Sillages/Malédiction sur un jardin

SillagesE. Sansot et Cie (p. 16-18).

MALÉDICTION SUR UN JARDIN


 
Fane-toi, beau jardin dont j’aimais les odeurs,
Où s’attardaient, plaintifs et las, les vents rôdeurs.
Que périssent demain tes miels et tes odeurs !

Et que d’infâmes vers rongent le cœur des roses !
Que penchent les pavots et les pivoines closes…
Ô jardin, que le soir fasse mourir tes roses !


Vienne le vent mauvais qui tuera ces jasmins
Qu’elle cueillit hier, en songeant, de ses mains
Qui restaient pâles dans la pâleur des jasmins.

Que monte la marée invincible des herbes
Furieuses autant que les vagues acerbe,
Sans nombre, comme la multitude des herbes.

Et que ce flot tenace étrangle les grands lys
Pareils à sa blancheur et qu’elle aimait jadis !
C’est presque la tuer que de tuer ses lys.

Je saluerai le flot hostile de ces ronces
Dont l’accueil est pareil à de rudes semonces,
Et je bénis le mal infligé par ces ronces.

Jardin, pourquoi serais-tu beau, jeune et charmant,
Toi qui ne reçois plus mes pas fiévreux d’amant,
Et qui n’abrites plus son jeune corps charmant ?


Je t’abandonne aux yeux futurs, je te délaisse…
Puisque tu ne plais plus à la belle maîtresse
Qui t’aimait, à mon tour, jardin, je te délaisse…

Beau jardin où nos pas ne s’égareront plus,
Reçois des étrangers les longs soins superflus…
Fane-toi, beau jardin, puisqu’elle ne m’aime plus !