Souvenirs, promenades et rêveries (Radiguet)/4

Michel-Lévy frères (p. 63-72).


[POÉSIES]

ÉCRIT LE JOUR DES RAMEAUX

En ce jour de Pâques fleurie,
Le troupeau des cloches en chœur,
Jette à travers ma rêverie,
Son impitoyable clameur.

Pour surcroît d’ennui, dans ma chambre
Le vent fredonne ses chansons
Du répertoire de Décembre,
Sur des airs chargés de frissons.

Ne pouvant dormir, j’imagine,
(Il est d’étranges voluptés !)
De m’enfoncer au cœur l’épine
Des plus tristes réalités.


Pâques fleurie ! une main blanche
En secret brisa l’an dernier
À son rameau bénit, la branche
Qui couronne mon bénitier.

Sa verte couleur d’espérance
Depuis ce jour m’abandonna,
Comme bientôt fit la constance
De celle qui me la donna.

Elle encore ! allons du courage
Fouillons les cendres du passé,
Relisons bravement la page
Où gît mon amour trépassé.

Tour à tour folle et soucieuse,
Tour à tour colombe ou pinson,
Aujourd’hui complainte amoureuse
Et demain joyeuse chanson !

Mes souvenirs, je vous renie,
Si vous allez sournoisement
Recommencer la symphonie
Qui se joue au cœur d’un amant !


Longs regards chargés de promesses,
Lèvres où fleurit le baiser ;
Front pâli qui, dans ses détresses,
Cherchait mon cœur pour s’y poser !

Sein, agité sous la dentelle
Au temps de ses premiers aveux ;
Col noyé sous le flot rebelle
Et déchaîné de ses cheveux !

Corsage à la cambrure fière,
Petit pied, qu’en ses tourbillons
Perfides, la valse légère
Emporte à travers les salons !

Moites épaules où la veine
Circule en minces filets bleus
Et dont la blancheur souveraine
Rendrait les marbres envieux.....

Comme ses sœurs de l’Évangile,
Mes rêves toujours en chemin
La rencontrent vierge fragile,
Une lampe éteinte à la main ;


Et malgré l’aube aux doigts de roses
Qui vous bannit, songes charmants,
Je retrouve paupières closes
Mes nocturnes enivrements !

Viens évoqué par mon délire
Doux météore de mes nuits !
Viens, et que ton magique empire
Ramène les bonheurs enfuis !

Mais ne viens pas coquette et folle ;
Viens sans fleurs et sans éventail,
Sans ton joyeux chant qui s’envole
D’un nid de perles et de corail !

Je ne veux plus jamais entendre
Ces airs qui m’ont fait tant de mal ;
Je n’ai que des douleurs à prendre
Parmi ces souvenirs de bal !

N’attriste pas, je t’en conjure,
Ma radieuse vision,
De ces instruments de torture
Bel ange de la passion !…


Elle vient ! la voilà ! c’est elle !
Âme joyeuse et front rêveur ;
Miroir qui reflète et révèle
Les rayons tristes du bonheur !

Elle a paré son frais visage
De ses sourires les plus doux ;
Elle a parfumé son langage
Tout exprès pour le rendez-vous.

Les deux mains pleines de caresses
Elle prend vers moi son essor,
Et l’ardent essaim des tendresses
Sur mon cœur vient s’abattre encor !

Pourtant depuis l’épreuve amère
J’avais bien cru mettre au cercueil
La folle passion dernière
Dont ma raison mena le deuil.

Mais cet amour-là fut sans doute
Un amour qui, mal enterré,
S’en revient flâner sur la route
De son convoi prématuré.


Hélas je reprendrais bien vite
Le sentier à peine effacé,
Si ta blanche main qui m’invite
Cueillait les fleurs de l’an passé ;

Si de ton succès éphémère
Tu reniais l’éclat maudit,
Si de ma chambre solitaire
Tu remplaçais le buis bénit,

Celui qui tristement s’étale,
Flétri, poudreux et dévasté
Bon pour asperger d’eau lustrale
Des griefs morts de vétusté !


(Revue de Paris, 15 mai 1856.)

APRÈSUN BAL
Février 1856.

Sapienti sat !

Qu’est devenu le temps où sur les grèves
Ces blonds cheveux, qu’aujourd’hui tu relèves
Avec tant d’art pour des gens inconnus,
Entre mes doigts étaient tordus, ma chère,
Et goutte à goutte épanchaient l’onde amère
  Sur tes pieds nus !

À cette main, aujourd’hui douce et pâle,
L’air attachait des mitaines de hâle ;
Puis, en dépit de l’énorme chapeau,
Le grand soleil se frayant un passage
Sous ses baisers avait de ton visage
  Bruni la peau.


Le vent des mers te fouettant de son aile,
Forçait ton front à se rider, ma belle ;
Dans ces sillons, fermés le lendemain,
On était sûr que la vague marine,
Déposerait sa poudre grise et fine,
  Après le bain !

tu ne prenais, durant nos promenades,
De la charrette aux brutales saccades,
De cette barque où tu ramais aussi,
De ce coup d’air qui t’enfiévrait la joue,
De tes jupons que festonnait la boue ;
  Aucun souci !

Eh bien, crois-moi, je t’aimais ainsi faite.
En ce temps-là, tu n’étais pas coquette,
Et ce valseur, imprudemment banal,
N’eût de ton cœur, — tant l’innocence est forte !
Comme aujourd’hui voulu forcer la porte
  Pendant un bal !


(Revue de Paris.)

DÉPART DE L’ESCADRE
À B. J.....

Brest 1856.

Vos noirs vaisseaux hier ont déployé leurs ailes !
Rasant d’un vol hardi la croupe des flots verts,
Ils vont où vous allez, frileuses hirondelles,
Sitôt que sur nos champs s’abattent les hivers.

Phares à l’œil sanglant, moroses citadelles,
Vieux cloîtres mutilés durant des jours pervers ;
Sein, Molène, Ouessant dont les chaloupes frêles
Bravent de l’Océan les abîmes ouverts ;


À l’horizon lointain qui de brume se voile
Tout fuit, l’acte est joué ! — Mais derrière la toile
Resté ; je m’attendais le soir de vos adieux

À surprendre un chagrin chez ces femmes frivoles
Rien, rien, rien ! — Touchez donc aux rives espagnoles
Sans un regret au cœur, sans une larme aux yeux.


(Revue de Paris.)