Soirs d’été (Guérin)


SOIRS D’ÉTÉ



Une flûte au son pur, je ne sais où, soupire.
C’est dimanche, la ville est calme et le soir bleu
Et l’âme ayant trouvé la paix qu’elle désire
Bénit ce jour qui passe et la bonté de Dieu.

Ah ! quel que soit le lied qu’on joue au crépuscule,
Là-bas, dans les jardins, ce dimanche d’été,
Le lied mélodieux qu’une flûte module,
À l’entendre mon cœur se fond de volupté.

J’imagine une main de femme, longue et pâle,
Dont les doigts ou levés ou posés sur le buis
Font tendrement chanter l’amour qui s’en exhale,
Je vois les yeux pensifs boire le ciel, et puis,

Songeant qu’un large mur de pierre nous sépare
Et que la vie, hélas ! plus dure est entre nous,
Je mêle aux pleurs glacés dont l’Orient se pare
Mes pleurs d’homme, brûlants et lourds, amers et doux.


ii



Est-ce dans le couvent voisin qui se recueille
Le rosaire et le bruit d’abeilles des Avé ?
Est-ce dans le vent du soir qui joue avec la feuille ?…
Je ne sais. Mais un jour encore s’est achevé.

Joignons les mains, joignons nos cœurs et bouche à bouche
Puisque le tendre amour nous parle, écoutons-le,
Rêvons. Vesper sourit, la colombe se couche,
Et le tilleul embaume et baigne dans l’air bleu.


iii


Mon enfant, mon agneau, ma colombe,
Le jardin s’assoupit, la nuit tombe,
Repose sur mon cœur, repose,
Sans vouloir, sans savoir, sans entendre,
Toute offerte au baiser tiède et tendre
Qui fait s’ouvrir ta bouche close.

Le tilleul bercera notre idylle
De son ombre embaumée et mobile ;
Aimons, aimons-nous, chaque chose
Nous invite à goûter sans parole
L’instant bref qui s’effeuille ou s’envole.
Aimons-nous, mon oiseau, ma rose.

iv


Ainsi qu’un lierre obscur ceint le bord d’une coupe
La montagne en traits noirs sur le ciel se découpe,
Sur le ciel pâlissant et pur d’un soir d’été.
L’âme à la fin du jour goûte à la volupté
D’être comme une fleur trop lourde qui s’incline.
La cendre de la nuit flotte sur la colline
Et des flocons, de cendre encor, montent des toits.
Aux bruits de pas se mêle un bruit confus de voix.
On regarde l’azur qui s’étoile sourire.
L’ombre est chaude, une haleine amoureuse soupire
Et son baiser furtif pénètre jusqu’au cœur.
On rêve, il semblerait qu’une même langueur
Oppresse le feuillage et la gorge des femmes.
Paix sur la terre et dans le ciel. Paix sur les âmes.

charles guérin.