Situation du commerce syrien
SYRIE. — Situation du commerce. — Le commerce de la Syrie, qui a en lui-même tous les élémens d’une grande prospérité, languit et dépérit par le manque de protection, et l’impuissance où il est de se développer en liberté. Tout le commerce de l’Yémen, de la Mecque, qui présente de si grandes richesses, féconderait les provinces de la Syrie, et y produirait un grand mouvement de marchandises de toute espèce, s’il y était libre et protégé ; mais l’administration de cette contrée semble faire tous ses efforts pour l’étouffer ; le commerçant n’y jouit d’aucune sécurité, il y est au contraire exposé à des avanies continuelles, qui frappent principalement sur celui qu’on suppose avoir amassé quelques richesses par les affaires. Ce commerce passe donc presque tout entier en Égypte, tandis que son véritable débouché serait par les ports de la Syrie. Cela est si vrai, que, malgré tous les obstacles, les opérations commerciales tendent encore vers leur direction naturelle ; les caravanes qui vont de Bagdad à Damas, et réciproquement, sont encore considérables. Elles se composent presque toujours de 3,000 à 5,000 chameaux. L’échelle de Damas est Beyruth ; la rade de Beyruth n’est pas bonne, mais en hiver les navires vont mouiller dans une rivière qui est à cinq lieues de là, et où ils sont en sûreté.
Abdullah, pacha de Saint-Jean-d’Acre, fait peser sur la Syrie un joug intolérable. Il avait reçu récemment l’ordre de la Porte de transporter à Seide le siége de son gouvernement, mais il est parvenu à faire changer cette décision, qui aurait pu cependant être favorable aux intérêts des populations, en facilitant à la Porte les moyens de se faire obéir dans ces contrées éloignées. Abdullah vient de frapper une contribution très-forte sur les provinces et tout le littoral dépendant de son administration, depuis Alexandrette jusqu’à Jaffa. Il a également imposé le mont Liban. Mais là son despotisme ne peut pénétrer, et il est forcé d’user d’une grande modération. Les populations du mont Liban sont sous le gouvernement d’un prince nommé Émir Beshir, qui dépend bien du pacha d’Acre, mais qui, par le fait, est indépendant. Ce seigneur féodal a à sa solde des troupes dont le nombre peut être évalué à 12 ou 15,000 hommes, troupes aguerries, naturellement belliqueuses, et qu’on ne peut guère espérer de vaincre dans ces montagnes où des assaillans auraient de si grands obstacles à surmonter. Émir Beshir peut d’ailleurs, avec la plus grande facilité, rassembler en peu de temps 40,000 hommes, gens déterminés à conserver leur indépendance et leurs institutions. Toutes les parties du mont Liban sont parfaitement cultivées, et les habitans y jouissent d’une assez grande aisance, par le seul effet de l’espèce de liberté qui y règne. Tout fugitif de la Syrie qui parvient à gagner le mont Liban y trouve un asile inviolable, d’où on ne tente jamais de l’arracher ; les gouverneurs respectent religieusement ce privilége. Lors de l’affaire de Navarin, tous les Européens de la Syrie ont cherché là un refuge, et y sont demeurés en paix pendant près de deux ans.
Damas ne présente pas le même aspect de misère que les autres villes de la Syrie ; l’esprit des réformes du sultan y a pénétré davantage, l’autorité y attaque moins despotiquement les intérêts des particuliers. La population de Damas s’élève à 170 ou 180 mille âmes, dont 120 à 150 mille Turcs, et 25 à 30 mille chrétiens, dont les cinq sixièmes sont catholiques. Il existe dans la ville trois couvens, un de la Terre-Sainte, un de capucins et un de lazaristes.
Dans ces contrées éloignées, où l’administration manque souvent de force pour se faire obéir, les hommes qui ne font usage du caractère officiel dont ils sont revêtus et de la considération dont ils jouissent, que pour offrir à leurs compatriotes et aux voyageurs de toutes les nations la protection dont ils ont un si grand besoin, méritent d’être signalés à l’estime publique. Tel est M. Henry Guys, consul de France à Beyruth ; tout le monde se loue de sa justice, de son empressement à rendre tous les services que comporte sa position ; M. Guys est en même temps un magistrat recommandable et un savant éclairé. Tel est encore M. Baudin, agent de France à Damas, auprès duquel les voyageurs trouvent constamment conseil et appui. Son zèle infatigable ne se dément envers aucun de ceux qui le réclament, et tous s’accordent à reconnaître en lui le protecteur le plus obligeant et le plus empressé. M. Baudin jouit d’une considération méritée auprès des autorités du pays.