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SONNET.


Songeant à ton baiſer, bien ſouvent je m’éveille ;
Et reſſentant encor cette douce faveur,
Je juge ce baiſer être de la ſaveur,
De ce qui est produit d’une ſoigneuse abeille.

Mon Dieu, quel paſſe-temps ! mon Dieu, quelle merveille !
Ô combien de plaisir ! Ô combien de douceur
Giſt au friand baiſer qui ſe rend raviſſeur
De mon affection, encor que je ſommeille !

Or’ je jure mon Dieu, or’ qu’eſveillé je ſuis,
Si au gré de mon œil appréhender je puis
Le précieux corail de ta bouche amiable,

Chaqu’ heure mille fois je le rebaiſerai ;
Et en le rebaiſant, à l’inſtant je ferai,
D’un ſonge frauduleux un baiſer véritable.


SONNET.


Gentil tertre, élevé ſur la blanche poitrine,
Tetin bien arrondi, je ſais bien, sur ma foi,
Que tu as bien raiſon de te plaindre de moi,
Qui n’ai onc contemplé ta blancheur ivoirine.

Tetin, chevet d’amour, dont la rondeur poupine
Eveille l’appétit d’un doux je ne ſçai quoi,
Permets ſans te cacher, qu’en m’approchant de toi,
Je goûte le plaisir de ta grace divine.

Portant envie à l’œil, & à ta bouche auſſi,
Tu ne dois te cacher deſſous ton voile ainſi,
De peur que ton ami ſecrettement te touche.

Pour ce, deſcouvre-nous tes louables tréſors ;
Ah ! daigne-les ouvrir, & tu ſeras alors
Aussi favorisé que l’œil & la bouche.


SONNET.


Ainsi que Phœbus ſans clarté,
Ainſi que les prés ſans verdure,
Ainſi qu’un roc ſans dureté,
Ainſi qu’un parc ſans fermeture ;

Ainſi qu’un deſgel ſans froidure,
Un vent marin ſans cruauté,
Comme les cieux ſans couverture,
Angélique on voit ſans beauté.

Ainſi qu’un puits ſans profondeur,
Ainſi qu’un marbre ſans froideur,
Ainſi qu’amour ſans espérance ;

Ainſi que la mer est ſans eau,
Ainſi que l’air est ſans oiſeau,
Ainſi mon cœur est ſans ſouffrance.


SONNET.


Petits Démons, qui errez en tout lieu,
Sans qu’à nos yeux vous deſiriez paroître,
Quoiqu’aux humains vous faſſiez reconnoître
Les hauts ſecrets & volontés de Dieu ;

Gardez vous bien d’approcher de ce feu
Qui dans les cœurs tant de flammes fait croître,
Ni ne ſoyez curieux de connaître
Cette Beauté qui nous pipe en son jeu.

Quiconque ſoit qui ſes graces contemple,
Demeure pris ; vous en voyez l’exemple :
Ainſi que moi ſon eſclave ſerez.

De plus, voler ailleurs n’aurez puiſſance ;
Et des travaux que pour elle prendrez,
Un froid dédain ſera la récompenſe.