Société internationale universelle pour la rénovation de l’Orient


SOCIÉTÉ INTERNATIONALE UNIVERSELLE
pour la

RÉNOVATION DE L’ORIENT

(exemplaire unique)


Sa Majesté l’Empereur Napoléon III, comme Chef de l’Empire romain, qualité en laquelle Napoléon 1er  avait, dès l’année 1806, succédé à François 1er , empereur d’Allemagne et du Saint-Empire romain, est le Protecteur de la race latine, qui peut devenir, sous Son auguste patronage, une sorte de Confédération.

Actuellement, l’alliance des Latins, des Arabes et des Juifs, avec le protectorat suprême de ce puissant Génie du siècle, c’est non-seulement la domination sur la Méditerranée, mais c’est l’Empire du monde, si la reconstitution de l’Orient peut être effectuée par l’Empereur des Français avec la sympathie et l’appui des Anglais.

I

Pour atteindre un but aussi élevé et d’une réalisation en apparence si difficile, une des premières conditions serait de neutraliser internationalement l’Orient, en créant sous le patronage du Chef de la nation française une grande Compagnie orientale universelle au capital de cinq ou six cents millions, et à laquelle on intéresserait tout spécialement les Juifs répandus dans le monde entier et possesseurs de richesses immenses, ainsi que les grandes fortunes de l’Europe et de l’Amérique.


Voici de quelle manière cette Compagnie orientale universelle pourrait être présentée au public européen, en y rattachant tout spécialement l’idée de la rénovation de la Terre-Sainte au point de vue international.

La Compagnie orientale a pour but :

1o De favoriser le développement de l’agriculture, de l’industrie, du commerce et des travaux publics en Orient, et surtout en Palestine ;

2o De recevoir du Gouvernement turc des priviléges et des monopoles importants, soit à Constantinople, soit dans le reste de l’empire.

3o D’obtenir du Sultan la concession et l’abandon graduel des terres de la Palestine, ce qui sera un moyen de créer temporairement de nouvelles ressources financières au Gouvernement ottoman.

4o De distribuer, à prix d’argent, celles de ces terres dont la Compagnie aura obtenu elle-même la possession, et de faire coloniser internationalement les plus fertiles vallées de la Terre-Sainte.


L’empire turc contient des richesses de tous genres qui, si elles étaient exploitées par une Compagnie financière puissante, pourraient procurer des résultats considérables et certainement beaucoup plus lucratifs que ceux qu’il est permis d’obtenir en Occident.

La Porte ne possède ni les ressources, ni les forces nécessaires pour créer et mènera bonne fin les travaux d’utilité publique que réclame impérieusement le développement intérieur de l’Empire ottoman. Cette puissance, réduite à ses propres forces, ne peut décidément pas augmenter ses revenus ni s’en former de nouveaux ; elle est incapable de donner un appui énergique à l’agriculture ou à l’industrie, qui sont les seuls moyens d’accroître la fortune et la prospérité publiques.


C’est donc à l’Occident, qui possède les capitaux et où les forces créatrices surabondent, à prendre en main une œuvre susceptible de donner des résultats financiers et même politiques excellents, et c’est aussi à l’Occident qu’échoit tout naturellement le droit de profiter des avantages réels que présente la Turquie. En conséquence, il y a tout lieu de former une Compagnie assez puissante et assez riche pour fournir des ressources importantes au Gouvernement turc et être elle-même très-largement rémunérée de ses entreprises.

Il est parfaitement certain que des opérations habilement conduites, dans ce pays neuf, rapporteront des intérêts fort élevés ; mais il faut trouver des combinaisons nouvelles qui rencontrent à la fois l’approbation des Puissances européennes et l’appui sincère de la Sublime-Porte. Ainsi, et pour ne point disséminer ses forces, cette association devra utiliser certaines circonstances spéciales où se trouve actuellement la Turquie, et la Palestine se présente tout naturellement à l’esprit comme pouvant devenir un premier champ d’activité.

La Palestine, on le sait, ne demande que du travail pour produire avec abondance ; au point de vue de la géographie physique, c’est un des pays les plus remarquables et les plus fertiles du globe ; on y rencontre les produits de toutes les latitudes et les émigrants de l’Europe y retrouvent le climat de leur pays. Le commerce et l’industrie privée, qui viendront compléter l’œuvre de l’agriculture, y attireront des négociants, des colons, des capitalistes chrétiens et israélites.

II

La Compagnie orientale universelle, après avoir établi des comptoirs commerciaux puissants, soit à Constantinople, soit dans d’autres villes de l’empire, devra construire un port à Jaffa et un chemin de fer de cette cité à Jérusalem. Sur le parcours de ce chemin de fer, les terrains seraient concédés par la Turquie à cette Société, qui les vendrait avec bénéfice, particulièrement aux grands financiers de l’Europe et aux familles juives les plus opulentes. À leur tour, celles-ci créeraient et feraient prospérer des colonies agricoles, avec l’aide et la main-d’œuvre de ceux de leurs coreligionnaires orientaux dont l’amour pour leur antique patrie s’est maintenu aussi ardent que jamais. Des comités spéciaux enverront, à leurs frais, leurs coreligionnaires de Pologne, de Hongrie, de Moravie, de Moldavie, d’Orient, d’Afrique, etc.

Tandis que les chrétiens de toutes dénominations s’accordent aujourd’hui à tendre une main fraternelle aux Israélites, ceux-ci, rassasiés de richesses, mais avides de considération et d’honneurs, semblent ne plus aspirer qu’à se fondre dans le flot général des nations. La résurrection de ce peuple, comme nationalité territoriale, le placera dans une position tout spécialement favorable, ou ses qualités trouveront un vaste champ pour s’exercer.


Il pourrait peut-être entrer dans la politique de l’Empereur des Français d’accepter, plus tard, la suzeraineté d’un petit État hébreux qui, tout en étant sous une protection internationale, relèverait de la France.

En outre, il pourrait peut-être aussi entrer dans la politique napoléonienne, à l’égard d’un nombre fort restreint d’Israélites éminents et possesseurs de grandes richesses, de leur faire la concession de quelques titres nobiliaires, avec des noms de la Judée, sous la condition expresse de faire réussir immédiatement ces colonies.

Tous les Juifs comprendront, particulièrement leurs grands et opulents financiers, que la reconstitution territoriale d’une nationalité israélite relèverait dans l’univers entier la position morale et politique de chacun des membres de cette nation. Cette reconstitution aurait son importance pour forcer la main, avec l’appui énergique des Puissances occidentales, à ceux des États du monde qui refusent encore aux Juifs les droits de citoyens dans leurs territoires respectifs

Si la Chrétienté a une grande injustice à réparer, injustice qui dure depuis dix-huit siècles, il va pourtant sans dire que les Israélites de l’Occident, jouissant des droits politiques, ne sont pas appelés à se diriger sur la Palestine. Mais ne sera-ce pas une gloire pour les illustres financiers appartenant à cette nation, et qui, au fond, sont eux-mêmes très-patriotes, de soustraire aux tribulations et aux persécutions ceux de leurs coreligionnaires qui souffrent encore du mauvais vouloir de gouvernements retardataires ou rétrogrades ?

Une fois restaurée, affermie et environnée d’un certain prestige, cette race antique, si souvent et si cruellement éprouvée au moyen âge, sera entourée par les musulmans de la considération morale à laquelle elle a droit. C’est alors que la mission des Israélites sera évidemment de faire pénétrer en Asie les idées de civilisation et d’humanité dont la France et l’Angleterre ont pris l’initiative dans le siècle actuel.

III

La reconstruction des Lieux-Saints à Jérusalem s’accomplirait désormais internationalement et d’une manière digne de la Chrétienté.

La Compagnie internationale en serait naturellement chargée, et ferait ainsi disparaître des conflits sans cesse renouvelés entre les nations intéressées.

Jérusalem sera transformée par les efforts de la Compagnie orientale universelle, soutenue efficacement par l’opinion publique en France, en Angleterre, en Allemagne et dans toute l’Europe, mais grâce surtout au Bras puissant qui doit relever l’Orient de ses ruines et en effectuer la rénovation.

De nombreux quartiers seront créés dans la Ville-Sainte, assez vastes pour loger confortablement les familles israélites influentes qui s’y établiront, et avec des résidences dignes de ceux des chrétiens de l’Europe qui voudront y ériger des palais et des hôtels. Déjà une nouvelle Jérusalem a pris naissance au pied du mur d’enceinte de la vieille cité ; la France, l’Angleterre, la Russie, y ont fondé des hospices, des couvents, des églises, et constamment des édifices nouveaux viennent en augmenter l’importance. L’Occident, trop peuplé, se déversera tout naturellement sur l’Orient, et le monde pourra se convaincre que les Français ne se font pas les janissaires du Latinisme, mais que la France impériale se révèle et agit partout où il y a une cause juste et civilisatrice à faire prévaloir.


Mais le résultat capital de l’établissement des populations occidentales en Palestine sera la délivrance de la Terre-Sainte du joug des Turcs. L’opprobre et les indignités dont le Saint-Sépulcre et les chrétiens sont encore l’objet de la part des infidèles doivent avoir un terme. Or, l’affranchissement pacifique de la Terre Sainte de la domination de l’Islam se fera avec le concours même du Sultan, heureux de l’appui financier qui lui sera prêté. C’est presque le seul moyen pour la Turquie de se procurer des ressources, puisqu’elle contracte maintenant de nouveaux emprunts pour payer les intérêts de ses emprunts précédents.

Cette rénovation, après laquelle l’Europe a soupiré depuis des siècles, non moins que le désintéressement apporté par l’Empereur des Français dans l’accomplissement de cette œuvre grandiose, lui vaudra l’admiration enthousiaste des peuples civilisés, en même temps que la création d’un empire arabe étendrait sur l’Orient tout entier le prestige de Sa personne et de Sa puissance.


Jérusalem renaîtra donc de ses cendres ; la ville de la paix sera restaurée avec splendeur et rétablie comme la métropole de l’Orient, et si jamais il entrait dans les desseins impénétrables de la Providence que la papauté eût à s’éloigner de Rome, les nations latines et catholiques verraient avec satisfaction le Souverain Pontife siéger dans l’antique cité de David et de Salomon.

Alors le croissant s’inclinera devant la croix, et le nouveau Cyrus, auteur de cette transformation, aura résolu, à la gloire de la France et de la Dynastie Napoléonienne, un des problèmes politiques les plus difficiles des temps modernes.

IV

Sous la suzeraineté nominale du Sultan, une très-puissante et très-honorable compagnie saura bien administrer avec intelligence et équité les territoires qui lui seront dévolus ; ainsi les Indes ont été administrées et gouvernées fort longtemps par une compagnie anglaise.

Sur les instances mêmes de la Société universelle orientale, ses colonies naissantes seraient neutralisées diplomatiquement à l’instar de la Confédération Suisse, et par un traité qui ne serait pas sans analogie avec la Convention signée à Genève en faveur des ambulances, des corps sanitaires et des blessés militaires. Il est, du reste, moins difficile qu’on ne peut le penser de neutraliser la Palestine par un accord entre les Puissances, car il existe un précédent remarquable, qui est la neutralisation du bas Danube, obtenue officiellement des sept Puissances signataires du traité de Paris. Or, la Commission du bas Danube s’est créé son pavillon et sa petite flotte, elle possède un personnel nombreux, des revenus, et elle cherche actuellement à contracter un emprunt de trois millions, à l’égal d’un État indépendant.

V

Pour préparer les voies à la Compagnie financière orientale, et avant toute intervention des gouvernements européens, il importe que les esprits soient amenés à se préoccuper de ces questions chevaleresques.

Il est indispensable, pour arriver à ce résultat, de créer, spécialement avec le concours des Anglais, un Comité véritablement international composé d’hommes influents et bien qualifiés, de nations et d’opinions diverses, ayant à cœur de faire prévaloir les mêmes vues générales sans aucun intérêt financier.

Les éléments de ce comité sont du reste tout préparés.

Son programme, à la fois scientifique, humanitaire, économique, etc., est en même temps international et interconfessionnel ; il ne peut blesser aucune susceptibilité quelle qu’elle soit. Les noms les plus considérables de France et d’Angleterre sont disposés à s’y rattacher. La question financière y est présentée seulement comme l’une des branches spéciales de son activité, branche qui serait dirigée par des personnes haut placées dans la finance, telles que les Rothschild, les Montefiore, etc., qui prennent un immense intérêt au projet de Société Internationale Universelle.

La force morale d’une pareille association, placée ultérieurement sous le protectorat de l’Empereur des Français, serait immense, et son action sur l’opinion publique d’une portée incalculable.

VI

Il importe également, dans l’intérêt de l’Occident comme dans celui de la restauration normale de l’Orient, de réconcilier les deux races d’Ismaël et d’Israël, c’est-à-dire les Arabes et les Juifs, et de créer un empire arabe. Cette idée n’avait point échappé à l’esprit pénétrant de Napoléon Ier, dont le prestige est demeuré immense dans tout l’Orient, et dont les vues, à cet égard, semblent se trouver entièrement d’accord avec les données de la Bible, qui assigne à Ismaël, fils d’Abraham, le pays situé depuis le bassin du Tigre et de l’Euphrate inclusivement jusqu’à l’Égypte.

La Bible consacre le principe des nationalités, et il paraît ressortir clairement de ses déclarations mêmes que les descendants d’Ismaël, comme ceux d’Isaac, doivent en définitive recouvrer leur territoire respectif. Les prophéties de l’avenir dans les Saintes Écritures concordent avec cette idée napoléonienne, et nous montrent ces deux peuples alliés comme deux frères et se protégeant mutuellement.

L’empire arabe aurait le grand avantage d’attirer à lui les populations remuantes et nomades de l’Algérie, et d’établir, tout en laissant dans ce pays les Kabyles et autres Berbers, un courant arabe d’immigration de l’Algérie vers l’Orient, ce qui contribuerait certainement à faire disparaître pour le Gouvernement français une des difficultés du moment.

Au surplus, l’empire arabe pourrait être un des moyens les plus efficaces d’entraver les empiétements perpétuels de la Russie en Asie et en Orient. Sous l’influence des appréhensions que lui inspire cette puissance, la Grande-Bretagne finira évidemment par accéder au nouvel état de choses, car elle ne se dissimule plus la décadence de l’empire des Osmanlis, race qui, d’après le principe des nationalités, semble devoir être refoulée graduellement jusqu’au cœur de l’Asie. D’ailleurs, la grande compagnie orientale étant créée avec le concours des Anglais, l’esprit religieux de la nation britannique se laissera facilement enthousiasmer par l’idée du rétablissement des Juifs en Palestine, idée qui leur est fort sympathique, et tous les peuples chrétiens tressailliront de joie et d’allégresse à la pensée de voir enfin la Terre-Sainte ne plus demeurer la proie des Infidèles.

VII

En France, où les idées généreuses sont toujours sympathiques, de pareils projets ne peuvent manquer de devenir promptement très-populaires.

Non moins que la guerre, cette noble entreprise pourrait servir de dérivatif efficace à une jeunesse ardente et aux esprits aventureux.

Le clergé se montrera jaloux de s’y associer, et prêtera sans doute son influence à sa réalisation.

Les anciens partis, et ceux mêmes qui se disent encore les fils des Croisés, saisiront avec ardeur l’occasion de se rallier à une grande cause nationale pour quitter dignement un isolement et une inaction dont ils doivent être fatigués.

Les chrétiens de la France ne peuvent demeurer indifférents et se laisser traîner à la remorque pour une œuvre si sainte et si belle ; il est impossible qu’ils consentent à la laisser s’échapper de leurs mains, et qu’ils se résignent à voir l’habile et prévoyante diplomatie des Russes ou l’esprit pratique et entreprenant des Anglais profiter d’une mission qui appartient en réalité à la France impériale et catholique.

En un mot, c’est une nouvelle croisade par la civilisation, la paix et les idées modernes, une œuvre digne à la fois du siècle et du grand Monarque qui, déjà en quelque sorte suzerain du continent occidental, semble marqué d’avance pour devenir l’homme de l’Orient.

VIII

Ces grands résultats, une fois en voie de réalisation ou obtenus par un concours international et spontané, aplaniront le chemin et pourront servir comme de jalons pour faire aboutir cette autre idée magnifique d’un congrès général et universel convoqué par l’Empereur des Français.

En tous cas, un congrès restreint, appelé à résoudre, à Paris, les questions d’Orient qui surgiront inévitablement, pourrait devenir en quelque sorte permanent, puis amener peut-être en définitive la solution des grandes questions européennes encore en suspens.

C’est alors seulement que pourra être réalisée une ère de prospérité, basée sur une paix solide. La langue française deviendra la langue universelle ; le Code Napoléon, le système décimal, le libre échange, seront facilement adoptés par les nations européennes. En un mot, tout ce qui constitue la gloire de la civilisation moderne sera introduit par la France chez les peuples dont elle aura conservé ou sauvé la nationalité, en leur inculquant en même temps le glorieux principe de la fraternité internationale.

Le Soleil impérial qui couronne et guide la grande Nation luira dans toute sa splendeur. La terre latine, l’Europe, l’Orient, adopteront les principes de civilisation que la France a inscrits sur sa bannière, et Napoléon III, en confondant Sa gloire et le triomphe de Sa dynastie avec la gloire de la France, conservera à la race des Francs, comme héritier de Charlemagne, l’antique Empire de la race de Romulus.

Henry Dunant.