Silhouettes canadiennes/Pierre Boucher

Imp. L’Action sociale Ltée (p. 97-141).


PIERRE BOUCHER





D ans son beau livre La Colonisation de la Nouvelle-France, M. Salone dit que Pierre Boucher fut chez nous le seigneur modèle. Un rapide résumé de sa vie prouvera qu’à ce mérite fort grand il en joignit bien d’autres.

Pierre Boucher avait environ quinze ans quand il arriva à Québec avec sa famille, en 1635. La mort allait bientôt emporter Champlain, usé avant le temps. Mais le fondateur de la Nouvelle-France portait toujours un vif intérêt aux arrivants, et il vit, sans doute avec plaisir, l’adolescent qui devait tant faire pour la colonie naissante.

L’intelligence de Pierre Boucher était fort remarquable. Malgré son jeune âge, sa raison et son caractère inspiraient de la confiance, et il fut choisi pour aller au pays des Hurons apprendre la langue. Il y passa quatre ans.

Revenu à Québec, il entra dans la garnison, remplit à la satisfaction de tous son office d’interprète, en maintes circonstances importantes, et prit part à plusieurs expéditions contre les Iroquois. Il était de la troupe de M. de Montmagny, dans le combat livré à deux cents de ces sauvages sur la rivière Richelieu, en 1643. Deux ans après, il mit en fuite, sur le lac Saint-Pierre, une bande d’ennemis qui échappèrent, dit Ferland, à la faveur d’une nuit très obscure.

L’année suivante, il se distingua entre tous les braves qui défendirent le fort de Bécancourt contre les Iroquois.

L’état si précaire de la colonie ne décourageait point le jeune Français. Il s’était épris de la vie aventureuse, de l’âpre charme des forêts. Il aimait le sauvage pays où il avait grandi et, résolu de s’y établir, voulait se marier. En 1649, il épousa Marie Chrestienne, fille d’un chef huron et élève des Ursulines de Québec. C’était une exquise fleur des bois. Marie de l’Incarnation en parle dans ses lettres avec une fierté maternelle. Mais la jeune huronne mourut peu après son mariage.

Pierre Boucher s’était fixé aux Trois-Rivières[1]. Jean Godefroy, Jacques Hertel, Le Neuf de la Potherie, Le Neuf du Hérisson, Jean Nicolet, Normanville, Sébasthien Dodier, François Marguerie, Étienne Lafond, Bertrand Fafard, Pierre Blondel, Christophe Crevier y étaient déjà établis.

Depuis longtemps c’était le poste le plus fréquenté. Les Français y venaient de tous côtés, aux nouvelles. Nulle part, il ne circulait tant de bruits sinistres. Les sauvages amis qui arrivaient, chargés de fourrures, avaient toujours quelque désastre à annoncer. Cela n’arrêtait pas le trafic et au besoin, on allait chercher des chaudières, des haches, des couteaux et autres marchandises européennes à Québec. Le principal dépôt était là. Mais la grande traite se faisait aux Trois-Rivières.

Après la mort de Marguerie qui se noya avec Amyot, en traversant le fleuve, Pierre Boucher devint le premier interprète.

Aux alentours du fort, il y avait parfois un grand rassemblement de familles sauvages, retenues par la terreur qu’inspiraient les Iroquois. Les Français les protégeaient tant qu’ils pouvaient, mais les terribles Mohawks laissaient souvent aux Trois-Rivières de longues traînées sanglantes.

« Les Iroquois nous tiennent resserrés de si près, écrivait Pierre Boucher, qu’on ne peut labourer les champs et encore moins faire les foins, qu’en continuel péril, car ils dressent des embûches de tous côtés. »

Les secours de France toujours attendus n’arrivaient pas, mais les audacieux colons poursuivaient leur œuvre. « Lorsqu’on entend parler de quelque malheur arrivé de la part des Iroquois, écrivait Marie de l’Incarnation, chacun s’en veut aller en France, et en même temps, on se marie, on bâtit, le pays se multiplie, les terres se défrichent et tout le monde pense à s’établir. »

En 1651, Pierre Boucher fut nommé capitaine de milice. Il reçut les instructions suivantes :


« Ordre de M. D’Ailleboust, gouverneur, à M. Boucher, capitaine des habitants des Trois-Rivières.

« Il fera faire exercice le plus souvent qu’il pourra, soit pour tirer au blanc ou autrement.

« Il aura soin que chacun tienne ses armes en bon état et bien chargées de postes ou de balles.

« Il fera pour cet effet quelques fois visite par les maisons, afin d’empêcher que personne ne se défasse de ses armes sans congé exprès du gouverneur.

« Il excitera souvent ceux qui vont au travail de se tenir sur leurs gardes, surtout aura l’œil que les armes soient bien chargées…

« La palissade et les deux redoutes achevées, il divisera le bourg en trois escouades, ou quatre, s’il y a assez d’hommes, dont une entrera tous les soirs en garde dans la redoute qui regarde les champs. Dans un corps de garde, il y aura toujours une personne qui veillera, et celui qui devrait être en sentinelle fera ronde tout autour du dedans de la palissade, et aura l’oreille souvent au guet pour ne se point laisser surprendre du dehors par l’ennemi, ni du feu qui se peut mettre par accident en quelque maison.

« Il fera son possible pour presser la construction de la palissade et fera mémoire des journées qui seront données, par qui, à quoi et combien.

« S’il arrivait quelques réfractaires au commandement ou qui manquassent aux gardes, il les condamnera à l’amende telle qu’il jugera à propos ; ou s’il arrivait quelque refus d’obéir, il en fera son rapport au gouverneur pour en faire châtiment.

« Fait et expédié au fort des Trois-Rivières, ce 6 juin, mil six cent cinquante et un.

(Signé) D’Ailleboust.

Se fortifier demandait du temps. Mais le péril continuel où l’on était aux Trois-Rivières n’empêcha point Pierre Boucher de se remarier.

Le 9 juillet 1652, il épousa Jeanne Crevier, jeune fille de dix-sept ans, qui avait grandi dans les alarmes de la guerre de surprises.

Peu après ce mariage un tragique événement plongea la ville naissante dans une affreuse désolation. Quatre Français, La Bougonnier, Guillet, Rochereau et le chirurgien Plassey, descendant par eau au Cap de la Madeleine, furent cernés, à l’entrée du Saint-Maurice, par huit canots iroquois.

Dans la lutte, La Bourgonnier et Guillet tombèrent mortellement blessés, mais Plassey et Rochereau, adroitement saisis, furent entraînés.

Le brave gouverneur Du Plessis Bochart, espérant les arracher à la cruelle mort qui les attendait, se lança avec une cinquantaine de Français, à la poursuite des Iroquois, et malgré les représentations, n’hésita point à les suivre dans les bois. Il fut tué et bien des Français avec lui, la Mère de l’Incarnation dit vingt-deux. Les ennemis firent aussi sept prisonniers, entre autres Normanville qui fut brûlé.

Ce désastre accrut encore la superbe des Iroquois. Ils se croyaient maîtres de la Nouvelle-France. Chose qui ne s’était jamais faite, un détachement de leurs guerriers hiverna dans la forêt, à trois lieues du poste, et y éleva un fort.

M. de la Poterie avait succédé à M. Du Plessis. Au printemps, il obtint un congé de quelques mois et descendit à Québec. Le commandement échut à Pierre Boucher, capitaine de la milice.

Le Iroquois établis dans le voisinage molestaient beaucoup les colons. Ils parurent s’éloigner au mois de juin, mais Boucher croyait qu’ils machinaient une attaque et, secondé par le Père Lemercier, pressait sans cesse le travail des fortifications. À la fin de juillet ces travaux étaient à peu près terminés.

D’après Faillon, le bourg se trouva compris dans un carré d’environ quatre-vingts toises sur cent, mais brisé à deux de ses angles, par des accidents de terrain. Cette enceinte formée de pieux, avec trois redoutes aux angles et plusieurs bastions, renfermait l’église, l’habitation du gouverneur et une trentaine de maisons.

Le gouverneur-général, prévenu qu’un grand coup se préparait, monta aux Trois-Rivières pour voir à la défense. On avait déjà signalé l’arrivée de quelques bandes, et au mois d’août des hommes partis aux champs accoururent annoncer que, dans toutes les directions, des sauvages se glissaient derrière les arbres.

On fit une battue aux alentours sans découvrir personne et l’on ne savait trop que penser. Mais la place était bloquée et le lendemain des canots iroquois apparurent sur le fleuve.

Boucher, voulant se renseigner sur les forces de l’ennemi, envoya en reconnaissance une chaloupe bien équipée, commandée par de Bellepoire. Non loin du fort, une trentaine de canots iroquois étaient tirés sur le sable et les canots sur le fleuve arrivaient, à force d’avirons pour mettre la chaloupe entre eux et la troupe de terre.

Bellepoire fît virer de bord et ordonna une décharge générale qui abattit quelques sauvages. Il garda un grand calme et, après une lutte très vive et admirablement conduite, la chaloupe revint à travers la fusillade, sans un seul blessé.

Au fort, les canons retentissaient, les tambours battaient, les trompettes appelaient aux armes : une multitude de sauvages tout à coup surgis des bois accouraient vers le bourg.

Six cents Agniers, presque tous armés à l’européenne, allaient assiéger Trois-Rivières et Boucher n’avait que quarante-six hommes à leur opposer.

Il fit fermer les portes des barricades, plaça ses meilleurs tireurs aux endroits les plus menacés et tous, implorant le secours de Dieu, se tinrent prêts à recevoir les assaillants.

Les sauvages redoutaient les canons, mais à l’ouest la bourgade n’était protégée que par des souches et des abattis. C’est par là qu’ils tentèrent l’assaut, mais ils furent toujours repoussés.

Ils soulagèrent leur rage en brûlant les moissons, une redoute et quelques maisons isolées, hors de la portée du canon. Le siège durait depuis neuf jours, quand les Iroquois portant une espèce de drapeau blanc, s’approchèrent pour parlementer.

C’était le soir. Pierre Boucher, redoutant quelque fourberie, refusa de les laisser entrer, et bien lui en prit car, n’espérant plus emporter le poste d’assaut, les Iroquois voulaient s’en emparer par la ruse sous le prétexte de traiter de paix. Le lendemain, on admit Teharehogan, le grand chef agnier, et trois des principaux guerriers, dans le fort. Ils y dormirent, sans plus de crainte que s’ils eussent été les meilleurs amis des Français.

Après de longues délibérations, la paix fut conclue, mais Boucher dicta fièrement les conditions.

« La paix fut arrêtée, écrit-il, aux conditions qu’ils me rendraient tous les prisonniers qu’ils avaient dans leur armée, tant français que sauvages, qu’ils iraient chercher ceux qu’ils avaient dans leur village, et même les amèneraient dans quarante jours, et que les plus considérables des nations iroquoises viendraient à Québec, avec des présents, demander la paix à notre gouverneur, M. de Lauzon, et la conclure : ce qui fut exécuté en tout point, et en partant, ils me laissèrent en otage six de leurs enfants. »

Après le retour de M. de la Poterie, Pierre Boucher descendit à Québec, avec ses sauvages. Le gouverneur l’accueillit avec élan.

« Ah ! que vous avez eu du bonheur, s’écria-t-il en l’embrassant, d’avoir si bien conservé votre poste. Si les ennemis eussent pris les Trois-Rivières, tout le pays était perdu. »

Il lui exprima vivement la douleur qu’il ressentait de ne pouvoir récompenser de si brillants services. La colonie était si pauvre, qu’il n’avait pas de quoi payer les officiers. « Tout ce que je puis faire, dit-il, c’est de vous donner le commandement du poste que votre valeur guerrière a sauvé. »

Personne ne croyait à la durée de la paix conclue. « La guerre des Iroquois traverse toutes nos joies, disait une lettre de ce temps. C’est l’unique mal de la Nouvelle-France, qui est en danger de se voir toute désolée, si, de France, on n’y apporte un puissant et prompt secours, car pour vrai dire, il n’y a rien de si aisé à ces barbares que de mettre quand ils voudront toutes nos habitations à feu et à sang, à la réserve de Québec, qui est en état de défense, mais qui, toutefois, ne serait plus qu’une prison dont on ne pourrait pas sortir en assurance et où l’on mourrait de faim, si toute la campagne était ruinée… C’est une espèce de miracle que les Iroquois, pouvant si aisément nous détruire, ne l’aient pas encore fait, ou plutôt c’est une providence de Dieu qui jusqu’à présent les a aveuglés… Ils ont fait des coups de cœur, et se sont signalés, en certaines rencontres, autant qu’on pourrait l’espérer des plus braves guerriers d’Europe. Pour être sauvages, ils ne laissent pas de savoir fort bien faire la guerre, mais d’ordinaire celle des Parthes qui donnèrent tant de peines aux Romains. » Tout le monde comprenait que pour réduire les Iroquois, il fallait aller les attaquer dans leur pays. Mais la colonie — criminellement négligée — n’avait pas de troupes.

Cependant l’audace de ces barbares allait toujours croissant. L’anéantissement de la colonie fut décidé, et, comme on sait, au printemps de 1660, tous les guerriers des cinq tribus se réunirent pour fondre sur les établissements français.

Le dévouement de dix-sept jeunes héros sauva la colonie. Épouvantés de leur courage et des pertes subies, les Iroquois rebroussèrent chemin. Mais s’ils n’espéraient plus une destruction complète, ils continuèrent, avec grand succès leur affreuse guerre de surprises.

En 1661, plus de cent Français furent tués ou enlevés entre Québec et Montréal. Parmi ceux qui moururent les armes à la main, il faut citer Jean de Lauzon, fils du gouverneur et sénéchal de la Nouvelle-France[2]. Sa mort terrible et noble lui donne droit à un souvenir éternel.

Aux Trois-Rivières, les Iroquois enlevèrent, un jour, quatorze Français à la fois : « Une femme, écrivait Pierre Boucher, est toujours dans l’inquiétude que son mari, qui est parti le matin pour son travail, ne soit pris ou tué et que jamais elle ne le revoie. C’est ce qui est cause que la plupart des habitants sont pauvres, les Iroquois tuant le bétail, empêchant quelquefois de faire les récoltes et brûlant les maisons, et les pillant, lorsqu’ils en ont l’occasion. »

À son arrivée à Québec, au mois d’août 1661, le gouverneur-général d’Avaugour trouva la colonie à toute extrémité. Mais le traité des Pyrénées avait rendu la paix à la France. M. D’Avaugour jugea le moment favorable pour obtenir du renfort, et il résolut de députer en France un homme connaissant bien le pays, la situation, et capable d’en parler de manière à convaincre, à émouvoir. Son choix s’arrêta sur le gouverneur des Trois-Rivières. Toutes les autorités canadiennes l’approuvèrent et Pierre Boucher dûment accrédité se rendit à Paris pour « supplier le roy de prendre sous sa protection une colonie qui se trouvait absolument abandonnée et réduite aux derniers abois. »[3]

Si richement doué qu’il fût, l’ancien commis des traiteurs, l’interprète des Hurons, dut faire singulière figure à la cour de Louis XIV. Mais le jeune roi accueillit avec une bienveillance extrême le fruste délégué de la petite colonie agonisante.

Au lieu de le renvoyer à ses ministres, il l’entretint longuement, l’interrogea sur le Canada, sur ses ressources, et, pour reconnaître les services de Pierre Boucher, lui accorda des lettres de noblesse.[4]

Le roi promit de retirer à la Compagnie des Cent-Associés les privilèges dont elle abusait ; il promit aussi d’envoyer des troupes pour réduire les Iroquois.

Pierre Boucher revint avec trois cents hommes de travail et cent soldats. Trois cents autres devaient bientôt suivre.

À son retour, il fut promu à la charge de juge royal et reprit le gouvernement des Trois-Rivières.

Les Trois-Rivières c’était le lieu où logeait la crainte[5]. Cependant, toute la famille de Pierre Boucher l’y avait suivi. Ses parents et son frère Nicolas y moururent ; ses trois sœurs s’y établirent.[6]

Pierre Boucher, arrivé si jeune à Québec, n’était pas un homme instruit. Cependant, pour répondre plus au long aux questions que lui avait faites Louis XIV, il entreprit d’écrire un ouvrage qu’il intitula : Histoire véritable et naturelle des mœurs et des productions de la Nouvelle-France.

Ce livre judicieux qui reste une autorité, Pierre Boucher l’écrivit à l’époque terrible des tremblements de terre. Depuis le mois de février jusqu’à l’automne, d’épouvantables secousses bouleversèrent le pays. Chacun croyait que le Canada tout entier allait s’abîmer. Pierre Boucher avait foi dans l’avenir et préparait son livre qu’il dédia à Colbert, ministre des colonies. L’histoire véritable et naturelle de la Nouvelle-France fut imprimée à Paris en 1664.

Le roi n’avait pas oublié ses promesses. L’arrivée d’un vice-roi et du régiment de Carignan le prouva et l’expédition de l’automne 1666 contre les Iroquois porta un grand coup à la puissance de cette race horrible et terrible.

Avertis de l’approche des troupes, ils s’étaient préparés à une vigoureuse défense ; mais le roulement des tambours, qu’ils prirent, pour la voix des démons au service de l’armée, les terrifia tellement qu’ils abandonnèrent leurs villages et s’enfuirent dans les bois.

M. de Tracy ne commit pas l’imprudence de les y suivre ; mais on livra aux flammes les cinq bourgs[7] agniers. Habitations et moissons, tout fut réduit en cendres.

De retour à Québec, M. de Tracy fit signifier aux Iroquois par quelques amis de leurs chefs envoyés pour solliciter la paix, qu’ils eussent à lui amener des otages et à venir à Québec conclure la paix, que s’ils y manquaient, il retournerait dans leur pays à la tête de ses troupes et leur ferait une guerre sans merci.

Après vingt-cinq ans d’alarmes et de carnage, la Nouvelle-France allait enfin respirer. Une ère de calme allait s’ouvrir. Jamais, nulle part, le Te Deum ne fut chanté plus joyeusement.

Le péril incessant une fois conjuré, il fallait tirer parti des richesses du sol. La terre dont on veut faire une patrie doit être fécondée par le travail et les sueurs. Dans un pays neuf, il faut des gens qui mettent la main à la hache et à la pioche. Pierre Boucher le comprenait. Il savait que le patriotisme prend corps avec la terre, se confond avec l’amour du sol, et un grand projet le préoccupait.

Pour reconnaître les bons et utiles services du sauveur des Trois-Rivières, l’intendant Talon lui avait donné, concédé et accordé un morceau de forêt — cent quatorze arpents de front sur deux lieues de profondeur à prendre sur le Saint-Laurent, bornées des deux côtés par la seigneurie de Varennes, pour jouir de la dite terre en tous droits de seigneurie et justice, et, de ce fief en bois debout, Pierre Boucher songeait à faire une paroisse modèle.

Plein de cette pensée, il visita sa sauvage seigneurie et la trouva à souhait. L’argent lui manquait absolument pour la mettre en valeur — Il avoue dans ses mémoires, qu’après avoir établi les colons qu’il avait amenés de France, il se trouva complètement ruiné — Mais il savait que la richesse est dans le sol, que la prospérité des familles comme des nations dépend surtout de l’agriculture, et son parti fut bientôt pris : il viendrait, défricher son domaine et y établirait son foyer. « La grandeur des actions humaines, a dit Pasteur, se mesure à l’inspiration qui les fait naître. Heureux qui porte en soi son idéal et qui lui obéit. »

Lui-même écrivit quels motifs lui faisaient abandonner le gouvernement des Trois-Rivières pour se fixer dans la forêt, et, au monastère des Ursulines de Québec, on conserve religieusement ce manuscrit intitulé : Raisons qui m’engagent à établir ma seigneurie des îles percées que j’ay nommée Boucherville.

1ère Raison. — C’est pour avoir un lieu dans ce païs consacré à Dieu, où les gens de bien puissent vivre en repos, et les habitants faire profession d’estre à Dieu d’une façon toute particulière. Ainsi toute personne scandaleuse n’a que faire de se présenter pour y venir habiter, si elle ne veut changer de vie, ou elle doit s’attendre à en estre bientôt chassée.

2ème Raison. — C’est pour vivre plus retiré et débarrassé du fracas du monde, qui ne sert qu’à nous désoccuper de Dieu et nous occuper de la bagatelle, et aussi pour avoir plus de commodité de travailler à l’affaire de mon salut et de celui de ma famille.

3ème Raison. — C’est pour tâcher d’amasser quelque bien par les voies les plus légitimes qui se puissent trouver, afin de faire subsister ma famille, pour instruire mes enfants en la vertu, la vie civile et les sciences nécessaires à l’état où Dieu les appellera et ensuite les pourvoir chacun dans sa condition.

4ème Raison. — Comme c’est un lieu fort avantageux tant pour les grains que pour les nourritures, et que ce serait dommage qu’il demeurât inutile, outre que cela est capable de mettre bien des pauvres gens à leur aise, ce qui ne se peut faire si quelqu’un ne commence. — Cette terre m’appartenant, je crois que Dieu demande de moy que j’aille au plus tôt l’établir. Ce qui me confirme dans cette pensée, c’est la connaissance que j’ay que cela sera utile au public et aux particuliers.

5ème Raison. — C’est qu’il me semble que j’auray plus de moyen de faire du bien au prochain et d’assister les pauvres, que dans le poste où je suis, où mes revenus ne suffisent pas pour faire ce que je voudrais, ayant d’ailleurs une grande famille ; ce qui fait que je n’ay à présent presque que le désir et la bonne volonté. Peut-être que dans la suite me trouverai-je en état d’exécuter les sentiments que Dieu me donne conformément à ce que j’ai vu pratiquer à un grand homme de bien ; ce que je ne pourrais pas faire demeurant icy. — Pour y réussir, je prie notre bon Dieu, par les mérites et l’intercession de son fidèle serviteur, le Père de Brébœuf, de m’en faciliter l’établissement si c’est pour sa gloire, pour le salut de mon âme et celui de toute ma famille, sinon qu’il ne permette pas que j’en vienne à bout, ne voulant rien que sa sainte volonté.

Je mets ceci par écrit, afin que si Dieu permet que je réussisse, le relisant, je me souvienne de ce à quoi je me suis engagé ; afin aussi que mes successeurs sachent bien mes intentions. Je les prie de continuer dans la même volonté, si ce n’est qu’ils voulussent enchérir pardessus, en y faisant quelque chose de plus à la gloire de Dieu. C’est ce en quoi ils me peuvent le plus obliger, ne leur demandant pour toute reconnaissance que Dieu soit servy et glorifié d’une façon toute particulière dans cette seigneurie, comme en étant le maître. C’est mon intention ; je le prie de tout mon cœur qu’il veuille bien l’agréer, s’il lui plaît. Ainsi-soit-il.

Le bien à faire, voilà ce que Pierre Boucher avait en vue. C’était sa divine ambition. Mais ce n’est pas sans peines qu’il fit agréer au gouverneur-général sa résolution d’abandonner le gouvernement des Trois-Rivières, et, il dut lui en coûter de quitter cette ville naissante, où la gloire lui avait souri, où son cœur avait tant de fois saigné, où la fraternité de la souffrance et du péril avait formé de ces liens qui jamais ne se brisent.

Les rivières, a dit Pascal, sont des chemins qui marchent. Pour les colons, il n’y avait pas d’autres routes à travers la forêt sans fin, et le déboisement se commençait le long des cours d’eau.

C’est à une vingtaine d’arpents de l’église actuelle, à l’embouchure de la Sabrevois dans le fleuve, que le fondateur de Boucherville attaqua la forêt. Le soir, après la dure journée, une belle flambée égayait la clairière et Pierre Boucher se reposait avec ses hommes en songeant aux moyens de mener son dessein à bonne fin.

Il savait quelle part d’illusion se mêle à l’espérance humaine, il connaissait les âpres difficultés auxquelles sa volonté allait se heurter. Mais il n’en avait pas moins suivi son idéal, et en regardant les étoiles qui s’allumaient dans la pureté du ciel il priait et confiait à Dieu son œuvre. Un océan d’arbres l’environnait, les rumeurs profondes se mêlaient au murmure de la rivière qui coulait tout près, à la mélodie des vagues le long du rivage, et parfois Pierre Boucher s’abandonnait à la douceur des rêves éveillés. Sur la pierre des foyers futurs, il voyait les grands feux s’allumer, les familles rieuses se grouper autour ; les bois reculaient devant le grain de blé, les épis mûrs ondulaient dans les champs, il entendait le bruit du fléau sur l’aire, il voyait couler le beau grain des sacs entr’ouverts.

La sécurité conquise n’était que relative, il fallait se protéger contre la perfidie des Sauvages. Une haute palissade entoura la maison solidement construite et sur le bord du fleuve, on éleva une petite redoute. C’est ce qu’on appelait le fort Saint-Louis.

À côté, Pierre Boucher fit bâtir une chapelle. Au siècle dernier, on en voyait encore les ruines[8].

Le temps n’a pas détruit le manoir de Pierre Boucher ; la charpente et les murs sont encore les mêmes[9]. Il l’habita, paraît-il, dès 1668. C’est de ce foyer — lieu de son repos et de ses joies — que sa forte race s’est répandue au loin, emportant d’immortelles traditions de foi, d’honneur et de patriotisme.

Encore que les voyages fussent alors si longs, si pénibles, les plus grands personnages du pays visitaient Pierre Boucher. Le premier prêtre qui entra dans sa maison fut l’illustre Père Marquette. Accompagné de Louis Jolliet, il venait, avant de partir pour les missions de l’Ouest, faire ses adieux au fondateur de Boucherville.

Pierre Boucher avait le mâle bon sens supérieur au génie même, mais les aventures, alléchées d’inconnu et de danger, faisaient vibrer en lui des fibres bien profondes : ce dut être avec une émotion mêlée d’envie qu’il vit partir les deux immortels découvreurs.

Comme le glorieux fondateur de Montréal, Pierre Boucher avait mis ses colons sous la protection de la Vierge. Comme Maisonneuve aussi, il organisa une congrégation de Marie et, jusqu’à sa mort, il en fut le président. Les premiers prêtres desservants de la paroisse résidèrent au manoir, et une partie de la maison était à la disposition de la Sœur Bourgeoys qui venait, chaque été, enseigner le catéchisme et faire l’école aux enfants. Comme l’admirable femme devait applaudir aux efforts de Pierre Boucher ! Avec quel intérêt elle devait suivre ses travaux !

Il savait prendre le bon côté des choses ; la forêt qui s’avançait jusqu’au seuil de la maison ne lui semblait pas une ennemie. « Le gibier vient se faire tuer, dit-il dans l’Histoire véritable et naturelle de la Nouvelle-France, le bois ne coûte qu’à bûcher et à apporter au feu, et plus on fait grand feu, plus on abât de la forêt et l’on se fait des terres nouvelles. »

La vie d’un arbre est dans ses racines et la vie d’un peuple dans ses origines. Parmi nous, qui n’a songé à ces brillants foyers d’autrefois, perdus dans la noirceur profonde des bois ? Qui n’a revu en pensée ces demeures primitives où les flambées de l’âtre mettaient de la poésie sur la rudesse des choses ? Alors, le confortable était bien inconnu. Mais, à son foyer rayonnant, le fondateur de Boucherville devait faire grande figure quand ses enfants l’entouraient. De sa seconde femme, Jeanne Crevier, il n’en eut pas moins de seize — dix garçons et six filles. Cette belle famille grandissait gaie, robuste, aventureuse, elle allait faire dire à l’un de nos gouverneurs que la famille de Pierre Boucher avait plus travaillé qu’aucune autre au bien du pays.

René Gauthier de Varennes et Nicolas Danau de Muy, officiers fort distingués du régiment de Carignan, devinrent les gendres de Pierre Boucher, et les premiers colons de sa seigneurie se recrutèrent parmi les soldats[10].

C’est avec une joie profonde qu’il accueillait les braves qui voulaient fonder un foyer — allumer la flamme sacrée dans les demeures à léguer. Il les encourageait, les avisait, les aidait avec une bonté inlassable, les traitait moins en seigneur qu’en père. Et la sympathie, le respect et les services reçus et rendus formaient entre eux des liens solides que le danger ne tarda point à resserrer. L’ère de paix avait été comme un beau et vigoureux printemps, mais la Nouvelle-France, heureuse, prospère, déjà riche de sève, allait traverser des années terribles et subir des humiliations qu’elle n’avait point connues aux jours de ses pires détresses, à l’âge héroïque et militant.

Les colonies anglaises auraient voulu accaparer le trafic avec les indigènes, et, dans l’intérêt du commerce, Dongan, gouverneur de la Nouvelle-York, poussait les Iroquois aux hostilités. Se sentant soutenus, ces barbares envahirent et ravagèrent le pays des Illinois, alliés des Français, et lâchèrent leurs bandes sur divers points de la Nouvelle-France. Ces insolentes ruptures de la paix appelaient une prompte réparation, mais par l’impéritie absolue du gouverneur, M. de la Barre, l’expédition de 1683 contre les Cinq Cantons n’aboutit qu’à un traité déshonorant qui déconsidérait les Français aux yeux de leurs ennemis et de leurs alliés. L’indignation fut générale ; et le roi rappela promptement la Barre.

Le marquis de Denonville, qui le remplaça, avait du prestige, de la valeur, une grande réputation d’habileté. Son administration fut pourtant encore plus funeste. Il fit saisir les délégués iroquois qu’il avait fait inviter par un missionnaire, le Père de Lamberville, à venir traiter de la paix, et les envoya en France chargés de fers. Cet acte qui déshonora le nom français parmi les indigènes fut hautement blâmé dans le pays. Louis XIV désavoua le gouverneur ; les délégués revinrent. Mais les superbes Iroquois n’oublièrent point l’outrage.

Avec les forces dont il disposait dans l’expédition de 1687, Denonville aurait pu mettre les cinq nations hors d’état de nuire. Il se contenta de les humilier[11].

De sanglantes représailles ne se firent pas attendre, mais ce n’était que le prélude de la vengeance.

Dans la nuit du 5 août 1689, par une tempête de grêle et de pluie, quatorze cents guerriers traversèrent le lac Saint-Louis et abordèrent sans être aperçus sur la côte de Lachine. Ils n’approchèrent point des forts. Divisés en petits pelotons, ils se répandirent sur un rayon de trois lieues et entourèrent les habitations où les Français reposaient dans une fatale sécurité.

Silencieux comme des ombres, ils attendirent les premières lueurs du jour. Alors, au signal donné, une horrible clameur déchira les airs. Portes et fenêtres volèrent en morceaux et dans toutes les maisons le massacre général commença en même temps.

Les Iroquois se surpassèrent eux-mêmes en cruauté. Ils empalèrent les femmes, mirent les enfants à la broche et les firent rôtir. Ils forcèrent des mères à coucher sur les cendres rouges les pauvres petits qui s’attachaient à elles.

Deux cents personnes périrent dans les flammes. Plus de cent vingt furent solidement garrottées et réservées pour une mort plus lente. Tout fut pillé et brûlé jusqu’aux approches de la ville.

Le gouverneur-général s’y trouvait. À la nouvelle de l’irruption, il perdit la tête et sa faiblesse aggrava étrangement l’horrible catastrophe. Il tint les troupes sur la défensive, il ordonna de ne pas s’exposer et par sa veulerie les Iroquois paradèrent en vainqueurs où il leur plût.

« Il n’y eut de chocs que sur quelques points, dit Garneau. Ces barbares parcouraient le pays laissant partout des traces sanglantes de leur passage. Ils se portaient rapidement d’un lieu à un autre et cédaient lorsqu’ils rencontraient de la résistance pour se répandre là où ils n’en trouvaient point. Ils se promenèrent ainsi pendant deux mois et demi avec le fer et la flamme, comme un incendie qu’excite un vent qui change sans cesse de direction. »

Ce que souffrirent nos ancêtres pendant ces dix semaines de sanglantes parades, il est impossible aujourd’hui de s’en faire quelque idée.

La honte de l’inaction s’ajoutait à l’horreur du péril. Jusque-là, aux heures les plus désespérées, les plus terribles, la Nouvelle-France avait fièrement gardé l’honneur. La force de cette faiblesse avait fait l’étonnement et l’admiration des Sauvages qui, maintenant, n’avaient plus que du mépris.

Aux alentours de Montréal, ils s’amusaient à torturer les prisonniers, ils avaient nargué et battu un détachement, mis tout le village de Lachenaye à feu et à sang.

Un sentiment d’amère et accablante humiliation se mêlait aux angoisses de tous les instants.

Le Canada était presque une colonie militaire ; dans les recensements on comptait les armes[12], comme dans les rôles d’une armée. Cinq cents hommes, dit un contemporain auraient mis les Iroquois en déroute. Mais Denonville tenait les troupes et les milices immobiles. Les colons ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. C’est dire qu’ils vivaient dans l’attente continuelle de la plus atroce des morts. C’en était fait pour eux du bien de la vie. Les cœurs étaient saturés d’agonie et d’horreurs.

À Boucherville — comme dans les autres seigneuries — les habitations n’étaient pas assez rapprochées pour qu’on pût se secourir promptement, en cas d’attaque. Aussi, à la nouvelle du massacre de Lachine, Pierre Boucher dut réunir tout le monde au fort Saint-Louis. En ce péril extrême, il retrouva sans doute l’ardeur de sa vaillante jeunesse, et lui et ses colons se préparèrent à se défendre jusqu’au dernier soupir.

Dans leurs canots d’écorce, les bandes iroquoises côtoyaient les deux rives du Saint-Laurent, et portaient où il leur plaisait la ruine, la mort, la désolation. Les plus horribles boucheries n’apaisaient pas leur soif de sang, leur rage de voir souffrir.

Le siège des Trois-Rivières remontait loin, mais les Sauvages se souvenaient sans doute de la valeur que Pierre Boucher y avait déployée, car ils n’attaquèrent pas Boucherville.

Pendant ces dix terribles semaines, comment vivait-on au fort Saint-Louis ?… Sans doute, la nuit surtout, la vigilance des sentinelles était extrême, et dans le jour, bien des regards interrogeaient le fleuve et les bois. Les sanglantes nouvelles restaient assez vagues. Chacun voulait espérer que ceux qui lui tenaient au cœur avaient échappé au massacre, et la prière, l’abandon à Dieu soulageait toutes les angoisses.

Une longue habitude du danger avait aguerri Mme Boucher, le calme qu’elle gardait soutenait le courage des jeunes femmes nouvellement venues de France. Les moins braves s’efforçaient de ne pas trop laisser voir l’atroce souffrance de la peur. Il fallait apprendre à supporter toutes les angoisses, il fallait se viriliser, et sans doute dans les pires moments, Pierre Boucher rappelait aux faibles la parole de Notre-Seigneur : « Ne craignez point ceux qui ne peuvent que tuer le corps. »

Jamais la colonie ne s’était vue dans un état si humilié, si lamentable. Heureusement Frontenac venait d’être nommé, pour la seconde fois, gouverneur, et sa forte main allait tirer la Nouvelle-France de l’abîme.

Frontenac arriva à Québec le soir du 12 octobre. À cette nouvelle, l’espérance rentra dans les cœurs et Québec, qu’il trouvait si beau et si magnifique, s’illumina spontanément.

Il débarqua à la lueur des flambeaux et jamais gouverneur ne fut reçu avec des transports de joie si vifs, si sincères, si triomphants. Mais quels sinistres et affreux récits on avait à lui faire !

Il partit aussitôt pour Montréal et visita les environs. Les Iroquois n’y avaient laissé que des ruines, et les traces de leurs bacchanales de sang et de mort étaient encore toutes vives. Mais Frontenac était trop homme d’action pour s’abandonner aux émotions pénibles. Il ne laissa pas distraire son énergie, et, dans les moyens à prendre pour relever le moral des Canadiens en cet immense malheur, son viril esprit alla tout droit à l’extraordinaire.

« Il comprit, dit Garneau, que ce n’était qu’en frappant des coups audacieux qu’il pourrait sauver le Canada, relever le courage des habitants, reconquérir la confiance des Sauvages alliés et rétablir l’honneur des armes françaises. »

La Nouvelle-Angleterre comptait alors deux cent mille habitants, le Canada en avait à peine douze mille. Cependant Frontenac résolut de porter la guerre jusqu’au cœur des colonies anglaises qui excitaient sans cesse les Iroquois et les poussaient aux derniers excès.

Trois détachements partirent de Montréal, des Trois-Rivières et de Québec en plein hiver. Ces vaillants n’étaient pas trois cents et par la forêt neigeuse, vieille comme le monde, que les seuls cours d’eau interrompaient, ils s’en allaient à des centaines de lieues, attaquer les forts anglais !

Jamais dessein ne parut plus insensé. Ce qu’ils eurent à surmonter de dangers, de fatigues et de souffrances n’est pas concevable. Mais cette prodigieuse campagne les couvrit de gloire. Shenectady (à dix-sept milles d’Albany), Salmon Falls et Casco furent entièrement détruits[13].

Ces succès merveilleux jetèrent l’effroi dans la Nouvelle-Angleterre et valurent aux Français l’admiration des indigènes. Longtemps après, ils en parlaient encore avec stupeur.

Les Canadiens avaient lavé l’honneur militaire flétri. Et quand les colons anglais tentèrent de prendre leur revanche sur Québec, on sait avec quelle superbe crânerie Frontenac repoussa la flotte ennemie.

Pierre Boucher se sentait rajeunir à ces glorieuses nouvelles. Il oubliait les hontes que la faiblesse de Denonville nous avait values. L’héroïsme des Canadiens lui faisait tout espérer. Comme Talon, il pensait que la Nouvelle-France serait quelque chose de grand.

Les colons-soldats venaient causer avec lui de ces beaux faits d’armes. Tous les cœurs en étaient transportés, mais un grand deuil assombrissait la gloire éclatante des victoires remportées par une poignée d’hommes ; Lemoine de Sainte-Hélène — l’idole des milices et du pays tout entier — avait été tué au siège de Québec.

Les triomphes des Canadiens avaient d’abord interdit les Iroquois, mais leurs alliés, les Anglais, ne cessaient de les aiguillonner, et en 1691, au temps des semailles, ils reprirent leurs courses dans le haut de la colonie.

Toute tentative de culture entraînait danger de mort et la disette qui se faisait sentir depuis la guerre devint extrême. « L’été de 1691, dit un mémoire du temps, le pain fut rare et cher, quoique l’on eût fait venir de France quantité de farine que l’on envoyait en barque de Québec à Montréal : et pendant l’été, le vent fut si peu fréquent que les barques demeuraient un mois et six semaines en chemin, ce qui obligeait d’envoyer de gros convois au-devant. »

C’était donc en ramant que les colons bien armés allaient quérir la farine qui manquait au foyer. Il est difficile aujourd’hui de se faire une idée des souffrances de leur vie d’alarmes et de misères.

« L’argent avait disparu, dit Garneau, et il fallut émettre une monnaie de carte. Les denrées et les marchandises n’avaient plus de prix. Les munitions de guerre manquaient et l’intendant fut obligé de faire fondre les gouttières des maisons et les poids de plomb pour faire des balles. »

Alors, les balles étaient chose aussi nécessaire que le pain. Le pays presque tout en forêt était ouvert aux ennemis. Il fallait se tenir retranché et n’aller aux champs qu’armé et par troupes.

Une flotte anglaise se préparait à renouveler l’attaque contre Québec. La France envoya une escadre au Cap Breton pour l’arrêter et laissa aux colons la rude tâche de se défendre contre les Iroquois.

Frontenac les protégeait tant qu’il pouvait. Il avait organisé des corps volants chargés de prévenir les surprises. Mais les bandes infernales semblaient sortir du sol. Dans presque toutes les campagnes de Montréal, il y eut des rencontres sanglantes.

Contrecœur et Saint-Ours furent incendiés, mais les habitants rivalisaient avec les troupes de patience, d’ardeur, de courage[14] et les féroces ennemis se heurtèrent presque partout à une défense invincible.

Le péril continuel avait aguerri la population : les femmes et les enfants se battaient comme les hommes[15].

Il paraît que la gaieté n’en souffrait pas. Le plus grand mal alors de cette guerre de guérillas c’était qu’en beaucoup d’endroits on ne pouvait cultiver les terres.

En 1692, Mgr de Saint-Vallier érigea canoniquement la paroisse de Boucherville. L’année précédente, on y avait béni la première cloche, appelée Marie-Jeanne, du nom de la marraine, fille de Pierre Boucher[16]. Plusieurs des habitants n’avaient pas entendu le son d’une cloche depuis vingt ans. Partout, dans la paroisse, ce fut une fête. L’œuvre poursuivie avec une énergie acharnée, une persévérance invincible, était enfin affermie : la paroisse était fondée.

On ne bataille pas contre la barbarie sans qu’il en coûte cruellement, on ne conquiert pas une terre sauvage sans un labeur immense, et un succès humain est toujours bien incomplet. Pierre Boucher le savait, et, malgré tout ce qui manquait au sien, il s’attardait souvent en actions de grâces dans la pauvre petite chapelle.

La mort approchait, mais autour de lui il entendait sourdre la vie, une vie jeune, ardente, riche de sève. Ses nombreux enfants continueraient, achèveraient son œuvre. Tous s’en allaient avec élan à l’action, tous se montraient dignes de lui et dans leur vie d’honneur et de misère déployaient un grand courage. « Quel que soit l’état que vous embrassiez, tâchez d’acquérir la perfection de cet état », disait Pierre Boucher à ses enfants.

Parmi eux, Dieu s’était choisi deux prêtres. Plusieurs de ses fils s’étaient faits, comme lui, défricheurs, et leur sœur, Madame Le Gardeur de Tilly, ne craignait ni de se mettre aux manchons de la charrue, ni de prendre en main la faucille.

Geneviève — la dernière de cette famille patriarcale — voulait se faire religieuse. D’après les contemporains, pour l’intelligence et le caractère elle tenait plus de Pierre Boucher que tous ses autres enfants. Jamais fille n’aima, n’admira plus son père. Il lui en coûtait inexprimablement de le quitter. Désolé de la perdre, mais heureux de la donner à Dieu, son père la soutint dans sa lutte contre la nature. Et, au mois de juin 1694, elle entra au noviciat des Ursulines de Québec, où elle prit le nom de son père vénéré[17]. Le vide que laissait au foyer cette enfant tendre et aimable se fit bien tristement sentir. Mais ici-bas la douleur n’a jamais fini son travail dans notre cœur et Pierre Boucher devait l’éprouver.

Cette même année, au temps des récoltes, un fort parti iroquois descendit le Richelieu et se cacha dans les bois de Boucherville pour surprendre les moissonneurs aux champs. Vivement poursuivis, ils se dispersèrent, mais pour revenir plus tard, et la défaite qu’ils essuyèrent, cette fois, alluma dans ces cœurs féroces la soif de la vengeance. L’année suivante, par une nuit très obscure, ils se glissèrent jusqu’aux habitations, mirent le feu à quelques-unes, massacrèrent les familles ou les jetèrent dans les flammes, et s’enfuirent ensuite, entraînant quelques prisonniers[18].

Le lendemain, au lever du jour, on découvrit les ruines fumantes, où les restes calcinés des victimes gisaient dans les cendres.

Ce tragique événement plongea Boucherville dans une noire désolation. Pierre Boucher en ressentit une douleur aiguë. Jusque-là, sa paroisse avait été épargnée. Il avait cru qu’elle le serait toujours. Il se sentait accablé par cette surprise sanglante qui lui en rappelait tant d’autres, et vieux, usé, ne retrouvait plus l’élasticité, la force de vivre. Mais comme tous les hommes d’action, il savait vouloir.

On organisa l’été suivant, une nouvelle campagne contre les Iroquois. À l’approche des troupes, ils mirent le feu à leurs villages, et s’enfuirent dans les bois. On ne put que ravager le pays.

Malgré ses soixante-seize ans, Frontenac avait voulu commander la pénible expédition, ce qui accrut encore sa popularité.

L’illustre gouverneur avait su gagner l’estime et l’amitié de Kondiaronk, et, par ce Huron d’un génie si prodigieux, il espérait faire la paix avec toutes les tribus de l’Amérique du Nord.

Il mourut le 28 novembre 1698, sans avoir eu cette joie. Mais Kondiaronk tint ses promesses et, le 4 août 1701, la paix générale était solennellement conclue à Montréal. Ce fut un spectacle[19] impressionnant, d’une grandeur étrange, et Pierre Boucher, le survivant des temps héroïques, le représentant des premières générations, en fut sans doute plus touché qu’aucun autre. La vue des treize cents Indiens venus de tous côtés, depuis l’embouchure du Mississipi jusqu’au golfe Saint-Laurent lui mit au cœur une joie immense. Quelle admiration, quelle reconnaissance il ressentait pour Kondiaronk, qui avait su pacifier les maîtres de la forêt, les décider à enterrer la hache de guerre.

L’illustre sagamo ne devait pas survivre à son triomphe. Pendant qu’il écoutait l’un des orateurs, il s’évanouit. Des soins empressés le ranimèrent. Alors il témoigna qu’il voulait parler.

On le fit asseoir dans un fauteuil au milieu de l’assemblée et, s’aidant de toute sa volonté, il retrouva sa force, sa merveilleuse éloquence. « Avec modestie et dignité il exposa, dit Garneau, ce qu’il avait fait pour amener une paix universelle et durable. Il appuya beaucoup sur la nécessité de cette paix, sur les avantages qui en reviendraient à toutes les nations et démêla avec une adresse étonnante les intérêts des uns et des autres. Puis, il se tourna vers le gouverneur-général et le conjura de justifier par sa conduite la confiance qu’on avait en lui. » Sa voix s’affaiblit, il se tut. Il fallut l’emporter et il expira dans la nuit[20]. Sa mort fit une impression profonde. Kondiaronk était chrétien ; ses funérailles furent grandioses.

Quant aux effets immédiats de cette paix générale, un militaire, M. de Catalogne écrivit : « Les habitants qui depuis longtemps avaient abandonné leurs champs, les reprirent ; chacun travailla à se bâtir dessus, et les terres, dont les héritiers avaient été tués, furent réunies aux domaines des seigneurs, qui les concédèrent à d’autres. »

C’était trop peu dire. Le traité de 1701 donna à la Nouvelle-France un grand ascendant sur les nations indiennes ; entre elle et les Sauvages, il établit une sorte de droit international.

Mais les gouverneurs eurent fort à faire pour maintenir en paix les tribus, et parfois des Canadiens, emportés par le besoin de renom et de périls, s’en allaient en expédition contre les colons anglais.

En 1708, l’un des fils de Pierre Boucher se joignit au parti d’Hertel de Rouville et après une marche de cent-cinquante lieues, une centaine d’hommes prirent d’assaut le fort Haverhill, défendu par une bonne garnison[21].

Cependant Pierre Boucher avait atteint le terme de la vie humaine. Plus de quatre-vingts ans s’étaient écoulés depuis qu’adolescent il avait traversé la mer pour s’établir au Canada. Son intelligence gardait sa force, mais son robuste corps s’affaiblissait. La mort ne pouvait point tarder. Les plus âgés parmi nous ne la voient pas approcher sans douleur et sans crainte. « L’homme est comme un arbre, disait un octogénaire illustre[22], plus il vieillit, plus ses racines s’enfoncent dans la terre. » Mais Pierre Boucher avait une foi vive. La tombe pour lui s’illuminait de clartés célestes. C’est avec une douce mélancolie qu’il regardait souvent la petite église où près de son Sauveur, il allait attendre le glorieux réveil.

Le repos que la vieillesse lui imposait, lui permettait de se livrer à la prière, et tous ses souvenirs le chant intérieur de sa reconnaissance. Sur lui et sur les siens, Dieu avait étendu sa protection pendant les années terribles. Sa vie de famille avait été vraiment heureuse. Son auguste longévité lui apportait la joie de voir sa race se multiplier.

Il avait aimé sa patrie d’adoption comme l’homme, vraiment homme, aime sa terre natale, et cette Nouvelle-France qu’on empêchait de croître, qui semblait condamnée à mourir avant d’avoir vécu, il la voyait merveilleusement affermie. La fondation de Boucherville, commencée sans ressources, avait malgré tout réussi. Il allait laisser une paroisse solidement constituée, pleine d’avenir. Sur ce coin de terre où il s’était senti si jeune, où il avait si rudement travaillé, par les beaux jours, il se promenait maintenant d’un pas alourdi par l’âge. Les sentiers verts étaient encore les seules rues à Boucherville. Entre les maisons peu rapprochées beaucoup d’arbres centenaires restaient debout, mais les toits fumaient, la flamme brillait joyeuse aux foyers, les épis ondulaient dans les champs. Et Pierre Boucher se sentait heureux d’avoir civilisé un morceau de la forêt. Les peines, les fatigues, les sanglants souvenirs étaient oubliés. Des cruelles années lointaines, il ne lui restait plus qu’un doux sentiment de repos et il attendait en paix l’appel de Dieu.

Avec une tristesse sereine, il écrivit ses adieux aux siens, et ses dernières volontés. D’après Jacques Viger, au siècle dernier, on les lisait encore, chaque année, en famille, à genoux.

« Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit :


« Je donne mon âme à Dieu, mon corps à la terre. Je veux mourir dans la foy et religion Catholique, Apostolique et Romaine. Je laisse le peu de bien que j’ay à mes pauvres enfans, auxquels je recommande : 1o de prier Dieu pour le repos de mon âme ; 2o d’avoir soin de payer ce qui se trouvera estre dû lorsque je mourrai ; 3o d’aimer et honorer leur bonne mère, de ne la chagriner en rien, la supporter et défendre contre tous ceux qui voudraient lui faire de la peine. Enfin, rendez-lui les devoirs des bons enfans et assurez-vous que Dieu vous récompensera ; 4o Je vous recommande la paix, l’union et la concorde entre vous, et que l’intérêt ne soit jamais capable de mettre la moindre division entre vous. Ne vous amusez pas à écouter les rapports qui vous seront faits de vos frères et sœurs. Aimez-vous les uns et les autres, le tout dans la vue de Dieu, vous souvenant qu’il faudra tous faire ce que je fais, c’est-à-dire mourir et paraître devant Dieu pour y rendre compte de vos actions ; ne faites donc rien dont vous ayez sujet de vous repentir.

« Je ne vous laisse pas grand bien, mais le peu que je vous laisse est très bien acquis. J’ai fait ce que j’ay pu pour vous en laisser davantage, et je n’ai rien négligé pour cela, n’ayant fait aucune dépense, vous le savez tous ; mais Dieu, qui est le maître, ne m’en a pas voulu donner davantage. Je vous laisse bien des personnes de rang, de distinction et d’honnêtes gens pour amis ; je ne vous laisse aucun ennemy de ma part, que je sache. J’ay fait ce que j’ay pu pour vivre sans reproche, tâchez de faire de même. Obligez autant que vous pourrez tout le monde et ne désobligez personne, pourvu que Dieu n’y soit point offensé. Ayez toujours, mes chers Enfans, la crainte du Seigneur, devant les yeux et l’aimez de tout votre cœur.


À ma femme

« C’est, à vous, Ma Chère Femme, que je parle à présent :

« Continuez d’aimer vos Enfans, mais aimez-les également, comme j’ay fait, pour entretenir la paix et la concorde entre eux. Ce n’est pas que ceux qui nous témoignent le plus d’amour et qui ont le plus de respect, sans intérêt, ne méritent que nous les aimions davantage, mais il ne faut pas que cela paraisse aux yeux des autres ; parce que ceux qui font moins leur devoir envers nous sont les moins vertueux et par conséquent plus capables de troubler la paix. Demandez en particulier à Dieu qu’il récompense ceux qui vous portent le plus de respect, et faites ce que vous pourrez en secret pour le reconnaître. Priez et faites prier pour ma pauvre âme. Vous savez combien je vous ai aimée et tous vos parens pour l’amour de vous. En écrivant cecy je m’examine sur le tems que nous avons vécu ensemble, mais ma conscience ne me reproche rien, si ce n’est de vous avoir trop aimée ; mais en cela je n’y vois pas de mal, grâce au Seigneur.


À Monsieur De Muy


« Je vous prie, Monsieur, comme un homme d’esprit, de vouloir bien contribuer à maintenir la famille en bonne intelligence. Vous sçavez, Monsieur, que vous m’avez souvent dit, que vous vouliez vivre et mourir mon ami, et que vous m’en donneriez des preuves dans toutes les rencontres. En voicy une occasion. Je sais qu’il n’appartient qu’à une âme aussy généreuse que la vôtre, de servir un ami après sa mort ; c’est quelque chose de grand, puisque c’est le servir sans intérêt. C’est ce que j’attends de votre générosité, et je meurs dans cette confiance que vous travaillerez de tout votre pouvoir à maintenir tous vos beaux-frères et belles-sœurs dans l’union, et que vous ferez tout votre possible pour qu’il n’y ait aucune brouillerie entre eux. Je leur ordonne d’avoir beaucoup de confiance en vous et de déférence pour vos sentiments.


À tous en général


« Je vous parle à tous, mes chers Enfans. Voulez-vous que Dieu vous bénisse ? tenez-vous en paix les uns avec les autres et que l’intérêt ne soit pas capable de vous désunir ; ce qui pourrait arriver dans le partage du peu de bien que je vous laisse. C’est si peu de chose que cela n’en vaut pas la peine, mais si par malheur, ce que je ne crois pas, il arrivait quelque difficulté entre vous, prenez deux ou trois personnes de vos amis des plus gens de bien et leur remettez tous vos intérêts entre les mains, et passez-en par où ils jugeront à propos ; vous souvenant qu’un méchant accord vaut mieux qu’un bon procès. Souvenez-vous encore que le meilleur moyen d’entretenir la paix, c’est de conserver la crainte de Dieu. Ayez confiance en sa bonté et il vous donnera ce qui vous est nécessaire. Faites du bien à tout le monde, pour l’amour de lui ; ne faites de mal à personne autant que vous le pourrez. C’est Dieu qui m’a donné le peu de bien que je vous laisse ; il m’en a assez donné pour vivre honnêtement avec les honnêtes gens ; il vous en donnera aussy autant qu’il vous sera nécessaire, et à vos enfans ; je l’en prierai de tout mon cœur, s’il me fait miséricorde, comme je l’espère de sa bonté. Faites réflexion qu’il y a bien des personnes qui se fatiguent jour et nuit, pour amasser du bien pour des gens qui se moqueront d’eux après leur mort. Il faut faire ce que l’on peut pour en amasser, ne négliger aucune occasion ; mais que ce soit toujours sans préjudice de notre conscience et notre honneur. Plus-tôt vivre pauvre, plus-tôt mourir, que de rien faire contre l’ordre de Dieu. Si vous vivez dans sa crainte, il aura soin de vous.

« Fuyez toutes sortes de débauchés et faites en sorte que vos enfants ne le soient pas. Souvenez-vous de cette parole du Sauveur : « que sert à l’homme de gagner tout le monde, s’il perd son âme ! » La vie est courte, mais l’éternité ne finit jamais. Je ne m’étends pas davantage, vous êtes assez instruits de vos obligations de Chrétiens ; mettez en pratique ce que vous sçavez, et vous serez sauvés. Soyez charitables et aumôniers autant que vous le pourrez. Faites-vous le plus d’amis qu’il vous sera possible, mais préférez toujours les gens de bien ; parce que les personnes qui vivent dans la crainte de Dieu vous peuvent beaucoup servir par leurs prières, conseils et bons exemples, au lieu que les libertins font tout le contraire ; il ne s’y faut même fier que de bonne sorte. Il arrive souvent que l’intérêt ou la défiance fait qu’ils n’agissent pas sincèrement avec vous, et qu’ils vous disent souvent le contraire de ce qu’ils pensent. Il faut avoir la simplicité de la colombe, mais en même temps, la prudence du serpent. Il est rare d’en trouver un avec qui on puisse agir à cœur ouvert, à moins qu’il ne soit véritablement vertueux : pour lors, vous pouvez lui ouvrir votre cœur, sans crainte d’être trompés. Mais prenez garde, il y a bien des hypocrites, qui sont malaisés à connoître. Tout ami intéressé, il ne s’y faut pas fier. On peut pourtant quelquefois s’en servir dans la grande nécessité, mais toujours avec défiance, sans toutefois le faire paroître.

« Lisez le plus que vous pourrez de bons livres, et quand vous en trouverez qui vous donnent de bonnes instructions pour l’état où Dieu vous a mis, ne vous contentez pas de les lire une fois, mais tâchez de les posséder. Ceux que Dieu a appelés dans l’état du mariage pourront lire la Famille Sainte par le Père Cordier, jésuite, les Conseils de la Sagesse et autres semblables.

« Adieu donc, mes pauvres enfans pour un peu de tems, parce que j’espère que nous nous reverrons dans le Paradis, pour louer Dieu pendant toute l’éternité sans jamais être séparés. C’est là où nous nous entretiendrons cœur à cœur ; c’est pour cela que je conjure ceux qui ressentiront quelque affliction de notre séparation, de faire réflexion que ce n’est que pour peu de tems, et que nous nous réunirons bientôt ; d’ailleurs, que ne vous étant plus utile à rien, il ne se faut pas tant affliger ; la perte n’est pas grande. De plus, vous sçavez qu’il se faut tous séparer. Ainsi, je vous dis adieu, comme celui qui s’en va devant vous, vous attendre. Priez Dieu pour moi, je le feray pour vous. Comme je ne sçais quand je mourray, ni la manière, et que j’ignore si j’auray le tems de vous parler, c’est pour cela que je le fais icy, de crainte de ne pouvoir le faire dans ce tems-là. »

Pierre Boucher s’adresse ensuite à chacun des membres de sa famille :


« Je commence par vous, ma chère Femme :

« Je vous dis adieu. Souvenez-vous combien je vous ai aimée. Priez Dieu pour moi et songez à vous préparer à la mort. Vous êtes âgée et par conséquent, ne pouvez pas tarder à me suivre. D’ailleurs, il ne faut pas se laisser surprendre. Réparez par vos bons exemples, les mauvais que j’aydonnés.


« Et vous, mon fils de Boucherville :

« Je vous dis adieu. Ne vous affligez pas de notre séparation. Je dis aussi adieu à votre femme et à vos enfants. Priez tous le Seigneur pour moi, je le feray pour vous. Je vous recommande trois choses : 1o de vivre dans la crainte de Dieu ; 2o de continuer à y élever vos enfants ; 3o de vivre en homme d’honneur, et que rien ne paraisse en vous que d’honnête homme. Vivez en paix avec vos frères et vos sœurs. Vous êtes l’aîné, agissez en père de famille et que l’intérêt ne vous fasse jamais rompre avec eux. Souvenez-vous que Dieu a soin de ses serviteurs, mais surtout des pacifiques et miséricordieux. Je vous donne ma bénédiction et à tous vos enfants que j’aime tendrement comme aussi votre femme pour qui j’ai bien de la considération, et que je n’oublierai pas devant Dieu.


« Dites à votre Sœur de Varennes que je lui dis adieu et à tous ses Enfans que j’aime et que j’ai toujours aimés. Je leur donne et à elle ma bénédiction, je les exhorte tous à vivre dans la crainte de Dieu et de s’entre aimer les uns les autres comme Dieu et la bienséance le demandent.


« Vous direz à votre frère de Grandpré que je lui dis adieu à sa femme et à ses enfans ; que je leur donne ma bénédiction, qu’ils prient Dieu pour moy et qu’ils ne s’affligent pas de notre séparation qui ne sera que pour un tems. La vie est courte. Je le conjure de travailler de tout son possible et d’employer son esprit et son crédit à maintenir la paix et l’union dans la famille. Je le prie de continuer à vivre dans la crainte de Dieu et en homme d’honneur, comme il a fait jusqu’à présent.


« Adieu mon fils de Grosbois. Vous sçavez comme je vous ai aimé, n’en soyez pas ingrat, mais priez Dieu pour moi, en reconnaissance. Ne vous affligez pas de ce que je vous quitte ; Dieu le veut et il est tems de partir. Je ne suis plus utile à personne en ce monde. J’y suis à charge aux autres et à moy-même. Je vous donne ma bénédiction à votre femme et à tous vos enfants, à qui je dis aussi adieu. Vivez tous dans la crainte du Seigneur. Continuez de tout votre pouvoir à conserver la paix entre vos frères et sœurs ; que l’intérêt ne soit jamais cause de votre désunion.


« Je dis aussi adieu à ma fille, Le Gardeur, à son mary et à tous ses enfans, auxquels je donne ma bénédiction. Vous ne devez pas douter, ma chère fille, que je n’aye bien de l’amitié pour vous. En reconnaissance, priez Dieu pour ma pauvre âme et engagez M. Le Gardeur de ma part à conserver la paix et l’union dans la famille. Qu’il se souvienne que « Bienheureux sont les pacifiques ». La vie est courte, l’éternité bien longue puisqu’elle n’a pas de fin. Servez bien Dieu en remplissant fidellement tous les devoirs de votre état.


« Adieu, ma fille De Muy, adieu à tous vos enfans à qui je donne comme à vous ma bénédiction. Je prie de tout mon cœur le Seigneur qu’il vous donne tout ce qui vous est nécessaire en ce monde et le Paradis en l’autre. Je demande la même grâce pour M. De Muy. Priez Dieu pour moi qui vous aime tendrement.


« Je prie derechef Monsieur De Muy de se souvenir qu’il m’a promis d’accommoder les petits différens qui pourraient naître dans la famille. Souvenez-vous, Monsieur, que Dieu vous a donné de l’esprit et du talent pour cela ; de plus, vous êtes homme d’honneur et de parole, ce qui fait que je fonde beaucoup sur vous.


« Mandez à votre frère, le Curé de Saint-Joseph, que je lui dis adieu ; qu’il se souvienne de moy au St-Autel et que je lui donne de tout cœur, ma bénédiction. Il peut beaucoup contribuer à maintenir la paix et l’union dans la famille, qu’il y travaille ; je l’en prie très instamment.

« Adieu, mon cher fils de Montbrun, adieu à votre femme et à vos enfans. Je vous donne à tous ma bénédiction. Priez Dieu pour moy. Vous sçavez que je vous ay toujours beaucoup aimés ; je sais que vous m’aimez réciproquement et que par conséquent, vous aurez de la douleur de ma mort ; mais je vous conjure de ne point vous affliger ; cela ne servirait qu’à intéresser votre santé. Songez que vous avez une famille qui a besoin de vous ; d’ailleurs, vous ne perdez rien en me perdant. Je vous serai plus utile auprès de Dieu, s’il me fait miséricorde comme je l’espère de sa bonté.


« Adieu, mon cher fils de Laperière. Je sais combien vous m’aimez et que notre séparation vous sera bien sensible, mais consolez-vous et dites souvent : Dieu l’a voulu de la sorte… que son saint nom soit béni. Priez le Seigneur pour moi. Je ne vous en dis pas davantage, vous sçavez mes sentimens. Je vous donne ma bénédiction, et je prie le Seigneur qu’il vous donne la sienne. Craignez Dieu et fuyez le péché.


« Adieu ma chère fille de Sabrevois, dites à M. de Sabrevois que je luy dis aussy adieu et à votre fille. Je vous donne ma bénédiction. Vivez toujours dans la crainte de Dieu et l’horreur du péché. Priez le Seigneur pour moy, je le feray pour vous. Je conjure M. de Sabrevois de continuer à conserver la paix et l’union dans la famille.


« Adieu, ma chère fille Boucher. Je suis fâché de vous laisser sans que vous soyez pourvue. Vous sçavez que ce n’est pas ma faute, et qu’il n’a dépendu que de vous. Dieu aura soin de vous, et vous servira de père. Vous avez votre mère qui vous aime beaucoup. Priez Dieu pour moy, je le prierai pour vous. Je vous donne ma bénédiction et vous laisse sous la protection de la Sainte-Vierge.

« Mandez à votre frère Boucher, prêtre du Séminaire de Québec, que je lui dis adieu, que je lui donne ma bénédiction ; qu’il prie Dieu pour moy, surtout au Saint-Sacrifice de la messe. Je ne lui donne aucune instruction parce qu’il en sait assez et plus que moy. Qu’il continue comme il a commencé, et qu’il contribue à faire régner la paix et l’union dans la famille.

« Adieu, mon fils de Niverville. Je vous donne ma bénédiction. Ayez bien soin de votre chère mère qui vous a tant aimé, et qui vous aime encore tendrement.

« Adieu, ma chère fille de St-Pierre, adieu, ma chère Enfant. Je vous donne ma bénédiction. Priez Dieu pour moy, je vous en prie, et ne vous affligez pas quand on vous portera la nouvelle de ma mort, au contraire réjouissez-vous de ce que Dieu m’a appelé à lui, et délivré par sa bonté des misères de cette vie. Je sais que cela sera difficile, parce que vous m’aimez trop, et que d’ailleurs votre naturel tendre et affectueux vous cause bien de la peine dans de semblables rencontres.

« Si vous m’avez aimé plus que vos frères et sœurs, j’ai aussy bien de la tendresse pour vous et j’en aurai toute l’éternité. J’ai dessein de vous écrire une lettre particulière pour vous dire adieu ; votre attachement pour moy mérite bien cela. Je le ferai à mon retour de Québec, si Dieu me fait la grâce de faire ce voyage. Je fais cecy d’avance, de crainte d’être surpris par la mort. Sachant bien que ce vous sera et à tous vos frères et sœurs une consolation, surtout à ceux qui ont plus de tendresse pour moy, de voir que j’ay eu le soin de leur dire adieu devant que de sortir de ce monde.

« En cas que je mourusse subitement ni sans pouvoir parler, je donne à ma fille de St-Pierre mon reliquaire d’argent que je porte sur moi. Il y a bien des indulgences appliquées dessus, mais elles ne luy peuvent servir ; elle pourra en faire mettre d’autres. Comme c’est tout ce qui me reste à donner, il est bien juste que je le donne à celle qui m’a témoigné tant d’affection, et qui a toujours eu pour moi un si tendre attachement, pendant que j’ay vécu en ce monde.

« Aux autres — je leur laisse le peu de bien que Dieu m’a donné, à condition toutefois qu’ils prieront et feront prier Dieu pour moy. Je leur demande à chacun dix messes, sans compter les prières qu’ils feront ; c’est bien la moindre chose qu’ils puissent faire pour le repos de mon âme. Je leur en demande autant pour leur mère à qui ils ont tant d’obligations. »

« Du 18 d’aoust — J’ai cru devoir ajouter icy que ma femme et moi avons fait un Testament, lequel nous ne souhaitons qu’il soit ouvert qu’après la mort du dernier vivant, à moins qu’il ne survint quelque chose qui obligeât à l’ouvrir plus tôt, ou pour quelques raisons que nous n’avons pu prévoir ; mais quoiqu’il puisse arriver, qu’on n’y change absolument rien de nos intentions qui sont de vous faire vivre en paix et d’empêcher que vous ne plaidiez les uns contre les autres. Nous avons tâché d’y garder l’égalité en tout ; cependant s’il paraît que quelqu’un soit plus avantagé, souvenez-vous que vous êtes tous frères et sœurs, qu’il ne faut pas se porter envie les uns les autres. Ce n’a pas été notre intention d’en gratifier plus les uns que les autres, mais quand cela serait, nous avons le droit de le faire, étant maîtres de notre bien. Tout notre désir en vous laissant ce que nous avons et que Dieu nous a donné, c’est que vous vous en serviez pour la subsistance de vos familles et à entretenir la paix et l’union entre vous.

« Je ne doute point que si quelqu’un de vous la veut troubler, Dieu ne l’en punisse. Je l’en prie et l’en prierai de tout mon cœur. »



Le 19 avril 1717, Pierre Boucher, muni du saint viatique, passa heureusement à l’autre vie, laissant à sa famille un patrimoine inestimable d’honneur. Malgré ses quatre-vingt-dix-sept ans, il emporta de grands et profonds regrets, mais personne ne le pleura si tendrement, si constamment que sa fille chérie, Mère Saint-Pierre.

« La terre prit sa dépouille vénérée, dit l’Histoire de Boucherville, sa paroisse garde son souvenir, son esprit et ses œuvres, la religion, l’exemple de ses vertus, la patrie, son nom comme un héritage de gloire. »

Parmi ses descendants quelques-uns se sont illustrés, dans l’Église, dans l’État et à la guerre[23].

L’immortel La Vérendrye était son petit-fils, Madame d’Youville, fondatrice des Sœurs Grises, dont le procès de béatification s’instruit à Rome, était son arrière-petite-fille[24].

  1. Faut-il dire aux Trois-Rivières ou à Trois-Rivières ? L’oreille préfère à Trois-Rivières, mais Pierre Boucher et, je crois, tous les anciens disaient aux Trois-Rivières.
  2. Voici comment Marie de l’Incarnation raconte ce tragique événement du 22 juin 1661 : « Entre les Français qui ont été tués, M. Jean de Lauzon, fils du précédent gouverneur et sénéchal de la Nouvelle-France, est le plus considérable. C’était un homme brave et généreux, toujours prêt à courir sur l’ennemi, et toute la jeunesse le suivait avec ardeur. Lorsqu’on eût appris la nouvelle des meurtres commis à l’île d’Orléans et à la côte de Beaupré, il y voulait aller à toute force pour chasser l’ennemi, on l’en empêcha avec raison. Mais sa belle-sœur, Madame de l’Espinay, dont le mari était allé à une partie de chasse dans les environs, n’eût point de repos qu’elle n’eût trouvé quelque ami pour aller le délivrer. Jean de Lauzon voulut, en cette occasion, signaler l’amitié qu’il lui portait. Il part avec six jeunes gens dans une chaloupe. Étant arrivés vis-à-vis la maison du sieur Maheu, qui est au milieu de l’îsle et qui avait été abandonnée depuis quelques jours, il la fit échouer à marée basse entre deux rochers qui forment le sentier conduisant à cette habitation. Il y envoya deux de sa compagnie pour découvrir s’il n’y avait point d’Iroquois. La porte étant ouverte, l’un d’eux y entra et y trouva quatre-vingts Iroquois en embuscade, qui le tuèrent et courant après l’autre, le prirent vif après qu’il se fût bien défendu. Ces barbares allèrent ensuite assiéger la chaloupe où il n’y avait plus que cinq Français, qui se défendirent jusqu’à la mort. M. de Lauzon qu’ils ne voulaient pas tuer, afin de l’emmener vif en leur pays, se défendit jusqu’au dernier soupir. On lui trouva les bras tout meurtris et hachés de coups qu’on lui avait donnés pour lui faire mettre bas les armes ; cependant il ne se laissa pas vaincre et jamais ils ne le purent prendre. Après sa mort, ils lui coupèrent la tête, qu’ils emportèrent dans leur pays. Ainsi furent massacrés nos sept Français ; mais ils tuèrent un bien plus grand nombre d’Iroquois dont on trouva les ossements lorsqu’on alla lever les corps des nôtres, leurs gens ayant brûlé les corps des leurs selon leur coutume et laissé entiers ceux de nos Français. » (Lettres de Marie de l’Incarnation)
  3. Charlevoix : Histoire de la Nouvelle-France.
  4. Après la reconnaissance des services distingués de Pierre Boucher, le roi disait : « À ces causes, de notre grâce spéciale, pleine jouissance et autorité royale, nous avons par ces présentes, signées de notre main, le dit Sieur Boucher et ses enfants, nés et à naître en loyal mariage, anoblis et anoblissons et du titre de gentilshommes décorés et décorons, voulons et nous plaît qu’en tous lieux et endroits de notre royaume, et en tout pays soumis à notre domination, ils soient tenus et réputés nobles et gentilshommes. »
  5. Père Vimont.
  6. Marie épousa Étienne Lafond, Marguerite, Toussaint Toupin, Madeleine, Urbain Beaudry. Cette dernière, d’après son contrat de mariage, apportait à son mari : « Deux cents francs en argents, quatre draps, deux nappes, six serviettes de toile et de chanvre, un matelas, une couverture, deux plats, six cueillers et six assiettes d’étain ; une marmite et une chaudière, une table, deux formes (bancs longs), un huche à boulanger, un coffre fermant à clé, une vache et deux cochons. »
  7. Ces bourgs considérables différaient fort des autres bourgs sauvages. Les cabanes étaient vastes et en bois. « Toutes étaient remplies de vivres, d’ustensiles, de toutes sortes de commodités et de meubles ; rien ne leur manquait ; elles étaient bien bâties et magnifiquement ornées, garnies d’outils de menuiserie et d’autres dont les Iroquois se servaient pour la décoration de leurs cabanes et de leurs meubles. » — Lettres de Marie de l’Incarnation.
  8. À cet endroit, on a érigé un monument avec cette inscription :

    En ce lieu

    PIERRE BOUCHER
    bâtit la 1ère chapelle en 1668

    LE PÈRE MARQUETTE
    fit le 1er baptême

    La vénérable
    SŒUR BOURGEOIS
    fonda la 1ère école.

    Le 24 août 1879
    MONSEIGNEUR TACHÉ
    Archevêque de Saint-Boniface
    bénit ce monument sur la propriété de
    Joseph Boucher de la Broquerie

  9. Cette maison sacrée par tant de vertus, tant de labeurs, Mgr Taché, descendant de Pierre Boucher, l’avait longtemps habitée. En 1880, il l’acheta de ses cohéritiers et la donna aux Jésuites, qui en ont fait une maison de repos et de retraite fermée.
  10. La meilleure repartie du régiment de Carignan demeura au Canada ou y revint après avoir accompagné M. de Tracy en France. Presque tous les soldats s’y étaient faits habitants, ayant eu leur congé à cette condition. Plusieurs de leurs officiers avaient obtenu des terres, avec tous les droits des seigneurs ; ils s’établirent presque tous dans le pays, s’y marièrent et leur postérité subsiste encore. La plupart étaient gentilshommes. Aussi la Nouvelle-France a-t-elle plus de noblesse ancienne qu’aucune autre de nos colonies, et peut-être que toutes les autres ensemble. — Charlevoix.
  11. Denonville écrivit au ministre des colonies : « Les Sauvages sont comme une grande quantité de loups répandus dans une vaste forêt, d’où ils ravagent tous les pays environnants. On s’assemble pour leur donner la chasse, on s’informe où est leur retraite et elle est partout. Il faut les attendre à l’affût et on les attend longtemps. On ne peut aller les chercher qu’avec des chiens de chasse et les Sauvages sont les seuls limiers dont on puisse se servir pour cela. Mais ils nous manquent et le peu que nous en avons ne sont pas gens sur lesquels on puisse compter. »
  12. Garneau.
  13. Quelques écrivains ont voulu faire retomber sur les Français les cruautés exercées parfois sur les prisonniers ennemis par leurs alliés sauvages, notamment dans ces expéditions contre les colonies anglaises. M. l’abbé Ferland, dans son Cours d’Histoire du Canada, fait d’abord remarquer que ces expéditions avaient été provoquées par les colons de la Nouvelle-Angleterre, lesquels, alors même que les Iroquois exerçaient leurs horreurs dans le gouvernement de Montréal, les excitaient à continuer leur guerre d’extermination ; que les Français n’avaient plus d’autre moyen de défendre leur pays, leurs foyers, leurs biens et leurs familles contre la fédération iroquoise, alliée des Anglais ; que leur petit nombre les obligeait de s’adjoindre des Sauvages, et que, malgré tous leurs efforts, il n’était pas toujours possible d’arrêter leur cruauté naturelle. Nous ferons remarquer ici que soixante ans plus tard, après une longue paix où le naturel sauvage eût dû être adouci, Montcalm alla jusqu’à exposer sa vie pour empêcher ses Sauvages de torturer les prisonniers. — Annales des Ursulines de Québec.
  14. Dans un combat où les Iroquois s’étaient retranchés dans une maison, et s’y défendaient avec désespoir, on vit quelques Canadiens s’avancer jusqu’auprès des fenêtres et en tirer par la chevelure les Sauvages qui se présentaient pour tirer. — Garneau.
  15. Qui ne sait que Madeleine de Verchères — fillette de quatorze ans — défendit un fort durant huit jours contre une bande d’Iroquois.
  16. Jeanne Boucher épousa, en 1695, M. Sabrevois de Bleury.
  17. Bien des années après, dans une lettre toute pénétrée de tendresse qui a été publiée, elle lui rappelait leurs entretiens et le bénissait de l’avoir fortifiée et éclairée. Sa générosité ne se démentit point. Elle exerça les plus hautes charges du monastère jusqu’à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, à la satisfaction de tout le monde, dans les temps les plus difficiles. Après six ans de cruelles souffrances, supportées avec une admirable patience, elle mourut en 1766, âgée de quatre-vingt-dix ans. Sa grande mémoire est en bénédiction.
  18. Parmi ces malheureux se trouvait l’ancêtre de la famille Sicotte. Il fut scalpé, torturé, mais il réussit à s’échapper et revint à Boucherville où il vécut encore quatorze ans.
  19. Le spectacle était grandiose ! Dans la plaine qui s’étendait auprès de Montréal, on avait préparé une vaste enceinte. Les troupes étaient rangées alentour, et treize cents Indiens occupaient les places qu’on leur avait désignées. Du haut de son estrade, richement décorée, le gouverneur-général, entouré de l’intendant, M. de Champigny, du chevalier de Vaudreuil, de ses principaux officiers, tous en costumes d’apparat, dominait l’immense assemblée. Les uniformes éclatants des soldats, les capots bleus des colons, les costumes variés des Indiens, les toilettes aux couleurs claires des dames, auxquelles on n’avait pas manqué de réserver un espace, les dentelles et les dorures des hauts fonctionnaires offraient à l’œil un spectacle éblouissant. Après que M. de Callières eut prononcé quelques paroles accueillies par de longues acclamations, des colliers furent offerts de part et d’autre, et les prisonniers furent échangés ; puis le grand calumet de paix passa de main en main et tous y fumèrent, le gouverneur-général d’abord, ensuite M. de Champigny, M. de Vaudreuil. La cérémonie fut suivie d’un Te Deum, et l’on termina la journée par un festin, des salves d’artillerie et des feux de joie.
    M. Leblond de Brumath, Histoire populaire de Montréal.
  20. On a comparé Kondiaronk à lord Chatham qui passa de la tribune à son lit de mort.
  21. D’après M. Sulte, c’est à la suite de la prise de Haverhill que les colonies résolurent de s’emparer du Canada et firent appel à la métropole. On sait que, près des Sept-Îles, une horrible tempête anéantit presque, en 1711, la formidable flotte de l’amiral Walker.
  22. M. de Gaspé.
  23. Notre histoire conserve avec honneur, entre tous, le nom de M. René de la Bruère, major du 2e bataillon canadien à Châteauguay, en 1813, héros digne de marcher à côté de M. de Salaberry. Sa bravoure lui mérita une décoration de la reine Victoria, et deux drapeaux pour son bataillon, don gracieux de la princesse Charlotte, alors future reine des Belges. Histoire de Boucherville.
  24. L’Ouest va lui élever un monument.

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