C. Marpon et E. Flammarion (p. Image-).
Portrait de Valérie Simonin
Portrait de Valérie Simonin


GUSTAVE HALLER (FOULD)


D’abord, laissez-moi m’excuser de vous offrir un portrait qui ne donne qu’une bien vague idée de la beauté de Mme  Gustave Haller.

Ce qui est le plus charmant chez elle, c’est une physionomie intelligente et rieuse, un regard profond, un sourire qui charme, des dents superbes ; mais le dessin, qui rend bien certains visages, est inhabile à fixer ces beautés insaisissables, cette mobilité d’expression, ce je ne sais quoi qui séduit.

Souvent, en dessin comme en photographie, la laide devient belle et la jolie perd cinquante pour cent de sa beauté. Mme  Gustave Haller, quoique je ne la connaisse pas personnellement, m’est très sympathique ; c’est une intelligence, une énergie et une volonté de fer au travail. Son œuvre prouve qu’elle a le feu sacré, un talent réel et qu’elle est admirablement bien douée. Son père, M. Simonin, un savant chimiste, lui a donné une excellente éducation et une instruction très étendue ; toute jeune fille, il l’a même associée à ses travaux de restauration de vieux manuscrits. M. Simonin a fait une découverte précieuse qui permet de rendre lisibles les anciens manuscrits, et sa fille est dépositaire de ce secret ; de ses blanches et mignonnes mains, elle a restauré plus d’un manuscrit de valeur.

Les savants rarement sont riches : la fortune est une gourgandine qui va souvent aux nullités, toujours aux indélicats, presque jamais aux savants et aux poètes.

N’ayant pas d’autre dot que son intelligence et son savoir, Valérie Simonin entra au Conservatoire ; elle en est sortie avec le premier prix de comédie ; elle a débuté à l’Odéon dans l’Honneur et l’Argent.

Elle y obtint un brillant succès et fut bientôt jugée digne de jouer sur la première scène du monde ; pendant quatre ans, elle a été pensionnaire du Théâtre-Français et en même temps élève de Carpeaux et de Mathieu Meusnier ; elle a exposé plusieurs œuvres très remarquées au Salon de Paris. Une tête de bacchante fixa surtout l’attention des connaisseurs.

S’étant mariée avec M. Gustave Fould, Valérie Simonin dut renoncer au théâtre.

Mais celui ou celle qui sent en lui le feu sacré ne se résigne pas facilement à cette vie d’oisiveté que mènent les inutiles. Sous le pseudonyme de Gustave Haller, Mme  Fould, sans cesser de s’occuper de sculpture, car nous aurons cette année même une œuvre d’elle au Salon, s’est lancée résolument dans l’arène littéraire. Un de ses premiers ouvrages, l’Enfer des femmes, a fait beaucoup de bruit, et il a posé son auteur en écrivain de talent.

Elle a publié dans la Presse un roman écrit avec beaucoup de verve et une grande finesse d’aperçu ; il était intitulé : le Professeur d’amour.

Un autre roman d’elle a obtenu un grand succès aussi, c’est Sternina, écrit dans le genre anglais.

Dans le Paris-Journal, ses chroniques de Cendrillon ont attiré l’attention.

En octobre 1875, Gustave Haller a publié chez Calman-Lévy un roman intime, avec préface de Georges Sand et un dessin de Carpeaux ; ce livre, intitulé les Bluets, a obtenu un si réel succès qu’en peu de temps douze éditions furent enlevées.

L’an d’après, son livre fort curieux, Vertu, en arriva, lui aussi, rapidement à sa huitième édition.

Mais le théâtre attire cet écrivain et cette artiste.

En 1870, elle a fait jouer à l’Odéon une comédie en quatre actes, pleine d’esprit et de gaieté ; voici ce que notre regretté roi de la critique, J. Janin, en dit dans son feuilleton des Débats du 10 février 1870 :

« La jeune Gustave Haller, du Médecin des dames, fut d’abord une très jeune fille pauvre et bien née ; elle était très habile à restaurer les vieux livres. D’un bouquin chargé de rouille et gonflé par la pluie, elle faisait un exemplaire digne de la bibliothèque d’Auguste de Thou et de Chrétien de Lamoignon. À cette profession libérale entre toutes, elle a fort bien gagné sa vie, et maintenant, par un nouvel effort, la voilà qui, d’une plume habile, écrit, en se jouant, la comédie ; et chacun d’applaudir… et nous autres qui l’avons suivie en toutes ses métamorphoses, nous ne sommes pas étonnés le moins du monde que le Médecin des dames ait réussi par sa gaieté, le naturel et, disons tout, par l’invention. »

Voici certes des éloges, J. Janin n’en était pas prodigue, et ces lignes sont un des meilleurs garants de la valeur de Gustave Haller.

L’été dernier, tout Paris a été voir le Duel de Pierrot. Cette pièce, fort bien faite, très goûtée du public, a été aigrement discutée par quelques journalistes… Pensez donc ! une femme qui sculpte, c’est déjà irritant ; une femme qui écrit de jolis romans, c’est exaspérant, et si par-dessus le marché elle s’avise encore d’écrire de bonnes pièces, alors que quelques hommes en écrivent d’ineptes, voilà certes trois fois plus qu’il n’en faut pour faire naître des colères vertes dans le camp barbu !

Calmez-vous, messieurs, la colère vous rend moins beaux encore ; de plus elle est mauvaise conseillère.

Prenez-en votre parti… il y a passablement d’hommes nuls et il y a quelques femmes de valeur. Mme  Gustave Haller en est une ; c’est un caractère et une intelligence.

J’espère qu’en dépit du courroux de la gent masculine, il nous sera bientôt donné d’applaudir encore une de ses charmantes comédies.

Comme sculpteur, romancier et auteur dramatique, Gustave Haller est quelqu’un, sa personnalité est nettement dessinée ; elle a trois dons, et ceux qui la connaissent jurent qu’elle en a un quatrième, celui de charmer ses amis par sa franchise, son affabilité et son esprit primesautier.