LE DÉPART.



Qui ne s’est pas laissé bercer dans sa jeunesse par l’idéal d’un voyage d’outre-mer ?

Pour l’être humain, pour cette intelligence servie par des organes, où de sublimes aspirations font entendre leur grande voix sous le souffle divin, y a-t-il rien de plus attrayant que de voguer vers l’inconnu, de contempler l’immensité des mers faisant face à l’immensité des cieux ?

Enfin, mon rêve allait se réaliser : par une brillante matinée du mois d’août, j’étais au nombre des heureux passagers du « Victorian ».

Je voyais, non sans éprouver de vives émotions, le fier léviathan évoluer majestueusement dans le port de Montréal, auquel je disais un adieu momentané, au milieu des salutations affectueuses de mes parents et amis, agitant leurs mouchoirs, comme pour me souhaiter un heureux voyage.

Lorsque notre palais flottant défila vis-à-vis l’église Bonsecours, mes regards se portèrent naturellement avec amour et confiance vers la patronne des marins, ayant ses bras maternels tendus vers la rade de la métropole, comme pour la bénir et la sauvegarder.

* O *

Nous descendons le fleuve St-Laurent, aux rives fleuries, jalonnées par les clochers étincelants de nos belles paroisses canadiennes, les premières colonisées par nos pieux ancêtres.

Quand je vis apparaître à l’horizon la flèche de l’église de mon village natal, je sentis mon cœur battre plus fort :

— J’avais devant moi l’inoubliable tableau des lieux qui m’ont vu naître, témoins de mes premières courses dans la carrière de la vie ; et que de beaux souvenirs y sont attachés !

 
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme,
« Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »

Ce grand fleuve sur le sein duquel notre navire glissait rapidement, me représentait la course de nos jours, que rien ne peut arrêter, jusqu’au moment inéluctable où nous nous engouffrons dans cet océan inconnu que l’on nomme éternité.

* O *

Nous stoppons à Québec, à l’heure où les ombres de la nuit commençaient à voiler l’horizon.

Nous admirons les sites pittoresques de la vieille cité de Champlain et de Lévis, scintillante sous l’éblouissante lumière des myriades de lampes électriques qui éclairent le port.

Plus tard, défilent devant nous les bords enchantés de l’île d’Orléans, Beauport et son temple majestueux, la chute Montmorency, Ste-Anne de Beaupré, ce sanctuaire si cher au cœur des Canadiens nous rappelant les inépuisables faveurs de la grande Thaumaturge.

— Puis les rives semblent s’éloigner et nous fuir, les horizons s’élargissent ; nous sommes dans le golfe, nous longeons les côtes de la Gaspésie, l’île d’Anticosti, le Labrador ; nous voici déjà dans le détroit de Belle-Isle, à la sortie duquel la mer nous attend.

Bientôt nous perdons de vue les côtes de Terre-neuve et nous ne voyons plus que notre navire, le ciel et l’eau.



* O *