Souvenirs de 93, écrits en 1821 ou la Vérité opposée à des mensonges/Notes rectificatives
NOTES RECTIFICATIVES
Si mon frère vivait encore, il remplirait bien mieux que moi les désirs de mon père. Cependant je vais essayer de le remplacer.
Le lecteur connaît maintenant la vérité sur les faits qui se sont passés chez M. et Mme de La Guyomarais pendant la maladie, la mort du Marquis de la Royrie, et lors de son exhumation. — Il va pouvoir juger les réponses du Bulletin.
Ce Bulletin du tribunal révolutionnaire fait dire à mon grand-père, qu’il n’a jamais entendu parler du Marquis de la Royrie. Que l’étranger qui est mort chez lui était un négociant qui lui fut présenté sous le nom de Gasselin ; tant qu’au Marquis de la Royrie, il ne l’a jamais vu, ni connu !
Est-ce que le 26 février, après que le commissaire de la Convention, Lalligant-Morillon, eut fait couper la tête d’un mort, enterré depuis trois semaines, pour la faire jeter aux pieds de ma grand’mère, en la voyant, mon grand-père dit-il qu’il ne reconnaissait pas la tête de son ami ? — Non !
On vient de lire qu’immédiatement il répondit aux commissaires de la Convention, devant la force armée, tous les patriotes, et les volontaires qui avaient envahi son salon : « Je la reconnais cette noble tête qui vous a tous fait trembler si longtemps. Vous n’êtes que des lâches ! des monstres ! L’action que vous venez de faire le prouve assez. »
Il est permis de croire que cette flétrissure, si bien méritée, et jetée par la victime à la face de ces monstres, leur fit craindre la réprobation et le dégoût même des leurs.
Voici l’acte d’accusation et le jugement de ma famille. « Les interrogatoires n’en font pas partie. » Dans son acte d’accusation, Fouquier Tinville se borne à dire « que l’état de putréfaction où se trouvait le cadavre de La Rouerie n’a pas permis de constater la cause de sa mort. »
Si Fouquier Tinville savait que son commissaire avait fait couper la tête de ce cadavre, pour la faire rouler aux pieds d’une femme, il n’a pas osé le dire, même devant le public de ce tribunal de sang et d’infamies, dans la crainte peut-être d’y entendre pousser des cris d’horreur.
Tant qu’aux auteurs de cet acte odieux et sans précédent, ils n’ont pas même eu le courage de leur œuvre, car après avoir constaté dans le procès-verbal de l’exhumation du Marquis de la Royrie[1], qu’à la réquisition de Lalligant-Morillon, sa tête fut coupée, ils n’osent pas ajouter : pour être portée dans le salon de la Guyomarais, où toute la famille y est gardée à vue, afin d’avoir le plaisir de faire rouler cette tête aux pieds de Mme de La Guyomarais.
Ils n’ont pas même dit ce qu’ils en avaient fait. Ils n’ont su faire qu’un mensonge en disant, « qu’après l’exhumation du cadavre de La Rouerie, ils ont appelé les sieurs et dames de La Guyomarais pour le reconnaître. » Ils ont menti !
J’ai bien connu deux témoins qui, comme mon père, virent les patriotes apportant au bout d’une baïonnette, dans le salon de la Guyomarais, la tête du Marquis de la Royrie ; puis, cette tête être roulée par eux aux pieds de ma grand’mère.
Le premier de ces témoins était Mlle Renée Minet de la Villepai, habitant le Vaumadeuc. Elle était venue faire une visite à La Guyomarais ; elle fut arrêtée avec ma famille ; elle subit même un interrogatoire ; le second témoin était l’honnête Julien David. Je puis dire que ni l’un ni l’autre n’avaient oublié cette horrible scène !
Voici encore une réponse faite au nom de mon grand-père, imprimée dans le Bulletin du tribunal de 93.
Cette fois, le Bulletin lui fait dire que, s’il avait su que c’était le Marquis de la Royrie qu’il recevait chez lui, sous le nom de Gasselin, il l’eut mis à la porte !
Je crois que les Souvenirs que l’on vient de lire prouvent assez la noblesse de caractère de mon grand-père, et qu’ils laissent voir trop de preuves de l’amitié et du dévouement sans borne qu’il avait voué au Marquis pour que l’on puisse dire d’eux : ils sont la négation absolue et le démenti formel des réponses du Bulletin du tribunal criminel révolutionnaire de 93.
Pour justifier François Perrin d’avoir livré ses maîtres à l’échafaud, l’auteur du Sans-Culotte Breton, peut-être dernier breton, prétend qu’il voulait se venger de M. de La Guyomarais, qui faisait la cour à sa femme ! — Perrin n’était pas marié ! !
L’auteur de Saturnin Fichet, dit que M. et Mme de La Guyomarais habitaient leur hôtel de Rennes, pendant que le Marquis de la Royrie était malade et mourait à la Guyomarais ; il peuple cette maison de noms qui (excepté ceux de la Royrie et de Fontevieux) n’y ont jamais parus.
Il est triste de voir qu’en France on ne respecte rien, ni l’honneur, ni la mémoire des morts, pas même la vérité sur des faits historiques.
Je dois signaler deux erreurs qui ont été imprimées au sujet du Marquis de la Royrie.
En 1837 ou 1839, M. Théodore Muret, auteur des Guerres de l’Ouest, Vendée et Chouannerie, vint demander à M. Casimir de La Guyomarais (mon père) des renseignements sur la maladie et la mort de M. de la Royrie, et aussi sur l’arrestation de la famille de La Guyomarais ; ils lui furent donnés. Mais il paraît qu’il n’en a pas tenu un compte exact, car il dit dans cet ouvrage que les patriotes de Lamballe emportèrent la tête du Marquis ; que de là elle fut envoyée à la Société populaire de Rennes.
J’ai prouvé le contraire dans une note insérée dans les Souvenirs de mon père.
L’auteur de la Vendée militaire a été trompé. Mademoiselle de Moëllien n’était pas à la Guyomarais pendant la maladie, ni à la mort de son cousin, le Marquis de la Royrie. Elle n’y est même jamais venue.
Le Marquis n’a pas demandé à être enterré sous un cerisier, ni que ses papiers fussent mis dans sa tombe ; on a lu qu’ils furent envoyés chez le caissier de la Conjuration, M. Désilles ; et ce fut encore le traître Cheftel, qui, ayant vu cacher l’argent et les papiers, se fit arrêter avec la famille Désilles, afin de dire aux commissaires de la Convention l’endroit où ils avaient été mis.
Procès-verbal de la mort du Marquis de la Royerie.
Nous, soussignés, Joseph de La Motte de La Guyomarais, Georges de Fontévieux, Chafner, major américain, Masson médecin, certifions qu’Armand-Charles Tuffin, Mis de la Royrie, est mort à la Guyomarais, dans la nuit du 29 au 30 janvier 1793, à quatre heures du matin, âgé de 42 ans.
Le trente, vers les dix à onze heures du soir, son corps a été déposé dans le petit bois « vieux sémis », en face le jardin de la Guyomarais.
Pour reconnaître l’endroit, il est placé au milieu de quatre chênes. En face, sur le fossé, on a planté un houx… afin de pouvoir un jour transporter ses restes dans l’enfeu de la famille de La Guyomarais ou ailleurs.
Ce procès-verbal fut retrouvé en 1835, il avait été mis dans une bouteille, au pied d’un chêne, sur la lisière de la forêt. L’humidité avait pénétré dans la bouteille et avait avarié le papier ainsi que l’écriture ; cependant, à quelques lettres près, on put le copier. — Mde de La Guyomarais.
- ↑ Ce procès-verbal est sous mes yeux. — Mde de la G.