Simple diction - Souffles d'avril - Pitié tardive...

Simple diction - Souffles d'avril - Pitié tardive...
Revue des Deux Mondes5e période, tome 45 (p. 411-420).
POÉSIES[1]

SIMPLE DICTION


Vous m’avez confié comment
Le hasard vous apprit à dire
Mes premiers vers naïvement,
A les rythmer comme on soupire.

Ces vers, où, meurtri sans retour,
Un silence mon cœur se brise,
Ont chanté dans votre âme, un jour
Que vous vous rendiez à l’église.

Vous vous êtes mise à genoux :
Votre prière et mon poème
Dans un murmure intime et doux
Ont ensemble vibré de même.

Quel rimeur, dans le monde entier,
Vit mieux récompenser sa peine ?
Aucun, pas même Alain Chartier,
Qui pour abeille eut une reine.

Si ses lèvres ont épuisé
Le miel de l’humaine louange,
Dans mon pauvre vase brisé
Il est tombé des larmes d’ange !


SOUFFLES D’AVRIL


Quand de tes blonds cheveux une boucle frissonne
Et chatouille soudain la neige de ton cou,
Tu retournes la tête et, ne voyant personne,
Tu dis : « C’est un zéphyr venu je ne sais d’où… »

Quand la rose d’Avril à ton corset posée
Laissant choir un pétale en effleure ta main,
Sans deviner comment la chute en fut causée,
Tu dis : « C’est le zéphyr… » et tu suis ton chemin.

Non ! ce furtif soupir dont frémissent tes tresses,
Ce timide baiser d’une fleur à tes doigts,
C’est l’amour qui s’essaye aux premières caresses,
C’est à son aile errante, enfant, que tu les dois.


PITIÉ TARDIVE


Il fallait être bonne au temps où je souffrais,
Quand j’étais plus crédule et que j’avais des larmes,
Lorsque j’obéissais, comme un vaincu sans armes,
Lié si follement par des sermens si vrais !

Madame, en ce temps-là c’était vous que j’aimais,
J’ignorais le mensonge hallucinant des charmes.
Vous avez ébranlé mon cœur de tant d’alarmes
Que j’aurais le bonheur sans y croire jamais,

Un abîme éternel, infini, nous sépare.
Ah ! le baume tardif de vos lèvres s’égare :
Plus rien n’y peut fleurir qui n’ait un goût de fiel.

Adieu, laissez mon cœur dans sa tombe profonde,
Mais ne le plaignez pas, car, s’il est mort au monde
Il a fait son suaire avec un pan du ciel.


SEREINE VENGEANCE


Vous qui m’avez, dans l’âge où d’autres sont joyeux,
Fait assez de chagrin pour me rendre poète,
Vous par qui j’ai, dans l’âge où vivre est une fête,
Vu la vie à travers les larmes de mes yeux,

Je ne vous en veux plus : tout finit pour le mieux ;
Voilà que l’avenir à me venger s’apprête :
La fleur se fane au vol des jours que rien n’arrête,
La gloire éclôt et dure en d’immuables cieux !

Pour mon âme autrefois vous seule étiez le monde,
Mais j’ai plongé depuis dans l’Infini la sonde,
Et mon âme se mêle à l’immense univers ;

Et, tandis que les ans vous révèlent les peines,
Le temps, qui fonde un socle à la beauté des vers,
Balaiera votre forme, avec les formes vaines.


CONTRASTE


Ce pauvre a végété comme une ortie immonde,
Sans mère ni soleil, méchant, triste et battu,
Sans jamais soupçonner qu’il existât au monde
Quelque chose ayant nom l’amour et la vertu.

Maintenant vieux et seul, tout le jour il se couche
Au revers d’un fossé, morne et les pieds pendans ;
Il tend sa main sordide en pleurant d’un œil louche,
Et, juste Dieu ! je crois qu’il prie entre ses dents !

On lui promet le ciel, à lui ! chien qui se vautre
Et pour leurrer sa faim quête au hasard du lieu ;
Il n’en pourrait jouir qu’en devenant un autre,
Mais l’être que voilà, qu’en feras-tu, mon Dieu ?

Dis : « Je me suis trompé, j’ai failli, je l’avoue ;
J’ai seulement mêlé sous le plus laid contour
Le moins d’âme possible avec le plus de boue ;
Mon œuvre est repoussante, injuste et sans amour. »

* * *


Et cependant voici qu’une admirable fille
S’avance. Elle a seize ans, son visage est vermeil,
Sa chevelure au vent se soulève et scintille
Comme une cendre d’or dans les feux du soleil ;

Sa bouche est une fleur à quelque Eden ravie,
Sa grâce embaume l’air de sa chanson joyeux ;
Le printemps de la terre et celui de la vie
D’une double jeunesse animent ses grands yeux.

On dirait que l’Amour, pour veiner sa poitrine,
D’ailes de papillons a formé ses pastels ;
On dirait qu’elle est née en un lit d’églantine
Du plus tendre baiser des deux premiers mortels.

Elle a vu ce vieillard honni de tout le monde,
Elle s’est arrêtée au milieu du chemin ;
Puis elle a sur son cœur penché sa tête blonde,
La pitié dans les yeux et l’aumône à la main.

* * *


Quelle épreuve ton œuvre à la raison prépare !
Quelle énigme pour elle en des traits si divers !
Elle accuse ta main brutale, inique, avare,
Sans oser, ô mon Dieu ! condamner l’univers

Hélas ! il faut mourir pour comprendre ces choses,
Si toutefois la Mort n’emplit pas le tombeau
Dans l’unique dessein d’alimenter les roses,
Virement éternel de l’horrible et du beau !


LE CHATEAU DE VAUX


A Madame la baronne Marochetti.

Que les temps sont changés ! Autrefois ce manoir
Fut d’Olivier le Daim le sinistre repaire ;
L’âme de Louis Onze et de son vil compère
Y hante un souterrain louche, insondable et noir.

Le château dans les bois semble à présent s’asseoir
Comme un aimable aïeul qui s’ingénie à plaire :
La pourpre du couchant teint son front séculaire,
Et son verger fleuri n’est qu’un vaste encensoir.

Plus de sanglots, sinon la rumeur cristalline
Du fleuve qui frissonne au pied de la colline ;
Plus de soupirs, que ceux du vent dans les halliers.

Des nonnes à ces tours que le lierre enguirlande
Ont appris lu douceur des toits hospitaliers,
Et la porte aujourd’hui s’ouvre aux arts toute grande.

LA CRÉATION


A Madame Marie Auguste Dorchain.

Dieu tira du chaos l’ordre avant la beauté.
C’était l’ébauche : il souffle, et la forme respire.
Il confère à la voix, au regard, leur empire,
L’intelligence au front, le courage au côté.

Alors se dresse Adam, velu de majesté :
L’homme invente le soc, l’astrolabe et la lyre ;
Mais, ô vierges, salut ! C’est dans votre sourire
Qu’un ciel promis au cœur nous est manifesté.

Eve apporta la grâce, éclose la dernière,
La grâce, doux effort d’une âme prisonnière
Qui prête un rythme d’aile au matériel contour ;

Ainsi Dieu par un geste a réglé l’harmonie,
D’un peu de son regard il a fait le génie,
Et d’une fleur est né son chef-d’œuvre, l’amour.


MALHEUR A NOUS !


Mystérieux, l’œil noir ressemble aux nuits profondes
Dont le charme sacré fait plier les genoux,
Et, pareil aux matins, l’œil bleu tendre des blondes
Par sa caresse épanche un paradis en nous.

Mais, comme on voit décroître et changer d’apparence
Les nuits de velours sombre et les matins soyeux,
Ainsi meurt et se mue en froide indifférence
Le fascinant appel émané des beaux yeux.

Sur les lèvres en fleur voltige le caprice :
Il offre leur sourire aux baisers imprudens,
Comme un zéphyr d’avril dont l’aile tentatrice
Ouvre la rose et l’offre aux moucherons ardens ;


Mais, comme le zéphyr du revers de son aile
Fermant le frais calice à leur soif le soustrait,
Le caprice nous leurre et la bouche infidèle
Se dérobe à l’amour qui s’y désaltérait.

Malheur à nous ! Malheur ! Si nous ne pouvons vivre
Sans ce regard trop cher et ce baiser de miel ;
Ce double philtre au cœur, qu’un moment il enivre,
N’apporte qu’un enfer sous le masque d’un ciel.


DANS L’ÉTERNITÉ


Au fond noir du passé les principes du monde,
À d’insondables fins soumis,
Débrouillaient leur mêlée aveuglément féconde :
Ils façonnaient la terre, hélas ! où ne se fonde
Nul Éden aux amours promis.

Des monstres au long col rampent, troupeau farouche
De la pesanteur prisonnier ;
L’aile s’ébauche et tend vers le ciel ; elle y touche ;
De l’herbe éclôt la fleur, la fleur devient la bouche,
La femme apparaît, lys dernier !

Nos amours sont sans doute infiniment anciennes ;
Nos âmes ont pris corps cent fois.
Mes yeux cherchent les liens, mes mains cherchent les tiennes,
Et je t’appelle, hélas ! partout sans que tu viennes,
Sans connaître encore ta voix…

Depuis qu’est né l’Amour, j’en ai connu la chaîne,
Le lien caressant, jamais !
À peine, quand l’argile eut pris figure humaine,
Ton âme eut-elle fait de la beauté sa gaine,
Que dans l’inconnu je t’aimais.

Par l’espace, au hasard de la cime et du gouffre,
Mon cœur vers toi s’est élancé
Comme la flamme court sur la trace du soufre,
Et, si loin que tu sois, quand tu pleures il souffre,
A ta fortune fiancé.

Car sa chaîne est rivée à ton infime essence :
Les innombrables élémens
Dont ta bouche est pétrie ont depuis ta naissance,
Par une mutuelle et secrète puissance,
Ceux de mes lèvres pour amans.

Comme l’abeille aux fleurs emprunte leur arôme,
Et, charmeuse exquise à son tour,
Change en durable miel la sève qui l’embaume,
De mon sang épuisé survivra chaque atome
Tout imprégné de mon amour ;

La forme en vain retourne au néant qui l’appelle.
La matière et l’âme ont pour loi
De fournir à l’amour une proie éternelle :
Oui, sous les vents, la pluie et les sourds coups de pelle,
Ma cendre frémira pour toi !


AH ! LE COURS DE MES ANS…


Ah ! le cours de mes ans ne peut que faire envie :
Je ne maudirai pas le jour où je suis né.
Si Dieu m’a fait souffrir, il m’a beaucoup donné,
Je ne me plaindrai pas d’avoir connu la vie.

De la félicité que j’avais poursuivie
Le trop vaste horizon s’est aujourd’hui borné,
J’attends, calme et rêveur, ce qui m’est destiné ;
Qu’importe l’avenir ? mon âme est assouvie.

L’arbre de ma jeunesse était ambitieux,
Fou d’espoir et de sève, hélas ! et les orages,
Secouant sa verdure, en ont semé les cieux…

Mais le doux souvenir est le glaneur des âges,
Et l’oubli n’a jamais si bien tout effacé
Qu’il ne reste une (leur dans le champ du passé.


OBSESSION


Un mot me hante, un mot me tue.
Je l’écoute contre mon gré :
A le bannir je m’évertue,
Il me suit, toujours murmuré.

A l’ancien chant de ma nourrice
Je le mêle pour l’assoupir,
Mais, redoutable adulatrice,
La musique en fait un soupir.

Je gravis alors la montagne
Pour l’étouffer dans le grand vent.
Jusqu’au sommet il m’accompagne :
Il y devient gémissement.

Je demande à la mer sonore
De le changer en bruit de flot.
Plus plaintif et plus tendre encore,
Hélas ! il y devient sanglot…

Je tente, comme un dernier charme,
Le silence enchanté des bois ;
Mais je le sens qui devient larme
Dès qu’il a cessé d’être voix.

Ce qui pleure ou ne se peut taire,
Est-ce en moi le remords ? Oh ! non :
C’est un souvenir solitaire
Au plus lointain de l’âme… un nom.

PALINODIE


 « Je le jure ! » — Insensé ! bientôt l’instinct réclame,
La conscience gronde, et, contre mon serment,
J’entends toutes les voix de la chair et de l’âme
Se soulever ensemble et crier hautement ;

J’entends leur blâme où tinte une amère risée :
« A ton âge, les vœux de chasteté sont courts !
Et jamais avorton d’une race épuisée
N’a tenu sur la vie un plus lâche discours !

« Pendant que du foyer tu récuses les charges,
Regarde pulluler l’ennemi des Latins,
Avec ses reins carrés et ses épaules larges
Prêt à lever tout seul le poids des grands destins ;

« Celui-là ne craint pas que son sang surabonde,
Il ne s’attriste pas quand la maison s’emplit,
Mais de blonds émigrans il envahit le monde,
Des affamés qu’il fait n’accusant pas son lit !

« Songe, quand les vainqueurs sous ton toit se prélassent,
Que le nombre, pour vaincre, est d’un puissant secours.
Dans les beaux yeux rougis des Françaises qui passent
Vois la patrie en pleurs commander les amours ! »


SULLY PRUDHOMME.


  1. Ces vers de Sully Prudhomme sont extraits d’un volume de poésies posthumes qui paraîtra prochainement à la librairie Lemerre, sous le titre d’Épaves.