battent à l’unisson.

Roscudon tertre de ramier… Je voudrais bien que quelque savant vienne nous donner l’origine de cette appellation… quoiqu’il en soit, N.-D. de Roscudon est contemporaine de la cathédrale Saint Corentin, de Quimper, le plus beau sans contredit, et le plus ouvragé monument religieux de la Bretagne…… Comment se fit-il, que le XVe siècle laissa inachevée cette basilique ?

Vous rappelez-vous ces flèches de plomb, ces cônes ternes et opaques et si lourds, auxquels par dérision on avait donné le nom… Éteignoirs de Saint Corentin. Mgr Graveran, dont la mémoire est vénérée entre toutes, s’attrista et comme Évêque et comme Breton… Il calcula qu’un sou donné par chacun de ses paroissiens produirait pendant cinq ans, la somme suffisante pour doter son église d’une couronne digne d’elle. Il adressa son admirable mandement, sur les flèches de St-Corentin. L’obole de la charité prit le nom de : sou de Saint Corentin, et l’œuvre des flèches commença au printemps de 1854.

Souvent il arrive aux serviteurs de Dieu de ne pouvoir bénir sur la terre, la réalisation complète d’une sainte entreprise.

C’est ce qui advint pour le dévoué pasteur, et ce ne fut qu’après son départ de la terre, que les travaux prirent fin, le 1er août 1856.

La dépense générale de la construction des deux flèches s’éleva à 149,740 fr. 80… le devis des travaux dressé par l’architecte était de 153,979 f. 85.

Monsieur Bigot, mort l’année dernière fut l’architecte. Sur les indices du prélat, il prit modèle sur la flèche de Pont-Croix dont il reproduit les détails et les décorations.

Et c’était justice, vous l’avouerez comme moi, vous tous qui connaissez les proportions si exactes de notre clocher à jour.

Je dois en outre signaler les faits historiques suivants. Le 26 juillet 1424, un fils des barons de Pont-Croix, posait les premières pierres de la façade de la Cathédrale… Bertrand de Rosmadec, de Pont-Croix Tyvarlenn, fut le bienfaiteur de Quimper, dont il fut évêque de 1416 à 1445.

Les archives disent : « Il fit plus de bien à lui tout seul que la plupart de ses prédécesseurs ensemble, il avait une immense fortune. Habitants de Quimper, quand, à vos solennités vous entendrez résonner le bourdon le Bertrand, rappelez-vous que cet airain sonore est un don de notre compatriote… et vous l’ignorez peut-être, mais je vais vous le dire : du 14 mav 1735, illustrissime, et révérendissime Francois-Hyacinthe de Plœuc, évêque de Quimper, comte de Cornouaille, assisté de MM. du Chapitre, a fait la cérémonie de la bénédiction de la seconde grosse cloche nommée Renée-Maurivette, coulée du samedi 7 du présent mois, etc… et laquelle a été nommée par sire René-Alexis Le Sénéchal, comte de Carcado, marquis de Pont-Croix et autres lieux… et marraine demoiselle Mauricette de Plœuc, dame de Guilguiven.

On fit dans le diocèse, pour la fonte de cette cloche du consentement de l’évêque une quête extraordinaire de Saint Corentin, qui rapporta 889 livres 1 sou 10 deniers.

Devons-nous notre église à la famille des seigneurs bannerets de Pont-Croix Tyvarlenn, quelques-uns le disent mais où sont les preuves ?

N.-D. de Roscudon fut d’abord collégiale de chanoines. J’ai pu, avec peine c’est vrai, et au moyen de la loupe, déchiffrer les noms de ceux qui existaient lors du saccage de 1597, par La Fontenelle, et je donne ces noms quand je raconte le saccage de Pont-Croix… on en comptait une dizaine.

Jusqu’en 1793, Pont-Croix resta sous la juridiction paroissiale de Beuzec… J’ai voulu faire des recherches aux archives de cette église, mais au commencement de ce siècle, les archives ont été brûlées, moyen très simple d’écrire l’histoire, mais regrettable pour les chercheurs.

À l’époque de la ligue, époque néfaste, Beuzec-Cap-Sizun, fournit un homme qui a laissé une certaine notoriété, le chanoine Moreau, auteur de l’histoire de la ligue, en Bretagne… document sec et aride, cette chronique est le principal guide… Moreau est né, dans un village dont je retrouve le nom, mais dans une commune limitrophe. Il faut dire que tout a été remanié dès le commencement de la révolution, et Kergadou pouvait fort Dieu se trouver à cette époque sous la juridiction de la cure de Beuzec… il n’est pas éloigné… Moreau fut enterré dans la cathédrale et son tombeau fut violé, en 1793 alors qu’au pied du mont Frugy, on inscrivait sur le piédestal de la déesse de la liberté, cette pancarte retrouvée dans un registre du tribunal civil :

Périssent les tyrans,
Périssent les despotes
Crèvent les cy devants
Vivent les sans-culottes

Les archives disent… Moreau, vénérable et discrète personne, chanoine, official de Cornouaille, licencié aux droits, bénéficiaire de la prébende de Beuzec-Cap-Sizun 1601, fabrique de la cathédrale 14 octobre de la même année ; il habitait sur la place Saint-Corentin, à la maison prébendale.

Ne fut-il pas, en quelque sorte, Curé de N.-D. de Roscudon ?

À deux kilomètres de Pont-Croix, sur la rive gauche du Goyen, on retrouve les vestiges des carrières de granit qui servirent à édifier le monument dont la flèche a 67 mètres de hauteur, et la signale à toute la contrée.

Aucun doute ne saurait subsister… on travailla à deux reprises différentes… et nulle part on ne distingue mieux la transition du style roman au style ogival.

Nous ignorons, ai-je dit, à qui l’on doit la construction du monument il est regrettable de constater vraiment, la facilité avec laquelle les souvenirs qui se rattachent à nos monuments religieux se sont altérés…… on éprouve généralement la tendance de les attribuer à une origine étrangère… ne dit-on pas presque toujours.

Ce monument a été bâti par les Anglais… il n’y avait pas, semble-t-on dire, d’ouvriers assez habiles en Bretagne pour les construire… c’est une erreur… on a bien su conserver le souvenir des époques où nos grandes églises ont été construites, à l’initiative de quel grand personnage civil ou religieux on doit leur construction… mais hélas ! les chroniques ont négligé de nous renseigner sur les modestes ouvriers qui travaillèrent à les bâtir, à les orner… disons cependant à partir du XVe siècle, on a pu trouver des noms, et ces noms appartiennent incontestablement à la Bretagne : architecture, taille de pierre, charpentage, donnent des noms exclusivement bretons.

Les facteurs d’orgues, les fondeurs, quelques verriers seuls, portent des noms étrangers… la conséquence de tout ceci est : jusqu’à preuve du contraire, attribuons à des maîtres originaires de nos pays la construction de nos églises, du moyen âge… des confréries se fondèrent dans nos pays bretons surtout dans le pays de Léon.

C’étaient des membres pris dans une même paroisse, dans une même ville… on en comptait, dans le clergé, dans la noblesse, dans les ouvriers, architectes, maîtres maçons, maîtres sculpteurs de pierre et de bois, maîtres verriers, artisans du même métier allant de Compagnie. Avec le plus grand regret, il m’est impossible de donner exactement le nom des architectes, maistres maçons et autres qui vinrent édifier N.-D. de Roscudon… je me tiens aux grandes probabilités, jusqu’au XVe siècle. Ce n’est qu’à cette époque que l’on trouve des noms dans les archives de N.-D. de Roscudon.

Disons d’abord : que dans aucun document, la qualification d’architecte n’est donnée… elle ne comporte nullement l’idée d’une direction des travaux… ainsi ceux que l’on nomme architectes, reçoivent un salaire inférieur à celui de maistres tailleurs de pierre… Les architectes étaient des contremaîtres, surveillants et non directeurs des travaux… on donnait au contraire, aux maistres tailleurs de pierre, le nom de maistres de l’œuvre.

Les maîtres ecclésiastiques que Bertrand de Rosmadec établit pour la cathédrale, avaient la direction des travaux : mais en exerçant cette direction, ils ne négligeaient pas quand il s’agissait de tracer un plan, le concours des gens du métier… ceux-ci avaient lumière et expérience.

Ceci se retrouve dans les contrats du moyen-âge. maistres tailleurs de pierre, maistres sculpteurs en bois, maistres charpentiers, commandaient l’œuvre en quelque sorte. Ces ouvriers travaillaient à bas prix… voici un texte  : « Et pour ce faire, le dict Goaraguer doibt avoir et aura la somme de cent livres monnaie et vingt quartiers de froment ».

Nommons d’abord les maistres de l’œuvre à cette époque, il y eut Jean Harscoëd, gouverneur de l’œuvre entreprise en 1417 ; 11 y eut Guillaume Periou, 1470… C’étaient ces maistres de l’œuvre qui passaient des marchés… Il y eut aussi Pierre Morvan, en 1467… Ceux-ci s’entendaient avec les architectes, maistres tailleurs de pierre, maistres charpentiers, qui allaient de compagnie d’un monument à un autre : de Locronan à Quimper, de Quimper à Pont-Croix.

Parmi les architectes je cite, Guillaume Guenmorvan : Henri Guenmorvan… Ces contremaîtres étaient peu payés ; le premier recevait pour son travail… par jour, 2 sous 9 deniers 3 fr. 25, son aide, 1 sou 5 deniers 1 fr 97.

Ces salaires étaient inférieurs à celui des maistres tailleurs de pierre… et ceux-ci avaient nom : Per ann Goaraguer et le fils, Guillaume… À la tête d’une équipe de nombreux ouvriers, ils allaient d’un endroit à un autre… car ces monuments, se construisaient à la même époque.

En 1486, Alain Le Maout, évêque, fit mander, Per ann Goaraguer, qui travaillait à Locronan pour conférer avec lui à Quimper, pour quelques jours seulement, et le fit retourner à Locronan aussitôt.

C’était toute une famille de maistres maçons. une véritable dynastie d’ouvriers de l’œuvre que ces Goaraguer.

On compte Perr an Goaraguer en français, Pierre Le Goaraguer, et Goaraguer veut dire archer… on nomme encore, Laum an Goaraguer Lan Alain ar Goaraguer, etc… actuellement le pays de Bretagne qui nous environne compte nombreuses familles, se nommant Goraguer.

Le salaire de ces maistres était minime… 2 sols, 1 deniers. Je compte cette dynastie des Goaraguer dans toutes les œuvres d’églises qui se bâtissaient à la même époque, ou à peu près de 1340 à 1430, on en retrouve même en 1500, c’est donc une grande probabilité pour N.-D. de Roscudon bien que ce ne soit pas une certitude… jai déjà dit, que en 1486, Alain Le Maout, évêque de Quimper, fit mander Perr ann Goaraguer, qui travaillait à Locronan, pour conférer avec lui à Quimper, pour quelques jours seulement, et le fit retourner à ses travaux.

Pour les maistres sculpteurs, mêmes restrictions que pour les maistres maçons… et ces charpentiers vrais artistes sculpteurs avaient nom… Rospabé, Perr an Gluidic, Hervé Calvé… et ces noms je les trouve dans les contrats passés avec les maistres de l’œuvre, sous de Rosmadec et successeurs. J’arrive maintenant aux certitudes, mais après le XVe siècle alors que les archives de N.-D. de Roscudon, lui était propres. Une industrie celle de la broderie, restée remarquable à Pont-l’Abbé, presque exclusive aux mains des hommes, dont le travail passe de beaucoup celui des ouvrières, en finesse et solidité, était au temps jadis florissante pour les ornements de nos églises, l’industrie moderne a des machines qui donnent à meilleur marché. Autrefois c’était une richesse, un sujet d’orgueil pour les fidèles. On a conservé les noms des ouvriers qui se distinguaient, citons par ordre de date, puisque cela intéresse… « Au sieur Laurans ar Floch (Laurent Le Floch) de Kemper, payé la somme de 100 livres tournois, pour vente d’une chappe de velours dû : (sic) pour le service des morts » Le velours était chose rare… Archives de N.-D. de Roscudon 1634, comptes de Henri Moullec… donnant le dict comptable descharge de la somme de 74 livres tournois qu’il aurait payé à Laurans ar Floch, pour avoir fait teindre, accommoder un ornement de satin rouge en violet comme devant d’autel, chasuble, avoir fourny le fil, galon et franche de soye à ce requis et fanon violet. Compte Guillaume Canévat, 1657. Je fais remarquer en passant que les calligraphes si habiles cependant étaient peu payés… Le procureur de la fabrique 1486 paya à Yvon ann Barc’ham, la somme de 70 sols pour écrire un martyrologe : « pro scriben do, librum martvrologii, magistro yvoni ann Barc’ham clerico, » 70 sols 15 francs… ici je donne à titre curieux la composition du ciment qui servit au rejointage du clocher de Pont-Croix au XVIe siècle, n’est-ce pas le moment où l’on procède à la même opération, mais combien plus facile par les ciments connus.

44 pots, huiles de baleine, à 14 sols, le pot
3 livres sanguine à 60 sols la livre
6 livres mine de plomb à 9 sols la livre
vitraux têts et pots cassés

Comptes Jacques Piriou procureur de la fabrique.

Je passe à l’intérieur du monument :

En entrant on se trouve en présence d’une estrade en bois, chêne travaillé œuvre d’un artiste du XIIIe siècle, supportant autrefois les orgues, objet d’art admirablement ciselé, parfaitement entretenu par les soins de notre curé doyen M. Téphany… c’est un échantillon des chefs-d’œuvre d’art naïf, de patience surtout, que nos maîtres du moyen âge, burinaient avec amour dans la pierre, dans le bois… de là, ces salamandres fantastiques, ces griffons ailés, hideux, poèmes éclos dans leurs têtes aux heures méditatives. Combien de Te Deum, combien de chants de joie aux mariages, aux baptêmes ont entonné des voix plus ou moins habiles… combien aussi de marches funèbres, de symphonies lugubres… à l’enterrement d’un Rosmadec, on comptait une centaine et plus de seigneurs de la province de Bretagne.

Les orgues ne sont plus là… mais combien, n’avons nous pas vu, de parents, d’amis, des mères des frères, des sœurs passer devant cette belle estrade, sous ces jolies rosaces à jour qui lui font face et malgré soi on se prend à dire avec Lamartine.

…nos rangs s’éclaircissent
Chaque heure emporte un sentiment,
Que nos pauvres âmes s’unissent
Et se serrent plus tendrement.

Les premières orgues parurent en France, vers l’an 800, elles furent un don d’Haroun-al-Raschid à Charlemargne… Les orgues de Roscudon dataient de quelques siècles plus tard et ne devaient pas avoir ces accords sonores cette sûreté de son dont nous jouissons maintenant… celles de N.-D. de Roscudon eurent plusieurs réparations… Les orgues ne pouvant plus servyr estant tant pour cause de l’injure du temps, de le poussière et de la crace que pour estre partye des tuyaux démontés, et soufflets crevés le comptable envoie Ollivier, trouver le facteur d’orgues à Daoulas auquel il pava pour le voyage 30 sols… le sieur Dallam estant venu les voyr, afin de voir ce qu’il manquait, son voyage a cousté 4 livres, Ollivier était le messager de l’époque… Comptes Yves Ansque en 1689, au sieur Dalm facteur d’orgres (sic) pour avoir raccommodé les soufflets de l’advis du sieur Frager recteur, bourgeoys et habitants du dict Pont-Croix, 250 livres… comptes François Baron, 1694… la somme de 10 livres poié au sieur Toussaint Dallam, pour avoir raccommodé soufflets et orgres de Pont-Croix.

Comptes de Alain Le Lay… Dallam était anglais, forcé de quitter son pays en 1642, réfugié à Quimper son nom se francisa en Dalm, et nombreuses familles de la région portent le nom. Cette estrade est mal placée, ceci fait le désespoir de notre excellent maître, M. Manière dont le souhait était de terminer sa longue carrière de professeur et de maître de chapelle, en essayant de nouvelles orgues… Les habitants de Pont-Croix conserveront avec soin cette estrade sculptée faisant face aux rosaces multiples, admirablement œuvrées du portail, et cette estrade est contiguë à cette petite porte qui au temps jadis avait nom, porte des lépreux… Comme partout au moyen-âge, une léproserie existait au village de Kélaret, à environ 2 kilomètres de la ville.

Il y avait deux tableaux anciens qui provenaient d’Adam Guilpin, de Kemper, pareillement demande descharge le dict comptable de la somme de 36 livres, poiée à maistre Adam Guilpin de Quimper-Corentin, pour deux tableaux. Comptes d’Antoine Trépos, 1658. Seraient-ce les vieux tableaux de l’autel du rosaire… Ceux-ci ne portent pas de nom, en tous cas, il ne proviennent ni de Murillo ni de Raphaël, pas même du dernier de leurs élèves.

La richesse d’une église se trouve dans son orfèvrerie.

Le nommé Joseph Bernard, exécuta pour N.-D. de Roscudon, d’importants travaux. 1673…1674. À Joseph Bernard, le comptable a payé pour l’église de N.-D. de Roscudon, la somme de 251 livres, 5 sols 762 fr. pour la fasçon de la croix, encensoire et navette… le tout comme il est porté par la quittance du saizième aoust 1674, dont il demande descharge… compte Yves Le Gall.

Supplie descharge de la somme de 720 livres (2 160 fr.) qu’il a payé à Joseph Bernard, pour le prix de six chandeliers d’argent qui sont dansla dicte église… compte Yves Ansquer (1674). À l’honorable homme Bernard, orphèvre, pour la fascon du grand calice d’argent avec sa platine quy sont présentement un trésor de la dicte église et pour l’apchat du crucifix d’argeant et sa croix, le pied en triangle servant à mettre les saintes huyles et une coquille d’argeant qui était de précédent dans la dicte églyse, a été relevé au dict Bernard sur le prix… 1677.

Demande descharge de deux calices et leurs plataines appartenant à la dicte églyse qui ont été employés pour faire le grand calice mentionné en l’article cydevant.

Au sieur Bernard, maistre orphaivre à Kemper, poié pour avoir raccommodé, démonté remonté de neuf, et fourny l’argeant pour la croix de la dicte églyse, la somme de 13 livres, 16 sols… comptes Alain Le Lay, 1674.

Le trésor de l’église était important à cette époque, car il existe de nombreuses notes de réparations.

Il est plus important d’arriver aux artistes sculpteurs en bois qui ont accompli les chefs-d’œuvre qui aujourd’hui se font admirer encore.

En outre demande descharge, de la somme de 90 livres qu’il aurait payé à Dean, maistre sculpteur de Kemper, pour deux images qu’il aurait faicts, l’une de la Trinité l’autre de St-Jan, de l’ordre du deffunt sieur recteur de Beuzec… comptes Charles Jamoys… 1664, ce devait être le successeur du chanoine Moreau, ou du moins un de ses proches successeurs.

Le même compte mentionne, six chandeliers noirs, fascon ébaine faicts par le même ouvrier pour la somme de 10 livres, 1672, donné à Déan, maistre sculpteur de Kemper-Corentin, 64 livres 10 sols, à valoir sur deux rétables qu’on a faict marché avec lui de fayre, suivant l’advis des habitants, comptes de Jan Le Bars, sieur du Menez Bihan — 1673… demande descharge de 360 livres qu’il aurait payé à Jan et Pierre Le Dean, maistres sculpteurs pour deuv rétables qu’ils ont vendus à la dicte églize, suivant quittance du 16 aoust, nil six cent cinquante (lisez septante) sic et trois… compte de Yves Le Gall. Ces deux rétables dans la construction desquels, il eut pour collaborateurs Jean Le Dean, son père ou son frère, existent encore à N.-D. de Roscudon… ils étaient destinés aux autels de St-Pierre et de Ste-Anne.

Ils furent peints et dorés en 1673, par maistre Gregoire Ansquer, peyntre et doreur de Quimper, pour la somme de 1,000 livres 3,000 fr. environ.

Vitraux… d’anciens vitraux color, és existent, on y voit la date de 1516… Les procédés de peinture sur verre étaient perdus. Il existe dans le moment d’habiles maîtres à Tours, au Mans et à Paris… ceux-ci font des chefs-d’œuvre.

Les anciens vitraux coloriés ne portent pas des noms de maîtres, mais les principaux verriers de l’époque avaient nom, Jean Goalligou… Jean Quéméner en 1524, date à laquelle on fabriquait les vitraux… Dans une note je trouve ceci : Johanni Quémener qui réparavit vitros ecclesiæ per intemperiemruptos… 100 sols… Je retrouve aussi le nom de Guy Le Guen, maistre verrier de Kemper… Ledit Le Guen habitait avec sa femme la tour du Chastel (place Saint-Corentin, actuellement).

Les colonnes torses des autels sont dues à ces Déan et datent de la même époque.

Que de fois n’avons-nous pas vu de nombreux touristes admirer les colonnes, les figurines des fonts baptismaux ? Que de fois n’avons-nous pas vu essayer de les dessiner. Il faut le dire, la Fabrique du temps de M. Téphany l’a compris, et s’est hâté de devancer les travaux de restauration de 1895, en les mettant à leur point.

Je ne parle qu’en passant de la chaire à prêcher, elle a aussi ses qualités, mais c’est un ouvrage moderne.

Enfin parlons de la célèbre Cène, ce chef-d’œuvre véritable bijou de sculpture, auquel les plus grands connaisseurs assignent un prix inestimable.

Que doit-on admirer le plus ? Est-ce le naturel des poses ? lest-ce le fini de l’exécution ?

Saint Jean penche la tête sur son divin maître… Saint Pierre questionne par un signe, les apôtres semblent se consulter, tandis que Judas Iscariote, est prêt à se lever pour aller trahir. Moment psychologique indiqué par les versets de Saint Jean.

« En vérité, je vous le dis, un de vous me trahira.

» Et les disciples se regardaient les uns les autres, étant en peine de qui il parlait.

» Or il y avait un des disciples de Jésus, celui que Jésus aimait qui était couché sur son sein.

» Simon Pierre lui fit signe de demander qui était celui de qui il parlait.

» Lui donc s’étant penché sur le sein de-Jésus, lui dit : Seigneur, qui est-ce ?

» Jésus répondit : c’est celui à qui je donnerai un morceau de pain trempé, et ayant trempé un morceau, il le donne à Judas Iscariote, fils de Simon.

» Et après que Judas eut pris le morceau, Satan entra dans lui. Jésus donc lui dit : fais au plus tôt ce que tu as à faire.

» Mais aucun de ceux qui étaient à table ne savait pourquoi il lui disait cela :

» Car quelques uns pensaient que comme Judas avait la bourse Jésus avait voulu lui dire… achète ce qu’il nous faut. »

Et l’on voit ici dans les tableaux que Judas, le treizième, tient à sa gauche sur l’escabeau la bourse que le sculpteur n’a pas oubliée… nul ne saurait contester l’opportunité de ce moment qu’indique les versets… le grand sculpteur qui a laissé ce chef-d’œuvre n’en a rien dit, et les anges sans doute savent le nom de l’artiste inconnu, et la date de la magnifique sculpture… on ignore le reste. Nulle indication, nulle légende ne vient à l’appui d’un nom. Aucun indice sur ce chef-d’œuvre que tous les guides signalent à l’admiration des touristes, indiquant le fini d’exécution et le naturel des poses… oui nous sommes d’accord pour cela mais il est une chose que nous ne comprenons pas, c’est qu’ils viennent le copier en disant… en or, ivoire et marbre. Où donc est l’ivoire ? Où donc est le marbre ? C’est du bois merveilleusement sculpté et doré, voilà tout… À moins qu’ils ne prennent comme ivoire la dentition cachée de tous, car pas un seul n’a la bouche entr’ouverte. Il y en a qui ont prétendu que cette merveille avait été cachée pendant l’époque néfaste de la terreur… d’autres ont été assez inconséquents pour dire quelle avait été changée, et qu’autrefois elle était en ivoire… comme si l’on avait pu trouver de l’ivoire de cette dimension ?…

En somme comment cet objet d’art, ce bijou a-t-il pu traverser les siècles, indemne de toute fracture ? Cependant il a vu l’incendie de 1597, allumé par les soudards de La Fontenelle, il a voir les plus mauvais jours de la terreur si funeste dans tant d’autres endroits ? J’ai entendu prétendre qu’on l’avait caché dans une cachette de la sacristie, pour attendre des jours meilleurs, je ne puis l’affirmer… Je dois avouer que j’ai consulté les archives, et qu’il ne fut question d’aucune terreur ici, on raconte bien quelques excentricités, mais hors des églises.

La municipalité au contraire, dans une délibération s’interpose, en signalant le mauvais effet produit par les jeux des enfants, gamins qui avaient un peu pris possession du sanctuaire pour leurs jeux bruyants.

Une chapelle fut bien abattue, en 1793, mais parce qu’elle menaçait ruine… Cette chapelle sous le vocable de la Magdeleine, au nord-d’ouest de N.-D. de Roscudon avait servi de refuge aux fuyards du temps de La Fontenelle. Un agent municipal fut chargé de surveiller les travaux de la démolition, et le procès-verbal indique le nom.

Le chef-d’œuvre de la Cène, a une valeur inestimable, que les plus belles collections ne sauraient paver.

Les connaisseurs ne sauraient trop louer, la toile de Léonard dé Vinci, que tant de gravures ont reproduite.

Quand on a vu la Cène sculptée de Pont-Croix, la préférence vraiment reste au bijou de bois sculpté.

Je me permets d’ajouter un détail curieux. Il y a quelque temps, je recevais une collection de numéros d’un journal illustré, le plus répandu à Athènes… Comme l’illustration à Paris.

À la suite de la gravure représentant la Cène de Léonard de Vinci, que le journal désigne comme un des chefs-d'œuvre les plus beaux des musées français l’écrivain fait une remarque intercalée entre guillemets (clair obscur) c’est pour dire que les Grecs, comme les Français ont été contraints de créer un néologisme, pour exprimer cette teinte de peinture, que Rembrandt rendit célèbre… Or, notez, que tout le reste, texte, annotations, prix d’abonnement, tout en un mot est en grec moderne.

Que les nouvelles restaurations entreprises et qui prendront fin dans quelques années, viennent donc faire appel aux touristes qui repartiront émerveillés de ce monument, où nombreux artistes viennent à chaque saison prendre des sujets de tableaux.


Quelles étaient donc les réparations urgentes à entreprendre en 1896.

Je n’en dirai que quelques mots.

À la fin du siècle cernier, ou au commencement de celui-ci, l’aiguille si élancée du clocher a être abattue par la foudre, sur une longueur d’une vingtaine de pieds. On s’était contenté de la remplacer par des lamelles de plomb imitant la brique, superposées l’une contre l’autre, et très épaisses… on y a trouvé une seule date et le nom d’un couvreur… 1820… Toussaint Daniel, pour arriver à remettre d’énormes pierres de granit à une pareille hauteur, combien d’échafaudages fallait-il donc dresser ? Il fallait un charpentier habile… on en a rencontré un dont l’intelligence a su remédier au mal. C’est encore un Breton, enfant du peuple.

Huon, de St-Pol-de-Léon, élevé lui aussi à l’ombre du magnifique clocher de Kreïsker.

L’entrepreneur était M. Le Moine, de Paris, qui venait de terminer le musée de Victor Hugo.

Monsieur Goût, architecte du ministère des beaux-arts est venu à diverses reprises visiter les travaux.

Le zèle de notre curé doyen, a débadigeonné les colonnes massives du chœur et du transept… il y a encore beaucoup à faire… Le granit remis en lumière par un repiquage intelligent a prouvé ce que j’ai dit… Les pierres proviennent bien des carrières qu’indiquent les légendes… elles ont absolument le même grain me disait un carrier de la contrée.

Maintenant elles apparaissent sous leur vrai jour et espérons-le, on ne tentera plus de les peindre à la chaux.

Chose extraordinaire, à la même année les plus grandes restaurations s’accomplissent aux trois monuments saccagés il y a cette année, trois cents ans par La Fontenelle. Et ces trois basiliques sont aussi de la même époque… Penmarch, Locronan et Pont-Croix. Du XIIIe et XIVe siècle.


TABLE DES MATIÈRES





  1. Que d’exemples pourrions-nous citer de nos jours… que de conversions à gauche, que de conversions à droite… on suit le courant des intérêts.