A. Lemerre (p. 33-34).


NATURE PROVENÇALE



Terrains rouges, pelés ; tristes oliviers gris
S’éplorant dans le deuil de leurs bras rabougris ;
Mûriers verts, longs cyprès en files régulières
Donnant aux champs l’aspect de petits cimetières
Où l’on attend toujours, fredonnant son couplet,
Noir sur un ciel sanglant, le fossoyeur d’Hamlet ;
Maisons aux toits mesquins, aux fenêtres étroites,
Dans quelque coin d’enclos se dressant toutes droites,
Toutes raides, avec un faux air de prison ;
Routes blanches, montant vers le morne horizon
Sèchement, sans ruisseaux, sans ombre, sans verdure ;
Rien de frais, de riant, de tendre : une nature
Ingrate, indifférente à l’esprit comme aux yeux…
Et cependant un charme exquis, mystérieux,
Et la gaîté sortant, rayonnante et superbe,
Du moindre pan de mur et du moindre brin d’herbe.

Ô lumière, sourire et grâce du Midi,
C’est toi qui d’un seul coup de ton pinceau hardi

Sais métamorphoser cette nature plate
Et jeter sur ce deuil ton manteau d’écarlate !
Eh parbleu !… n’es-tu pas du pays provençal ?
Sous tes rayons, le grand devient le colossal,
Le laid s’élève au beau, le noir se fond en rose…
D’un peu, tu fais beaucoup — et de rien, quelque chose !