Socrate chrestien/Discours 2

Augustin Courbé (p. 19-30).

DE L’EGO SUM
DE IESUS-CHRIST.



MAis vostre Voisin le Delicat voudroit que cette Doctrine eust esté debitée avec plus de grace, & que l’Evangile fût plus fleuri et plus attrayant. Nous luy ferons raison là-dessus une autre fois, & peut-estre contenterons-nous sa delicatesse. Cependant, me dit-il, ie m’adresse à vous, qui ne manquez pas de fleurs & d’attrais ; de couleurs et d’ornemens ; et qui neantmoins n’estimez pas ces bagatelles plus qu’elles ne valent. Vous plaidastes il y a quelques années, pour L’authorité contre L’eloquence ; & si ma memoire ne me trompe, il me semble que vous gaignastes la cause de L’authorité. I’ay veu un grand Commentaire sur le Quirites de Iules Cesar, ne verray-je point une petite reflexion sur l’ego sum de Iesus-Christ ?

Cet admirable ego sum, que nous ouïsmes chanter à la Passion il y a quinze jours, est rapporté dans l’Evangile de Sainct Iean, & commence le premier Acte de la Tragedie de nostre Seigneur. Ces trois Sillabes sorties de sa bouche, espouvanterent ses Ennemis ; mirent en desordre des Auditeurs qui estoient en armes ; firent tomber à la renverse une Compagnie de gens de pié : Et ie ne doute point que cette cheute n’eust esté mortelle à ceux qui tomberent, si la mesme force qui les abbatit, ne les eust aidez à se relever.

On parle des Esclairs & des Tonnerres d’un homme d’Athenes, qui mesloit le Ciel avec la Terre, sur la tribune aux Harangues. Mais outre que c’estoient des Orages en peinture, et qui ne faisoient tomber personne, considerez, s’il vous plaist, de quelle sorte il les excitoit. C’estoit en criant à pleine teste ; en se tourmentant & en s’agitant, comme une personne possedée ; en faisant mille grimaces de son visage, et mille tours de souplesse de son corps. Il employoit pour cela les frequentes Exclamations, les Enthimemes en foule, les Paroles qui faisoient le plus de bruit, les plus vives & les plus violentes figures. Et tout cela neantmoins n’estoit cause d’aucun mouvement forcé, en la posture des Assistans ; d’un seul faux pas, au plus foible de la compagnie. Toute cette violence n’eust pas esté capable de remuër une paille, ni de donner le branle aux feüilles d’un arbre.

Comment est-ce donc que l’Ego sum de Iesus-Christ, sorti de sa bouche sans effort, sans qu’il esleve seulement le ton de sa voix, porte par terre des hommes fermes & vigoureux ; met à ses piez une troupe de soldats, qui estoient venus se saisir de luy ? Il n’est rien en apparence de si doux et de si tranquille que cet Ego sum. Deux paroles le composent ; paroles courtes, simples & vulgaires ; qui n’ont rien d’éclatant & de figuré ; rien qui estonne & qui menace les gens ; rien qui presage & qui signifie le coup qu’elles vont frapper.

C’est-à-dire qu’il faut que ces deux paroles ne soient que la couverture & que l’envelope de quelque chose d’extraordinaire, qui est caché dessous. Il faut sans doute que ce soit une estincelle tombée du plus haut des Cieux ; un rayon de veritable divinité, qui se mesle dans ces deux paroles ; qui leur communique une vertu estrangere, & qu’elles n’avoient pas naturellement. Ces paroles ne sont point foudroyantes de leur propre feu ; Il faut necessairement que celuy qui les profere, soit le Maistre des Foudres & de la Tempeste.

Il y a des ames, dont la dureté est invincible, et contre lesquelles reboucheroient les plus pathetiques periodes de nos Orateurs : Mais il n’y a point d’ames, fussent-elles de fer ou de bronze, qui soient à l’espreuve des paroles de nostre Legislateur, qui puissent tenir bon contre les moindres sillabes de Iesus-Christ. Que vostre Voisin le Delicat allegue tant qu’il voudra son Nestor, son Menelas, son Ulisse ; & les propose comme les trois fondateurs des trois stiles differens. Qu’il conte merveilles à ceux qui l’escoutent, de l’Eloquence Attique, de l’Asiatique, de la Rhodiene. Sur ma parole mesprisez en cecy tout ce qu’il admire, & reservez toute vostre admiration pour le Laconisme de Jesus Christ.

L’ouy & le non de Iesus-Christ peuvent faire & deffaire, peuvent bastir & destruire, avec une esgale facilité. Son silence mesme & son repos, ses foiblesses & ses infirmitez, sont choses fortes, agissantes, efficaces ; sont capables d’operer des Miracles ; parce qu’elles ne sont jamais abandonnées de la puissance, necessaire à l’operation des Miracles, parce que la grandeur de ses actions ne despend point de la grandeur de ses instrumens & de ses moyens. Son Ego sum, animé de cette secrete & souveraine puissance, eust pû mettre en fuite une legion, aussi aisément qu’une Escoüade.

IAy fait à peu pres le Discours que je vous avois convié de faire. Mais apres tant de paroles, oublierons-nous la Consequence qui en resulte ; Consequence qui se tire sans art & sans peine ; qui sort d’elle-mesme de l’Ego sum de Iesus-Christ ? Dites moy, ie vous prie, si son abbaissement sur la Terre est si redoutable, combien sera terrible son Eslevation dans les Nuées ? Si son Humilité captive accable les hommes, qui pourra soustenir sa Majesté triomphante ? Si ayant à estre Iugé, sa premiere Response fait tant d’esclat, de quel ton prononcera-t-il le dernier Arrest, quand il viendra luy-mesme pour estre le Iuge ?

I’ay assez de cette Response, pour respondre à toutes les demandes de vostre Voisin ; pour refuter toutes les objections de mes sens & de ma raison. Sans Rhetorique, sans Dialectique, ces trois Sillabes me suffisent, pour me persuader la Divinité de cet Homme que j’adore. Et apres l’effet estrange de ces trois Sillabes, & tant d’autres estranges effets, si bien & si nettement verifiez, quand il s’eslevera en mon ame quelque petit mouvement de rebellion contre la Foy, à l’heure mesme je m’adresseray au Dieu de la Foy, & prendray la liberté de luy tenir le langage, que luy tenoient les anciens Fideles.

Si nous nous sommes esgarez, mon dieu, ç’a esté en vous suivant. Si nous n’avons pas escouté nostre raison, vos miracles en sont cause. Si nous avons adoré un homme, vous-vous estes entendu aveque cet homme, pour nous faire croire qu’il estoit Dieu. Vous luy avez presté vostre puissance pour nous obliger à luy rendre nostre culte. Nous sommes excusables, mon dieu, d’avoir reconnu celuy, qui ne sçauroit estre que vous, si vous ne venez vous mesme nous declarer, qu’il est un autre que vous.

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