Librairie A. Lapie (p. 51-54).


CHAPITRE VI


Orléans était maté, il ne restait plus un seul républicain connu, les uns étaient en exil, les autres en prison, à Cayenne ou à Lambessa.

Cette année là ne fut heureuse pour personne à Orléans. L’inondation fut terrible, jamais elle n’avait atteint de proportions aussi vastes, jamais les quais ne furent envahis en un espace de temps aussi court et avec une telle impétuosité. On célébrait la procession de la fête Dieu. Comme tout le monde, j’y suis allée voir. Ces sortes de fêtes avaient beaucoup d’attrait pour la population orléanaise (y compris la fête de Jeanne d’Arc.)

L’itinéraire était de descendre par la rue de Bourgogne jusqu’à la Loire, de suivre le quai jusqu’au Pont Royal. Nous pûmes sans difficulté suivre le quai jusqu’au dit pont, nous remontâmes la rue Royale en ligne directe jusqu’au Mail. Cette partie est la plus haute de la ville. Pour gagner le quai de ce côté, il y a environ 300 marches. Quelle surprise ! nous ne pûmes descendre, presque toutes les marches étaient submergées. L’élévation des eaux fut si rapide que dans l’espace de temps que nous mîmes pour faire ce parcours, nous vîmes un gouffre profond comme une cathédrale ; nous dûmes revenir sur nos pas. À Orléans, à Menny, à Jargeau, l’étendue des eaux atteignit 200 mètres, dans l’espace de quelques instants.

Dès notre entrée en ville, tous abandonnèrent la procession. C’était une panique générale.

Ma mère et moi, nous allâmes visiter les quartiers riverains du fleuve. Quelle horrible chose ! Les vieilles masures craquaient de toutes parts. De pauvres gens qu’on cherchait à sauver soit avec des bateaux, des tonneaux, des planches, poussaient des cris lamentables. Il fallait presque les arracher de force. Ils se réfugiaient sur les toits. Les maisons s’effondraient. Dans la rue de Notre-Dame de Recouvrance, l’eau avait envahi jusqu’à la toiture de l’église. Plusieurs personnes furent noyées.

Les bateaux chaviraient, sauvés et sauveteurs disparaissaient dans ce gouffre.

Les digues de la Loire étaient rompues.

Nous sommes revenues du côté de la ville, près du Pont Royal. Quel terrible spectacle ! On ne cherchait pas à sauver les meubles mais la vie de ces pauvres gens atteints par le fléau.

On entendait des cris de détresse, d’enfants et de vieillards dont les vieilles masures s’anéantissaient. Tout disparaissait avec un grand fracas, et c’était fini !

La Loire s’étendait sans borne, à l’infini. On aurait dit la mer en furie. C’était horrible. Cela dura une huitaine de jours au moins.

Lorsque les eaux commencèrent à baisser nous vîmes sur les flots des épaves sans nombre : des meubles, des lits, des fagots, du bois en grande quantité, du linge, des moutons, des vaches et des bœufs, des cadavres, des berceaux. Le troisième jour, on tenta de ramener sur la rive quelques épaves ; un pauvre petit enfant endormi dans son berceau, qui flottait au gré des eaux, fut sauvé.

J’ai vu des choses affreuses dans ma vie, rien ne me semble plus épouvantable qu’une inondation. Aucune puissance humaine, aucun dévouement ne peuvent dominer cette effroyable catastrophe.


En temps ordinaire beaucoup d’étrangers visitent les bords de la Loire, ces rives charmantes et ombreuses, bordées de villas magnifiques, de jardins et de parcs.

L’empereur, en allant visiter les désastres de Montargis, s’est arrêté quelques heures à Orléans, où il fut reçu très froidement.

Il est probable qu’il dut la conservation de sa vie aux inondations.