Souvenirs d’un hugolâtre
la Génération de 1830
Jules Lévy, 1885 (pp. 56-60)
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XII

Peu à peu, la génération s’accoutumait à rire des gouvernants, des descendants de saint Louis. Nous avons été bercés, nous, au bruit des chansons anti-royalistes ; nous avons épelé, dans les journaux d’alors, plus d’un article « irrespectueux » à l’endroit des Bourbons.

Les hommes de l’époque pratiquaient beaucoup, déjà, les souscriptions, soit comme machines d’opposition, soit pour venir en aide à de grandes infortunes. La souscription en faveur des Grecs, combattant afin d’assurer leur indépendance, mit en mouvement toute la France, où les Philhellènes s’exaltèrent au point de devenir presque ridicules.

Qu’il y eût ou non un peu de politique et un peu de vanité mêlés à des idées philanthropiques, dans l’enthousiasme des souscripteurs, ces mouvements n’en amenaient pas moins de bons résultats. Et, depuis, ces façons généreuses d’agir se sont multipliées.

L’usage de prononcer des discours sur les tombeaux se généralisa, quoique le clergé prétendît avoir seul ce droit, à l’exclusion des laïques. C’était un « moyen de manifestation » que nous n’avons pas négligé. En faisant l’éloge du mort, on signale aux survivants « l’attitude infâme du gouvernement », et quelquefois on glisse un appel aux armes. Le plus souvent, sous la Restauration, on se contentait d’entretenir la lutte contre l’opinion rétrograde.

Les « doctrinaires », dont le premier chef fut Royer-Collard, rêvaient la réconciliation de la France nouvelle avec la vieille monarchie. Ils étaient très peu nombreux.

« Leur parti tiendrait tout entier sur mon canapé », disait le comte Beugnot.

On l’appelait le « parti canapé », et les hommes de passion n’en tenaient aucun compte.

L’activité politique des libéraux poussait des racines profondes et développées, — carbonarisme, souscriptions nationales, sociétés secrètes, complots divers, journaux, livres et brochures. Les noms de Jacques Laffitte, de La Fayette, de d’Argenson, de Kératry, de Manuel, de Casimir-Périer, de Benjamin Constant, d’Étienne, d’Odilon-Barrot, de Mérilhou, de Dupont de l’Eure, se trouvaient parfois accolés aux noms de gens qui voulaient aller jusqu’au républicanisme.

Dans ces coalitions, même, se rencontraient des impérialistes, prompts et habiles à faire le coup de feu, en espérant travailler pour Napoléon II, que Barthélemy et Méry avaient célébré, et dont la phtisie s’emparait.

Étudiants, ouvriers, bourgeois, étaient enrôlés parmi les défenseurs de la liberté menacée, confusément, sans liens solides. L’autorité avait fermé ou suspendu les cours de Guizot à la Sorbonne, supprimé l’École normale supérieure, persécuté les professeurs Villemain et Cousin, de telle sorte que ceux-ci, avec leurs élèves, entraient en révolte contre elle.

L’avènement du ministère Polignac, succédant à celui de Martignac, semblait un défi ; si bien que La Bourdonnais, sortant du cabinet quand Polignac y entrait, répondait à un ami, lui demandant pourquoi il se retirait :

« Quand je joue ma tête, je veux tenir les cartes. »

Un coup d’État était dans l’air, et chacun se mettait en garde contre la démence du souverain ; mais peu d’hommes politiques avaient des principes arrêtés.

Le National, journal d’Armand Carrel, paru le 3 janvier 1830, représentait le groupe des avancés, et comptait Thiers et Mignet au nombre de ses collaborateurs. Tout naturellement, Thiers et Mignet donnaient dans l’occasion la main à des publicistes plus radicaux, à Cauchois-Lemaire et à bien d’autres.

La nouvelle feuille mit la Restauration en état de siège, si l’on peut dire ainsi. Elle s’occupa « d’enfermer les Bourbons dans la Charte, de fermer exactement les portes et de les forcer à sauter par les fenêtres ».

Thiers menait cette campagne, qu’on appela « un autre siège de Toulon ».

Parmi les rédacteurs les plus modérés figuraient Rolle, Dubochet et Prosper Mérimée.

Dans le principe, Armand Carrel ne fut qu’en sous-ordre au National, quoiqu’il eût eu la première idée de cette feuille, quoiqu’il en eût donné le titre. Il n’en devait prendre la rédaction en chef que plusieurs mois plus tard, quand ses principaux collègues entrèrent au gouvernement.

Tel était le mouvement des esprits et des hommes, lorsque la crise politique arriva, lorsque sonna l’heure de la lutte.

La protestation des journalistes contre l’ordonnance du 25 juillet 1830, qui violait la Charte, était signée par des libéraux de toutes nuances, depuis Charles de Rémusat, rédacteur du Globe, jusqu’à Nestor Roqueplan, rédacteur du Figaro (l’Ancien).

La protestation des députés était revêtue de signatures non moins variées en couleurs : Audry de Puyraveau, à côté de La Rochefoucauld ; Persil, à côté de Labbey de Pompières ; Lobau, à côté de Mauguin, etc.

Quiconque tenait une plume s’était jeté dans la mêlée, sans penser d’abord à combattre avec le fer.

Puis, on entendit Alexandre Laborde dire aux étudiants :

« Ce ne sont plus de vaines paroles que réclame le pays. Il faut recourir aux armes : une action unanime, forte et puissante, peut seule sauver nos libertés ! »

Thiers voulait des « têtes au bas de la protestation » ; voilà pourquoi il avait exigé des signatures.


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