SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

Le duché d’Argyle et l’île de Mull.

Dans l’ouest de l’Écosse, comme à Venise, on peut toujours se rendre d’un point à un autre par terre ou par eau, selon son caprice, tant la contrée est coupée de lacs, de bras de mer et de canaux. La Clyde et le Loch-Long nous offraient le chemin le plus direct de Glasgow à Inverary et aux montagnes du duché d’Argyle ; mais comme auparavant nous voulions visiter le Loch-Lomond, le steamer de Greenock nous jeta en passant dans le port de la petite ville de Dunbarton. En avant de ce port s’élèvent deux noirs pitons au haut desquels le château de Dunbarton est bâti. Ce château et celui de Dunglas, dont on voit encore les restes au bord de la Clyde, défendaient du côté de l’ouest l’extrémité de la grande muraille d’Agricola. Des pans entiers de l’antique fortification sont encore debout sur les collines du voisinage, le lierre les revêt d’un épais manteau, et le peuple appelle ces ruines Grahame’s-Dyke, du nom du soldat picte qui, selon la tradition, franchit le premier la muraille romaine. Ce ne sont pas là les seuls vestiges de la domination des fils du roi du monde dans la Calédonie ; à Duntochar on voit aussi un pont dont on attribue la construction aux Romains, et qui, grace à son extrême solidité, est encore fort bien conservé.

Dunbarton, l’Alcluyd des anciens Bretons, le Bal-Clutha d’Ossian, l’Ilion des bardes, dont la Clyde (Clutha) était le Scamandre, est situé dans une contrée à la fois riante et sauvage. C’était là que combattait Fingal, que régnait Carthon, que soupirait la blonde fille de Cathmol. Dunbarton, la porte de la Clyde et des Highlands, garda sa réputation héroïque et passa long-temps pour imprenable. Ce fut la dernière des forteresses de l’Écosse qui tint pour la reine Marie à l’époque des guerres civiles. De nos jours Dunbarton faillit acquérir une grande et fatale renommée, quand le cabinet anglais, docile instrument des rois coalisés, au lieu d’un asile qu’il réclamait donnant une prison au héros qui se confiait dans la foi britannique, hésita entre Sainte-Hélène et la vieille forteresse écossaise. Sainte-Hélène fut choisie ; la prison était plus sûre, l’effet qu’on en attendait plus certain ; et puis à la façon dont les rois allaient gouverner, ce n’était pas excès de prudence de leur part de mettre toute la largeur de l’Océan entre Napoléon et la sympathie des peuples. Aujourd’hui Dunbarton n’est plus qu’une grande manufacture d’étoffes de laine, de toiles et de carreaux de vitres ; et au lieu de batailler contre le gouvernement comme au temps de la reine Marie, cette ville verse pacifiquement, dans ses caisses, une quarantaine de mille livres sterling de revenu.

Une charmante route, qui remonte le val de Leven, conduit de Dunbarton au Loch-Lomond. Cette route longe les flancs de collines agrestes et traverse plusieurs jolis villages. Dans l’un de ces hameaux, à Dalquharn-House, s’élève une belle colonne toscane surmontée d’une urne antique. Une longue inscription qui commence par ces mots Sta viator, couvre une table de marbre placée à la base de cette colonne ; nous nous arrêtâmes pour l’examiner, et l’on nous apprit que ce monument avait été élevé à la mémoire de Tobias Smollett, dans son hameau natal, par James Smollett de Bonhill, son cousin. Le célèbre docteur Johnson est l’auteur de cette inscription qui contient toute une oraison funèbre en une trentaine de lignes et qui est un modèle du genre. Un magnifique château de construction gothique (gothique moderne), situé sur une éminence, entouré de belles pelouses, où de grandes plantations d’arbres dessinent de riches massifs, se montrait à notre gauche, à un quart de mille de la route ; c’est le château de Tillichewn, propriété de M. Harrocks. Non loin de ce château nous passâmes le Leven au gué de Balloch. Au-dessus de ce gué et à la sortie des eaux du lac, s’arrêtent les bateaux à vapeur qui viennent prendre les passagers de Dunbarton ou de Glasgow. En attendant le départ de ces bateaux, nous montâmes sur les collines du voisinage ; la vue qu’on découvre de là est fort belle : d’un côté le val de Leven, Dunbarton et la Clyde couverte de voiles ; de l’autre, le Loch-Lomond de Balloch au pied du Ben-Lomond, qui, vers le nord, élève fièrement sa tête chauve[1]. La forme de cette montagne a quelque analogie avec celle du Righi vu des environs de Schwitz : la hauteur est à peu près la même, et si le Ben-Lomond paraît plus élevé que le Righi, c’est qu’il est plus isolé. La navigation sur le lac est délicieuse ; on passe entre des îles revêtues, la plupart, de bois touffus et où l’on voit errer de grands troupeaux de chevreuils et de daims. Les rives du Loch-Lomond, surtout du côté de l’ouest, sont couvertes de jolies bourgades : Rosdoe, Luss, Inveruglas, et de beaucoup de charmans cottages. À Inveruglas, le lac s’étrangle, et un pont pourrait joindre ses deux rives. À l’endroit de cet étranglement, et sur l’autre rive du lac, s’élève, au pied du Ben-Lomond, un joli bâtiment qu’on prendrait pour un château ; c’est l’excellente auberge de Rowardennan où les voyageurs de Glasgow, qui apprécient le comfort à l’égal du pittoresque, ne manquent jamais de faire une station. On part de l’auberge de Rowardennan pour faire l’ascension de la montagne. Le Ben-Lomond ne s’élève qu’à 3,190 pieds au-dessus du niveau de la mer ; auprès des Alpes ce ne serait donc qu’une colline. Aussi, quand le temps est favorable, l’ascension de cette montagne est-elle extrêmement facile, et dans aucun temps elle n’est dangereuse, comme des voyageurs, amis du merveilleux, se sont plu à le répéter. En temps ordinaire, c’est une promenade un peu fatigante, dont on peut faire cependant la meilleure partie sur le dos de petits chevaux qui gravissent lestement les pentes escarpées de la montagne. Le Ben-Lomond s’élève comme un obélisque isolé à la limite occidentale des basses-terres et des montagnes. De son sommet l’œil embrasse le panorama des deux tiers de l’Écosse, de l’embouchure du Forth et de la mer Germanique au Frith de la Clyde, et à l’Océan Atlantique ; du Ben-Nevis et des dernières chaînes des monts Grampians, dans les comtés d’Inverness et d’Aberdeen, aux montagnes du Cumberland et aux côtes bleuâtres de l’Irlande et de l’Île de Man. Du côté de l’est, on découvre une tache blanchâtre qui couvre le pied d’une colline ; c’est Édimbourg, et la colline Arthur’s-Seat ; du côté du sud, sous un dôme de vapeurs roussâtres, brillent les maisons neuves de Glasgow. Ce château, dont nous apercevons les formes confuses à nos pieds dans la plaine, c’est Stirling sur son rocher. Du côté du nord-ouest, le spectacle est plus extraordinaire encore ; la terre coupée de lacs, la mer semée d’îles nombreuses, se partagent également l’espace et y forment des découpures bizarres. Sous vos pieds, le Loch-Lomond s’étend comme un miroir qui reflète le ciel ; plus loin le Loch-Long et le Frith de la Clyde dessinent un Y. Par-delà le Loch-Long, le Loch-Fine s’allonge tortueusement dans les terres, comme un serpent bleuâtre qui semble poursuivre le Loch-Awe aux eaux plus vertes. Enfin, par-delà ces lacs et ces grands bras de mer s’étendent les terres de Jura, de Mull, d’Arran et tout l’archipel des Hébrides, dont les îles, au nombre de plus de deux cents, couvrent au loin l’Atlantique. La vue que l’on a du haut du Ben-Lomond est plus remarquable par son étendue que par sa magnificence. Ces grands bras de mer plombés, ces montagnes nues et brunes, ces collines déboisées et couvertes de bruyères rougeâtres, et la sombre végétation des plaines, donnent un aspect singulièrement triste au paysage, qu’ont peine à égayer les nombreuses habitations qu’on aperçoit sur les premiers plans.

La base du Ben-Lomond n’est guère formée que d’un immense bloc de granit rouge, de forme conique, veiné par places de schiste gris et de jaspe rouge. Partout où la roche n’est pas dénudée, des gazons ras, diaprés de fleurs alpines, de larges plaques de lichen des rennes[2] ou des bruyères très fourrées, couvrent les flancs de la montagne ; les coqs noirs ou coqs de bruyère, et les lagopèdes ou perdrix blanches (le grouse et le ptamirgan), vivent en grand nombre sur ses pentes les plus élevées ; des troupeaux de moutons et de bétail noir paissent sur les pelouses où l’herbe a remplacé la bruyère. Un enfant à demi nu, ou un vieillard enveloppé d’un plaid à carreaux de couleurs variées, surveille ces troupeaux. Ces pauvres gens passent de longues journées couchés entre deux rochers, et la nuit dans des huttes de terre couvertes de dalles de gazon. Quelquefois on les entend psalmodier d’une voix lente et monotone quelque complainte populaire. Leur existence solitaire paraît plus triste encore, si on la compare à celle des pâtres des vallées de l’Esk, de la Clyde et d’Ettrick.

En descendant du Ben-Lomond on ne doit pas oublier de visiter la prison de Rob-Roy. C’est une caverne creusée dans le rocher à trente pieds au-dessus du niveau du lac. C’était là le château fort et le quartier-général du brigand. La terre y est encore imbibée de sang, disent les cicerone du pays. Ce sang ne retombera point sur la tête du pauvre Rob-Roy ; c’est tout simplement une espèce d’ocre rouge provenant de l’oxidation d’une argile ferrugineuse qui remplit les fentes du rocher.

À Inveruglas, on retrouve l’excellente route qui part de Dunbarton et qui suit la rive droite du lac. Du haut du promontoire de Firkin-Point, l’œil embrasse toute l’étendue du lac, qui, du côté du sud, s’étend comme une vaste nappe d’argent, semée d’îles incultes ou verdoyantes[3] et entourée d’un amphithéâtre de vertes collines, et qui, du côté du nord, s’allonge noir et profond entre un double rang de montagnes escarpées ou de roches perpendiculaires. C’est un paysage dans le style sévère du Dominiquin ou de Salvator Rosa.

Au-delà de Firkin-Point, la route est tracée au fond d’un ravin que dominent des collines incultes et rocailleuses. Comme nous nous engagions dans ce défilé sauvage, M. William R. M. de Glasgow, mon compagnon de voyage, me raconta une fort singulière histoire de voleurs, qui date du dernier siècle, et dont la route que nous parcourions, alors beaucoup moins fréquentée qu’aujourd’hui, fut le théâtre. Un riche seigneur anglais, lord Berkeley, avait parié une somme considérable qu’en voyage il ne se laisserait jamais voler par un homme seul, et, par une sorte de bravade tout-à-fait dans le goût du temps, il avait ajouté que, volé par un homme seul, il ne se regarderait pas comme volé, et ne poursuivrait jamais le voleur. Cette promesse d’impunité était encourageante pour les amateurs ; les gazettes répandirent dans tout le Royaume-Uni l’étrange défi de lord Berkeley, et comme dans ce temps-là les voleurs de grands chemins étaient à peu près aussi communs que les filous le sont aujourd’hui, lord Berkeley se vit bientôt en butte aux attaques des plus déterminés d’entre eux. Les bandits mirent, du reste, une sorte de point d’honneur à accepter les conditions de l’espèce de duel que lord Berkeley avait proposé, et à ne l’attaquer que seul à seul. Mais tous ceux qui tentèrent de surprendre le lord, toujours sur ses gardes, payèrent chèrement leur témérité ; il tua les uns, estropia les autres ; aussi les voleurs n’osèrent-ils plus s’attaquer à un si rude jouteur. Vers ce temps-là, sir Joseph Banks, revenant de visiter l’Islande, découvrit et rendit fameuses les grottes basaltiques de Staffa. Lord Berkeley, grand amateur de voyages, eut envie de visiter ces grottes, et par occasion de faire un tour en Écosse. Or, à cette époque, les montagnes du Lochaber et du duché d’Argyle étaient exploitées par un fameux voleur de la race de Rob-Roy, qui se réfugiait, comme lui, au milieu des rochers et des montagnes du centre de l’Écosse, et que, jusqu’alors, les soldats du fort William, d’Inverary ou de Glasgow, n’avaient pu prendre. Ce brigand avait eu connaissance du défi de lord Berkeley, et il fut averti, par un de ses camarades de Glasgow, que ce seigneur devait quitter cette ville, tel jour, à telle heure, pour se rendre par Inverary dans les îles. Mac-Quarry, c’était le nom du brigand, monté sur un des petits chevaux du pays, attendit lord Berkeley sur la route d’Inverary. Vers le soir il aperçut la voiture du lord qui longeait les rives du Loch-Lomond. Il prit les devans, descendit de cheval et se plaça au bord du chemin, dans la partie la plus sauvage et la plus déserte du défilé ; il était nuit quand lord Berkeley arriva à l’endroit où le bandit était embusqué, et comme depuis long-temps il n’avait pas été attaqué, et que, d’ailleurs, il ne voyageait plus en Angleterre, il ne se tenait pas sur ses gardes, et il s’était endormi au fond de sa chaise de poste. Tout à coup il est réveillé en sursaut par la voix d’un homme qui lui présente le bout d’un pistolet, à deux pouces du visage, en lui disant poliment : — Milord, la bourse ou la vie ? — Dieu me damne, je suis pris ! s’écrie le lord, en mettant la main dans la poche de son habit, comme pour chercher sa bourse. — Oui, vous voilà pris, et bien pris ! et c’est Mac-Quarry seul qui a dévalisé lord Berkeley, reprend le voleur avec un accent d’orgueilleuse satisfaction. — Ah ! pour cela, tu en as menti, lui dit froidement le lord, et sois bien sûr que je ne te donnerais pas mon argent, si dans ce moment je ne voyais pas un de tes camarades derrière toi. — Impossible ! s’écrie le voleur, et il se retourne machinalement pour voir qui est là. Lord Berkeley saisit ce moment ; au lieu de sa bourse il tire rapidement un pistolet de sa poche et brûle la cervelle au bandit. Depuis on n’essaya plus de le voler.

À Tarbet, la route quitte la rive du Loch-Lomond, et tourne à l’ouest ; nous dîmes adieu au lac des îles flottantes, des vagues sans vent et des poissons sans nageoires[4], sans avoir pu cependant apercevoir aucune de ces merveilles, et après vingt minutes de marche, nous arrivâmes à Arroquhar, sur le Loch-Long. Les eaux de ce lac qui n’est qu’un embranchement du Frith de la Clyde, sont salées, et le flux et le reflux se font fortement sentir sur ses bords. Les pirates norvégiens et danois profitèrent plus d’une fois de la petite distance qui sépare les deux lacs pour faire passer leurs vaisseaux du Frith de la Clyde dans le Loch-Lomond, en les traînant sur des rouleaux. De cette façon ils pénétraient au cœur du pays, sans s’écarter de leurs forteresses flottantes. Le 8 du mois d’août de l’an 1263, tandis que Haco, ou Haquin, le dernier de ces pirates, pillait les îles du Loch-Lomond, le gros de son armée fut défait à la bataille des Largs, par Alexandre III, le plus brave et le meilleur roi qu’ait eu l’Écosse. Seize mille de ces barbares restèrent sur le champ de bataille, et Haco, abandonnant honteusement la plupart de ses vaisseaux, s’enfuit avec les débris de son armée. Du Loch-Long au Loch-Fine, entre ces deux bras de mer qui pénètrent jusqu’au centre du duché d’Argyle, la route traverse un pays d’un aspect désolé, coupé de torrens et dominé par d’arides collines couvertes de bruyères, ou par des montagnes rocheuses. En quittant Arroquhar et en tournant l’extrémité nord du Loch-Long, un de nos compagnons écossais nous fit remarquer une colline qui dominait toutes les autres. — À quoi trouvez-vous que ressemble cette montagne ? nous dit-il avec l’air de satisfaction d’un homme qui a quelque étonnante nouvelle à vous apprendre. — À une montagne, parbleu. — Nullement, cette montagne, dans son ensemble, a quelque chose de l’aspect d’un cordonnier assis et à l’ouvrage ; aussi l’appelle-t-on the Cobler (le cordonnier). J’ouvris de grands yeux, mais, quelle que fût ma bonne volonté, je ne pus rien découvrir, dans l’amas de roches qui se dressait devant moi, qui rappelât, même confusément, l’aspect d’un cobler. La montagne, de son côté, ne se mettait guère en frais pour justifier son nom, car nous la tournâmes sur trois faces, et de ces trois côtés elle ne se montrait que sous la forme d’un gros pain de sucre écorné. Nulle apparence de tête, de bras ni de jambes ; je ne sais si le pauvre Cobler était mieux bâti autrefois, mais aujourd’hui il est terriblement mutilé. Il est vrai que, planté comme il est à la limite de ces lacs étroits dans lesquels s’engouffrent les vents de mer, les élémens lui font une guerre terrible.

Nous avions perdu de vue depuis une heure le tronc dépouillé du Cobler, quand nous arrivâmes au sommet d’un petit col sauvage où l’on a placé un banc de pierre avec cette inscription : « Rest-and-be-thankful ; repose-toi et sois reconnaissant. » Nous nous reposâmes, et tandis que nous étions assis, on nous raconta que ce banc avait été dressé par les soldats du général Wade, à l’époque où ils ouvraient, dans cette contrée sauvage, qu’on appelle le Glen-Croë, la route militaire que nous parcourions. De ce banc à Kinglass on traverse le Glen-Kinglass, petite vallée très solitaire et très sauvage, et l’on est charmé en arrivant au bord du Loch-Fine, au-delà du Glen-Fine, de retrouver un pays bien cultivé, et ce qui est plus merveilleux, de retrouver de grands arbres : ce sont les domaines qui entourent le parc et le château du duc d’Argyle. La Shira et l’Ary, que l’on passe sur de beaux ponts dont le dernier est tout neuf, arrosent cette belle contrée ; au-delà de ce deuxième pont et sur les bords du lac, est bâtie la ville d’Inverary, capitale du duché d’Argyle.

Si le Loch-Fine est l’un des lacs les plus pittoresques de l’Écosse, Inverary en est une des plus jolies villes. Ses maisons, neuves la plupart, s’étendent en demi-cercle sur la rive du lac, qui, au nord de la ville, découpe une baie profonde. Dans cette espèce de port naturel sont amarrés les nombreux bâtimens qui font la pêche du hareng sur le lac. Ces harengs, à ce qu’on nous assura, sont supérieurs à ceux que l’on pêche dans les autres contrées de la Grande-Bretagne. Pendant la saison de la pêche, c’est-à-dire pendant six mois au moins, de juillet à janvier, quatre cents bâtimens sont occupés sur le Loch-Fine à la seule pêche du hareng, et recueillent quinze à vingt mille barils de poisson, qu’on exporte dans tout le royaume. Il faut que les eaux du Loch-Fine aient un puissant attrait pour ce poisson, car, malgré la rude chasse qu’on lui fait annuellement, jamais, depuis plusieurs siècles, il n’a manqué de visiter périodiquement la baie d’Inverary. Aussi cette ville a-t-elle pris pour armes un poisson dans un filet. Ces armes sont bien choisies, car je n’ai jamais vu autant de poissons et de filets qu’à Inverary.

Inverary, depuis quatre siècles, a été la principale résidence de la puissante famille des ducs d’Argyle ; c’est là que leur château est bâti. Il consiste en un grand et imposant édifice de forme gothique, qui rappelle, sur de plus petites dimensions, l’architecture du palais de Windsor, et qui ne date cependant que du dernier siècle. Le principal corps de bâtiment est flanqué de grosses tours aux quatre angles. Ces tours, comme le reste de l’édifice, sont construites avec une espèce de granit d’un bleu d’ardoise. L’aspect sévère et majestueux que donne à l’habitation des ducs d’Argyle la couleur sombre de ce granit est du reste parfaitement en harmonie avec le paysage qui l’entoure. L’intérieur du château répond aussi à son extérieur ; ses vastes salles, revêtues de boiseries armoriées, sont ornées d’attributs militaires et de trophées disposés avec goût. Une magnifique galerie conduit des salles d’armes aux appartemens des seigneurs. Ces appartemens sont décorés avec une magnificence vraiment royale. Quelques-uns des ducs et des marquis d’Argyle ont aimé et protégé les arts : aussi trouve-t-on dans les galeries du château un assez grand nombre de tableaux. Les seuls remarquables sont des portraits de famille, les portraits du comte d’Argyle, qui eut la tête tranchée sous Charles II, et de l’infortuné marquis qui périt sous Jacques VII, du supplice de la maiden (guillotine). On voit encore dans les petits appartemens du château d’assez bons paysages de Williams et de Nasmyth. Enfin, les tapisseries qui revêtent la muraille du salon principal sont aussi de fort curieux ouvrages. Les parcs et les domaines du château comprennent un espace de trente milles au moins de circonférence ; ces parcs et ces domaines du château d’Argyle peuvent rivaliser avec les plus beaux parcs anglais ; et, chose rare en Écosse, les arbres y sont aussi vigoureux que ceux des parcs de Windsor, de Kenilworth et de Warwick. Quelques-uns même, comme le tilleul qu’on a nommé l’arbre du mariage, à cause d’une singularité que présente son embranchement, peuvent être mis au nombre des plus beaux arbres de toute l’Angleterre.

Walter Scott, dans la Légende de Montrose, décrit en fort beaux vers le paysage d’Inverary, qu’il proclame l’un des plus pittoresques que puisse offrir la nature, et des plus romantiques de l’Écosse. L’Ary, qui dans son cours forme plusieurs belles cascades, les chutes de Carlonan et de Lenach-Gluthin entre autres, traverse les domaines du duc d’Argyle, et, de distance en distance, des collines agrestes, dont quelques-unes atteignent à une hauteur de sept cents pieds, s’élèvent comme autant d’observatoires naturels d’où l’œil embrasse tout le pays.

Une charmante route, qui remonte la rive droite de l’Ary, conduit en quelques heures d’Inverary à Port-Sonachan, sur le Loch-Awe. Le Loch-Awe est un vaste bassin d’eau douce comme le Loch-Lomond ; comme ce lac, il est semé d’îles nombreuses, et dominé, vers sa partie septentrionale, par une énorme montagne, le Ben-Cruachan, qui s’élève à trois mille trois cent quatre-vingt-dix pieds de hauteur. Sur les îles et les promontoires du lac on voit les ruines de plusieurs châteaux, dont le plus considérable est Kilchurn-Castle. Ce château fut bâti en 1440 par Cailen-Uaine, ou Colin-le-Vert, l’un des chefs des Campbell et des ancêtres des Breadalbane que défit le fameux Donuilnan-Ord, Donald-du-Marteau, dont Walter Scott nous a raconté l’histoire.

La navigation du Loch-Awe est des plus dangereuses, surtout dans sa partie nord-ouest, qui s’appelle Pool-Awe. Nous avions pris à Port-Sonachan une petite barque non pontée, qui devait nous déposer au pied du Ben-Cruachan, sur la route de Dalmally à Bunawe. Nous étions arrivés aux deux tiers de la distance que nous avions à parcourir, et nous sortions du groupe d’îles couvertes de broussailles qui semblent la continuation du promontoire de Kilchurn, quand tout à coup nous entendîmes un bruit singulier dans la montagne. Le ciel était serein ; seulement quelques petits nuages roux, venant de l’ouest, passaient rapidement sur nos têtes.

— Hâtons-nous, s’écria le plus vieux de nos deux rameurs, Ben-Cruachan commence à gronder ; nous pourrons recommander notre âme à Dieu si avant une demi-heure nos pieds ne reposent pas sur le plancher des chèvres. — Le bruit se fit entendre de nouveau, et le ciel commença à s’obscurcir du côté de la mer ; nos deux rameurs n’ajoutèrent pas une parole, mais, courbés sur leurs rames, ils faisaient voler le canot vers le point de la côte où nous comptions débarquer. Dans ce moment le bruit sourd que nous entendions depuis un quart d’heure devint plus distinct, et il fut facile de reconnaître le mugissement d’un vent furieux qui se déchaînait contre les pics les plus élevés du Cruachan, et qui redescendait à travers les bois qui recouvrent sa base vers le lac. Tout le Pool-Awe, du côté de l’ouest, était déjà enveloppé d’une brume épaisse qu’amenait le vent de mer.

— Nous n’arriverons pas à temps, s’écria le vieux rameur, la tempête n’est plus qu’à un mille de nous.

— Oui, là-bas le lac est tout blanc d’écume ; gagnons la rive la plus voisine, répondit froidement son compagnon.

Nous tournâmes le dos au point vers lequel jusqu’alors nous nous étions dirigés, et nous nageâmes vers une petite langue de terre qui s’allongeait dans le lac à une cinquantaine de toises de nous. À peine la moitié de la barque était-elle cachée par l’extrémité de cette pointe que le vent fondit sur nous avec fureur. Heureusement, dans notre course rapide, nous l’avions eu bientôt dépassée d’une longueur de barque, et nous étions abrités par le petit promontoire que dominaient des rocs élevés : sans cela nous aurions infailliblement chaviré. Le lac, en effet, ne présentait plus derrière nous qu’un mélange confus d’écume et de brouillard ; nous étions néanmoins hors de danger, et avant que l’ouragan nous eût gagnés, nos gens avaient échoué notre canot au fond de la petite anse où nous venions de nous réfugier, et l’avaient traîné sur les cailloux, hors de la portée des vagues.

Le coup de vent dura deux grandes heures, que nous passâmes étendus sous des rochers qui nous offraient un abri bien préférable à celui que nous eussions pu trouver sous le meilleur water-proof. Tout en observant les divers effets de la tempête sur le lac, qui venait mugir à nos pieds, couché sur le sable fin et bercé par le bruit monotone des vagues et les sifflemens du vent dans les bois de sapins du Ben-Cruachan, j’avais fini par m’endormir, sans égard pour le pittoresque de la scène, quand tout à coup je fus tiré de mon sommeil de la manière la plus étrange. Je me sentais vigoureusement tiré en arrière par les basques de mon habit. Je me retournai vivement ; mais, au lieu d’un voleur que je m’attendais à surprendre en flagrant délit, je me trouvai en présence d’un petit poney tout velu, qui fit un bond en arrière en me regardant d’une façon des plus espiègles. Je portai la main à la basque que l’animal avait saisie, et qui ne tenait plus qu’à un fil, et je devinai aussitôt quelle avait été la cause de son indiscrétion. Le poney avait senti, à travers l’enveloppe qui les recouvrait, quelques petites galettes de farine d’avoine (cakes) qu’en quittant Inverary j’avais, par mesure de précaution, placées dans ma poche ; et pendant mon sommeil il avait voulu s’en emparer sans plus de façons. Ne pouvant ouvrir la poche, il avait trouvé plus simple de l’enlever à la manière des coupeurs de bourse. Tout en jurant après le voleur, je ramassais une pierre pour la lui jeter. — Arrêtez ! me cria un de mes rameurs, arrêtez ! C’est peut-être le Kelpie ; le Kelpie est venu vous rendre visite, et c’est bon signe. — Le Kelpie ? — Mais oui, le Kelpie ; c’est l’esprit familier des lacs. Et là-dessus le brave homme me raconta de merveilleuses histoires de l’esprit, beaucoup trop familier, qui prouvaient plutôt en faveur de la simplicité du narrateur qu’en faveur du bon naturel du Kelpie. Une fois le Kelpie, sortant d’un fourré de saules, était venu galoper au milieu d’une bande d’enfans qui jouaient au bord du lac. Le Kelpie s’était couché à leurs pieds, se laissant caresser comme un chien, hennissant de plaisir, leur présentant la croupe avec une docilité tout-à-fait engageante. L’un des enfans s’y était assis, puis un second, puis un troisième, puis enfin toute la bande ; car, à mesure qu’un nouveau cavalier se plaçait sur le dos du petit cheval, sa croupe s’alongeait de manière à faire place à ceux qui restaient. Un seul, plus timide ou mieux avisé que les autres, n’avait pas voulu s’y asseoir. Tout à coup le Kelpie se mit à hennir d’une manière bruyante et à caracoler, à la grande joie des enfans qui se pressaient sur son dos. Mais au même instant, prenant le galop, il s’était élancé en trois bonds du côté du lac, et il avait disparu sous les eaux avec sa proie. Une autre fois, dans la montagne, une procession traversant un petit lac gelé vit tout à coup la glace s’ouvrir sous ses pas, et deux cents personnes furent noyées. C’était encore le Kelpie qui, par passe-temps, avait brisé la glace avec sa croupe. Depuis on a appelé ce lac le lac des corps morts (loch-au-nan-corp). De ces récits et de beaucoup d’autres du même genre le montagnard tirait pour conclusion que le Kelpie était un être extrêmement respectable, et surtout qu’il fallait bien se garder de faire aucun mal au poney qui avait avalé ma poche, ce poney étant peut-être le Kelpie. Ses recommandations étaient bien inutiles, car l’agilité seule du petit animal lui assurait l’impunité.

Cependant le vent et la pluie avaient cessé ; nous remîmes la barque à flot, et, bravant les vagues encore agitées du lac, nous ne tardâmes pas à arriver à l’endroit où nous avions donné rendez-vous au chariot de Dalmally. Nous suivîmes ensuite une route taillée dans le roc, sur les flancs du Ben-Cruachan, dans la partie de la montagne où Robert Bruce défit, en 1308, l’armée des Macdougals de Lorn. Nous arrivâmes, à la nuit tombante, à Bunawe, sur le Loch-Etive. Bunawe est à la fois une pêcherie et une forge ; mais ce ne sont plus des harengs, comme à Inverary, ce sont des saumons qu’on prend abondamment dans le Loch-Etive. Les saumons sont attirés dans ce lac par les nombreuses chutes de l’Awe, qui verse le trop plein du Pool-Awe dans le Loch-Etive, au-dessus du Bunawe.

La tempête du matin nous avait dégoûtés de la navigation des lacs ; nous fûmes donc sourds aux magnifiques offres que nous faisait le patron d’une petite barque de nous conduire, en quelques heures, aux ruines du château de Dunstaffnage, et de là, au port d’Oban, sur la grande mer. Nous préférâmes la voie de terre, comme plus rapide et plus sûre, et nous n’eûmes pas tort ; car la matinée du lendemain fut encore extrêmement orageuse, et les aperçus du Loch-Etive, que nous eûmes plus d’une fois du fond de la calèche qui nous conduisait à Oban, furent assez significatifs pour ne nous laisser aucun regret. Ce fut bien pis encore quand, d’Oban, où nous étions arrivés après trois heures de route, nous nous fûmes rendus à la magnifique ruine du château de Dunstaffnage. De la pointe de rochers sur laquelle le château est bâti, aux îles de Lismore et de Kerrera, la mer ne présentait qu’une vaste nappe d’écume d’où sortaient quelques îlots sombres et une multitude de rocs noirs formant de redoutables écueils au milieu desquels il semblait impossible qu’une barque ne se perdît pas ; et en effet pas une voile ne se montrait à l’horizon.

On m’avait raconté tant de merveilles du château de Dunstaffnage, ce berceau de la monarchie écossaise, que j’étais impatient de visiter ses ruines. Elles rappellent, mais sur une échelle beaucoup plus grande, les débris de tous ces nombreux châteaux qui s’élèvent au sommet de chaque éminence et sur chaque promontoire du duché d’Argyle. Une partie de ses murs m’a paru avoir une grande analogie avec les restes de la muraille d’Adrien (Grahame’s-Dyke). Je serais donc fort disposé à croire que cette résidence des premiers rois du pays fut, dans le principe, une forteresse romaine. Le château, dont les murs extérieurs sont seuls restés debout, couvrait un grand espace de terrain ; sa forme était un carré long, flanqué de tours rondes à ses angles, comme le palais d’Holyrood, à Édimbourg ; la porte principale du château s’ouvrait du côté de la mer. Les chefs ou rois des tribus galliques de l’ouest habitèrent le château de Dunstaffnage jusqu’au milieu du IXe siècle. Dans l’année 843, Kennet, fils d’Alpin, roi de l’Albanie occidentale ou des Galls et des Scotts, ayant soumis les Pictes, habitans de la plaine, les mangeurs de pain, comme les montagnards les appelaient par dérision, déserta le pays natal, et, abandonnant la vieille forteresse de Dunstaffnage, fixa son séjour dans ce pays, où croissaient les moissons, et que, naguère, méprisaient ses ancêtres. Scone et Dumferline devinrent les capitales des Scots, et Kennet fit transporter dans la première de ces deux villes la pierre sacrée sur laquelle les rois des îles et des montagnes de l’ouest montaient le jour de leur couronnement. Debout sur cette pierre, de sept pieds carrés environ, le nouveau roi qu’allait sacrer l’évêque d’Argyle, assisté de sept prêtres, jurait, en brandissant l’épée royale, de conserver à chacun ses droits et de rendre à tous bonne justice. Cette cérémonie avait lieu en présence de tous les grands chefs des îles et du continent, réunis et assis en cercle sur des siéges taillés dans le roc. La pierre de Dunstaffnage, le plus simple de tous les trônes, resta à Scone jusqu’au XIIIe siècle. À cette époque, le roi d’Angleterre Édouard Ier, ayant conquis l’Écosse à l’aide de ces archers qui, montrant leurs douze flèches, disaient qu’ils portaient douze Écossais dans leurs trousses, s’empara de la fameuse pierre, et la fit transporter à grands frais dans l’église de l’abbaye de Westminster, où on la voit encore aujourd’hui, et sur laquelle le roi d’Angleterre s’assied encore le jour du couronnement. Si la conservation de la pierre royale de Dunstaffnage n’avait rien d’extraordinaire, celle des ornemens et attributs de la royauté (regalia), jusqu’au commencement du dernier siècle, était beaucoup plus merveilleuse, surtout quand on songe aux nombreuses guerres et révolutions qui, depuis la conquête d’Édouard, avaient agité le pays : le châtelain de Dunstaffnage en avait la garde. Dans les premières années du dernier siècle, des domestiques infidèles, profitant de sa vieillesse et de sa cécité, les volèrent et les vendirent à des juifs, qui firent fondre le vieux sceptre d’argent, l’épée à poignée richement travaillée, la couronne et les autres joyaux. Il n’est resté de ces monumens curieux qu’une hallebarde, ou lochaber axe, d’une dizaine de pieds de longueur. Le travail en est remarquable, et les incrustations d’argent dont elle est ornée sont d’un goût excellent. Cette hallebarde était trop longue et trop lourde pour être facilement emportée : c’est à cette particularité seulement qu’on doit sa conservation. Plus tard M. Campbell, l’un des derniers propriétaires du château de Dunstaffnage, a trouvé, sous ses décombres, une petite statue d’ivoire représentant un roi assis sur son trône, la couronne en tête, et tenant de la main gauche un livre de lois. La figure du monarque exprime la méditation ; sa barbe est longue ; son habillement, et surtout son manteau, bordés de fourrure, ressemblent aux anciens costumes danois. Cette statue, qu’on fait remonter au ve ou au VIe siècle, c’est-à-dire au temps de la domination des Galls et des Scots dans cette partie de l’Écosse, a fort occupé les antiquaires depuis que M. Pennant en a donné une description. Tous s’accordent à la classer parmi les plus curieux monumens galliques, et cependant, nous le répétons, le costume du roi qu’elle représente n’a rien de commun avec les costumes des habitans de l’Albanie ou des Scots et des Pictes, tels que Claudien ou Tacite les ont décrits. Dunstaffnage devint, vers le XIVe siècle, la résidence des lords des Îles ; c’était à la fois leur forteresse et leur maison de plaisance. La situation en était du reste admirablement choisie ; car elle commande à la fois la belle péninsule de la haute Lorn, la terre de Morvern et les îles de Lismore, de Mull et de Kerrera.

À peu de distance du château s’élève une petite chapelle gothique d’un précieux travail. Plusieurs rois d’Écosse furent enterrés dans cette chapelle, dont le faîte, en s’abîmant, a encombré l’intérieur et recouvert les tombes d’une épaisse couche de débris. Non loin de cette chapelle, si l’on se tourne du côté d’un roc isolé qui s’élève à une grande hauteur et si l’on parle à demi-voix, on entend un écho répéter intelligiblement chaque syllabe.

Pendant que nous visitions ces curieuses ruines, le temps était redevenu serein et le vent s’était calmé ; nous retournâmes à Oban par une magnifique soirée. Oban est une petite ville très florissante. Elle doit sa prospérité à son port, qui est assez vaste et assez profond pour recevoir des bâtimens d’un fort tonnage, et à sa situation à l’entrée du Caledonian canal du côté de l’Atlantique. Oban est aussi le centre des pêcheries des lacs du nord et des îles, et des pêcheries de l’ouest ; car cette ville se trouve sur le passage des grandes migrations des harengs, des morues et des haddocks ; aussi Oban, qui n’était qu’un hameau il y a une quarantaine d’années, est-elle aujourd’hui l’une des plus jolies villes du duché d’Argyle.

Elle offre tout le comfort qui distingue les ports anglais du second ordre : un établissement de bains, d’excellentes auberges et des marchés bien fournis de viandes, de poissons et de vins ; sa baie, profonde de 15 à 30 brasses, est assez vaste pour contenir 300 vaisseaux marchands ; ses maisons, neuves la plupart, sont bâties en pierre que l’on tire d’une carrière située dans les montagnes qui avoisinent la ville.

L’aspect d’Oban, au milieu d’une belle soirée, était encore rendu pour nous plus gai, plus vivant, par le souvenir du manoir désolé de Dunstaffnage ; et cependant les environs de la ville naissante sont agrestes, et la campagne qui l’entoure est dominée par de hautes montagnes que le vent d’ouest a dépouillées. Couvertes de mousses et de bruyères de la base au sommet, ces montagnes présentent çà et là de larges bancs de rochers bleuâtres ou roussâtres, de brèches et de schistes disposés par couches. La mer qui baigne la côte d’Oban est coupée par de hauts promontoires et par des groupes d’îles qui se réunissent à l’horizon, et forment de longues chaînes de montagnes irrégulièrement dentelées, que dominent du côté du sud deux énormes pitons, les mamelons de Jura (paps of Jura) situés dans l’île du même nom.

Pendant que nous nous promenions sur le port, le patron d’une barque s’approcha de nous en souriant :

— Vous êtes étrangers ? nous dit-il.

Nous répondîmes affirmativement.

— D’où venez-vous ? où allez-vous ? ajouta-t-il avec l’air de curiosité naturel aux montagnards.

— Nous venons de Glasgow ; nous voulons visiter les îles.

— L’île de Mull, peut-être ?

— Oui, l’île de Mull.

— En passant par le Pont des Galls ?

— Non, en prenant le bateau de Kerrera.

— Le pont des Galls vaudrait mieux. Le Pont des Galls, c’est une bonne barque de pêcheurs comme celle de Mac-Dougal de Lismore, une barque qui vous transportera à Aros à l’autre bout de l’île de Mull en moins de temps que vous n’en mettrez pour passer de Kerrera à Achnacraig, à moins que dans le trajet vous ne vouliez vous donner le plaisir de la pêche.

Mac-Dougal de Lismore, qui nous offrait si gracieusement sa barque, devait partir le lendemain pour Aros. Profitant donc de l’occasion, nous louâmes la seule cabine du bâtiment pour quelques schellings, nous y fîmes porter nos bagages, et le lendemain, au point du jour, nous mettions le pied sur le Pont des Galls, comme Mac Dougal et ses trois hommes achevaient de lever l’ancre. La journée était magnifique et le vent favorable. Au moment où nous doublions la pointe de la grande île de Lismore, nous vîmes le soleil se lever, avec une splendeur peu commune dans ces contrées et dans cette saison, sur les hauts sommets du Ben-More et du Ben-Lomond. Le vent et la marée descendante nous favorisaient ; aussi, après quelques heures de navigation, voguions-nous dans le sound de Mull. Nous déjeunâmes à bord avec d’excellens poissons qu’amenaient à chaque coup de filet les hommes de l’équipage. Le poisson blanc, le haddock, les plies, le cuddies, se trouvent en grande abondance dans ces parages, et c’était un spectacle amusant de les voir se débattre sur le pont chaque fois qu’on retirait le filet. Vers le tiers du jour, l’ardeur du soleil étant devenue fatigante, on étendit une voile, et nous nous couchâmes à l’ombre. La marée commençait à nous contrarier ; et quoique nous eussions pour nous le vent, nous ne marchions que lentement le long des côtes solitaires de la presqu’île de Morvern. À la longue, le balancement du navire et la monotonie du spectacle nous avaient plongés dans une sorte de rêverie que l’assoupissement ne tarda pas à suivre. Tout à coup je fus réveillé par la voix de Mac-Dougal qui me frappait sur l’épaule : — Levez-vous, me criait-il, et venez voir un beau coup de harpon. Je me frottai les yeux, et je me levai machinalement. On venait de descendre le canot, deux hommes s’y étaient placés, et ramaient en silence du côté d’un objet que je pris d’abord pour un quartier de roche ardoisée qui sortait de la mer à une vingtaine de pieds du navire. — Basking-shark ! basking-shark ! répétait Mac-Dougal en filant la corde à laquelle était attaché un harpon qu’un des hommes du canot tenait levé. En regardant avec plus d’attention, je vis bientôt que ce que j’avais pris pour un rocher, était un gros poisson d’une quinzaine de pieds de longueur qui dormait au soleil couché sur le dos. Près de lui, un poisson de la même espèce, mais plus petit, le mâle, me dit à voix basse Mac-Dougal, nageait sur le ventre, mais paraissait aussi endormi. Le sommeil du basking-shark, que les habitans de la côte appellent encore le nautile, était profond ; car le harponneur put l’approcher sans qu’il eût fait un mouvement ; quand il ne fut plus qu’à trois pieds de l’animal, il examina soigneusement la place où il fallait frapper, et planta son harpon le plus près possible des ouïes.

— Il est mort ! m’écriai-je, voyant que le poisson ne faisait aucun mouvement.

— Non, il dort, me dit Mac-Dougal.

— Alors il a le sommeil dur.

— Extrêmement dur.

J’en avais la preuve, car les deux pêcheurs, réunissant leurs forces, poussaient le harpon le plus avant qu’ils pouvaient dans l’ouïe de l’animal, absolument comme s’il se fût agi d’enfoncer une barre de fer entre deux pavés.

Auld clouty a la couenne épaisse, me dit Mac-Dougal en fronçant le sourcil ; ah ! le voici qui se réveille.

Le nautile, en effet, venait de se retourner doucement sur le ventre, présentant maintenant à la vue son dos bleu et luisant, et restant toujours dans l’inaction.

— Le harpon tient ferme, dit l’un des deux pêcheurs, la bête est à nous ; mais il faudra filer du câble, car dans cet endroit la mer est profonde.

Dans ce moment quelques gouttes de sang teignirent l’eau dans le voisinage du nautile.

— Garde à vous ! cria Mac-Dougal d’une voix tonnante, la chair est entamée et la bête est chatouilleuse.

Il n’avait pas encore achevé quand le nautile, sortant tout entier de l’eau, décrivit en fureur un double cercle et descendit au fond de la mer plus rapide qu’un boulet qu’on laisserait tomber du pont d’un navire. Quand il eut pris une vingtaine de toises de câble, il s’arrêta.

— Il a touché le fond et il se roule sur le sable pour se débarrasser du harpon, nous dit Mac-Dougal ; tant mieux, il sera plus tôt à nous.

En effet, au bout de quelques minutes, le nautile reparut à la surface de l’eau, épuisé et comme assoupi.

— Le drôle fait le mort, mais ce n’est pas là sa dernière promenade.

Mac-Dougal ne se trompait pas, car le poisson que nous traînions à la remorque, plongea et replongea plusieurs fois avant que nous eussions pris terre dans une petite baie de la côte de Morvern ; mais d’instans en instans ses mouvemens perdaient de leur violence, et, quand nous jetâmes l’ancre, il était épuisé par la perte de son sang, et nos pêcheurs n’eurent pas de peine à le traîner sur le sable où bientôt tout mouvement cessa. Alors le côté pittoresque de la pêche fit place au côté matériel, et la besogne la plus horrible commença. Nos pêcheurs, presque nus, armés de haches, se mirent à charpenter le malheureux animal qui s’agitait convulsivement, comme des bûcherons qui équarrissent un tronc d’arbre qu’ils viennent d’abattre. Ils l’eurent bientôt ouvert dans toute sa longueur, et, quand la bête fut démolie, ils arrachèrent ses entrailles et son foie chargé de graisse, qu’ils portèrent, par morceaux de soixante à cent livres, au fond de cale de la barque. Mac-Dougal, dégouttant de sang, de graisse et de fange, se frottait les mains joyeusement.

— La journée est bonne, disait-il, nous tirerons bien six barils d’huile du foie de la bête : c’est 12 livres de gagnées.

Ce travail repoussant dura plus de deux grandes heures au bout desquelles on laissa sur la plage le poisson éventré et vidé, mais qui cependant vivait encore, comme on pouvait en juger par de petits mouvemens convulsifs de la queue.

— Les pauvres gens de la côte, les chiens et les oiseaux de Morvern, vont faire de bons repas pendant une semaine avec ce que nous laissons là, dit Mac-Dougal en abandonnant avec un véritable regret les énormes débris du poisson ; mais la marchandise est trop abondante, et d’ailleurs il n’y a que le foie du basking-shark qui vaille quelque chose.

Au bout d’une demi-heure, nos hommes, ayant changé de vêtemens, étaient redevenus propres comme des matelots endimanchés, et nous voguions gaiement vers Aros.

J’avais profité de notre relâche sur la côte de Morvern pour visiter les ruines du château d’Ardtornish, situées sur un roc non loin de la baie où nos pêcheurs dépouillaient leur proie. Walter Scott, dans le Lord des Îles, a si bien décrit ce château, que je ne puis mieux faire que répéter ses vers.

« Ardtornish, on her frowning steep
Twixt cloud and ocean hung
Hewn in the rock, a passage there
Sought the dark fortress by a stair,

So straight, so high, so steep
With peasant’s staff, one valiant hand
Might well the dizzy pass have mann’d
Gainst hundreds arm’d with spear and brand
And plunged them in the deep
. »[5]

Le château d’Ardtornish était, après Dunstaffnage, l’une des principales forteresses des lords des Îles : c’était là qu’ils convoquaient leurs parlemens ; ces lieux sont pleins des souvenirs de l’histoire héroïque de l’Écosse.

De l’autre côté du détroit, dans l’île de Mull, et en face d’Ardtornish, on aperçoit, sur un roc très élevé, un autre grand château ruiné, qui s’appelle Duart-Castle. C’était là qu’habitaient les Mac-Leans de Duart qui, avec les Mac-Leans de Loch-buy, se partageaient tout le sud et tout l’ouest de l’île de Mull. Le château de Duart commandait l’entrée du détroit de Mull ; aussi fut-il souvent assiégé par les pirates de toutes les nations et par les Mac-NieIs et les Mac-Donalds ses voisins ; mais presque toujours ces assauts furent repoussés. Les poètes et les habitans du pays racontent, au sujet des entreprises dont Duart-Castle fut l’objet, nombre d’aventures merveilleuses qui prouvent surtout en faveur de la fécondité de leur imagination. J’ai vu plusieurs recueils manuscrits des chroniques de ces châteaux des îles, de Mull, Jura, Arran et Skye, que des curieux s’amusent à rassembler. Ces chroniques formeront un jour une histoire héroïque des Hébrides aussi intéressante et beaucoup plus variée que les chants des anciens bardes. Les châteaux des Mac-Leans ont fourni la meilleure partie de ces récits, où la fable se mêle toujours à la vérité. La plus singulière de ces chroniques est celle que M. Ritchie, dans son Écosse, nous raconte au sujet du château de Duart. Il y a lieu de présumer que le naufrage du vaisseau amiral de l’invincible Armada, sur la côte de Mull, a servi de premier thème aux Senachis du pays, qui, comme tous les poètes, ont beaucoup embelli l’histoire. Voici, en résumé, le merveilleux récit :

Pendant le règne d’un des Mac-Donalds des Îles, une princesse espagnole, attirée par la haute renommée du saint monastère d’Iona, se rendit en pèlerinage dans cette île pour faire un vœu à saint Columba ou Colum. Un vent favorable poussa sa galère des côtes d’Espagne dans les Hébrides. En voyant la belle étrangère assise sur le pont de son navire qui glissait le long des plages sauvages de Mull et de Staffa, les chefs des montagnes croyaient à une apparition de la déesse de la beauté ; et cependant cette beauté était toute nouvelle pour eux. Les filles de leurs montagnes avaient la peau blanche comme la neige, les cheveux dorés, les yeux bleus ; un sang vermeil circulait dans leurs veines azurées, et leurs pieds étaient aussi légers que le pied de la biche ou du chevreuil. Ses yeux et ses cheveux étaient noirs comme la nuit, son teint avait la couleur du blé mûri par le soleil de juin et détaché de son épi, et son sang, profondément caché sous la peau, teignait rarement d’une pourpre légère ses joues pâles et brunes. Quant à sa démarche, elle était aussi molle, aussi languissante que celle des filles des montagnes était vive et emportée. Les jeunes seigneurs des îles ne savaient s’ils devaient s’étonner ou admirer.

— Qu’elle est brune et noire ! disait l’un, sans doute elle vient de la Nigritie !

— A-t-elle jamais marché ? disait un autre ; j’en doute fort, et quand même il s’agirait de sauver sa vie ou celle de son père, elle ne danserait pas un reel.

— Et cependant par momens elle semble si légère, qu’on dirait que, comme saint Pierre, elle veut marcher sur les eaux, ajoutait un troisième.

Tous éprouvaient donc un grand trouble au fond de l’ame ; le sommeil fuyait leurs paupières, et voyant l’inconnue passer sous les murs de leurs châteaux, ils lançaient leurs barques à la mer et s’efforçaient de suivre sa galère.

— Nous sommes ensorcelés, disaient-ils en ramant ; mais n’importe, il faut faire cesser le charme ou noyer la magicienne.

De tous ces lords, Mac-Lean de Duart était le plus beau et le plus brave. Au lieu de noyer la belle sorcière, il aima mieux chercher à triompher de ses enchantemens. Mac-Lean était courageux, et l’œil d’une femme, qu’il fût noir ou qu’il fut bleu, que cette femme fut une vassale ou une princesse, l’œil d’une femme ne l’avait jamais effrayé. Comme l’Espagnole passait sous les tours du château de Duart, le jeune lord, à l’exemple de ses compagnons, mit à la mer son canot, et suivit la belle princesse, ne quittant pas le sillage de sa galère. Il attendait la nuit pour monter à bord, quand un coup de vent furieux s’éleva ; Mac-Lean s’élança donc de son canot sur le pont du navire, et, comme l’esprit de la tempête, paraissant tout à coup aux yeux de l’Espagnole, il offrit de lui servir de pilote sur ces mers orageuses.

Quand la princesse vit debout devant elle le grand et noble Highlander qui semblait sortir du milieu des flots, elle fut frappée de terreur ; mais bientôt la curiosité prenant le dessus :

— Êtes-vous roi de ces contrées ? dit-elle à Mac-Lean.

— Je suis roi dans mon clan.

— Mais vous avez un souverain au-dessus de vous ?

— Mac-Donald est lord des Îles, et moi je suis lord de Duart.

La princesse espagnole fut satisfaite de ces réponses et peut-être plus encore de la bonne mine du jeune chef ; elle lui confia le gouvernail de la galère, et quand l’adroit et dévoué pilote l’eut conduite au rivage d’Iona, elle s’appuya sur son bras pour descendre de la galère et pénétrer dans le monastère.

Quand la princesse eut achevé ses dévotions, elle songea à retourner à la cour du roi son père ; mais comme ce prince lui avait ordonné de faire une visite à la cour du lord des Îles avant de retourner en Espagne, elle commanda à son pilote de la conduire à Dunstaffnage où résidait ce seigneur. Mac-Lean obéit, mais il resta à bord de la galère et ne voulut pas entrer dans le château. Là il eût été le vassal du puissant lord avec lequel il était en guerre, et comme la princesse allait s’éloigner :

— C’est donc le roi du pays que vous veniez voir, lui dit-il en soupirant amèrement.

L’Espagnole baissa les yeux, ne répondit pas, et pénétra dans le château.

Mac-Donald, lord des Îles, n’avait pas été moins frappé de la beauté de l’étrangère que les autres seigneurs du pays, et sa passion, pour être cachée, n’en était pas moins vive. Mac-Donald était d’ailleurs un chevalier déloyal et grossier. Il ne se contenta pas, comme l’aimable Mac-Lean de Duart, de soupirer et d’admirer la jeune princesse ; il lui fit brutalement l’aveu de son amour et lui offrit sa main que, comme on le pense facilement, l’Espagnole refusa avec dédain. Mac-Donald persista, mais en vain.

— Nous attendrons alors que vous soyez décidée, dit-il à la visiteuse avec un sombre sourire, et il la retint prisonnière.

Quand Mac-Lean de Duart apprit cette funeste conclusion de la visite de la belle étrangère, il sentit son cœur rempli tout à la fois de fureur et de joie. La colère du montagnard est prompte et terrible ; il est déjà vengé qu’on n’a pas encore entendu sa menace. La nuit même qui suivit le jour de l’emprisonnement de la princesse, tous les hommes du clan de Mac-Lean, capables de manier la claymore, étaient embarqués, et l’aube n’avait pas encore blanchi le ciel, que le château de Dunstaffnage, le lord des Îles et sa belle prisonnière, étaient tombés au pouvoir du seigneur de Duart. Jusque-là tout allait bien. La confusion et le désordre d’une scène de guerre avaient naturellement délié la langue de Mac-Lean, et l’attendrissement et la reconnaissance avaient succédé à la terreur dans le cœur de la princesse. De la reconnaissance à l’amour la pente est rapide ; bientôt la jeune Espagnole aima le brave Mac-Lean. Renfermés dans les murailles solitaires du château de Duart, ils avaient perdu l’idée de l’avenir, quand un ordre du roi d’Espagne vint sommer Mac-Lean de renvoyer au plus tôt à son père sa noble prisonnière, le menaçant de toute la colère du monarque, s’il n’obéissait sans délai.

Le château de Duart, solidement bâti sur un roc, était défendu par la nature et par la main des hommes. Il pouvait défier les soldats de Mac-Donald ; mais pouvait-il résister aux efforts du puissant roi d’Espagne ?

— Mac-Lean, il faut que je vous quitte ; autrement je causerais votre ruine, s’écria tristement la jeune princesse en joignant les mains.

— Non, vous ne me quitterez pas, répliqua Mac-Lean de Duart ; mon clan est faible, il est vrai, et les Mac-Donalds n’attendent que l’arrivée des galères du roi d’Espagne, votre père, pour fondre comme un ouragan sur les côtes de Mull ; n’importe, nous tenterons la chance, et si les moyens naturels sont insuffisans pour défendre le château, nous aurons recours aux prodiges.

Mac-Lean alla donc trouver toutes les sorcières qui vivaient dans l’île de Mull, de Tobermory à Achnacraig ; il les séduisit toutes, les vieilles comme les jeunes ; et toutes, soit par amour pour lui, soit par loyauté, soit par reconnaissance des présens qu’il leur avait faits et des divertissemens qu’il leur avait donnés, toutes consentirent à se liguer pour défendre le château de Mac-Lean de Duart et protéger son amante.

Le roi d’Espagne avait résolu cependant de venger l’insulte faite à sa couronne et à sa dignité. Il arma une immense galère dont il donna le commandement à un seigneur espagnol qui connaissait bien l’Écosse, et il l’envoya dans l’île de Mull, lui ordonnant de saisir Mac-Lean et sa fille, et de ravager les domaines de l’insolent Écossais de façon à ce que deux brins d’herbe et deux tiges de bruyères ne restassent pas debout dans la même plaine[6].

Quand le grand navire fut arrivé et eut jeté l’ancre sous le rocher au haut duquel le château était bâti, le capitaine fut effrayé du calme étrange qui régnait autour de lui, sur la mer, sur la terre et dans les airs, et de l’aspect morne et tranquille du château. Les assiégeans ne semblaient pas avoir fait de préparatifs de défense ; rien ne bougeait sous les murailles, ou entre les créneaux du château qui ne paraissait pas même habité. Nous avons dit que l’amiral espagnol connaissait l’Écosse ; inquiet de ce calme, il se promenait à grands pas sur le pont du navire ; se tournant tout à coup du côté d’un mousse.

— Monte au sommet du grand mât, et dis-moi ce que tu vois autour du navire.

— Seigneur, je vois un corbeau noir, cria l’enfant quand il fut arrivé au haut du mât, un corbeau qui vole en tournoyant autour de la pointe la plus élevée du rocher.

— Ce n’est rien, dit le capitaine, et il continua à se promener comme auparavant, tout en ordonnant à son équipage de se préparer à l’attaque. Un moment après il commanda de nouveau à l’enfant de monter à l’extrémité du grand mât et de lui dire ce que cette fois il voyait.

— Deux corbeaux viennent de se joindre au premier, cria l’enfant comme il arrivait à la pointe du mât, tous trois tourbillonnent toujours autour du rocher.

— Ce n’est rien encore, murmura le capitaine, trois corbeaux ne nous empêcheront pas de mener notre entreprise à bonne fin ; mais quand le mousse lui cria qu’un quatrième corbeau venait de l’ouest, un cinquième de l’est, un sixième du sud, et que tous se réunissaient et voltigeaient autour du château, le front de l’Espagnol se rembrunit singulièrement, et ses pas sur le tillac du navire étaient moins assurés.

— La partie n’est plus égale, murmurait-il ; et encore plaise à Dieu que le nombre des ennemis que nous avons à combattre soit maintenant au complet !

Le capitaine n’avait pas achevé que le mousse lui cria qu’il voyait venir, du côté du nord, un septième corbeau ; alors le capitaine sentit son courage défaillir.

— Tout est perdu ! s’écria-t-il ; quoique nous eussions six corbeaux contre nous, notre entreprise eût pu réussir, mais aucun pouvoir humain ne peut lutter contre sept corbeaux réunis, car les sept corbeaux sont les sept grandes sorcières de l’île, toutes d’accord contre nous. Il faut donc fuir au plus vite ou nous attendre à succomber.

Le capitaine n’avait pas encore fini, qu’un nuage noir comme un manteau de deuil couvrit tout le ciel et qu’un coup de tonnerre effrayant retentit sur sa tête ; le vent hurla à travers les agrès du navire, la mer se souleva en bondissant, et, précipitant la galère contre les rocs qui hérissent le rivage de l’île de Mull, la brisa en mille pièces. Soldats, matelots, navire, tout fut englouti dans les abîmes de l’Océan.

Mac-Donald, lord des Îles, fut heureux de recouvrer sa liberté en faisant abandon de toutes ses prétentions à la main de la princesse espagnole, que Mac-Lean de Duart épousa ; et comme le roi d’Espagne avait d’autres jolies filles à sa cour, désormais il ne jugea plus à propos de risquer ses galères pour une aussi périlleuse entreprise.

Aros, où nous arrivâmes le soir au moment où les étoiles du ciel et les phares du détroit s’allumaient simultanément, est un petit village de pêcheurs bâti au pied d’un énorme rocher au haut duquel on voit les ruines d’un autre vieux château qui, comme Ardtornish et Duart-Castle, semble suspendu sur les flots. Ce château était encore une des résidences des lords des Îles. Le clan des Mac-Donalds conserve avec orgueil une charte signée de Robert Bruce, qui leur accorde certains priviléges comme récompense de la valeur de leurs guerriers, « lesquels, dit la vieille charte, ont puissamment contribué à la victoire de Bannockburn. » Cette charte est datée d’Aros. Les descendans des Mac-Donalds sont tous pêcheurs, aubergistes ou cabaretiers. Celui qui nous avait donné asile avait aussi hébergé Mac-Dougal et son équipage. Ceux-ci, en arrivant, avaient vendu leur cargaison de graisse de poisson, et avec le produit de la vente ils régalaient leurs amis d’Aros. On comprend que le vieux Mac-Dougal avait ce soir autant d’amis que la bourgade avait d’habitans. Tous passèrent la meilleure partie de la nuit à faire de copieuses libations de wiskey, accompagnées de chansons bruyantes, de sorte qu’il nous fut impossible de fermer l’œil. Néanmoins, le lendemain nous étions sur pied au point du jour ; des poneys très vifs nous attendaient à la porte de l’auberge, et notre hôte devait nous servir de guide. Nous avions formé le projet de tenter l’ascension du Ben-More, la plus haute des montagnes de l’île, et de son sommet qui s’élève à environ 3,000 pieds au-dessus du niveau de la mer, nous comptions embrasser d’un seul coup d’œil tout l’ensemble des Hébrides. Notre espoir fut déçu. À peine au tiers de sa hauteur, nous nous trouvâmes enveloppés d’un brouillard si épais, et la pluie commença à tomber avec tant de force, que nous redescendîmes au plus vite du côté du Loch-na-Keal, grande baie qui s’ouvre vers le sud, et qui n’est séparée d’Aros que par un isthme de trois milles de largeur au plus. Pour comble de malheur, arrivés au Loch-na-Keal, nous ne pûmes trouver un seul bateau pour nous transporter dans les îles d’Ulva et de Staffa, dont nous apercevions les côtes à quelques milles de nous à travers des brumes dont les formes bizarres rappelaient les descriptions ossianiques. Toutes les barques étaient en mer, occupées à la poursuite d’un banc de poissons arrivé de la veille. Il fallait donc traverser l’île sur nos poneys, et nous rendre d’une seule traite jusqu’à Moy ou Bunessan, dans le sud, afin de nous rapprocher de l’île d’Iona, que nous tenions surtout à visiter. Nous passâmes tout le premier tiers de cette journée le plus tristement du monde, ensevelis, nous et nos poneys, sous de larges water-proofs, qui avaient peine à nous garantir, malgré leurs noms un peu ambitieux, des ondées, qui, d’heure en heure, arrosaient la campagne. Le pays que nous parcourions était des plus sauvages. Tantôt nous traversions des plaines d’un sol noir et gras, couvertes d’un gazon épais, coupées de marécages et au milieu desquelles s’allongeaient d’étroits bras de mer ; ces plaines étaient abandonnées à des troupeaux de bœufs noirs, de poneys ou de moutons qui paissaient en toute liberté : tantôt nous franchissions de hautes collines revêtues de mousses et de bruyères formant des enceintes multiples autour de petits golfes, dont l’onde, unie comme un miroir, semblait le parquet de cristal de ces belles salles de verdure. Nous avions renvoyé l’aubergiste d’Aros, et pris pour guides, au Loch-na-Keal, deux hommes du pays. Ces deux hommes nous conduisaient à travers ces plaines et ces collines par des chemins à peine tracés. À chaque moment, des coqs de bruyère ou des ptamirgans aux ailes blanches s’envolaient autour de nous, effrayés par les cris de nos guides ou le retentissement sourd du pas de nos chevaux sur le sol caverneux et basaltique des collines ; toute cette partie de l’île paraît extrêmement giboyeuse ; les bords de la mer étaient peuplés aussi d’une foule innombrable d’oiseaux marins que l’arrivée des harengs avait sans doute attirés dans ces parages. Les plaines, comme les collines et le rivage, avaient leurs habitans ; c’étaient de jolis oiseaux à tête jaune, qu’on appelle en Écosse hope clover, l’espérance du trèfle, et qui habitent les endroits où le gazon est le plus touffu.

Nous venions de quitter le rivage de la mer, et nous passions le long d’un pré où paissaient quelques vaches noires, et qu’entouraient de tous côtés de petites collines couvertes de bruyères. Comme nous admirions la magnifique verdure de la petite prairie, le plus vieux de nos deux guides nous apprit que c’était le domaine des Mac-Gills, qui devaient cette prairie à la bravoure et à l’agilité d’un de leurs ancêtres, dont le guide nous raconta l’histoire telle que nous la rapportons ici.

Mac-Neil, le laird de Barra, avait épousé une veuve, lady Mac-Lean, à qui son premier mari avait laissé pour domaine l’île de Coll, cette belle île que vous voyez là-bas, à l’horizon, du côté de l’ouest, nous disait le guide. Lady Mac-Lean avait eu de son premier mari un fils qui s’appelait Jean Gerves, ou Jean-le-Géant. À la mort de sa mère, Jean Gerves résolut de rentrer dans la possession de ses domaines de Coll, que Mac-Neil avait gardés. Il rassembla quelques aventuriers sur la côte d’Irlande, où il s’était réfugié, et à leur tête il fondit sur l’île de Coll. Mais cette première tentative fut malheureuse ; les aventuriers lâchèrent pied, et Jean Gerves fut repoussé. Il ne se découragea cependant pas ; au bout de trois ans, il rassembla de nouveau une cinquantaine d’hommes déterminés, et il se rendit sur la côte de Morvern où son oncle l’attendait. En débarquant, Jean Gerves apprit que son oncle venait d’être fait prisonnier par Mac-Leod, l’allié de Mac-Neil, et qu’il était enchaîné dans un coin de sa tente. Jean Gerves cacha sa petite troupe aux environs de la tente, ne prit avec lui qu’un de ses soldats, appelé Mac-Gill, sur le courage duquel il pouvait compter, et, le laissant hors de la tente, il lui donna l’ordre de frapper à grands coups de claymore à l’endroit où il verrait la toile remuer ; puis, sans hésiter, il se précipita seul dans la tente, sa lance à la main. Son intention était d’attaquer Mac-Leod corps à corps et de le pousser vivement contre la toile de la tente. Mais celui-ci, effrayé, n’essaya même pas de lutter et s’enfuit, laissant au pouvoir de Jean Gerves, son prisonnier, ses armes et ses trésors.

Jean Gerves ne perdit pas de temps ; renforcé de l’appui de son oncle et des hommes de son clan, il s’embarqua pour Coll. Comme il descendait sur une plage écartée, il vit une sentinelle qui s’élançait en courant du haut d’un rocher où on l’avait placée, et qui se dirigeait de toute sa vitesse vers Grissipol, où Mac-Neil et ses gens étaient rassemblés, pour les avertir de l’arrivée de l’ennemi. Jean Gerves fut consterné en voyant cet homme s’enfuir : l’ennemi, qu’il comptait surprendre, allait donc se trouver sur ses gardes. Jean Gerves, avait dans ce moment à côté de lui Mac-Gill.

— Ne vous chagrinez pas, lui dit Mac-Gill ; si vous me permettez de me mettre aux trousses du coureur, avant un quart d’heure cet homme sera à nous.

— Non seulement je te le permets, lui répondit Jean Gerves avec joie, mais encore je te promets un beau domaine dans l’île de Mull si tu le prends ou si tu le tues avant qu’il ait rejoint Mac-Neil.

— C’est bien, dit Mac-Gill. Et, rapide comme le chevreuil, il se mit à la poursuite de la sentinelle. Cet homme était déjà en vue de Grissipol quand Mac-Gill l’atteignit et se jeta entre lui et le bord d’un ruisseau profond qu’il allait traverser. Le fugitif, se voyant coupé, résolut de payer d’audace ; s’élançant bravement sur Mac-Gill, il le poussa rudement pour le jeter dans le ruisseau. Mais Mac-Gill, dont rien n’égalait la souplesse et l’agilité, faisant toujours face à son ennemi, sauta à reculons le ruisseau de Grissipol. Son adversaire voulut sauter comme lui ; mais, comme il arrivait sur l’autre bord, Mac-Gill le tua d’un coup de claymore et le jeta dans le torrent. Il revint ensuite trouver Jean Gerves, et celui-ci n’eut pas de peine à surprendre Mac-Neil, qu’il tua de sa main. La plus grande partie du clan de Mac-Neil périt avec lui, et, grâce aux jarrets de Mac-Gill, le vainqueur rentra dans ses domaines de Coll.

Au-delà du domaine de Mac-Gill, nous rencontrâmes un ruisseau que l’agile montagnard n’aurait certainement pas sauté à reculons. Il était enflé par la pluie du matin, et, pour le franchir, nous fûmes obligés, ne voulant pas nous mouiller les jambes, de faire un exercice de voltige assez périlleux, en nous plaçant debout sur la croupe de nos chevaux, que six pouces d’eau de plus eussent mis à flot. Nos montagnards attendirent pudiquement que nous fussions hors de vue pour traverser le ruisseau à la nage, ou, pour mieux dire, en marchant dans l’eau jusqu’aux épaules sur le lit de sable qui formait le fond du ruisseau, et portant leurs vêtemens sur leur tête. Dans l’hiver, l’absence d’un pont doit rendre cette partie de l’île impraticable. Tout à coup, tandis que nos hommes s’habillaient, les sons d’une cornemuse arrivèrent à nos oreilles, et nous fûmes surpris de nous trouver face à face avec un beau vieillard à barbe blanche, portant un costume national fort délabré, mais dans toute sa pureté classique : le plaid, le tartan, le phillabeg, les bas rayés de carreaux de couleur, et les brogues au lieu de brodequins. Les brogues sont une espèce de chaussure particulière aux îles ; on les fait avec deux cuirs de bœuf dont le poil est placé en dedans, et ils sont cousus avec du fil si lâche, qu’ils servent plutôt à défendre les pieds des cailloux que de l’humidité. Ce vieillard, d’une stature élevée, marchait fièrement, la toque en tête, et, quand il avait cessé de jouer de la cornemuse, il chantait des couplets en langue gallique. « C’est le senachi du pays (le barde), nous dirent nos compagnons, qui, dans ce moment, nous rejoignirent. Je ne comprenais pas un mot de ce qu’il chantait : un de nos guides s’offrit à nous le traduire. J’avais pris mes tablettes et un crayon, espérant recueillir quelque récit héroïque, quelque poème d’Ossian encore inédit ; je fus cruellement désappointé : c’était tout simplement le Pater noster en langue gallique que le vieillard psalmodiait. J’allais donner quelques pièces de monnaie au senachi ; le plus alerte de nos guides nous fit signe de n’en rien faire ; il prit les pièces de monnaie, qu’il mit dans sa poche, et, en échange, il tira de son sprochan une ou deux cakes, ou gâteaux d’avoine, et les donna au vieillard. « Il aimera mieux cela, nous dit l’habitant de Mull ; on ne donne de l’argent qu’aux mendians ; mais lui, c’est un senachi, et mieux vaut que ce soit un senachi qu’un mendiant ; car la rencontre d’un mendiant nous aurait porté malheur. Le vieillard prit les gâteaux d’avoine, et notre homme qui avait une telle antipathie pour les mendians garda notre argent, dont nous n’entendîmes jamais parler.

Le Pater noster ne nous donnait pas une haute idée de la poésie hébridienne moderne. Cependant nos guides nous assurèrent que la poésie n’avait pas cessé d’être en grand honneur dans l’île, et, pour nous en donner la preuve, ils nous racontèrent ce qui suit : « Chaque année, à la veille du 1er  janvier, une nombreuse société se rassemble chez les lairds, les taksmen et les principaux propriétaires de l’île. Tout à coup, au milieu de cette réunion, paraît en hurlant un homme revêtu d’une peau de vache. Les assistans commencent par frapper à tour de bras sur la vache ; mais, comme ses beuglemens augmentent en raison des coups qu’elle reçoit, et que, d’ailleurs, elle joue vigoureusement de la tête et des pieds, elle a bientôt chassé de recoins en recoins les assistans, qui s’enfuient avec une feinte terreur, et qui finissent par se trouver hors de la maison, dont l’homme-vache ferme la porte. Jusque alors, rien de bien poétique ; or, à la veille du jour de l’an, la température extérieure n’est pas des plus agréables dans les Hébrides, aussi la porte est-elle bientôt assiégée par tous les fuyards, qui veulent rentrer. C’est alors que commence le triomphe de la poésie. L’homme à la peau de vache, qui est toujours un grand clerc, tient la porte soigneusement close, et, pour rentrer, il faut que chacun récite au moins un vers. Ceux qui n’ont pas pris leurs précautions ou qui, au besoin, ne savent pas mettre un vers sur ses jambes, se trouvent condamnés à passer la nuit à la belle étoile ou à chercher un asile chez des amis, qui, souvent, demeurent à plusieurs milles de distance ; mais, comme les Hébridiens sont presque tous naturellement poètes, la chose est presque sans exemple.

Le tour d’esprit poétique des Hébridiens se combine comme d’ordinaire avec un goût prononcé pour le merveilleux qui n’est guère propre à déraciner les idées superstitieuses auxquelles les gens du peuple sont toujours livrés. Les lairds et les gens comme il faut croient à la seconde vue, et racontent de merveilleuses aventures de ce phénomène dont le magnétisme animal n’a pas manqué de s’emparer. Les gens du peuple croient toujours aux revenans, aux sorciers, au mauvais œil ; il y a encore de pauvres montagnards qui offrent en cachette du lait de vache à Greogach. Greogach est un vieillard à grande barbe blanche qui tour à tour est redouté comme un démon ou invoqué comme un bon génie ; Greogach fait surtout grande peur aux enfans. Les pêcheurs hébridiens sont toujours persuadés que le retour du laird du canton, après une longue absence, procure une abondante pêche de harengs ; qu’au contraire l’arrivée d’une femme, venant d’une autre île, fait déserter tout le poisson de la côte : aussi les femmes voyagent-elles peu, et sont-elles toujours mal reçues par les Hébridiens, qui sont peu galans. Les femmes ne sont guère occupées que de la culture des terres et du soin d’augmenter leur famille. Les enfans naissent par myriades ; fort peu vivent ; la misère et l’absence de soin déciment ces malheureuses créatures. L’éducation de ces enfans est toujours fort négligée ; cependant, dans chaque paroisse des Hébrides, il y a une école où on montre aux enfans à lire en anglais. Grâce à cette mesure, la langue anglaise commence à être généralement parlée dans les îles.

Le docteur Johnson, voyageur pédant, qui visita les Hébrides vers la fin du dernier siècle, remarque assez judicieusement que la plupart des montagnes sont comme l’Ida d’Homère, abondantes en sources, mais qu’il y en a peu qui méritent l’épithète de couronné de feuillage, que le poète donne au Pélion. L’aspect du pays n’a pas beaucoup changé depuis le docteur Johnson, celui des montagnes surtout ; de nombreuses sources, qui s’infiltrent entre les rochers, ou une mousse olivâtre qui couvre un sol noir, sillonnent leurs flancs que revêtent dans les parties élevées de stériles bruyères. À peine çà et là, dans les ravins mieux abrités du vent, voit-on croître péniblement des sapins ou des saules rabougris, et de maigres bouleaux en lutte perpétuelle avec les tempêtes. Le sapin d’Écosse est toujours fort rare dans ces montagnes, où on a essayé de naturaliser les sapins de Norwége et les sapins d’argent, qui réussissent mieux que toute autre espèce d’arbres ; c’est-à-dire que, sur un millier de sujets plantés dans les défrichemens de bruyères, il en vient cinquante. Les collines et les plaines abritées du vent du nord et du vent d’ouest voient seules croître les grands arbres, les ormes, les chênes, les tilleuls ; mais comme la plupart de ces plantations sont de nouvelle date, peu d’arbres ont encore acquis une remarquable hauteur ; tous d’ailleurs tendent plutôt à s’arrondir et à s’étendre qu’à s’élever ; aussi ce qu’on appelle un bel arbre dans les îles ressemble-t-il presque toujours à un gros pommier en plein vent.

Le peat, espèce de tourbe qui se trouve par lits sur les collines et dans les marais, remplace le bois comme combustible dans presque toutes les îles. C’est une substance noire, légèrement bitumineuse, dont les parties sont liées entre elles par des fibres végétales. On coupe le peat en dalles de différentes largeurs qu’on entasse auprès des maisons pour les faire sécher. On empile ces dalles dans le foyer, ou bien, chez les gens aisés, on les brûle sur des grils de fer comme le charbon de terre, de façon à éviter la fumée, dont l’odeur est infecte.

Vers le milieu du jour, nous nous sommes arrêtés au fond d’une grande baie au bord d’un ruisseau. Cette baie s’appelle le Loch-Seredon. La pluie avait cessé, le ciel bleu commençait à reparaître, et d’instans en instans, à travers les nuages, nous apercevions vers le nord les hauts sommets du Ben-More et du Bientalindh, les deux principales montagnes de l’île. L’air des montagnes, combiné avec l’air de la mer, nous avait donné un terrible appétit de voyageurs. Au moment de nous mettre à table, nous nous aperçûmes avec consternation que nos guides avaient apporté pour toutes provisions, un pain, du wiskey, une chaudière et un briquet. William était furieux, et je n’étais guère de meilleure humeur que lui ; comme nous descendions de cheval, l’un de nos guides s’était éloigné, sans doute pour échapper à une première explosion de reproches ; celui qui était resté près de nous, tout en écoutant nos doléances et nos malédictions, déployait la nappe, et plaçait les fourchettes, les couteaux et le sel sur un gros rocher, disposé à souhait pour nous servir de table, avec un sang-froid désespérant. Des fourchettes et du sel pour manger son pain tout sec, cela ressemblait tellement à une mauvaise plaisanterie, que William commençait à s’échauffer et à prendre à partie l’impassible montagnard, quand nous vîmes son compagnon qui revenait lestement, tenant d’une main son fouet, dont il avait fait une ligne, et de l’autre un saumon de cinq ou six livres et un autre beau poisson, que les montagnards appellent lith, et qui ressemble au cabillaud. Notre homme avait attaché une ficelle et des hameçons au manche de son fouet, il avait amorcé avec du pain d’avoine, et, en quelques instans, il avait fait sa pêche. Son compagnon ne perdit pas de temps ; le pêcheur nous avait à peine rejoints, qu’un grand feu de bruyères flamboyait sous la chaudière pleine d’eau. Tous deux vidèrent ensuite le lith et le saumon, jetèrent le premier dans la chaudière, coupèrent le second par tranches de plusieurs pouces d’épaisseur, les enveloppèrent dans du papier que nous leur donnâmes, et les glissèrent sous la braise, ayant soin de les bien couvrir. Pendant que notre déjeuner cuisait, le pêcheur s’éloigna de nouveau, et revint cette fois au bout d’un quart d’heure avec une vingtaine d’œufs de grouse qu’il venait de dénicher dans la bruyère voisine.

— Si nous avions songé à prendre un fusil, nous dit-il, nous eussions pu faire un meilleur déjeuner et aux dépens du duc d’Argyle, car il y a de fameux rôtis de grouse ou de ptamirgan dans la bruyère voisine, et sa grace est si riche…

Tout en exprimant ses regrets, il rangeait les œufs sous la cendre, à côté du saumon ; son compagnon ajoutait à notre menu quelques coquillages qu’il ramassait sous les rochers au bord de la mer. Bientôt le déjeuner fut prêt, et nous lui fîmes honneur. Le saumon surtout était excellent ; les œufs seuls avaient un abominable goût de vernis, et, quoique le montagnard nous assurât qu’il avait choisi le meilleur des trois nids qu’il avait découverts, on eût pu leur reprocher plus d’un jour de couvée. Quand nous eûmes fini ce déjeuner qui prouvait surtout en faveur de la foi qu’ont les habitans de Mull en la Providence, nous remontâmes sur nos poneys que nous avions laissés courir au hasard, sûrs que nous étions de les ramener au bercail en leur présentant quelques bribes de pain d’avoine. Pendant plusieurs heures, nous longeâmes la côte solitaire et montagneuse du Loch-Seredon, la quittant quelquefois pour gravir des collines nues du haut desquelles nous avions de vastes échappées de vue sur la mer et les îles environnantes. Dans l’ouest, nous apercevions quelques champs cultivés. Cette partie de l’île de Mull, le tiers environ, qui, sur une longueur de huit scocs (douze milles), s’étend du lac Seredon à Moy et à l’île d’Iona, appartenait aux Mac-Leans de Loch-buy, qui avaient fixé leur résidence dans le château de Moy dont on aperçoit les ruines sur un rocher faisant face au continent d’Écosse ; aujourd’hui c’est la propriété du duc d’Argyle.

L’île de Mull n’est pas peuplée en raison de son étendue. Pendant une route de plusieurs heures, nous n’avons rencontré que trois habitans, un pâtre et deux pêcheurs. Le pâtre, la toque en tête et le plaid à carreaux roulé sur la poitrine, portait le costume national des Highlanders, moins le phillabeg ou tablier.

À la hauteur du château ruiné de Moy, la route pénètre entre de hauts rochers d’un gris de fer ou d’un noir d’ardoise qui partent du centre de l’île et qui, tout à coup, rencontrant la mer, forment un énorme promontoire à l’entrée du loch Seredon. La mer, poussée par le terrible vent d’ouest, a rongé la base du promontoire qui s’incline sur les flots d’une manière effrayante. De distance en distance, de larges crevasses, que les infiltrations des eaux du ciel ont creusées, isolent des pans entiers de rochers du noyau principal auquel ils n’adhèrent plus que par leur base encore intacte. Souvent cette base est si étroite, que ces énormes morceaux de basalte[7] semblent miraculeusement suspendus sur les eaux. Quand on les voit de loin, on croirait n’avoir qu’à pousser du pied ces blocs de rochers, gros comme les maisons du High-Street à Édimbourg, pour les faire rouler dans les flots. L’un de nos guides, jeune homme alerte et robuste, nous faisait frémir lorsque, quittant le sentier battu, il s’engageait entre ces blocs à demi écroulés, et, qu’agile comme l’écureuil ou le chat-pard, il sautait d’un roc à l’autre ou penchait tout son corps sur la mer pour dénicher quelques œufs de gannet ou d’eider-duck ; l’adroit montagnard riait de nos terreurs ; nos gestes et nos cris ne faisaient qu’accroître son audace, et nous n’étions un peu rassurés qu’en voyant son compagnon plus âgé pousser de sauvages éclats de rire à chacune de ses prouesses.

— À son âge, j’en aurais fait bien davantage, nous disait-il en se redressant. Les Mac-Leans sont légers comme le duvet de l’oiseau, ils ne pèsent pas sur le rocher ; comme le crabbe ou le pic des bois, ils ont des crampons aux pieds et aux mains, jamais ils ne tombent à moins que, comme Murdoch de Scalladale, ils ne se jettent dans la mer la tête la première.

— Quel était ce Murdoch ? sans doute un fou ?

— Non, Murdoch n’était pas un fou, mais un des plus vaillans hommes du clan des Mac-Leans qui se noya par vengeance, il y a bien des années de cela ; tenez, c’est là-bas, du haut de ce rocher où Mac-Niel (c’était son compagnon) vient de grimper, qu’il a pris son élan et fait le plongeon ; ce rocher s’est appelé depuis le Rocher du Noyé.

— Mais comment Murdoch a-t-il pu arriver au haut de ce rocher que cette profonde crevasse sépare de la montagne ?

— Il y est arrivé comme Mac-Niel, par le chemin des oiseaux ; tenez, voyez !…

Et il me montrait son camarade qui prenait son élan, et qui, d’un seul bond, allait franchir un espace de douze pieds au moins, qui séparait le rocher de la montagne. Ce spectacle était si effrayant, que, lorsque je vis Mac-Niel s’élancer et quitter la terre, je fermai les yeux, craignant de le voir se briser sur le roc ; quand je les rouvris, le montagnard était cramponné au corps du rocher qu’il gravissait comme un chamois.

Sur nos instances, le vieux guide nous raconta cette curieuse histoire.

— Il y a plus de deux siècles de cela, l’un des chefs des districts de l’ouest de Mull, Mac-Lean de Loch-buy, grand guerrier et grand chasseur, vint faire une excursion au milieu des montagnes que nous parcourons. Comme la journée était belle, il avait amené avec lui sa femme et son enfant à la mamelle, qu’une nourrice tenait dans ses bras. Ses vassaux, convoqués des différentes parties de l’île, de Scalladale, de Fiddon, de Moy, couvraient les rochers du voisinage et fermaient les défilés par lesquels les bêtes fauves pouvaient s’enfuir, avec ordre de les empêcher de passer et de les rejeter toutes vers la colline au haut de laquelle se tenait Mac-Lean et sa famille. La chasse fut d’abord heureuse ; les faucons prirent nombre de coqs noirs et de perdrix blanches, et plusieurs chevreuils, poussés par les chiens et trouvant toutes les issues fermées dans la montagne, se laissèrent tuer ou prendre par Mac-Lean et ses compagnons. Vers le milieu du jour, comme la chasse languissait, les chiens firent lever un daim magnifique qui vint bondir à peu de distance de Mac-Lean, suivi de toute la meute, et qui se dirigea rapidement vers un étroit défilé, le seul par lequel il pût s’échapper du côté de la mer. Mac-Lean avait placé là un de ses vassaux les plus résolus pour fermer le passage ; le montagnard, qui s’appelait Murdoch, voyant venir le daim, se mit en travers dans la route qu’il ferma avec son corps ; mais l’impétuosité de l’animal, que toute la meute serrait de près, était telle que Murdoch fut jeté à terre, et que le daim, passant sur son corps, s’enfuit au loin dans la montagne. Le pauvre homme s’était à peine relevé que déjà Mac-Lean de Loch-buy était près de lui, les yeux étincelans.

— Qui es-tu ? cria-t-il en s’élançant vers Murdoch.

— Murdoch de Scalladale.

— Où est le daim ?

— Il m’a renversé et s’est enfui.

— Tu mens ; il n’y a qu’une femme ou qu’un enfant qu’un daim puisse renverser. Tu auras eu peur et tu auras fui. Tu n’es qu’un lâche !

Et Mac-Lean, homme d’une extrême violence, tirant son coutelas, courut vers son vassal pour le tuer. Un cri de sa femme l’arrêta.

— C’est vrai, s’écria Mac-Lean d’un air sombre et maîtrisant sa colère, c’est vrai, le sang d’un lâche ne doit pas souiller ma main. Le fouet ! le fouet seul ! voilà le digne châtiment d’un homme qui a été plus faible qu’un daim.

Dans ce moment les gardes de Mac-Lean et ses vassaux accouraient de tous les côtés. Mac-Lean fit saisir le malheureux Murdoch, le fit dépouiller de ses habits, et le fit battre de verges aux yeux du clan rassemblé. Or, Murdoch de Scalladale, qu’un daim avait renversé, était cependant un homme de cœur, qui, comme tout montagnard, préférait la mort à la flétrissure. Le fouet, alors comme aujourd’hui, était la plus honteuse de toutes les peines, celle que l’on infligeait aux vagabonds, aux voleurs, aux femmes de mauvaise vie ou aux sorcières ; être traité comme un voleur ou comme une femme, c’était donc pour Murdoch le plus atroce des supplices. Il jura de s’en venger, et de s’en venger sur l’heure. Murdoch supporta le châtiment sans se plaindre et sans pâlir, et quand Mac-Lean, dont la colère s’apaisait, eut fait signe de cesser et qu’on eut délié les mains du patient, le montagnard s’avança la tête basse vers son seigneur pour le remercier comme le voulait l’usage. Mais quand il ne fut plus qu’à deux pas de Mac-Lean, au lieu de mettre le genou en terre et de baiser la main du laird, ainsi qu’il eût dû le faire, Murdoch de Scalladale, s’élançant d’un seul bond sur la nourrice qui portait l’enfant du chef, comme un tigre sur la proie qu’il guette, saisit le nourrisson, et, s’échappant du milieu des gardes, s’élança de roc en roc jusqu’à cette pointe où tout à l’heure mon compagnon gambadait ; puis, se penchant sur les flots avec l’enfant, qu’il tenait comme s’il allait le précipiter dans la mer :

— Mac-Lean de Loch-buy, s’écria-t-il d’une voix de tonnerre, si j’ai été puni comme une femme, comme un voleur, je saurai me venger en homme de courage. Mac-Lean a tué mon honneur, moi je vais tuer le fils de Mac-Lean.

Peindre la muette et farouche douleur du père, les sanglots et les cris de désespoir de la mère à la vue de leur enfant exposé à un si affreux danger, serait impossible. Le montagnard ne lâcha pas l’enfant, mais le tenant toujours suspendu sur les flots, tandis que lui regardait fièrement le laird de Loch-buy :

— Je veux être aussi juste que tu as été injuste, dit-il à son chef, qui l’implorait en tendant les bras vers lui.

— C’est vrai, répondit Mac-Lean avec humilité ; j’ai eu tort, j’en conviens, la colère m’a troublé la raison ; j’avoue mon erreur. Tu es, je le vois, un homme de cœur, un brave montagnard ; rends-moi mon enfant, et je te promets la récompense que tu désireras, la réparation que tu exigeras. Je te promets des honneurs qui feront oublier cette dégradation d’un moment.

— Je te le répète, je veux être juste, lui répondit Murdoch de Scalladale ; je ne te proposerai donc qu’une seule condition, et, si tu la remplis, je te promets de te rendre ton enfant.

— Parle, qu’exiges-tu ? lui cria Mac-Lean avec anxiété.

— C’est que tu te dépouilles de tes vêtemens, c’est qu’à ton tour tu tendes le dos aux verges, et que tu te laisses fouetter comme moi je l’ai été tout à l’heure ; à ce prix je te rendrai ton enfant.

Quelque humiliante que fût cette condition, Mac-Lean n’hésita pas à s’y soumettre.

— Je souffrirais mille supplices pour sauver la vie de mon enfant, disait-il en se dépouillant de ses vêtemens. Puis, quand son dos fut mis à nu, au grand étonnement des hommes de son clan, il leur mit lui-même les verges dans la main, et leur ordonna de frapper le seigneur comme ils avaient frappé le vassal.

— J’ai eu tort de céder à ma colère, leur dit-il, et, dans un moment de passion, de dégrader un homme de cœur ; je dois être puni de mon tort.

Du haut de son rocher, Murdoch, tenant toujours l’enfant dans ses bras, contemplait avec une joie féroce et insultante l’humiliation de son seigneur, et comptait chacun des coups que frappaient les vassaux, stupides exécuteurs de l’ordre de leur chef.

— Plus fort ! criait Murdoch.

— Plus fort ! répétait le malheureux père, espérant de cette façon attendrir le ravisseur de son enfant.

Quand le sang ruissela des épaules de Mac-Lean et que ses forces parurent épuisées :

— C’est assez ! cria Murdoch, il y a aujourd’hui deux vieilles femmes de plus dans le clan de Mac-Lean, deux lâches que la verge a flétris, l’un est le vassal, l’autre le chef ; l’un va mourir après s’être vengé, l’autre peut vivre !

— Rends-moi mon enfant comme tu me l’as promis, lui cria Mac-Lean se soutenant à peine.

— Ton enfant !… te rendre ton enfant ! lui répondit Murdoch en poussant un affreux éclat de rire ; et mon honneur ? toi, peux-tu me le rendre ?

— J’ai rempli ta condition, remplis ta promesse.

— Oui, tu es flétri comme je l’ai été, mais ta dégradation peut-elle me laver de ma honte ? mon honneur est mort, ton enfant doit mourir.

— Rends-moi mon enfant ! misérable, lui criait Mac-Lean exaspéré.

— Ton enfant, tiens ! le voici, tends les bras…

Et le montagnard, élevant l’enfant au-dessus de sa tête, poussa un cri féroce et se précipita du haut du rocher dans l’abîme ouvert devant lui. Tous deux reparurent un instant à la surface des flots, le montagnard serrant toujours l’enfant d’une étreinte convulsive ; puis tous deux s’enfoncèrent, et la mer recouvrit leurs têtes.

— Les Mac-Leans étaient vraiment des hommes dans ce temps-là ! s’écria le montagnard en achevant son récit. Souples comme la belette, courageux comme les aigles, ils ne reculaient devant aucun danger. Aujourd’hui ils sont doux comme des moutons ; le taskman du duc d’Argyle leur coupe la laine sur le dos et ils disent merci. Croiriez-vous que chaque année les taskmen ramassent 8,000 livres dans notre île, 8,000 livres pour le duc d’Argyle… Oh ! les Mac-Leans sont trop bons ; c’est qu’aussi à l’école on commence à les fouetter de si bonne heure, qu’ils finissent par s’accoutumer à la honte. Et après tout, quels sont ces maîtres d’école qui les châtient ? de vieux domestiques de curés. C’est indigne ! Oh ! oui, chaque année les hommes dégénèrent et leur nombre diminue. Autrefois il y avait dix mille habitans au moins dans Mull ; aujourd’hui, combien y en a-t-il ? six à sept mille. Si cela continue, bientôt Mull ne sera plus habitée que par le bétail noir, les coqs de bruyère…

— Et les fabricans de kelp (potasse), fit son compagnon en l’interrompant et en nous montrant des feux allumés de divers côtés sur le rivage ; tenez, les voilà tous à l’ouvrage ; voilà bien un métier de vieilles femmes, ramasser des herbes, les faire sécher, les brûler et en tamiser la cendre ! et c’est là cependant ce qui fait vivre la moitié des habitans du pays qui mettent en coupe réglée les warecks de la mer. Oui, le kelp est la pâture des Mac-Leans.

La complainte de ces bonnes gens aurait sans doute continué long-temps encore, si nous n’étions arrivés au hameau de Bunessan, où nous fîmes halte et où nous cherchâmes un gîte pour la nuit.


Frédéric Mercey.
  1. En langue gallique Llumonwy, la montagne chauve. Les Écossais l’appellent aussi King of hills, roi des montagnes.
  2. On distingue parmi ces fleurs l’eucalypte streptocarpe, fleur éteignoir ; l’airelle, la potentille, l’andromède, liée au rocher, comme l’indique son nom mythologique ; l’oxicoccos aux baies cerises, nourriture des grouse, ou coqs de bruyère ; la borrère dorée et le bry turbiné aux petites urnes dorées suspendues à de longs pédoncules, etc., etc.
  3. On compte trente-deux îles sur le Loch-Lomond, qu’on appelle aussi dans le pays Lyncalidor, Llyn-celydd-dur en langue gallique.
  4. Ce poisson sans nageoires n’est autre chose que la couleuvre des étangs, coluber natrix. On la mange comme l’anguille.
  5. Ardtornish est pendu sur une mer profonde,
    Entre la nue épaisse et la vague qui gronde,
    Jadis la main de l’homme au flanc du mont altier
    A taillé dans le roc un tortueux sentier,

    Si rapide et si droit, qu’un rustre de courage
    Peut, son bâton en main, en fermer le passage
    À cent hommes armés et revêtus de fer,
    Et du haut du rocher les jeter dans la mer.

  6. And to burn the territory of duart so bare that there should two blades of grass, or two blossoms of heather within cry of each other.(Chronique de Ritchie. Scotland, p. 132)
  7. Mull, comme Staffa et les îles voisines, est d’origine volcanique ; le Ben-More est un volcan éteint.