Souvenirs d’un page de la cour de Louis XVI/Porte-chaise d’affaires
CHAPITRE XII
porte-chaise d’affaires
Il me faudrait la plume caustique et féconde du curé de Meudon pour écrire avec succès ce burlesque chapitre. La muse, si c’en était une, qui inspira à Rabelais certaines pages des plus joviales de son Gargantua, pourrait seule me suggérer les expressions qui conviendraient pour dire à mes lecteurs ce que c’était que le porte-chaise d’affaires.
Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes ; ils sont, comme nous, soumis aux besoins de la nature. On les voit manger en public, et l’on devine qu’après ces fonctions dont il est de bon ton de s’acquitter au grand jour, il en est d’autres que le roi seul de je ne sais plus quel empire a conservé l’habitude de faire également en public.
Eh bien, le porte-chaise d’affaires était celui qui, le chapeau bas, en habit de velours, l’épée au flanc, était chargé de dissimuler ces dernières misères auxquelles il a plu à la mère Nature de nous assujétir. La Faculté était sa plus déplaisante ennemie ; elle lui faisait passer parfois de fort mauvais quarts d’heure. Il est vrai qu’il s’en trouvait bien dédommagé par les vingt mille livres que lui valait sa charge ; avec cela, qu’il pouvait signer le contrat de mariage de sa fille du titre d’officier du roi, et traiter ses amis avec de fort beau linge dont on pouvait, en admirant la beauté du tissu, oublier la destination première.
Les réformes du cardinal de Brienne firent disparaître les porte-chaise d’affaires, comme les cravatiers, les pousse-fauteuil, etc. Les porte-chaise étaient au nombre de deux et servaient six mois. L’un était un petit tailleur, d’une figure tout aussi burlesque que sa charge, achetée du produit d’un terne gagné à la loterie ; l’autre était un marchand de faïence de la rue du Vieux-Versailles.
Le porte-chaise entrait au lever du roi, quand on appelait la première entrée ; il passait alors, — car enfin, puisque j’ai commencé ce chapitre, il faut bien que je dise quelque chose des fonctions qu’il avait à remplir, — il passait dans la garde-robe, près du lit du roi, pour voir s’il n’y avait rien, dans son petit mobilier, qui réclamât sa vigilance et sa sollicitude. C’était là son seul service. Ailleurs, et à tout autre moment, on n’avait pas besoin de lui. Il se trouvait, en effet, dans les petits appartements, un cabinet plus somptueux, construit à l’anglaise, en marbre, porcelaine et acajou, où sa présence était inutile. Le roi éprouva là un jour une aventure très-comique, que je tiens du garçon du château qui courut à son secours, et dont la vraie place, je crois, ne peut être que dans ce chapitre, absolument étranger à la politique.
Le roi s’assit un jour sur son trône, non pas sur ce trône du haut duquel il recevait une solennelle ambassade ou tançait un parlement rebelle, mais sur ce trône dont le porte-chaise avait la direction. Dans sa précipitation, il ne s’était point aperçu qu’un énorme angora s’était enroulé dans la conque de faïence pour y goûter en paix l’isolement et la fraîcheur. Pendant un certain temps, tout alla bien du côté de l’animal ; la privation d’air n’avait point interrompu ses ron-ron. Mais à un moment donné, qu’il n’est point facile de désigner et que l’on devine, le matou se fâcha bel et bien, et témoigna son mécontentement par des efforts extraordinaires pour sortir de sa malencontreuse position. Le roi, aussi effrayé que surpris de cette véritable attaque à main armée, prit aussitôt la fuite, le haut de chausses à la main, et courut se pendre à toutes les sonnettes, tandis que de son côté, le captif, dans un piteux accoutrement, brisait porcelaines et vases, cherchant partout une issue qu’on se hâta de lui offrir.
Cette anecdote, que je garantis, ne pouvait amuser Louis XVI, qui n’aimait pas les chats. En cela, comme en bien d’autres choses, il différait de Louis XV, qui en avait toujours un sur sa cheminée, où, pour le garantir d’une trop grande fraîcheur, on garnissait le marbre d’un coussin de velours.
Pour en revenir au porte-chaise, cette charge existait sous Louis XIV, et date sûrement de bien plus loin. En 1698, ceux qui possédaient cette dignité étaient le sieur Philippe Sennelier, et Jean, son fils, en survivance ; et pour le second semestre, le sieur Charles Hallier, sieur des Châteaux, et François Cornu de Sainte-Marthe, son gendre, en survivance. Ils avaient chacun six cents livres de gages et deux cents livres de récompense, mais ils n’avaient point bouche à la cour. Sans doute que la seigneurie des Châteaux provenait aux Hallier du produit des fameuses serviettes ; à moins toutefois que — s’il est vrai, comme l’ont avancé quelques mauvais auteurs protestants ou jansénistes, que les jésuites achetassent très-cher la chaise royale, pour découvrir dans les papiers quelques importants secrets — le fief des Châteaux n’eût été le produit de cet étrange commerce.
Le duc de Saint-Simon, si je ne me trompe, nous dit dans ses Mémoires que Louis XIV, dans son jeune âge, donnait audience à ses favoris dans l’attitude où nous avons surpris tout à l’heure le bon roi Louis XVI. Si le fait est vrai, cela devait donner une certaine importance à la charge du porte-chaise, puisqu’il devait se trouver admis à des entretiens fort secrets. Mais Louis XVI, moins familier, n’avait, pour remplir cette charge, que des tailleurs dont je n’ai pu retenir les noms. Si je les retrouve un jour, je ne manquerai pas de les consigner ici.
En voilà assez, je crois, sur le porte-chaise d’affaires. Ce chapitre paraîtra peut-être même long pour une pareille matière ; en tous cas, au milieu des sérieuses réflexions que doivent inspirer les événements que j’ai à décrire, ce n’était pas le plus aisé à traiter. Mais la chose fait partie des usages du temps. Ce sera, pour les amateurs de l’égalité, un texte à moraliser ; et il paraîtra d’autant plus curieux que je doute fort de voir cette charge rétablie à la nouvelle cour, qu’elle n’existe peut-être plus en Europe, et que, pour la retrouver, il faudrait l’aller chercher au royaume de Cocagne, où le porte-coton est un des grands officiers de l’empire.