Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 2/03


III

La Fontenelle se rend à l’Île Tristan


La Fontenelle avait promis au Gouverneur de la Bretagne d’aller avec ses 3,000 hommes d’armes aguerris, le rejoindre sous les murs de Craon… il luit tint parole. Dès lors qu’il s’agissait de batailler, rien ne pouvait le retenir. C’était un temps d’arrêt dans sa vie de rapines et d’exactions. Toujours est-il que l’apport du célèbre partisan ne fut pas une quantité négligeable… Ses troupes étaient aguerries, disciplinées, et il donna les preuves d’un grand talent militaire.

Quant à lui, il était peu inquiet des résultats d’une victoire, où tant de réformés trouvèrent la mort… Impatient de reprendre sa vie d’aventure, il revint vers la Basse Bretagne, se croyant désormais sûr de l’impunité ; il s’était acquis les grâces du Duc de Mercœur, cela suffisait. Qui aurait osé parmi les royaux, peu nombreux du reste en Bretagne, mettre un frein à cette vie de batailles, de luttes dans lesquelles il restait toujours vainqueur ; sans grand risque nous devons le reconnaître, pour les motifs énumérés au tableau précédent.

Avec sa bande il se retrancha à Carhaix. L’église Saint Trémeur fortifiée était son arsenal. Là se trouvaient ses magasins, où des richesses étaient accumulées… là aussi se trouvaient toutes ses munitions… Landerneau, les Côtes-du-Nord avaient subi ses exactions, le pays s’était appauvri, il fallait chercher un théâtre nouveau à de nouvelles prouesses, et se répandre au loin.

La position topographique de Carhaix ne lui inspirait aucune confiance… De tous points il se voyait découvert, et cette situation exigeait une surveillance plus grande.

Trouver dans la Cornouaille, un repaire à l’abri des coups de main, voilà quel était son objectif.

Comment lui vint l’idée de venir s’établir à l’île Tristan ? Nous devons croire que son dévoué Rheunn, de Poullan, n’y fut pas étranger.

Rheunn, enfant du pays dut lui parler-de la situation topographique de cette île, isolée par la mer et de ce côté facile à défendre, car nous devons nous reporter aux armes de l’époque… Ensuite l’accès par terre n’était pas non plus chose facile, car on ne connaissait nullement les combats à longue portée, seulement les combats corps à corps, un à un, par petits groupes. Car il calculait tout, et à ces conditions ses hommes d’armes pouvaient défier une troupe nombreuse.

Il savait que les circonstances allaient lui donner le loisir de se fortifier à son aise, sans une attaque prochaine de qui que ce fût. Là même au fort Tristan il ne pouvait être surpris par la famine.

Ce qui frappait dans ses soldats, c’était la confiance qu’ils avaient, non seulement dans son courage, mais dans la haute portée de son intelligence. Tous lui obéissaient sans un murmure.

Un jour il dit à son chef d’avant-garde : « Que demain soir, pour le coucher du soleil, mon nom soit répété par les échos de la baie de Douarnenez. L’église Saint Trémeur devra être évacuée promptement. Nous passerons sous les murs de Quimper et personne ne songera à nous arrêter… Les intelligences que j’ai dans la place, ne me feront pas défaut… et qu’importe ! »

L’île Tristan vue de Douarnenez, du vallon de la rivière, des hauteurs de Ploaré, semble un mamelon, s’élevant du sein de la mer… Alors on pouvait parler d’une portée de canon, que serait-ce aujourd’hui avec un fusil Lebel ? D’une part c’est Tréboul, d’autre part Douarnenez, tout autour une ceinture de rochers, dont la chaîne s’élève jusqu’à la grande mer. La base, du moins à son accès, reste à sec dans les marées basses, par mer on peut juger de la difficulté de son accès, par les rochers énormes qui hérissent ses flancs abrupts.

C’est sur le sommet de cet îlot, à la place du fanal actuel, et sur les coteaux que Guy Eder en 1595 songea à bâtir son repaire. Comme aux aigles, il lui fallait une aire inaccessible… il l’y trouvait.

Le 29 mai, Jérome Kervel attaquait vers le déclin du jour ; au milieu de la nuit, La Fontenelle achevait la conquête de la ville, s’emparait de l’île Tristan…

Aujourd’hui Douarnenez à bon droit prend le nom de ville, mais à l’époque c’était une bourgade modeste accroupie à l’entrée de la baie. La troupe de Guy Eder, longeant les montagnes d’Arrhée, sans prendre souci de la garnison de Quimper, prit un repos à Locronan : on n’y commit aucune exaction, qu’est-ce à dire ? N’avait-elle pas une année auparavant subi les exactions du partisan ? Locronan n’était pas alors ce triste bourg que nous traversons aujourd’hui, où les bestiaux restent dans les rues pâturer l’herbe que les pas des rares voyageurs n’ont pu fouler. Alors des tisserands nombreux et riches, renommés dans tout le pays, y avaient accumulé d’immenses richesses… Comme plus tard Penmarc’h, Locronan dut sa ruine à La Fontenelle.

L’année 1594 lui avait été funeste, et les États généraux assemblés à Vannes, avaient entendu les réclamations portées par ses délégués. Qu’avaient-ils pu contre le bandit qui, au nom de Mercœur, et de la Sainte Union, avait dévasté le territoire, établi des contributions qu’ils ne purent payer, au prix d’innombrables tortures, telles que des trépieds rougis au feu, et la bastonnade.

Qu’auraient-ils pu prendre en 1595 ? La population s’enfuit dans les bois de Névet, et l’on ne songea pas même à la poursuivre. Les partisans silencieusement se présentèrent par les hauteurs de Ploaré, où la magnifique église ne devait pas encore être construite, puisqu’elle date du XVIe siècle.

De ces hauteurs on domine la baie et Tréboul alors petit village. Montrant l’île Tristan : « Voilà mon futur royaume, ma future île Guyon, que nous saurons rendre imprenable. » Et s’adressant à Rheunn son soldat préféré : « Rheunn, tu m’accompagneras, et nous verrons tout à l’heure, si Jean de Guengat qui commande au nom de Sourdéac, voudra se défendre cette fois… Je veux le prendre vivant., et nous en tirerons rançon. »

Il disait vrai… Il se chargea de Guengat qu’il surprit au lit, et le saisissant à la gorge il le fit prisonnier.

De fond en comble Douarnenez fut détruite, du moins dans la partie faisant face à l’île, et dans les parages que nous nommons le Guet… On incendiait ce que l’on ne pouvait abattre, après avoir égorgé ou gardé pour rançon quand le gibier en valait la peine.

Le moment était favorable, et l’on ne faisait pas quartier.

Riches marchands, quelques nobles s’étaient réfugiés, croyant échapper par l’isolement ; ou même par l’espoir d’être secourus par la garnison de Quimper… Croyez-vous que ces craintes et ces soucis inquiétassent les routiers ? Vous vous tromperiez beaucoup, car ils savaient à quoi s’en tenir… Au contraire, ils ne se montraient que plus tenaces et plus avides… La mémoire est encore restée des tourments que l’on fit endurer à quelques riches marchands, pour obtenir d’eux la divulgation de leurs trésors… et de ces paroles atroces de soudards : pas de mal aux filles et nous repeuplerons !

Les secours de Sourdéac n’étaient pas à escompter, et s’il arrive il aura à qui tenir… Nous serons fortifiés pour lors, disait-il.

En effet, les royaux comptaient sur la trêve qui partout ailleurs s’observait, et Sourdéac, de Brest avait assez à faire lui-même pour s’occuper de Guy Eder qu’il laissa se fortifier.

On mit la tête du partisan à prix, comme un chasseur qui vend la peau de l’ours avant de l’avoir tué… La Fontenelle ne fit qu’en rire et disait : « Voilà bientôt un an que le huguenot s’est fait catholique, et mordieu, il me traite déjà en hérétique… » Et son rire sardonique devant la troupe réunie indiquait le mépris qu’il faisait de ses ennemis et de leurs menaces. Le prestige du panache rouge grandissait, et l’on pouvait dire que la gloire de l’adolescent de 21 ans était à son apogée.

Le partisan donna à son île, le nom d’île Guyon… C’est mon royaume à moi, disait-il !