Six lectures sur l’annexion du Canada aux États-Unis/Troisième Lecture
TROISIÈME LECTURE.
Messieurs de l’Institut,
Depuis que l’on a commencé d’agiter, dans ce pays, la question de l’annexion, vous avez vu d’abord tous les journaux soldés, ensuite ceux dont la raison est le plus souvent obscurcie par de mauvais préjugés nationaux, criailler à qui mieux mieux contre les États-Unis, contre leurs institutions, contre leur gouvernement. Les uns ont nié la supériorité des institutions Américaines sur notre gouvernement responsable ; les autres ont nié l’efficacité des rouages administratifs des États-Unis ; plusieurs ont même contesté la prospérité commerciale et industrielle de ce magnifique pays.
Des législateurs indifférents ou bornés, qui n’ont pas su doter le pays d’une seule bonne loi générale depuis trois ans, sont venus nous affirmer, avec un imperturbable sérieux, qu’avec de bonnes lois, le Canada n’aurait rien à envier aux États-Unis !
Des ministres qui se sont, en quelque sorte, laissés polluer complaisamment par l’émeute, et qui ont gracieusement donné à ses chefs le baiser de paix, n’ont cessé de nous répéter que le gouvernement des États-Unis n’avait aucune force contre les désordres publics, aucune énergie pour la répression du mal !
Des journalistes qui, sous le ministère Draper, proclamaient hautement leur admiration pour tout ce qui était Américain, et avouaient franchement notre état d’infériorité relative, ont tout-à-coup découvert que les institutions Américaines ne valaient pas notre gouvernement responsable ! ! que le Canada était aussi prospère que les États-Unis ! ! qu’il offrait à l’homme industrieux les mêmes chances de fortune et de bien être ! !
Dans d’habiles articles intitulés, « ruine et dépérissement » ils ont essayé de jeter du ridicule sur ceux qui s’aperçoivent que le Canada est pauvre et mal gouverné ; heureusement l’arme du ridicule est, entre leurs mains, d’une innocence sans égale et elle n’a, que je sache, tué personne.
Cela est triste à dire, Messieurs, mais cela est vrai ; parmi les journaux auxquels j’ai fait allusion, et qui ont discuté la question de l’annexion, la palme de l’ignorance appartient sans contredit à trois journaux français de Montréal et de Québec ! !
Ce sont des journaux écrits dans notre langue qui nous ont appris que l’annexion était pleine de dangers pour le pays parce que les glaces éternelles du pôle nous servaient-de limites ! ! Ce sont des journaux français qui ont affirmé que les Américains étaient moins libres que nous ! ! Ce sont des journaux français qui, les premiers, ont soutenu que la responsabilité gouvernementale était une réalité en Canada, une chimère aux États-Unis ! ! Ce sont des journaux français qui ont affirmé et répété que les finances de l’État de New-York étaient beaucoup plus embarrassées que les nôtres ; que les chemins de fer du Massachusetts étaient, pour leurs actionnaires, un fardeau et non une richesse ! !
Enfin ce serait à n’en jamais finir, si je voulais vous retracer une à une toutes les énormités dont ils ont rempli leurs colonnes : aussi m’en abstiendrai-je car ce serait pour moi une tâche trop onéreuse en même temps que pour votre patience une épreuve un peu trop rude.
Je vais donc passer de suite à l’examen de la condition politique et industrielle des États-Unis dans quelques uns de ses détails, et vous présenter les résultats généraux de l’industrie merveilleuse du peuple Américain.
Je ne m’étendrai guère sur la condition politique des États-Unis, car elle vous est généralement connue.
Vous savez tous que leurs institutions sont les plus parfaites qui soient au monde, car elles ont pour base unique le système électif dans toute sa vérité, dans toute sa plénitude.
Les États-Unis sont le seul pays dû monde qui puisse être appelé une démocratie pure ; car les institutions, les lois, les mœurs, les idées communes, les faits généraux, tout en un mot y est sérieusement, pleinement démocratique.
Le peuple Américain peut se dire véritablement souverain.
Tous les pouvoirs émanent directement de lui et il les tient pour ainsi dire sous sa main. Ils ne peuvent agir que dans son intérêt et d’après son opinion. On ne voit point, dans les institutions Américaines, de ces fictions que l’on rencontre dans les pays de monarchie constitutionnelle, et qui, sous le coup de l’analyse, deviennent de palpables absurdités. Là, point de contradiction entre la théorie et la pratique. La nation ne reconnaît pas la suzeraineté naturelle de telle ou telle famille ; le droit de tel ou tel homme à être son chef. Elle ne se prosterne pas devant une idole qu’elle même a élevée et qu’elle peut renverser à volonté.
« On a vu les Anglais, après avoir tranché la tête à Charles i et chassé Jacques ii, se mettre encore à genoux pour parler à leurs successeurs ! ! »[1] Aux États-Unis on a cessé de croire que le plus haut fonctionnaire de l’état fût nécessairement l’élu de Dieu : on a mis la raison à la place du préjugé et on ne le regarde plus que comme l’élu du peuple.
On a placé la supériorité du sang au rang des chimères et on n’attache d’importance qu’à celle de l’intelligence et du talent.
Aux États-Unis la constitution est au-dessus de tout. Elle ne peut être modifiée que du consentement de la nation qui seule a le droit d’y toucher.
Le législateur n’est que législateur : le pouvoir exécutif ne fait pas partie intégrante du pouvoir législatif. Le congrès ne jouit que de la puissance législative, et il ne réunit pas, comme le parlement d’Angleterre, la puissance constituante à la puissance législative.
En Angleterre, le pouvoir du parlement n’a pas de limites, excepté, dit Delolme, qu’il ne peut pas faire qu’un homme soit une femme. Mais s’il veut passer des lois exceptionnelles, tyranniques à n’importe quel degré ; s’il veut violer le droit naturel, attenter à celui de la propriété ; s’il veut décimer, écraser, abrutir, assassiner moralement toute une nation, comme il a fait de la malheureuse Irlande, rien ne peut l’en empêcher ; car il a le droit de saper tous les droits, il est au-dessus de la justice et des obligations morales, et les lois divines et humaines ne sont pour lui que des toiles d’araignées. « La puissance et la juridiction du parlement sont si étendues, soit sur les personnes, soit sur les affaires, dit Blackstone, qu’aucunes limites ne peuvent lui être assignées… C’est au parlement que la constitution a confié ce pouvoir despotique et absolu qui, dans tout gouvernement doit résider quelque part… il peut altérer la religion nationale établie… il peut changer et créer de nouveau la constitution du royaume… en un mot il peut faire tout ce qui n’est pas naturellement impossible. Aussi n’a t-on pas fait scrupule d’appeler son pouvoir, par une figure peut-être trop hardie, la toute puissance du parlement. »
Aux États-Unis, tout au contraire, le congrès à des attributions déterminées qu’il ne saurait ni dépasser ni enfreindre d’une manière durable. Il ne peut pas, par exemple, toucher à la constitution, parce que la constitution obligeant également le législateur et le simple citoyen, le congrès lui est soumis et non pas supérieur. Sa mission est de la faire fonctionner, nullement de la modifier. Il ne peut pas violer les droits individuels, car il n’existe que pour les garantir, les mettre à l’abri de toute atteinte. Il ne peut par conséquent pas passer une loi rétroactive.
Le congrès ne peut ni établir ni prohiber une religion : il ne peut non plus restreindre la liberté de la presse, ni celle de la parole ; il ne peut pas défendre aux citoyens de s’assembler paisiblement pour discuter quelques intérêts généraux que ce soit.
Si néanmoins il lui arrivait, dans des temps de malheur ou de crise, d’outrepasser ses pouvoirs, il existe, en vertu de la constitution, un pouvoir de révision, au moyen duquel chaque citoyens peut faire déclarer illégale toute loi passée par le congrès en violation de la constitution, ou par les législatures locales, en violation de droits acquis.
Ce pouvoir, c’est la cour suprême des États-Unis, le tribunal le plus respectable et le plus élevé qui existe dans le monde, tant par la nature et l’étendue de ses attributions que par la qualité ou plutôt l’espèce de ses justiciables, pour me servir de l’expression de Mr. De Tocqueville.
La constitution étant, aux États-Unis, la règle de conduite de tous les pouvoirs politiques, tous leurs actes doivent nécessairement en découler. Si les corps législatifs passent une loi qui viole quelqu’une de ses dispositions, il est évident que cette loi est nulle de plein droit et n’est obligatoire pour personne.
À la cour suprême des États-Unis est dévolu le droit de décider si telle loi peut-être appliquée, et si telle autre ne doit pas l’être, vu son inconstitutionnalité.
Néanmoins, comme un pouvoir de cette nature pourrait devenir très dangereux, si le juge pouvait, à son gré et de son propre mouvement, déclarer les lois inconstitutionnelles, on a cru devoir lui ôter le droit d’initiative. Ainsi un juge ne peut, en aucun cas, déclarer qu’une loi est inconstitutionnelle, s’il n’est pas saisi, par la voie ordinaire des tribunaux, d’un cas particulier qui exige l’application de la loi et conséquemment son interprétation.
Il ne peut donc jamais y avoir action politique volontaire ou préméditée, de la part du juge : son intervention ne peut pas être attribués aux passions politiques du partisan, car il est forcé, dans un démêlé entre citoyens, d’interpréter la loi ; il ne saurait s’y refuser, mais il ne peut l’appliquer que si elle est conforme à la loi première, à la charte fondamentale, qui est la constitution.
« Le pouvoir judiciaire est donc, aux États-Unis, comme le dit M. De Tocqueville, le grand balancier régulateur de la machine politique : et c’est lui qui maintient toutes ses différentes parties dans leur propre corrélation entre elles. »
Je puis donc dire que la cour suprême des États-Unis, par la nature de ses pouvoirs, forme la garantie la plus infaillible et la plus étendue des libertés publiques aussi bien que des droits individuels qu’un peuple se soit jamais donnée.
« Resserré dans ses limites, dit encore M. de Tocqueville, le pouvoir accordé aux tribunaux Américains, de prononcer sur l’inconstitutionnalité des lois, forme encore une des plus puissantes barrières qu’on ait jamais élevées contre la tyrannie des assemblées politiques. »
Cette magnifique institution, avant la fondation de la démocratie Américaine, était, pour ainsi-dire, la pierre philosophale de l’organisation des sociétés politiques ; et c’est aux hommes d’état Américains qu’appartient l’honneur de l’avoir trouvée.
L’année dernière, un membre de l’Assemblée, pour prouver que nous étions plus libres que les Américains, disait en plein parlement et criaillait dans les journaux que le président des États-Unis avait plus de pouvoir que la reine d’Angleterre vu que les ministres Américains n’étaient pas personnellement responsable au congrès.
C’est précisément un de ces membres qui marchent les yeux fermés parce qu’ils ont promis d’avoir confiance dans le ministère, et qui sont profondément convaincus que les lois qu’on leur fait voter sont bien certainement les meilleures possibles.
Voyons donc en quoi les pouvoirs du président des États-Unis diffèrent de ceux d’un roi constitutionnel.
En Angleterre, le roi peut refuser sa sanction aux lois passées par les deux chambres, et par là les rendre nulles. Il est donc une des parties intégrantes du pouvoir législatif.
De plus il est chargé de l’exécution des lois : il est donc tout à la fois pouvoir législatif et puissance exécutive.
Aux États-Unis le président n’est strictement que l’exécuteur de la loi ; il ne fait nullement partie du pouvoir législatif, puisque son veto n’est que suspensif, et n’a d’autre effet que de provoquer un nouveau vote de la législature : or ce second vote ratifiant le premier, la loi que le président avait refusé de sanctionner est en force dix jours après sa passation par les deux chambres, que le président la ratifie ou non.
En Angleterre, le roi, quoiqu’il fasse partie du corps législatif, nomme une des chambres qui, avec lui, font partie de ce corps et peut, quand il le veut, faire remplacer l’autre : c’est-à-dire, que son pouvoir est beaucoup plus grand que celui du peuple même, qui ne peut concourir en rien à la composition de la chambre haute, ni retirer son mandat à la chambre des communes.
Aux États-Unis, le président n’a aucune influence quelconque sur la formation du corps législatif, et n’a dans aucun cas, le pouvoir de le dissoudre.
Le roi d’Angleterre convoque les chambres quand il le juge à propos, pourvu qu’il ne s’écoule pas plus d’un an entre la fin d’une session et le commencement de la suivante. [2]
Aux États-Unis, le congrès s’assemble à époque fixe, époque fixée par la constitution, ou par la loi : et le président ne peut le convoquer que dans les occasions extraordinaires et imprévues.
Le roi d’Angleterre ajourne les chambres quand il le veut : le président ne peut le faire que dans les cas de dissentiments entre elles sur le temps de leur ajournement.
Le roi a, comme les chambres, le droit de proposer les lois.
Le président n’a, dans aucun cas, une telle initiative, et il n’a pas d’autre droit que celui de recommander l’adoption des mesures qui lui paraissent nécessaires.
Le roi d’Angleterre est représenté, dans les chambres, par son ministère ou conseil privé. Cela lui donne une grande influence sur leurs décisions, d’autant plus que ses ministres votent comme membres ; et comme de raison, quand les prérogatives de la couronne et les droits du peuple entrent en conflit, ce n’est pas pour le peuple qu’ils votent.
Le président des États-Unis n’est point représenté dans le congrès, car ses ministres ou conseillers en sont exclus.
Son influence sur les chambres est donc à peu près nulle.
Le roi d’Angleterre nomme directement tous les fonctionnaires publics, et ils sont, pour la plupart, nommés sous son bon plaisir.
Le président des États-Unis ne fait que proposer les fonctionnaires publics à la nomination du sénat, et il n’a que dans un petit nombre de cas, le droit de les priver de leurs charges.
La personne du roi d’Angleterre est inviolable.
Le président des États-Unis est responsable de tous ses actes ; la Chambre des représentants a le droit de le mettre en accusation devant le sénat, et il est personnellement justiciable des tribunaux.
Le roi d’Angleterre est donc l’égal de la législature, dans un certain sens, au moins ; car en théorie, et dans tout ce qui n’est que de forme, il a l’air d’être le souverain maître ; à lui toute suprématie, à lui tout honneur, et il a le droit de dire « mes lords, mes communes, mes sujets, » ce qui constitue bien une supériorité admise et acceptée.
Le président des États-Unis, au contraire, est placé dans la dépendance des chambres, puisqu’il leur est directement responsable, et il est, à proprement parler, l’agent du pouvoir législatif ; rien de plus.
— « Mais, » disait l’illustre membre auquel j’ai fait allusion « mais les ministres Américains ne résignent pas quand le congrès n’a pas confiance en eux : ils peuvent demeurer en office n’importe leurs actes : ils sont donc moins responsables que les nôtres : nous avons donc le gouvernement responsable dans un plus grand degré de vérité ou de perfection qu’on ne l’a aux États-Unis. »
Profonde et admirable sagacité devant laquelle je m’incline ! !
Voilà donc un homme qui, à la grâce de sa lancette, est tombé législateur ; qui est censé, par le fait de sa position, pouvoir comprendre un système politique : un homme qui a bien le soin de nous apprendre qu’il a passé plusieurs années en exil aux États-Unis, ce qui l’a mis à même d’étudier leurs institutions ; voilà donc cet homme qui parle des actes des ministres Américains dans leurs rapports avec le congrès ! ! ! ! de la confiance du congrès dans les ministres Américains ! ! ! ! de la responsabilité des ministres Américains envers le congrès ! ! ! !
Cet homme politique, ce législateur, après des années de dévorantes études sur les institutions Américaines découvre que les ministres Américains ne sont pas responsables au congrès ! ! Et cela, dans son opinion, est très mal, attendu que les ministres Anglais le sont au parlement.
Eh bien, cet homme, qui se targue de ses études sur les institutions Américaines, ne se doute pas le moins du monde que ceux qu’il appelle les ministres Américains ne sont rien autre chose que les employés personnels du Président : qu’ils ne sont pas reconnus, par la constitution, comme ministres ou administrateurs : que conséquemment ils ne peuvent avoir aucuns rapports officiels avec le congrès : qu’il ne peut donc pas être question de la confiance du congrès dans les ministres, puisque gouvernementalement parlant, il ne les connait pas ! il ignore que les fondateurs de la démocratie Américaine était trop sages et trop honnêtes pour y implanter ce système absurde de confiance implicite dans tel ou tel homme, qui, en Canada, a perdu hommes et choses ! Il ignore enfin, — en dépit de ses profondes études qui lui font certes, le plus grand honneur, — il ignore qu’aux États-Unis, le Président est directement, personnellement responsable au congrès de ses actes ; et que personne ne partage avec lui cette responsabilité. Or, du moment qu’une telle responsabilité pèse sur le chef de l’exécutif, il est assez inutile que ses subalternes la partagent !
En Angleterre, les ministres sont responsables parce que le roi ne l’est pas ; parce que le seul homme qui eût dû l’être, le seul homme qui occupe un poste d’où il n’est presque jamais sorti que du mal, est déclaré ne pouvoir faire mal ! ! ! ! parce qu’enfin les prérogatives de la couronne n’étant pas définies, elles sont censées illimitées. Or, comme il faut de toute nécessité que le pouvoir exécutif soit responsable, on imagina un palliatif qui, au premier abord, parait spécieux : on donna au roi un conseil qui gouverne en son nom et qui est responsable aux chambres des avis qu’il donne au roi, leur égal. Ainsi, dit-on, les chambres, au moyen du ministère, exercent un contrôle indirect sur le roi. Malheureusement, dans la pratique de ce système, le roi influence beaucoup plus les chambres au moyen de son ministère, qui en fait partie, que les chambres ne contrôlent le roi ; ce qui fait qu’en définitive, dans les monarchies constitutionnelles, on n’obtient qu’une responsabilité boiteuse, équivoque, qu’un ministère tout à la fois malhonnête et habile, peut presque toujours rendre illusoire.
Aux États-Unis on s’est bien donné garde de déclarer le Président impeccable ou infaillible ; on ne l’a pas placé à la tête du gouvernement comme une fiction morale ; comme l’incarnation de la sagesse, de la justice, de la prudence, de la science, de la vertu : on ne l’a pas considéré comme un être purement passif ; tout au contraire, on a rejeté sur lui seul tout le fardeau de l’administration, toute la responsabilité de l’exécution de la loi. Si la constitution est violée, si le pouvoir législatif n’est pas obéi, ce n’est pas les ministres qu’on mettra en accusation, c’est le Président lui-même.
En Angleterre, si le roi refuse d’exécuter la loi, ou encore de sanctionner celles qui ont été passées par les deux chambres, son ministère résigne. Si malgré cela, le roi persiste, quel est le remède ? Les chambres ne peuvent rien sans lui ni sur lui, car il est leur égal et sa personne est inviolable. Ses mauvaises passions peuvent donc arrêter la marche du gouvernement, et si le conflit se prolonge, il faut que le peuple intervienne et fasse sentir au roi qu’il n’est rien après tout qu’un homme comme un autre.
Le roi est donc assez puissant pour qu’il y ait lutte sérieuse entre lui et les chambres.
Aux États-Unis, comme le Président ne peut empêcher la loi d’exister, et qu’il est sous le coup de moyens coercitifs s’il refuse de l’exécuter, son ambition personnelle ne peut avoir aucun résultat grave. Il ne peut pas lutter avec les chambres, car il leur est si inférieur en pouvoir qu’il ne peut jamais contrebalancer leur autorité.
Ainsi, c’est parce que le roi et les chambres sont deux pouvoirs égaux, qui se nullifient l’un l’autre quand ils se querellent, qu’il est essentiel que la bonne harmonie, l’entente cordiale existent entre eux.
C’est parce que le Congrès est le supérieur du Président et peut le forcer d’agir, et le punir s’il s’y refuse, qu’il n’est pas essentiel qu’il y ait entre eux la même harmonie, la même entente cordiale.
Ce n’est donc pas parce que le Président des États-Unis a plus de pouvoir que le roi d’Angleterre qu’il peut administrer le gouvernement, non pas à l’encontre de la loi, mais à l’encontre de l’opinion de la majorité du congrès sur quelques points secondaires : c’est au contraire parce qu’il en a beaucoup moins ; parce qu’il en a si peu que l’opposition qu’il pourrait faire à la loi ne serait d’aucune importance.
Là où le roi peut entraver sérieusement les Chambres, on n’a laissé au Président aucun libre-arbitre. Il n’a que la faculté d’obéir.
Ainsi donc, en dépit de l’opinion de cet honorable et savant Monsieur, il est vrai de dire qu’aux États-Unis la responsabilité gouvernementale est une réalité par le fait qu’elle est directe et définie ; et qu’en Angleterre, elle est, comme tout le reste, une fiction, une anomalie, par le fait qu’elle est indirecte, jusqu’à un certain point arbitraire, et n’atteint que des subalternes.
Quand au Canada, les mots « responsabilité gouvernementale » ont toujours été, et sont encore pour lui un non sens, un mensonge. On l’a maltraité avant 1837, on l’a berné depuis et on le bernera encore jusqu’à ce qu’il cesse de sourire complaisamment à tous ceux qui jugent à propos ou profitable de se moquer de lui.
Je reviendrai plus tard sur les conclusions que l’on peut tirer, les applications que l’on peut faire au Canada, des rapprochements, des comparaisons que je viens de développer, et je passe à l’examen de la condition industrielle des États-Unis.
Tous les jours, Messieurs, vous entendez dire, ou vous lisez dans les journaux que la prospérité des États-Unis est plus apparente que réelle. « Ils ont sans doute, dit-on, fait des progrès rapides, mais aussi ils ont des dettes énormes : le gouvernement fédéral a des dettes ; tous les États particuliers en ont, à l’exception peut-être d’un ou d’eux : plusieurs ont fait banqueroute. On y voit beaucoup de chemins de fer, mais ces chemins de fer ne paient pas, et sont un fardeau pour leurs actionnaires »…
Eh bien comme les adversaires de l’annexion sont principalement ces gens qui se prétendent les seuls hommes pratiques du pays ; comme ils nous reprochent de n’être que des théoriciens à idées impraticables, à systèmes impossibles, pendant qu’eux sont hommes de faits par excellence, hommes de chiffres avant tout, voilà des chiffres sur lesquels nous pouvons les inviter à porter leurs profondes méditations.
L’État de Massachusetts est sillonné par vingt-six chemins de fer en pleine opération, dont le parcours total est de plus de mille milles, et qui ont coûté ensemble, une somme de $52,000,000.[3]
La recette totale pour 1849 s’est montée à |
$6,500,000 |
La dépense totale à |
3,300,000 |
Revenu net |
$3,200,000 |
Le nombre des voyageurs sur tous ces chemins de fer a été de près de 9,000,000. Le transport des marchandises, 2,500,000 tonneaux. Nombre de milles parcourus, 4,000,000.
Un de ces chemins de fer a produit un revenu net de 10 pour 100 : deux, de 9 pour 100 : deux, de 8½ pour 100 : quatre, de 8 pour 100 : trois, de 7 pour 100 : huit, de 6 pour 100 : trois, de 4 pour 100 : deux, de 3 pour 100 : un, de 1½ pour 100.
Moyenne des dividendes pour 1849, 6⅓ pour 100.
Surplus total des différentes compagnies, $1,600,000.
Il est à remarquer que ceux des chemins de fer du Massachusetts qui ont produit moins de 6 par 100, n’ont pas un très long parcours, et ont été faits dans les quatre ou cinq dernières années, dans des parties où la population est moins dense, moins riche, et où le transit est encore peu considérable.
La meilleure preuve que ce genre de placement n’est pas en baisse, comme on le prétend, dans le Massachusetts, c’est que l’on y travaille à compléter plusieurs lignes principales ou embranchements, pour lesquels des chartes d’incorporation ont été obtenues depuis trois ans, dont la longueur totale sera d’environ 400 milles, et dont le coût probable est estimé à $18,000,000.
Vous voyez, Messieurs, que cette somme est loin de démontrer que les chemins de fer soient regardés, dans le Massachusetts, comme un placement précaire.
Voilà donc un état dont la population est de 1,000,000 d’âmes qui a placé $70,000,000 de piastres sur des chemins de fer seulement.
Les deux Canadas, avec une population de plus de 1,600,000 âmes, n’ont environ que la cinquantième partie de cette somme employée dans la construction des chemins de fer.
Pour vous faire voir jusqu’à quel point le génie des affaires est développé chez nos voisins, je vais vous citer le cas d’un des directeurs du chemin de fer de Boston à Albany qui, dans un temps où on trouvait difficilement de l’argent pour faire marcher les travaux, a hypothéqué ses propriétés jusqu’à la concurrence de $1,500,000.
Je puis encore vous citer le fait suivant :
Un des chemins de fer du Massachusetts, qui a coûté plus de $2,000,000, a été commencé avec un capital souscrit de $40,000 et une somme versée de $9,000. Néanmoins il était terminé à la fin de la deuxième année.
Le capital total des banques du Massachusetts était en 1849 de $35,000,000.
Dividende général, (semi annuel) pour |
Octobre 1848= | 3 par 100 |
Dividende général, (semi annuel) pour |
Avril 1849= | 3 par 100 |
Dividende général, (semi annuel) pour |
Octobre 1849= | 3 par 100 |
Dividende général, (semi annuel) pour |
Avril 1850= | 3 par 100 |
Moyenne des dividendes annuels |
7 par 100 |
Montant total des profits en caisse |
$3,011,000 |
Fonds général de réserve |
$2,724,000 |
Dans le cours de l’année 1850, neuf banques nouvelles ont été fondées, avec un capital total de |
$2,000,000 |
Total général |
$37,000,000 |
Les dépôts faits dans les banques d’épargne se montaient à plus de $12,000,000 pour 1849, et la moyenne de leurs dividendes, pendant cinq ans, a été de 5½ pour cent.
Les compagnies d’assurance, au nombre de 29 ont produit, en cinq ans, une moyenne de dividendes de 8½ pour cent.
Une seule des banques de Boston, la Suffolk Bank, a racheté dans une seule semaine, de juillet 1850, pour $4,600,000 de billets des banques de campagne de la nouvelle Angleterre.
La production totale de l’état de Massachusetts a été officiellement estimée, en 1845 à $114,000,000. Pour 1850 on croit qu’elle atteindra 150,000,000.
Dans cette somme le tannage des cuirs et la fabrication des chaussures entrent pour un montant de $25,000,000 ; la fabrication des étoffes de laine et de coton, pour près de $30,000,000 ; les produits de l’agriculture et des forêts pour $25,000,000.
Voilà l’état que nos hommes de chiffres ont choisi pour prouver que les États-Unis étaient en pleine décadence ! !
Voyez l’état de Rhode-Island dont la population n’est que de 145,000 âmes, c’est-à-dire, un tiers de celle du district de Montréal.
Le nombre de ses banques est de 63, réunissant un capital de $12,000,000. Moyenne des dividendes 6¼ pour 100.
Montant des profits en caisse, $700,000 : Fonds de réserve, $400,000.
La production manufacturière du Rhode-Island a excédé $20,000,000 en 1849.
La production manufacturière du Connecticut a été de $30,000,000 pour la même année. Nombre de banques, 39. Leur capital, $10,000,000. Dividendes, 6½ pour 100. Surplus : $750,000.
Depuis 1846, les deux États de Vermont et de New-Hampshire ont dépensé pour la construction des chemins de fer actuellement en opération, près de $12,000,000. Leur population réunie est d’environ 600,000 âmes.
Les chemins de fer en opération dans le Maine, le Connecticut et le Rhode-Island ont coûté $15,000,000.
Les chemins de fer qui se construisent actuellement dans les états de la Nouvelle-Angleterre, à part le Massachusetts auront un parcours de 1100 milles, et coûteront probablement $40,000,000.
Le capital total des banques de l’état de New-York est de $50,000,000 de piastres : leur encaisse métallique de $11,000,000 : leurs profits en caisse : $7,500,000. Elles présentent en totalité, un mouvement d’affaires de près de $200,000,000,
Les chemins de fer du même état ont une longueur totale de 1400 milles et ont coûté ensemble $58,000,000.
Le chemin de fer de New-York et de l’Érié offre un parcours total de 155 lieues. 122 locomotives sont employées sur ce chemin. Quelques unes de ces locomotives pèsent jusqu’à 47 tonneaux.
Ainsi Messieurs, les six états de la nouvelle Angleterre et celui de New-York, avec une population de moins de six millions d’habitants ont presque achevé de construire 4,700 milles de chemins de fer, à une dépense de près de $200,000,000.
Voilà encore ce qu’en Canada on appelle de la décadence ! !
L’état de New-York, quoique moins riche, relativement, que le Massachusetts ou le Rhode-Island, est néanmoins celui de tous les États-Unis dont les valeurs mobilières et immobilières présentent le chiffre le plus élevé : $728,000,000.
Le commerce qui s’y fait est énorme, tant celui d’outremer que celui de l’intérieur.
La valeur totale des articles transportés sur les canaux de l’état de New-York, soit pour l’exportation, soit pour l’importation, soit pour la consommation locale, se montait en 1847 à $151,000,000 : c’est-à-dire $3,000,000 seulement de moins que la valeur totale des importations dans toute l’union.
Les produits de toute espèce transportés vers l’Océan sur les canaux du même état pendant l’année 1847 formaient un total de 1,800,000 tonneaux, valant $73,000,000.
La ville de New-York, à elle seule, importe, en produits étrangers, presque deux fois plus que tous les États-Unis ensemble.
1849 | 1850 | |
Importations de New-York, | $92,000,000 | $115,000,000 |
Imp. reste des États-Unis, | $54,000,000 | $72,000,000 |
Le nombre des maisons bâties à New-York en 1850 se monte à un peu plus de 1500. Sur ce nombre 71 seulement ont moins que deux étages.
On y a bâti de plus : | Coût total | $12,000,000 | |
23 navires à vapeur, jaugeant | 38,000 | Ton : Coût, Tot : | $7,000,000 |
24 navires à vapeur, jaugeant | 17,000 | Ton : Coût, Tot : | $2,500,000 |
45 navires à voiles, jaugeant | 32,000 | Ton : Coût, Tot : | $3,500,000 |
Total | 87,000 | Ton. | $25,000,000 |
Ainsi, Messieurs, les maisons et les vaisseaux bâtis à New-York dans une seule année, ont absorbé une mise de capital égale à près de la moitié de la valeur totale de la propriété mobilière et immobilière du Bas-Canada, et supérieure de $11,000,000 à la valeur totale de la ville de Montréal.
L’industrie manufacturière de cette grande ville représente un capital de $35,000,000. Nombre de fabriques de toute espèce, 3,387. Nombre de personnes employées, 90,000. Production en 1850, $105,000,000.
On a dit et répété à satiété que les finances de l’état de New-York étaient dans un état moins prospère que celles du Canada.
Examinons cette question.
Le montant total de la dette publique de l’état de New-York, portant intérêt, est d’environ $23,000,000.
Intérêt annuel, environ $1,260,000.
Les travaux publics formant la propriété de l’état ont coûté $33,000,000. Ils ont produit en 1849 un revenu net de $2,760,000 et représentent conséquemment un capital de $46,000,000. Ils valent donc aujourd’hui $13,000,000 de plus qu’ils n’ont coûté.
Excédant de leur revenu sur l’intérêt de la dette publique $1,500,000.
Quant au Canada, ses travaux publics ont coûté $18,000,000 qui forment presque le total de sa dette publique. Il paie environ $850,000 d’intérêt annuel et le revenu net de ses travaux publics a été en moyenne, depuis trois ans, de $168,000 annuellement. Ils ne représentent donc qu’un capital de $2,800,000 ou $15,200,000 de moins qu’ils n’ont coûté.
L’excédent de l’intérêt payé par la province sur le revenu qu’ils donnent est d’environ $700,000.
Leur revenu net pour 1850 n’a pas dépassé la moyenne que je viens de citer.
Or, Messieurs, tant que nos travaux publics ne produiront pas assez pour faire face à l’intérêt des sommes qu’ils ont coûtées, il sera absurde de s’extasier sur l’état prospère des finances du pays. Le peuple du pays ne peut être satisfait lui, que s’ils produisent un revenu suffisant pour liquider avec le temps la dette publique.
Et je soupçonne un peu que s’il savait tout ce que savent ses mandataires, il se montrerait peut-être un peu moins satisfait qu’eux.
L’état de New-York reçoit de ses canaux un surplus de revenu de $1,500,000 : « Voyez comme il est gêné, » disent les admirateurs du « gouvernement responsable. »
Le Canada paie annuellement $700,000 de plus qu’il ne reçoit de ses canaux : « voyez comme il est riche, » disent les mêmes calculateurs ! !
Environ 3800 steamboats venant de l’intérieur sont entrés dans le port de la Nouvelle-Orléans, en 1850.
Valeur des articles venant de l’intérieur : $96,000,000.
Le mouvement des steamboats dans le port de Cincinnati pendant l’année finissant le 1 Septembre 1850 a été
Pour les arrivages |
3653 |
Pour les départs |
3586 |
Total | 7239 |
Les arrivages dans le port de New-York pour 1850 sont : | |
Vaisseaux venant de l’étranger |
3500 |
Vaisseaux venant des ports américains |
5800 |
Sloops venant des ports américains |
2200 |
Steamboats |
4500 |
Total | 16000 |
New-York, y compris Brooklyn et Williamsburgh qui sont, à proprement parler ses faubourgs, est aujourd’hui, par sa population, la troisième ville du monde civilisé.
En 1800 elle comptait, | 60,000 habitants |
Aujourd’hui elle en compte, | 650,000 habitants. |
L’étonnante prospérité dont je viens de vous retracer quelques détails se retrouve à peu près au même degré dans toute l’étendue des État-Unis. Partout la société y montre une prodigieuse activité ; dans toutes ses parties ce beau pays marche à pas de géant.
Sur tous les points l’augmentation de la population est considérable et dépasse toutes les prévisions. Quarante villes et villages, pris indistinctement dans toutes les parties des États-Unis, qui, en 1840, réunissaient une population de 300,000 habitants, en ont aujourd’hui près de 900, 000.
Voici l’augmentation de la population en dix ans, dans quelques villes.
1840 | 1850 | Augmentation | ||
Philadelphie, | 260,000 | 400,000 | 140,000 | ou 54 pour 100 |
Boston, | 93,000 | 150,000 | 57,000 | ou 61 pour 100 |
Baltimore, | 102,000 | 165,000 | 63,000 | ou 62 pour 100 |
New-York, Brooklyn et Williamsburgh, |
380,000 | 650,000 | 270,000 | ou 70 pour 100 |
Providence, | 23,000 | 43,000 | 20,000 | ou 82 pour 100 |
Buffalo, | 18,000 | 50,000 | 32,600 | ou 178 pour 100 |
Cincinnati, | 46,000 | 150,000 | 104,000 | ou 229 pour 100 |
Syracuse, | 5,000 | 22,000 | 17,000 | ou 340 pour 100 |
St. Louis, | 16,000 | 90,000 | 74,000 | ou 462 pour 100 |
Chicago, | 4,000 | 25,000 | 21,000 | ou 525 pour 100 |
Milwaukie, | 1,700 | 20,000 | 18,300 | ou 976 pour 100 |
Le tonnage Américain sur les lacs était en 1846 de |
107,000 ton. |
En 1850 il se montait à |
215,000 ton. |
Augmentation en trois ans plus de 100 pour 100.
En 1841 le port de Buffalo reçut 2,800,000 minots de blé.
En 1850 il en a reçu plus de 12,000,000.
Blé | Fleur | |
En 1845 il a été exporté de Milwaukie |
96,000 minots | 8,000 qrts. |
En 1849 |
1,200,000 minots | 137,000 qrts. |
En 1836, l’état de Michigan importa de l’Ohio toutes les céréales nécessaires à sa propre consommation : en 1847 le même état a exporté 5,000,000 de minots de blé, et 9,000,000 de minots d’autres grains.
Le tonnage total de la marine marchande Américaine est aujourd’hui de |
3,500,000 ton. |
Celui de la marine marchande Anglaise |
4,100,000 ton. |
Différence…… | 600,000 |
Prenons maintenant la comparaison entre les États-Unis et le Canada d’un autre point de vue, le plus frappant de tous, peut-être, et aussi le plus péremptoire contre les optimistes ministériels.
En 1847, la valeur totale de la propriété mobilière et immobilière sujette à taxation, dans le Haut-Canada, était de $35,000,000.
Portons-là pour 1850 à $50,000,000. C’est certainement plus que l’augmentation réelle.
Pour le Bas-Canada, je suppose la propriété valant $60,000,000.
Total pour les deux Canadas, $110,000,000.
Voyons maintenant quelle est la proportion entre la richesse générale et la population, tant en Canada qu’aux États-Unis.
Propriété. | Population. | Moyenne par tête. | |
Canada, | $110,000,000 | 1,600,000 | $ 69 |
Michigan, | 36,000,000 | 400,000 | 90 |
Iowa, | 18,000,000 | 175,000 | 103 |
Indiana, | 140,000,000 | 1,000,000 | 140 |
Arkansas, | 34,000,000 | 175,000 | 194 |
Ohio, | 440,000,000 | 2,000,000 | 229 |
New-York, | 728,000,000 | 3,100,000 | 235 |
Texas, | 46,000,000 | 175,000 | 262 |
Kentucky, | 300,000,000 | 1,000,000 | 300 |
Connecticut, | 120,000,000 | 370,000 | 324 |
Rhode-Island, | 72,000,000 | 145,000 | 496 |
Massachusetts | 590,000,000 | 1,000,000 | 590 |
Ainsi, Messieurs, l’habitant du Michigan qui est, relativement le moins riche des états de l’Union Américaine est d’un quart plus riche que l’habitant du Canada ; et celui du Massachusetts est environ neuf fois plus riche.
La moyenne de la richesse générale dans les onze états que je viens de citer est de $262 par tête ou près de quatre fois plus que la moyenne en Canada.
Le chiffre total de la richesse publique dans tous les États-Unis est d’environ $5,520,000,000, la population 23,000,000, moyenne par tête $240.
Maintenant passons aux villes.
Propriété. | Population. | Moyenne par tête. | |
Montréal, | $ 14,000,000 | 50,000 | $ 280 |
Portland, | 8,000,000 | 20,000 | 400 |
Brooklyn, | 48,000,000 | 96,000 | 500 |
Cincinnati, | 72,000,000 | 142,000 | 507 |
Baltimore, | 95,000,000 | 165,000 | 576 |
New-York, | 320,000,000 | 500,000 | 640 |
Philadelphie, | 260,000,000 | 400,000 | 650 |
Providence, | 32,000,000 | 43,000 | 730 |
Environs de Boston, | 86,000,000 | 120,000 | 750 |
Boston, | 180,000,000 | 150,000 | 1200 |
Brookline, une des petites villes qui avoisinent Boston, | 5,400,000 | 2,400 | 2250 |
Vous voyez, Messieurs, combien est énorme la richesse générale dans Boston et ses environs. Boston est, relativement, de près de 100 pour 100 plus riche que New-York.
Cette différence est due surtout à l’immense réseau de chemins de fer dont Boston est aujourd’hui le foyer. Ce sont les mille lieues de chemins de fer auxquels on l’a mariée, suivant l’expression d’un journal Américain, qui ont fait augmenter, depuis dix ans, la population et surtout la richesse locale dans une proportion beaucoup plus rapide qu’auparavant.
Il y a dix ans, 150 milles de chemins de fer seulement rayonnaient autour de Boston ; et antérieurement à 1840 la propriété y augmentait en valeur dans une proportion considérable sans doute, mais bien éloignée cependant de l’augmentation actuelle.
Ainsi de 1820 à 1830, la valeur de la propriété mobilière et immobilière était montée de $74,000,000 à $82,000,000 : de 1830 à 1840, elle était montée de $82,000,000 à $94,000,000 : c’est-à-dire, huit millions pour la première, et douze millions pour la seconde période de dix années qui ont immédiatement précédé celle qui commence l’ère des chemins de fer.
Aujourd’hui que Boston est devenu, comme je viens de le dire, le foyer de plus de mille lieues de chemins de fer ; aujourd’hui que 240 trains de passagers ou de fret y entrent ou en sortent régulièrement chaque jour, portant plus de 10,000 voyageurs, l’augmentation de la propriété a considérablement dépassé toute prévision.
De $94,000,000 en 1840, elle est montée à $180,000,000 en 1850. Augmentation en dix ans 90 pour 100, ou près de $9,000,000 par année.
Ainsi, pendant la période de dix années qui vient de s’écouler, les chemins de fer ont fait augmenter la propriété, dans Boston, presque autant chaque année, qu’elle s’augmentait, avant 1840, dans toute une période de dix années ! !
L’augmentation de la propriété a été plus frappante encore dans toutes les petites villes qui avoisinent Boston.
Prop. en 1840. | 1850 | Augmen. | |
Cambridge, | $4,400,000 | $11,400,000 | 159 pour 100 |
Newton, | 900,000 | 3,800,000 | 321 pour 100 |
Roxbury, | 3,250,000 | 13,700,000 | 322 pour 100 |
Dorchester, | 1,600,000 | 7,200,000 | 350 pour 100 |
Chelsea, | 700,000 | 3,500,000 | 400 pour 100 |
West Cambridge, | 470,000 | 2,350,000 | 400 pour 100 |
Brookline, | 750,000 | 5,400,000 | 616 pour 100 |
Somerville, | N’existait pas | 2,800,000 |
C’est un fait très remarquable, Messieurs, que l’incroyable augmentation dans la valeur de la propriété, produit, dans certaines localité, par les chemins de fer.
L’augmentation de la valeur de la propriété et de la population, dans les différents comtés du Massachusetts, a suivi les proportions suivantes :
Comté de Dukes, | 11 pour 100 | sur la val. et | 14 pour 100 | sur la populat. |
Comté de Franklin, | 71 pour 100 | " | 7 pour 100 | " |
Comté de Berkshire, | 79 pour 100 | " | 20 pour 100 | " |
Comté de Plymouth, | 69 pour 100 | " | 16 pour 100 | " |
Comté de Barnstable, | 81 pour 100 | " | 7 pour 100 | " |
Comté de Essex, | 82 pour 100 | " | 34 pour 100 | " |
Comté de Hampshire, | 82 pour 100 | " | 12 pour 100 | " |
Comté de Worcester, | 86 pour 100 | " | 35 pour 100 | " |
Comté de Suffolk, | 95 pour 100 | " | 70 pour 100 | " |
Comté de Bristol, | 96 pour 100 | " | 25 pour 100 | " |
Comté de Middlesex, | 112 pour 100 | " | 49 pour 100 | " |
Comté de Hampden, | 132 pour 100 | " | 34 pour 100 | " |
Comté de Norfolk, | 203 pour 100 | " | 52 pour 100 | " |
Diminution. | ||||
Comté de Nantucket, | 25 pour 100 | " | 8 pour 100 | " |
Le seul comté qui ait reculé est précisément celui où on n’a pas construit de chemins de fer.
En 1840, la valeur totale de la propriété, dans le Massachusetts était de |
$300,000,000 |
En 1850 elle était de |
590,000,000 |
Augmentation en dix ans |
290,000,000 |
ou près de 100 pour 100 |
Ainsi en allouant une somme de $90,000,000 pour l’augmentation probable de la propriété en dix ans dans le Massachusetts, si on n’y avait pas construit de chemin de fer, l’augmentation due exclusivement aux chemins de fer représente quatre fois la somme qu’ils ont coûtée en totalité.
Le même résultat a été observé partout dans les États-Unis, quoique souvent à un moindre degré ; et il n’y existe pas une ligne de chemin de fer le long de laquelle la propriété n’est pas augmenté en valeur, au moment de la mise en activité du chemin, d’au moins la somme que le chemin avait coûtée.
Voilà pourquoi les chemins de fer ne peuvent presque jamais être un fardeau pour ceux de leurs actionnaires qui ont des propriétés situées dans les localités qu’ils traversent, car même quand le chemin de fer ne produit pas un dividende tout-à-fait suffisant, l’augmentation de la valeur de la propriété, sur tout son parcours, en même temps que l’accroissement des affaires, forment presque toujours une très ample compensation pour le déficit qu’il peut y avoir dans les dividendes qu’on espérait recevoir.
Nous avons vu, Messieurs, que les chemins de fer actuellement en opération dans les six états de la nouvelle Angleterre et dans celui de New-York avaient coûté ensemble |
$137,000,000 | |
Et que ceux maintenant en construction coûteraient |
$58,000,000 | |
Les chemins de fer actuellement en opération dans le reste des États-Unis ont coûté ensemble |
$115,000,000 | |
252,000,000 | ||
Ceux en construction coûteront |
$90,000,000 | |
$148,000,000 | ||
252,000,000 | ||
Grand total |
$400,000,000 | |
Ajoutant la somme que les canaux ont coûtée |
120,000,000 | |
On a, pour les canaux et les chemins de fer un total de |
$520,000,000 |
Messieurs, un pays qui a pu en moins de quinze ans, faire avec avantage un pareil emploi de capital, pour ses communications intérieures, peut-il être raisonnablement taxé de décadence ?
Eh bien, comme je l’ai dit tantôt, ce sont des journaux français de notre pays qui ont les premiers sonné l’alarme sur l’état précaire, l’amoindrissement prochain des États-Unis ! ! ce sont des journaux français qui, tout en faisant aux Américains la grâce d’avouer que leur progrès avait été assez frappant, ont déclaré que leur mouvement en avant avait presque cessé, et que le mouvement rétrograde était déjà sensible !
Laissons là ces misères ; elles sont bien profondes ; car l’ignorance n’y a peut-être pas encore la plus grande part.
J’avais essayé, Messieurs, de comparer le progrès de l’éducation et son état actuel dans le Haut et le Bas-Canada, avec ses progrès et son état actuel dans les États-Unis.
Mais je n’ai pas eu plutôt scruté les détails du recensement de 1848 pour le Haut-Canada, que je me suis convaincu que l’on avait considérablement exagéré sa population. Pour le Bas-Canada, c’est tout le contraire, le recensement ne donne pas à beaucoup près, le chiffre réel de sa population. Or, les bases étant fausses, les conclusions et les comparaisons devaient nécessairement l’être aussi, et je n’ai pas complété ce travail.
Je vais seulement vous faire voir, avant de terminer cette lecture, qu’en fait de population comme en fait d’argent, le Haut-Canada a toujours su se faire la part du lion : qu’il a eu l’adresse de grossir démesurément ses chiffres afin de diminuer proportionnellement les nôtres : qu’il a complètement mystifié le Bas-Canada à la barbe de ses pratiques et habiles ministres ; enfin que ce n’est qu’au moyen d’impudentes supercheries qu’il en est arrivé à montrer sur ses retours, une population égale à la nôtre.
J’ai vu, Messieurs, dans les détails du recensement de 1848 pour le Haut-Canada, (on a retranché cela dans l’appendix des journaux de la chambre) que l’on y compte, comme partie intégrante de la population, les 86,000 émigrés débarqués à Québec en 1847 ! ! ! !
Or, de ses 86,000 émigrés, environ 20,000 avaient été moissonnés par le typhus et la misère ; et environ 25,000 autres étaient passés aux États-Unis.
Malgré cela, les employés chargés de faire les résumés du recensement ont ajouté en bloc, à la population du Haut-Canada, les 86,000 émigrés.
Nos amis d’en haut ne veulent pas lâcher même ce que la mort leur enlève.
Ceux qui ont ainsi mis en liste, dans la population Haut-Canadienne, et les morts et les absents, sont précisément les mêmes employés qui ont été chargés de faire des calculs à perte de vue pour prouver que la population du Bas-Canada n’augmentait que très lentement par elle-même. Je dois ajouter qu’ils ont été secondés par un membre de l’administration actuelle et par un membre de l’assemblée qui ont aussi fait des calculs dans le but de diminuer le chiffre probable de la population dans le Bas-Canada.
Vous pouvez voir aussi dans le même recensement un item de 25,000 âmes qu’on suppose être venues des États-Unis, pour s’établir dans le Haut-Canada.
Si par exemple vous essayez de trouver les données sur lesquelles on a basé cette supposition vous chercherez inutilement, il n’en existe pas.
On n’avait pas plus de raison de dire 25,000 que de dire 10,000 ; et c’est un grand bonheur pour nous qu’on n’ait pas dit 100,000, car le gouvernement responsable aurait accepté ce chiffre avec la même bonhomie, la même complaisance avec lesquelles il a avalé tous les autres.
Mais voici mieux encore, car la ruse, pour être tout aussi grossière, était beaucoup moins frappante, au premier abord.
Dans le même recensement, on porte le nombre des enfants de 5 à 16 ans dans le Haut-Canada à 241,000 : c’est-à-dire, précisément le tiers de la population totale qu’on porte à 723,000.
Voilà une proportion évidemment impossible. Jamais, dans aucun pays, les enfants de 5 à 16 ans n’ont formé le tiers de la population totale.
L’Irlande elle-même, où les enfants paraissent pousser du sol plutôt que naître, n’a jamais offert cette proportion.
Dans le Massachusetts, les enfants de 5 à 16 ans ne forment pas tout-à-fait le cinquième de la population. Dans l’état de New-York, le Connecticut, le Bas-Canada, ils forment beaucoup moins que le quart. Comment donc la proportion d’un tiers pour le Haut Canada serait-elle possible ?
Si cette proportion était exacte, le nombre total des enfants au-dessous de 16 ans, dans le Haut-Canada aurait donc été de 360,000, ou environ la moitié de la population totale ; cela est inadmissible : le recensement du Haut-Canada est donc nécessairement inexact, ou les résumés nécessairement erronés.
Maintenant je mets en fait que, dans le Haut-Canada, la proportion des enfants de 5 à 16 ans, avec la population totale doit être à peu près la même que dans le Connecticut, le New-York, et le Bas-Canada ; c’est-à-dire, que cette classe d’enfants doit former moins que le quart de la population.
Dans ce cas, en 1848, le Haut-Canada ne pouvait pas avoir plus de 162,000 enfants de 5 à 16 ans. On lui en donne 241,000, on lui alloue donc 79,000 enfants qu’il n’avait pas.
Eh bien, le gouvernement responsable, avec une bonhomie parfaite, a accepté tous ces enfants qui ne lui appartenaient pas.
Voilà donc près de 150,000 âmes que le Haut-Canada s’attribue et dont on pourrait avec certitude, lui contester l’existence, s’il n’avait pas pour ressource assurée l’admirable pratique introduite par le gouvernement responsable, de crier au fait accompli, chaque fois que le Bas-Canada veut résister à une injustice, s’élever contre une spoliation.
Aujourd’hui le Scobie & Balfour’s Almanach, donne à chaque province une population de 791,000 âmes ! ! précisément le même chiffre ! ! C’est si exactement pareil que c’est impossible ! ! Eh bien, que le Bas-Canada s’inscrive en faux contre des documents arrangés avec aussi peu d’adresse, on lui dira : « Mais ce sont des pièces officielles ! c’est désormais un fait accompli que la population du Haut-Canada est égale à celle du Bas : » Et le Bas-Canada acceptera peut-être encore ce fait accompli à son préjudice, comme il a accepté l’Union, parce que ses propres amis lui ont dit que c’était dorénavant un fait accompli ; comme il a accepté la dette du Haut-Canada, parce qu’il a entendu dire que c’était un fait accompli ; comme il a accepté le gouvernement responsable parce qu’on le lui a fait envisager comme un bonheur accompli : comme enfin il dévore aujourd’hui la trahison de ses anciens-amis qui est devenue un malheur accompli ! ! ! !
De tout cela, Messieurs, il résulte :
1°, Que nous nous trompions beaucoup, il y a deux ans, quand nous nous moquions de ceux qui nous prédisaient que la population du Haut-Canada allait s’augmenter comme par enchantement :
2°. Que le grand art de créer les hommes parait n’être plus l’apanage exclusif de la divinité :
3°. Que le gouvernement responsable sait rendre les gens pratiques de cent manières différentes :
4°. Que depuis l’Union le Bas-Canada a presque toujours été victime de la confiance qu’il a placée dans des hommes incapables ou malhonnêtes :
5°. Qu’enfin tant que le Bas-Canada continuera de témoigner indifféremment de la confiance à ceux qui le trompent tout comme à ceux qui le servent ; tant qu’il prendra la duplicité pour de la diplomatie, l’esprit d’intrigue pour de l’esprit pratique ; la faiblesse de caractère pour de l’abnégation individuelle ; l’absence totale d’énergie et de cœur pour de la temporisation réfléchie ; les demi-mesures pour des preuves de génie ; les tâtonnements, les pas rétrogrades multipliés pour de l’expérience en affaires ; les prétentions de la vanité pour du savoir ; des ambitions grotesques pour l’amour du bien général ; la capacité du mot d’ordre, l’intelligence de la consigne pour la compréhension des affaires publiques ; les intérêts personnels pour du patriotisme ; des estomacs dévorants pour des cœurs dévoués ; des imaginations ternes pour des capacités administratives ; le mutisme habituel et calculé pour de la profondeur ; l’hypocrisie pour de la vertu ; la calomnie systématisée pour un excellent moyen de gouvernement, sa condition sera toujours précaire, son horizon politique toujours chargé de nuages, son avenir toujours sombre, sinistre, inquiétant.
- ↑ De Tocqueville.
- ↑ Le roi d’Angleterre n’est pas obligé, par la constitution, de convoquer le parlement chaque année ; et c’est pour forcer le roi de l’assembler tous les ans, que le parlement ne vote les subsides que pour une année.
En Canada, c’est différent, le gouverneur est constitutionnellement obligé d’assembler le parlement une fois dans l’année. - ↑ Toutes les statistiques que l’on trouvera dans les pages suivantes sont tirées de l’Almanach Américain ; du Hunt’s Merchant’s Magazine de New-York, et des papiers publics Américains quand ils publiaient des statistiques officielles.