Souvenirs d'un engagé volontaire/Préface

Librairie académique Perrin et Cie (p. IX-XII).

Le succès qui accueillit toujours les journaux de route des soldats de la Révolution et de l’Empire, me fait bien augurer de la destinée de ce petit livre. On n’y trouvera pas, comme dans les récits du canonnier Bricard ou du capitaine Coignet, des narrations de marches victorieuses, mais la notation, au jour le jour, d’événements qui, au milieu de nos défaites, constituent un épisode glorieux. C’est le siège de Belfort qu’on nous raconte ici.

Ces souvenirs sont de l’histoire, et de la plus vivante. On y verra le désordre de notre armée, la rivalité des chefs, l’indiscipline des troupes, mais aussi leur bonne humeur, leur bravoure et leur entrain, enfin le tableau le plus saisissant des souffrances d’une courageuse petite ville sous les boulets de l’ennemi.

La sincérité de ces souvenirs est évidente. Tous les faits rapportés ont été vécus. C’est le journal d’un acteur et d’un témoin. Nulle sensiblerie. Un accent franc et direct. Une émotion profonde et qui ne s’étale jamais.

Dirai-je qu’il n’y a pas de récits de guerre qui m’aient ému comme les dix lignes que voici :

« Roussel (un des camarades de M. Marcel Poilay) fut frappé d’un éclat d’obus à la cuisse et au ventre. Il était près de moi et venait de me raconter qu’un contrebandier se disposant à franchir les lignes ennemies, il avait préparé, pour la lui remettre, une lettre à sa fiancée. Il se vit frappé mortellement et rassembla ses forces pour me dire :

« Prends ma lettre ; envoie-la ! » Mais à la place de sa poche il n’y avait plus qu’un amas de chair à vif et de chiffons sanglants. « Ne la trouves-tu pas ? » insista-t-il, et son regard prêt à se clore, me poursuivait ; il voulait voir « sa lettre » ; — j’usai d’un subterfuge. J’avais, moi aussi, une lettre dans ma poche. Je la pris et la lui montrai en disant : « La voilà ! » Il ferma les yeux… il avait eu cette dernière satisfaction. »

Lisez encore le récit du factionnaire alsacien qui prévoit sa mort cinq minutes avant d’être emporté par un obus, la visite du caporal Pichon au colonel Denfert occupé dans sa casemate à jouer une partie de whist, ou bien les péripéties du combat de Bosmont, l’assaut des Basses-Perches… et vous penserez, avec moi, que ce petit volume est d’une forte tonalité et qu’il faut se réjouir qu’après trente ans écoulés, l’ancien engagé volontaire au 45e de ligne ait eu la pensée de l’écrire.

Le nom de M. Marcel Poilay, désormais est lié au souvenir de la résistance indomptée de Belfort, et les historiens de ce siège fameux iront chercher dans son livre ces menus faits qui donnent l’impression vraie des événements et comme la couleur des temps.

MAURICE BARRÈS.