Dr Constantini
Première livraison
Le Tour du mondeVolume 13 (p. 1-16).
Première livraison



Chariot de paysans. — Dessin de H. Catenacci d’après un dessin de M. Franchi.


SIENNE

(ITALIE).


PAR LE DOCTEUR COSTANTINI.


1865. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


En wagon. — Pourquoi les Anglais ne vont plus à Sienne, et pourquoi ils devraient y aller. — Salubrité du climat. — Marché pantagruélique. — Le baron Ricasoli et son vin de Broglio. — La devise de Sienne. — Sienne a été une nation. — Originalité de la ville et de ses habitants. — Les costarelle. — Bœufs siennois. — Tremblements de terre siennois.

Le chemin de fer qui se détache à Empoli de la ligne de Florence à Livourne et conduit à Sienne, traverse un des paysages les plus accidentés de l’Italie. La locomotive monte, sans trop se presser, de colline en colline, côtoie le flanc boisé de la montagne, traverse la vallée sur un grand viaduc, ou s’engouffre avec une rumeur étourdissante dans les ténèbres d’une galerie souterraine, pour reparaître quelques minutes plus tard à la belle lumière qui déroule aux yeux encore enfumés du voyageur un nouvel et riant horizon. Aux fenêtres des wagons se présentent tour à tour les vieux châteaux en ruine et les bourgades gaies et bruyantes, les scènes variées du passé et du présent, de la légende et de la vie de chaque jour.

Pour peu que ces contrastes vous disposent à la rêverie, vous pouvez vous y livrer sans crainte de distractions. Les wagons sont presque toujours déserts. Quelques paysans, fermiers, marchands de blé ou de vin allant d’un marché à l’autre, éleveurs de pourceaux trop souvent suivis de leurs élèves enfermés dans des wagons-cages ; voilà, d’ordinaire, tout le chargement du train. À moins donc que vous ne deviez à votre bonne étoile la compagnie aimable et spirituelle de quelque dame siennoise revenant de Florence ou de Livourne, vous pouvez vous abandonner en liberté à toutes les fantaisies de votre imagination ou aux méditations les plus sérieuses, à moins que certains grognements s’entremêlant aux coups de sifflet et aux mugissements de la machine ne vous agacent un peu trop les nerfs.

Souvent, assis dans le fond d’un de ces wagons déserts, je me suis demandé pourquoi cette belle ville de Sienne, si admirablement située au centre de la Toscane et sur la route de Rome, si renommée pour son amabilité hospitalière et pour ses monuments, si digne enfin d’intéresser les voyageurs par le caractère intelligent et passionné de son peuple, reste de la sorte isolée au milieu de ces courants d’hommes qui se croisent en tous sens sur notre vieux continent.

Autrefois les Anglais en faisaient volontiers leur résidence d’été ; cela se conçoit sans peine : on est sûr de les rencontrer partout où la vie est aisée et confortable. À présent il est très-rare qu’une famille anglaise passe à Sienne quelques jours. Je cherche encore la cause de ce changement.

On m’a bien conté je ne sais plus quelle histoire d’un médecin anglais qui, ayant eu à se plaindre d’un de ses confrères de la ville, aurait écrit par rancune un livre où ce délicieux pays se trouverait transformé en une véritable Maremme ; sur quoi la respectable colonie britannique, s’avisant tout à coup qu’elle se mourait de la malaria, se serait hâtée de fuir en masse ces parages funestes, pour aller dresser ses tentes sous un climat moins meurtrier.

Mais, si cette anecdote est vraie, que ces dignes insulaires se rassurent ! Sienne, loin d’être, comme on l’a prétendu, le commencement de la Maremme, offre au touriste qui veut bien s’y arrêter quelque temps un séjour aussi agréable que salubre. Rien n’est plus sain que son air vif et ventilé, un peu froid en hiver, mais délicieusement frais dans le cœur de l’été[1]. Quant aux fièvres, il n’y en a pas plus à Sienne qu’ailleurs, et le choléra lui-même, ce terrible voyageur qui vient de menacer encore une fois l’Europe, ne l’a jamais visitée, ni en 1835 ni dans de plus récentes invasions.

Qu’elle puisse jouir toujours de cette heureuse immunité, ma ville bien-aimée !

Outre la salubrité de son climat, Sienne assure, à qui veut s’y établir, une vie à bon marché, de plus en plus rare partout ailleurs : habitations, denrées alimentaires y sont encore du prix le plus modeste[2]. Le marché qui se tient sur la piazza del Campo, et remplit de la manière la plus pittoresque sa vaste conque, a des séductions irrésistibles. Sans parler des sangliers, des perdrix, des lièvres, des corbeilles remplies de grives et coquettement parées de branches de laurier, ce marché pantagruélique étale aux yeux du passant d’énormes dindons, des chevreaux, des agneaux, des poulets, des cochons, de la viande excellente, du poisson frais, des fruits savoureux et des piles de ces bons fromages qu’on appelle delle crete.

Ce sont là des produits naturels de cette heureuse province ; quant à ses vins, ils sont assez connus ; et, pour terminer brillamment cette réjouissante énumération, il nous suffira de citer le Chianti, le moscadello di Montalcino, et ce vin de Broglio, auquel on prétend que M. le baron Ricasoli a dû sa célébrité autant peut-être qu’à ses talents politiques.

Du temps où le chemin de fer passait, même près des hommes sérieux, pour une utopie, on entrait à Sienne par la porta Camollia. Sur cette porte, qui, seule entre toutes les autres, n’a rien de remarquable dans son ensemble architectonique, on lit l’inscription suivante qui salue l’étranger au nom de la ville : « Sienne, dit-elle gentiment dans son mauvais latin, Sienne t’ouvre son cœur encore mieux que ses portes. »

Jamais, je me hâte de l’attester, ville n’a fait plus d’honneur à sa devise, jamais bonne réputation n’a été mieux méritée, et on ne saurait refuser de reconnaître cette cité élégante comme la plus hospitalière de toute la Toscane.

Ses habitants ont un caractère vif, spirituel et aimable[3] ; la beauté des Siennoises est proverbiale en Toscane.

Sienne a été, comme tant d’autres villes en Italie, non-seulement la capitale d’un petit État, mais une véritable nation. C’est même ce qu’elle était encore il y a peu d’années.

La république de Sienne a été, depuis des siècles, absorbée dans la Toscane ; la Toscane elle-même a disparu dans l’Italie ; les Siennois sont des patriotes ardents, des unitaires quand même ; en bien, malgré tout cela, ils sont surtout et avant tout Siennois

Pour mon compte, je trouve bien naturel que ce peuple, si intelligent et si passionné pour le beau, soit fier de ses monuments et de cette glorieuse pléiade d’artistes qui ont élevé si haut le nom de l’école siennoise, et je n’ai aucun regret de constater que le culte passionné qu’il porte à tout ce qui est siennois, ses traditions encore vivaces, ses fêtes coutumières, son accent même, lui donnent un caractère de puissante originalité. Et ce caractère, si fortement empreint dans les hommes et dans les mœurs, se fait jour et parle de même aux yeux dans l’architecture siennoise. Dans les églises, dans les palais patriciens aussi bien que dans les maisons les plus modestes, vous retrouvez toujours ce type d’élégante beauté qui, tout en vous transportant d’emblée en plein moyen âge, vous avertit toujours que vous êtes à Sienne, et que vous ne pourriez pas éprouver les mêmes impressions ailleurs.

Par sa situation seule, la ville est une des plus pittoresques que je connaisse. D’abord, à cause de sa position élevée, elle jouit d’un horizon superbe ; puis, comme elle est bâtie à la fois sur des collines et à leur pied, elle présente une foule de petites rues qui, passant quelquefois l’une sur l’autre, descendent presque à plomb dans la vallée. Ces ruelles, qu’on ne peut descendre qu’au pas de course et qu’on appelle costarelle (petites côtes), sont pavées de briques enfoncées verticalement dans le sol les unes après les autres. Cette manière de pavage, qui donne au pied plus de prise, était autrefois celle de toutes les rues, maintenant dallées comme à Florence.

Soit que vous descendiez ces costarelle, soit que vous vous promeniez dans la partie haute de la ville, soit enfin que du fond des vallées votre regard suive les bâtiments alternés de jardins qui remontent en amphithéâtre jusqu’à la cathédrale ou à l’église de Saint-Dominique, vous avez toujours sous les yeux une scène des plus agréables et qui vous surprend à chaque pas par les changements imprévus de ses perspectives.

Il y a dans Sienne de belles promenades publiques, des places superbes ; mais les rues ne sont pas, en général, assez larges. Lorsque, après la vendange, les paysans portent aux propriétaires la récolte du vin, si vous rencontrez par hasard une de ces joyeuses processions, il vous faut vous ranger contre la muraille pour lui donner passage. La marche est ouverte par le fattore (régisseur), qui, solidement campé sur son cheval et coiffé de son chapeau de feutre à larges bords, s’avance au pas avec un air triomphant et digne. Ce respectable personnage, que M. Franchi[4] a bien voulu croquer d’après nature pour les lecteurs du Tour du monde, se fait suivre par une file interminable de ces longs chariots siennois à deux roues, sur lesquels les barriques sont alignées l’une après l’autre et sur un seul plan., L’attelage se compose de petits bœufs blancs pleins de nerf et porteurs de cornes d’une dimension formidable, qui occupent à elles seules presque toute la rue. Je parle, bien entendu, des véritables rues, et non pas des costarelle.


Un fattore de la campagne siennoise. — Dessin de de Neuville d’après un croquis de Franchi.

Enfin, puisqu’il faut tout dire et afin qu’on ne prenne pas mes éloges pour une réclame, j’avouerai que Sienne pousse son originalité jusqu’à avoir des tremblements de terre à soi, exclusivement siennois, mais qu’on ne sent guère à peu de kilomètres de ses murs. Qu’on ne s’alarme pas trop cependant de cette révélation. Quoique ce phénomène se renouvelle assez fréquemment, il fait d’ordinaire plus de bruit que de mal, et tout se borne à la chute de quelques modestes tuyaux de cheminée. D’ailleurs le tremblement de terre du 26 mai 1798, qui a été entre tous le plus terrible et que les Siennois n’ont pas encore oublié, n’a pas dérangé d’un pouce cette belle tour del Mangia, si mince pourtant et si légère, que vous voyez s’élancer avec sa superbe élégance dans les airs comme une flèche (page 21).


II


Quelques lignes sur l’histoire politique de Sienne. — Origine. — La période gibeline. — Provenzano Salvani. — Farinata degli Uberti et les fuorusciti Florentins à Sienne. — Bataille de Monte-Aperti. — Conradin de Souabe. — Bataille de Colle et mort de Provenzano. — Les discordes civiles et l’influence étrangère. — L’empereur Charles IV. — La France et l’Espagne. — Siége et capitulation de Sienne.

En Italie, chaque ville a son histoire. C’est que, dans ce vieux pays de la liberté, chaque ville a été un centre politique, une capitale, je dirais presque une nation. Rome seule avait pu, pendant quelques siècles, en laissant toutefois beaucoup de liberté aux municipes, rassembler en un faisceau et sous l’autorité de son grand nom toutes les forces du pays. Mais quand la hache des barbares eut brisé la couronne des Césars, chaque municipe reprit sa personnalité jusque-là effacée et se développa lentement, en couvant dans le silence, au milieu des luttes de l’Église et de l’empire, ce germe de liberté qui devait éclore tout à coup avec la constitution des communes.

Sienne a donc son histoire aussi bien, mieux peut-être qu’aucune autre ville italienne ; nous n’avons pas la prétention de la conter ici ; ce serait peut-être plus long qu’amusant. Cependant qu’on nous permette d’en dire quelques mots.

L’origine de Sienne est incertaine ; mais, très-probablement, elle a été bâtie par les Étrusques. Les premiers écrivains qui en parlent sont Tacite et Pline, qui la placent parmi les vingt-huit colonies existant en Italie du temps d’Auguste. En 303, la ville fut convertie au christianisme par Anicius Ansanus, héroïque jeune homme de la noble famille Anicia de Rome ; il en fut récompensé par d’affreux supplices et eut enfin la tête tranchée par ordre du proconsul Lysia.

Sous les Longobards, un Gastalde administrait la justice au nom du roi ; sous les Carlovingiens, la ville fut gouvernée par des comtes. Au commencement du douzième siècle, l’autorité de ces comtes s’était complétement effacée devant l’influence naissante des évêques. Presque en même temps paraît le gouvernement consulaire ; on trouve le nom d’un consul en 1125. Mais la forme du gouvernement n’est pas constante ; tantôt les consuls gouvernent seuls, tantôt avec le concours de l’évêque ; quelquefois l’un et les autres disparaissent devant l’autorité d’un seigneur ou recteur, tempérée par un conseil, comme en 1151. Après 1212, on ne parle plus de consuls.

Depuis que la grande lutte de l’empire et de l’Église eut divisé l’Italie, Sienne fut presque toujours impériale, et gibeline. C’est pourtant de cette même ville que sont parties les doctrines sur lesquelles s’appuyait l’autorité des papes. Graziano, le compilateur du fameux Décret, le véritable fondateur du droit canon que l’Europe a subi si longtemps comme loi civile et politique, était un moine de Chiusi. Grégoire VII, ce terrible vieillard qui a été l’incarnation vivante de toutes les prétentions de la papauté, est né aussi dans le comté de Sienne. Et c’est encore une famille siennoise qui s’honore d’avoir donné à l’Église Alexandre III (Roland Bandinelli), le chef de cette ligue lombarde qui, après dix ans d’une lutte héroïque contre l’empire, battit et humilia Frédéric Barberousse.

Et cependant Sienne, non contente de demeurer étrangère au grand mouvement guelfe, le combattit passionnément, à outrance. On pourrait même soutenir que Sienne n’a vécu qu’autant qu’elle est restée gibeline ; en effet, une fois la suprématie des guelfes établie, toute influence de cette ville sur les destinées de la Toscane vient à cesser, et l’activité des Siennois s’épuise dans les luttes intestines.

Arrêtons-nous donc un instant sur cette période gibeline, qui est la plus splendide et la plus émouvante de l’histoire de Sienne.

Dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, les Siennois gardèrent toujours leur foi à Frédéric II, à cet empereur d’Allemagne qui, né et élevé en Italie, portait sous le doux ciel de la Sicile le siége et les prétentions de l’empire, promettant ainsi de le faire italien. Frédéric, qui dans ses constitutions se donnait le nom d’Italicus, rêvait la restauration de l’empire romain dans l’unité italienne ; si, plutôt que dans le treizième, il eût vécu dans le seizième siècle, il aurait peut-être réussi ; malheureusement il devançait son temps, et l’idée de la liberté municipale prévalait alors sur l’idée de l’unité.

Lorsque, après trente ans de lutte, cet homme extraordinaire mourut découragé à Ferentino, Florence la première, puis toute la Toscane s’étant dérobées à l’obéissance de l’empire, tes Siennois se trouvèrent seuls avec Pise à soutenir l’effort des guelfes victorieux. Aussi lorsque, en juillet 1258, les Uberti, chefs des gibelins, furent chassés de Florence par le peuple, ils se réfugièrent avec les autres fuorusciti à Sienne, qui devenait de la sorte la citadelle de leur parti. Ce fut assez pour rallumer la guerre entre les deux républiques, qui représentaient les deux principes ennemis.


Plan de Sienne.

Dans cette ville, qui s’apprête à soutenir le choc de tout le parti guelfe, nous rencontrons côte à côte deux grands noms qui sont encore populaires chez nous et que Dante a tous les deux immortalisés dans son poëme[5], Provenzano Salvani et Farinata degli Uberti. Le premier était et fut toute sa vie ce que Farinata avait été jusque-là à Florence, le drapeau vivant de sa ville. Simple citoyen, il était cependant le chef reconnu des Siennois dans les conseils comme dans les combats.

Provenzano et Farinata durent aviser au moyen de soutenir cette lutte inégale ; ils eurent donc recours à Mainfroi, fils de Frédéric et roi de Naples. Mainfroi leur écrit, le 11 août 1259, une lettre qu’on conserve encore[6], en leur annonçant l’envoi d’une armée capable de relever la fortune des gibelins. Mais de fait il n’envoya que cent cavaliers allemands, qui arrivèrent dans la ville en décembre. Ce renfort mesquin ressemblait beaucoup à une dérision, et décourageait les plus timides ; mais Farinata, qui avait pris son parti là-dessus, cherchait à les ranimer en disant : « Nous avons le drapeau du roi, cela nous suffira pour qu’il nous envoie tous les soldats qu’il nous faut sans que nous les lui demandions. » Et comme les Florentins serraient de près la ville, il gorgea de vin les Tudesques, leur promit double paye et les lança sur les assiégeants. Les Allemands, qui étaient de bons soldats et outre cela excités par l’ivresse, chargèrent si rudement les guelfes qui ne s’attendaient pas à ce choc, que peu s’en fallut qu’ils ne levassent le siége. Mais, aussitôt que les assaillis purent compter ceux qui les chassaient de la sorte et revenir de leur surprise, la scène changea brusquement ; les Allemands furent tous pris ou tués, et le drapeau de Mainfroi, traîné dans la boue, reçut toute sorte d’outrages.

L’artifice de Farinata obtint le résultat qu’il s’en promettait ; en juillet 1260, huit cents cavaliers allemands entraient dans la ville, sous le commandement du comte Giordano Lancia d’Angalone, cousin de Mainfroi. Pise envoyait aussi ses soldats, c’est-à-dire ses citoyens ; bientôt les forces gibelines, massées dans Sienne, arrivèrent à 9 000 cavaliers et 18 500 fantassins.

Toutes ces troupes allèrent placer le siége à Montalcino, dans le but d’y attirer l’ennemi. Mais les Florentins ne bougeaient pas de chez eux, ce qui empirait chaque jour la position des gibelins, qui ne pouvaient entretenir plus longtemps la cavalerie allemande. Il fallait avoir une bataille à tout prix et sans retard, sous peine de voir l’armée se dissoudre. On eut donc de nouveau recours à la ruse. Deux moines, auxquels Farinata degli Uberti avait fait la leçon, allèrent trouver avec grand mystère les magistrats de Florence, se disant envoyés par les Siennois, mécontents de l’autorité que Provenzano Salvani s’arrogeait dans les affaires de la république, et résolus d’en finir une bonne fois. Les émissaires ajoutaient que si les Florentins, sous prétexte de secourir Montalcino, se rapprochaient de Sienne, on leur ouvrirait une des portes de la ville.

La proposition fut malheureusement agréée. Le peuple de Florence se leva en masse ; des messages furent envoyés aux villes guelfes de Toscane ; à Bologne, à Pérouse, à Orvieto ; 33 000 combattants, Florentins et alliés, se groupèrent autour du carroccio (voy. p. 14). Cette armée, extraordinaire pour l’époque, se mit en marche pleine d’enthousiasme et sûre de la victoire, et s’arrêta le 2 septembre près de Monte-Aperti, à peu de kilomètres de la ville menacée. De là, on envoya le lendemain sommer les Siennois de se rendre, et d’ouvrir eux-mêmes la brèche dans la muraille pour donner passage aux vainqueurs.

Les Siennois, après avoir sollicité le secours de la Vierge avec des pénitences publiques et des processions, sortirent de la ville au déclin du jour, et marchèrent sur Monte-Aperti. Le lendemain, 4 septembre 1260, les deux armées se rencontraient sur ce champ maudit. Le combat fut des plus acharnés ; de son issue dépendait le sort de toute la Toscane. La victoire demeurait encore incertaine, lorsque Bocca degli Abati, gibelin qui combattait dans les rangs des guelfes, trancha d’un coup d’épée la main de Jacopo de Pazzi, qui portait l’enseigne de la cavalerie : La chute du drapeau, l’évidence de la trahison mirent en déroute la cavalerie qui, se repliant en désordre sur les fantassins, porta l’épouvante et la confusion dans toute l’armée. Dès lors ce ne fut plus une bataille, mais une boucherie ; on tua dix mille guelfes et l’on prit presque tout le reste.

Je viens de traverser en wagon ce triste champ de bataille. J’y ai cherché en vain une maison, un arbre, un épi, un brin d’herbe ; c’est une lande désolée, semée de petits monticules coniques d’un blanc bleuâtre qui blesse la vue. On dirait que la malédiction de Dieu pèse sur ce coin de terre, témoin de ce massacre fratricide.

Le 5 septembre, les gibelins faisaient leur rentrée triomphale dans Sienne, salués par le son de toutes les cloches. L’envoyé, qui la surveille était venu sommer la ville, monté à rebours sur un âne, traînait dans la boue le drapeau du peuple de Florence. Venait ensuite la foule des prisonniers, avec le carroccio, tombé lui aussi, malgré le courage désespéré de ses défenseurs, dans les mains de l’ennemi.

Tandis qu’à Sienne on célébrait pendant deux jours de suite une victoire si inattendue, le petit nombre des survivants portait à Florence et aux villes guelfes la nouvelle de ce grand désastre. La désolation de Florence fut extrême ; sans attendre l’arrivée des vainqueurs, les citoyens quittèrent leurs maisons et coururent se réfugier à Lucques.

La bataille de Monte-Aperti intervertissait brusquement la situation des deux factions en Toscane. Elle en ouvrait toutes les villes aux gibelins, qui, la veille, n’avaient plus que Sienne et Pise, et ne laissait aux guelfes d’autre asile que Lucques. Florence elle-même, le centre glorieux et puissant de la démocratie, allait être rasée par la haine soupçonneuse des gibelins, si Farinata degli Uberti ne se fût opposé, seul, à cet arrêt vandalique en s’écriant fièrement que la ville qui l’avait vu naître ne pouvait pas mourir.

Mais la domination gibeline ne devait pas durer longtemps. Déjà, dès l’année 1263, Urbain IV avait appelé, contre Mainfroi, Charles d’Anjou qui, venu enfin à Rome en 1266, y recevait, le 6 janvier, au nom de Clément IV, la couronne des Pouilles et de la Sicile. Le saint père donnait, à la vérité, ce qui ne lui appartenait pas ; mais le comte d’Anjou avait trop d’envie de devenir roi pour se faire un scrupule de prendre le bien d’un excommunié.

Cinquante jours après le couronnement de son heureux rival, Mainfroi, abandonné et trahi par les siens, mourait, le 26 février, en véritable roi, sur le champ de bataille, l’épée au poing. La bataille de Benevento eut son contre-coup en Toscane. Charles d’Anjou y envoyait Guy de Montfort, son vicaire, avec huit cents cavaliers ; et, depuis Florence jusqu’au dernier bourg, les gibelins reprenaient, après six ans, le chemin de l’exil, laissant, cette fois pour toujours, le gouvernement aux guelfes.

Sienne restait donc encore une fois seule avec Pise à soutenir la cause des vaincus. Le courage de cette vaillante ville grandissait dans l’infortune ; elle ouvrait ses portes aux fuorusciti de Florence comme en 1258 ; elle arrêtait pendant six mois sous les murs de Poggibonsi les armes victorieuses de Charles.

Cependant les gibelins allaient chercher, dans le vieux château de Hohen-Schwangau, ce jeune et malheureux Conradin de Souabe, qui représentait désormais leur dernier espoir. Ils lui portaient de l’argent[7], des promesses, et le pressaient de descendre en Italie pour revendiquer ses droits contre l’usurpation de Charles.

Lorsqu’on sut que Conradin avait passé les Alpes, et que les Pisans l’avaient conduit dans leur ville sur leurs galères (7 avril 1268), la joie des Siennois ne connut pas de bornes. On peut donc imaginer avec quelle frénésie d’enthousiasme ils durent le recevoir, lorsque ce jeune roi, dans la personne duquel ils voyaient revivre le principe tombé à Benevento, fit son entrée dans leurs murs. Beau, vaillant et poëte[8], encore enfant et déjà si malheureux, orphelin, maudit par l’Église dès son enfance, ce dernier des Souabes, qui venait reconquérir son héritage, avait trop de noblesse dans son malheur pour ne pas fasciner irrésistiblement ce peuple si impressionnable à tout ce qui est beau et généreux.

Cependant, pour renforcer encore l’espoir que son arrivée avait fait revivre, on voyait entrer dans la ville les prisonniers faits par ses gens dans une rencontre qu’ils avaient eue avec un maréchal de Charles, surpris par eux et battu dans sa marche sur Arezzo. De bonnes nouvelles arrivaient en même temps du midi ; la Sicile se soulevait en faveur de Conradin, et les galères pisanes, après avoir failli prendre Naples, avaient battu dans les eaux de Sicile l’escadre provençale. C’étaient d’heureux préludes de la guerre qu’on allait entreprendre. Aussi Conradin partait de Sienne pour Rome plein de confiance et presque en triomphateur.

Sachant que le pape se tenait caché dans Viterbe, il voulut passer par cette ville, et la traversa couronné de fleurs lui et les siens. Cette Rome, où Clément n’aurait pas osé entrer, allait au devant de l’excommunié et le conduisait avec des acclamations de bienvenue au Capitole.

De là, après avoir rallié les Pisans, les Romains et tous les gibelins d’Italie, Conradin marchait sur Naples avec dix mille cavaliers et force fantassins, lorsque, débouchant dans l’étroite vallée de Palente, il rencontra tout à coup l’armée de Charles. — Le 23 août 1268, se livra cette bataille de Tagliacozzo, qui, gagnée d’abord par les gibelins, finit avec leur déroute complète[9]. Leur jeune chef, qui, après avoir vaillamment combattu, se réjouissait déjà de sa victoire, eut à peine le temps de se sauver dans les marais Pontins, d’où il comptait gagner Rome ou Pise.

Du champ même de bataille, au milieu des morts et des mourants, le frère de saint Louis écrivait au pape : « Je t’annonce, ô Père très-clément, une grande joie pour toi et pour notre mère la sainte Église ; lève-toi, ô Père, je t’en supplie ; viens, et MANGE DE LA CHASSE QUE TON FILS T’A APPRÊTÉE[10]. » Et le bon Clément s’écriait dans l’église de Viterbe : « Accourez, accourez, ô fidèles ; poursuivez les ennemis de la sainte Église, qui ont été vaincus et qui se sauvent. »

Tout le monde connaît le dénoûment de cette histoire de Conradin, l’épisode le plus touchant et le plus tragique du moyen âge. Pris au château d’Asture, et livré par le châtelain Frangipani aux mains de l’usurpateur, qui le traîna à Rome et de là à Naples, ce malheureux enfant dut subir le dernier outrage d’un procès. Tous les jurisconsultes convoqués se prononcèrent pour son innocence, hormis un seul, de Provence, qui demanda sa mort ; et Charles, suivant, à ce qu’on dit, les conseils du pape[11], s’en tint à cette unique voix, dédaignant toutes les autres. Le 29 octobre, sur la place du marché de Naples, sous les yeux de Charles, qui, sur une tour, assistait à ce spectacle, la tête de Conradin de Souabe roula sur l’échafaud, paré ironiquement de la pourpre royale !

Cet assassinat souleva un cri d’horreur dans toute la chrétienté. Les ménétriers allemands[12], les trouvères d’Espagne et de Provence, se firent l’écho de la douleur populaire ; les chroniqueurs français ne dissimulèrent pas non plus leur indignation.

Qu’on imagine l’effet que dut produire à Pise et à Sienne la nouvelle inattendue de la bataille de Tagliacozzo et du supplice de Conradin ! Mais Provenzano, que ce revers n’avait pas du tout atterré, était là pour ranimerle courage des Siennois. Rassemblant les débris de l’armée de Conradin, il réussit à mettre sur pied une nouvelle armée de quatorze cents cavaliers et de huit mille fantassins, avec laquelle, en juin 1269, il se présenta sous les murs de Colle, château des Florentins, provoquant de la sorte les guelfes victorieux. Ceux-ci ne manquèrent pas d’accepter le défi, et le 11 juin s’engagea la bataille de Colle, perdue par les Siennois. Leur chef, Provenzano, resté prisonnier, eut la tête tranchée par les vainqueurs, qui eurent le triste courage de promener au bout d’une pique ce sanglant trophée tout autour du camp. Les guelfes ne donnèrent pas de quartier ; ils voulurent avoir leur revanche de Monte-Aperti.

Depuis cette bataille, qui termina la guerre d’une manière décisive, Sienne cesse d’être gibeline, et c’est Arezzo qui devient à son tour le centre de ce parti. Mais les fuorusciti ne purent jamais se relever de ce désastre, et la bataille de Campaldino, vingt ans jour pour jour après celle de Colle[13], finissait d’abattre, et cette fois pour toujours, la fortune des gibelins.

Ainsi, après dix ans de lutte, Sienne rouvrait ses portes aux vaincus de Monte-Aperti. Une fois rentrés, les guelfes se hâtèrent, malgré la foi jurée, de chasser les gibelins et de raser leurs maisons. C’était Charles qui leur ordonnait de traiter les rebelles le plus durement qu’on pourrait[14]. Il ne fut que trop obéi. Une loi de 1277 déclara inhabiles à siéger dans la suprême magistrature, non-seulement les nobles, mais aussi le peuple, réservant le gouvernement aux bons et loyaux marchands, affectionnés au parti guelfe. C’est ainsi que la bourgeoisie triomphante se faisait des ennemis dans les deux camps opposés, et, en jetant au milieu de la république la pomme de discorde, préparait la ruine de la liberté.

Cette faction, qu’on appela l’Ordine ou Monte del Nove[15], resta au pouvoir soixante-dix ans. Durant cette période, la ville s’enrichit beaucoup dans les trafics, augmenta de population, et s’embellit de remarquables monuments. Ce fut alors qu’on éleva le palais de la République et la tour du Mangia, et qu’on prolongea la cathédrale sur le Baptistère. Mais le caractère exclusif de ce gouvernement le rendant chaque jour plus odieux, il dut enfin tomber sous les efforts combinés du peuple et de l’aristocratie, qui occupèrent le palais et se partagèrent le pouvoir.

Dès ce moment commence une série interminable d’altérations dans l’ordre politique ; le gouvernement passe presque chaque jour d’un parti à l’autre. Il ne serait pas trop facile de suivre le passage éphémère au pouvoir de toutes ces factions, dont il est déjà long de reporter les noms : Peuple, Neuf, Douze, Quinze réformateurs, Nobles, Agrégés ; même la Contrada del Bruco devint un parti politique et partagea à son tour les honneurs du gouvernement. Il nous suffira de dire que du 2 septembre 1368 au 18 janvier 1369 (quatre mois et demi), on ne compte pas moins de cinq révolutions[16] !

Ce peuple, épuisé par une perpétuelle anarchie, ne pouvait pas échapper à la domination étrangère. En effet, Charles, duc de Calabre, avait eu en 1326 le gouvernement de la ville pour cinq ans ; l’empereur Charles IV, après avoir fait et défait maintes magistratures, domina aussi quelque temps la république ; enfin, Sienne n’eut pas honte d’accepter avec joie et de subir pendant trois ans la tyrannie brutale de ce Visconti, qui, par une mauvaise plaisanterie du hasard, s’appelait comte de Vertu.

Il y aurait eu sans doute moins de dégradation si quelque famille siennoise se fût emparée des libertés publiques ; ce qui serait arrivé si Pandolfo Petrucci, surnommé le Magnifico, qui domina dans ses dernières années sa ville natale, et qui avait tout ce qu’il faillait pour fonder une principauté bourgeoise, eût laissé des enfants semblables à lui. Mais après sa mort (1512), le gouvernement de la république, que la main vigoureuse et prudente du Magnifico ne dirigeait plus, ne fut plus à Sienne, mais à Rome, dans les cabinets de Léon X et de Clément VII.

Les Siennois, poussés peut-être par leur rancune contre Florence, suivirent la fortune de Charles V. Ils eurent pourtant grand tort de se réjouir de la chute de leur ancienne rivale[17] ; le jeune prince, qui siégeait dans le Palazzo Vecchio, avisait déjà aux moyens de se faire appeler duc de Sienne.

La domination espagnole ne tarda pas à se rendre insupportable. Don Diego de Mendozza, non content de se mêler chaque jour de leurs affaires, désarma les Siennois, et entreprit la construction d’une forteresse pour les dominer (1550). Cela suffit pour dégoûter à jamais les Siennois des Espagnols, et pour les jeter dans les bras de la France.

Profitant de l’absence de Mendozza, Enea Piccolomini, jeune homme plein de courage et amoureux de la liberté, pénétra dans Sienne avec quelques forces qu’il avait recrutées à la campagne, fit insurger le peuple, et força les Espagnols à se renfermer dans la forteresse. Ne recevant pas de secours, la garnison dut capituler et sortir de la ville ; le jour même (27 juillet 1552), les Siennois rasèrent les remparts qui les gênaient si fort. Mais, quant à la liberté, il ne fallait pas y songer. Il ne s’agissait plus que de savoir qui resterait en définitive le maître : l’empereur ou le roi de France, ou bien ce Côme de Médicis, qui couvait des yeux sa proie, et s’apprêtait à recueillir les bénéfices de la lutte des deux rivaux. En attendant, le 11 août de la même année, les Français occupaient Sienne, qui devenait leur citadelle dans l’Italie centrale.

Le 1er janvier 1554 arrivait dans la ville, envoyé par Henri II, Piero Strozzi, vaillant soldat et chef de l’émigration florentine, suivi d’un grand nombre de ses compagnons d’exil, qui venaient combattre pour Florence sous les murs de Sienne[18]. Côme de Médicis, qui ne voyait pas sans terreur ce dangereux voisinage, rassembla ses gens dans le plus grand secret, et la nuit du 28 janvier tenta de surprendre la ville. Le marquis de Marignan, qui conduisait cette entreprise nocturne, put s’emparer d’un fort détaché qui défendait la porta Camollia.

Dès lors commence une guerre qui dura quinze mois et qui clôt si héroïquement l’histoire de la ville. On dirait que dans ces derniers et terribles jours de la république agonisante revivent toute la valeur et la persévérance des anciens Siennois.

Après quelques heureuses rencontres, la bataille de Scannagallo (2 août 1554), perdue par Piero Strozzi, malgré sa valeur désespérée, porta la guerre sous les murs de la ville. La famine vint accroître les misères des assiégés et les forcer à se rendre le 17 avril 1555.

La conduite des Siennois durant le siége fut admirable ; jamais on ne supporta avec plus de constance une si affreuse misère. Sans parler des cruautés commises par ce monstre qu’on appelait le marquis de Marignan, il nous suffira de dire que la population de la ville, qui comptait trente mille âmes au commencement de la guerre, au bout de quinze mois était réduite à dix mille ; tout le reste était mort de faim ou sur les remparts. Les campagnes, dans lesquelles la famine avait emporté plus de cinquante mille personnes, restèrent longtemps dépeuplées et incultes.

Une clause de la reddition garantissait la conservation du gouvernement populaire ; il n’est pas nécessaire d’ajouter qu’on n’en fit rien. Aussitôt après la capitulation, ceux des Siennois qui pouvaient encore combattre quittèrent la ville, et, emportant avec eux femmes, enfants et tout ce qu’ils avaient de plus cher au monde, ils allèrent relever le drapeau de la république sur les rochers de Montalcino. Là, ils frappèrent de la monnaie avec le nom de Sienne et d’Henri II ; et, seuls, isolés, résistèrent pendant encore quatre ans contre la puissance de l’empire et les embûches de Côme.

C’était la dernière étoile de notre ciel italien qui s’éloignait à son tour, après avoir brillé un instant d’une plus vive splendeur.

Cependant, le 3 juillet 1557, Philippe II, le Tibère de l’Espagne, inféodait Sienne au Tibère de Florence, Côme de Médicis.


III


Position et aspect général de la ville. — Murs et portes. — Population. — La cathédrale. — La cathédrale de 1339 et ses restes. — La facade. — Le pavé de Beccafumi. — La madone de 1260. — La madone de Duccio di Buoninsegna. — Le chœur. — Le maître-autel et le tabernacle du Vecchietta. — Francesco di Giorgio. — Le Carroccio des Florentins et le Christ de Monte-Aperti. — La chaire de Niccola Pisano. — La chapelle de Saint-Jean. — Sculptures de Tino di Camaino, de Donatello et de Michel-Ange. — La Libreria. — Les papes Piccolomini. — L’archevêque Piccolomini et Galilée.

Le chemin de fer de Florence à Sienne aboutit au pied d’une de ces délicieuses collines, qui, se détachant de celles du Chianti, courent du nord-ouest au sud-est.

En sortant du débarcadère le voyageur n’a qu’à lever les yeux vers les murs de Sienne, qui s’élève devant lui, en plusieurs plans étagés à une hauteur moyenne de trois cent seize mètres au-dessus du niveau de la mer.

Située dans le centre de la Toscane, au sud de Florence[19], sur une colline qui n’est dominée par aucune de celles qui l’environnent, Sienne domine de toutes parts un vaste paysage. Pour bien embrasser l’ensemble de ce beau panorama, il faut monter sur une des tours de la ville, sur celle du Mangia, par exemple (voyez cette tour dans le dessin ci-dessous). — Quelle admirable vue que celle qui se déroule alors à une distance infinie ! Les collines et les vallées se pressent tout autour de la ville ; la vue s’étend librement au N. E. jusqu’aux monts du Chianti, si célèbre pour ses vins ; ces hauts pics dentelés qu’on distingue à l’horizon dans la direction du nord sont les montagnes du Modenais ; au nord-ouest s’élève Monte-Maggio, couvert de ses riches forêts ; la chaîne de collines sud-ouest s’appelle la Montagnola Senese ; la montagne qui se fait remarquer au sud par sa masse imposante et régulière est le Monte Amiata ou de Santa-Fiora, la plus haute[20] et surtout la plus riche des montagnes de la province, et qui donne, parmi bien d’autres produits, la célèbre terre d’ombre ou de Sienne, dont on livre annuellement au commerce environ trois cent mille kilogrammes.


Vue de l’hôtel de ville. — Dessin de H. Catenacci d’après une photographie.

Si nous jetons ensuite un regard sur la ville qui est à nos pieds (voy. le plan page 4), nous remarquons qu’elle se compose principalement de trois longues rues, courant sur la crête d’autant de collines, et aboutissant toutes au pied de la tour, à ce grand bassin de la Piazza del Campo, le point central de la ville.

Vue de cette hauteur, Sienne a la figure d’une étoile. La ville a été limitée par différentes circonvallations successives, suivant ses développements progressifs. Le périmètre immédiatement antérieur à celui d’aujourd’hui a dû être triangulaire, puisque dans une chronique de 1233, on dit qu’en cette année les Florentins investirent la ville des trois côtés.

Les murs actuels, qui datent de la première moitié du treizième siècle, montent sur la crête des collines pour descendre ensuite presque perpendiculairement jusqu’au fond de la vallée, formant ainsi une ceinture d’environ six kilomètres et deux tiers, sans doute trop large aujourd’hui, mais qui ne l’était pas en 1260, lorsque Sienne, riche de son commerce et d’une population nombreuse, remplissait ce vaste espace de ses tours et de ses palais. Maintenant un seul coup d’œil sur les champs de blé et d’oliviers qui couvrent, toujours dans le cercle des murailles, les flancs des collines et la plaine, aidera, mieux que tous les chiffres de la statistique[21], à faire comprendre combien cette ville fière et élégante est déchue de son ancienne splendeur.

Le périmètre actuel, qui ne compte que huit portes, en avait trente-huit en 1260. Après la bataille de Monte-Aperti, la république, pour se prémunir contre toute surprise, fit murer celles qui n’étaient pas nécessaires.

Des huit portes qui restent, quelques-unes se trouvent sur des hauteurs, notamment la Porta Camollia, la Porta Romana et celle de Saint-Marc, qui sont à l’extrémité des trois principales artères dont nous venons de parler. Les autres, surtout les portes Ovile et Fonte Branda, s’ouvrent au contraire dans des vallons profondément encaissés, qu’on pourrait bien appeler des ravins.

Les plus anciennes de ces portes sont remarquables par leur architecture. Elles sont protégées par une espèce de tour carrée et crénelée, dite anti-porto, qui se projette à l’extérieur de la muraille et défend l’entrée.

La plus ancienne est la Porta a Pispini ou de S. Vieni, par laquelle les Siennois et les gibelins de Florence sortirent en 1260 pour aller à la bataille de Monte-Aperti. La tour qui défend la porte est beaucoup plus moderne ; elle a été bâtie en 1326.

Deux siècles plus tard (1531) le Sodoma y peignit une fresque du côté extérieur, représentant la Nativité ; on admire surtout à la voûte, la figure d’un ange en raccourci, d’une grande hardiesse et d’une grande vérité.

La Porta Romana, qu’on appelait jadis la Porta Nuova, fut dessinée par Agnolo di Ventura et Agostino di Giovanni, architectes de la Torre del Mangia. Cette porte aussi est décorée d’une fresque merveilleuse de Sano di Pietro, représentant le couronnement de la Vierge. Cette peinture lui valut, à titre d’honneur, le surnom de Sano della Porta Nueva.

Si nous voulons visiter ensuite tour à tour les monuments les plus remarquables de la ville, nous devons commencer par la cathédrale, qui couronne d’une manière si pittoresque l’une des hauteurs de Sienne. Mais avant d’en franchir le seuil, il est nécessaire de rappeler sommairement l’histoire de ce monument, qui a réclamé le concours de tant d’artistes[22] et le travail de plusieurs siècles pour arriver à sa perfection.


Panorama de la cathédrale de Sienne. — Dessin de H. Catenacci d’après une photographie.

La cathédrale est très-ancienne, mais au temps où la ville, renfermée dans sa première enceinte, se limitait au point élevé qu’on appelle encore Castel-Vecchio (le vieux château), il semble qu’elle aurait dû être située autre part et plus haut que celle qui existe encore. Il paraît prouvé cependant par un document de décembre 1012, qu’à cette dernière époque la cathédrale occupait le même emplacement qu’aujourd’hui ; mais il est possible qu’on l’ait rebâtie dans le cours des deux siècles suivants. Ce qui n’admet pas de doute, c’est qu’en 1229 on y travaillait. Le dôme fut achevé en 1264. En 1317, la cathédrale fut agrandie et prolongée jusqu’au-dessus de l’église de San Giovanni. Cinq ans plus tard, par suite de certains défauts qui se manifestaient dans l’édifice, on proposa de l’abandonner pour en élever un autre en commençant par les fondements.

Il ne paraît pas qu’on ait persisté dans ce projet, car, en 1339, on délibéra de prolonger l’aile sud de l’ancienne cathédrale, de manière à ce qu’elle formât la croix de la nouvelle. Mais de grandes calamités publiques et surtout la terrible peste de 1348[23] interrompirent les travaux, qui furent définitivement abandonnés en 1356. On résolut alors de les reporter entièrement sur la vieille cathédrale, qui fut enfin terminée dans le quinzième siècle.

On peut encore se faire une idée de la magnificence de la construction inachevée par les restes de la grande nef qui, se détachant du côté sud de l’église, vont se rattacher à cette belle arcade qui devait former la grande porte, et qui, debout sur l’extrême bord de la colline, découpe sur l’azur du ciel sa courbe élégante. Ces restes prouvent assez comment Lando di Pietro, que les Siennois avaient rappelé exprès de Naples, avait su joindre dans son dessin le grandiose de l’idée à l’exquise élégance des détails.

La façade actuelle, achevée en 1379 ou 1380, a été probablement dessinée par Giovanni di Cecco ; mais les ornements et les statues qui la décorent proviennent en grande partie d’une autre façade plus ancienne dont Giovanni di Niccolò Pisano avait donné le dessin en 1284.


Cathédrale de Sienne (extérieur). — Dessin de H. Catenacci d’après une photographie.

Après avoir salué la Vierge, patronne de la ville, dont l’image, entourée de rayons d’or, brille au soleil sur le fond d’émail bleu au sommet de la façade, entrons dans le temple.

La cathédrale de Sienne est, sans contredit, l’une des plus belles de l’Italie, j’oserais dire de l’Europe. En se promenant sous son dôme et sous ses voûtes magnifiques, on se sent peu à peu délicieusement pénétré par le charme de cette architecture élégante en même temps que grandiose.

Quant aux chefs-d’œuvre de tout genre qu’elle renferme, je serais tenté de dire qu’il n’y sont que trop nombreux. Les tableaux, les statues, les bronzes, les sculptures en bois, les merveilleux ouvrages de marqueterie sollicitent de toutes parts l’attention et empêchent que l’on puisse, non-seulement se recueillir, mais même embrasser facilement l’ensemble des lignes architectoniques.

Il n’y a rien dans cette église, jusqu’au pavé que l’on foule aux pieds, qui ne soit une merveille de l’art. On ne voit qu’ici ces mosaïques en marbre que Cicognára comparaît avec raison aux plus belles de la Grèce et de Rome, et qui sont une singularité siennoise en même temps que des chefs-d’œuvre[24].

L’exécution de ce célèbre pavé, commencé en 1369, a été continuée sur les dessins des meilleurs artistes jusqu’aux premières années du seizième siècle. Ce fut alors que Domenico Beocafumi, dit Mecherino, perfectionnant l’ancienne méthode, dessina les cartons[25] et dirigea l’exécution de ses admirables mosaïques en marbre qui sont de véritables tableaux ; elles sont placées autour du grand autel et sous le dôme.


Cathédrale de Sienne (intérieur). — Dessin de H. Catenacci d’après une photographie.

Dans la partie supérieure de la nef, à droite, s’ouvre la chapelle della Madonna del Voto, qui fut construite par le pape siennois Alexandre VII (Fabio Chigi). — Parmi les peintures, les bronzes, les mosaïques, les statues qui la décorent, on doit remarquer la Madone, à la manière byzantine, qui est sur l’autel et qu’on croit avoir été peinte en 1260.

Jusqu’au commencement du seizième siècle on garda sur le grand autel l’admirable peinture de Duccio di Buoninsegna, le meilleur ouvrage de ce maître, qui y travailla trois ans. Le 9 juin 1310 on porta solennellement ce tableau de la maison de Duccio à la cathédrale ; ce fut un jour de fête pour ce peuple si intelligent et si passionné pour le beau, et si fier de ses gloires. Le tableau était peint des deux côtés[26] ; on a eu l’heureuse idée de le dédoubler et d’accrocher séparément les deux panneaux aux murailles.

Il reste peu de chose des boiseries de l’ancien chœur. Ces œuvres célèbres, commencées en 1363, occupèrent, pendant trente-trois ans, huit maestri d’intaglio (maîtres sculpteurs sur bois)[27]. On n’en possède plus aujourd’hui que les ornements qui encadrent les travaux de marqueterie de la partie antérieure du chœur.

Bien plus remarquables par la beauté de la composition et la richesse des décorations sont les sculptures du nouveau chœur, qu’on admire derrière le maître-autel. Maestro Riccio, l’élève chéri et le gendre du Sodoma, en donna le dessin en 1567 ; l’exécution est due à quatre des meilleurs sculpteurs sur bois du temps[28].

Le maître-autel fut sculpté en 1532 sur les dessins de Baldassarre Peruzzi. Le tabernacle en bronze, qui était jadis dans l’église de l’hôpital, fut fondu par Lorenzo di Pietro, surnommé il Vecchietta, élève de Giacomo della Quercia, qui fut en même temps peintre, architecte, sculpteur et fondeur, et qui dans ce dernier art n’eut pas d’égaux parmi ses contemporains[29].

Les anges en bronze qu’on voit aux côtés de l’autel ont été coulés par Francesco di Giorgio[30].

En face de ces merveilles de l’art, dans le silence sacré de ce temple éclairé par la faible lumière qui tombe des vitraux coloriés, l’esprit reste calme et serein ; des objets qui vous entourent, aucun ne rappelle à la pensée l’idée du sang répandu, d’un affreux carnage, d’une bataille désespérée. Cependant, voici deux longs mâts appuyés aux piliers qui soutiennent le dôme : ce sont les antennes du carroccio[31] des guelfes de Florence. Le 4 septembre 1260, la croix rouge sur fond blanc flottait fièrement à leur bout ; à côté d’elles la Martinella, la cloche des batailles[32], faisait entendre sur le champ de Monte-Aperti son tocsin d’alarme, appelant au combat le peuple de Florence et les guelfes de toute la Toscane. Le carroccio était défendu par l’élite des combattants ; autour de lui, symbole et drapeau de la patrie, se pressaient ce jour-là trente mille fantassins et trois mille cavaliers.

Une déroute immense, un carnage inouï, tel que la rivière de l’Arbia, comme le dit Dante, devint ce jour-là rouge de sang ; dix mille morts et quinze mille prisonniers, Florentins et guelfes ; les défenseurs du carroccio tués tous à leur poste d’honneur, en commençant par leur chef Tornaquinci, vieillard de soixante dix ans : voilà ce que signifient ces deux mâts au milieu de la cathédrale de Sienne !

Tandis qu’à Florence, atterrée par la nouvelle de cet immense désastre, les cris des femmes s’élevaient jusqu’au ciel (ainsi que l’a dit un chroniqueur)[33], les vainqueurs, encore souillés du sang fraternel, venaient dans ce temple pour remercier Dieu, qu’ils faisaient de la sorte complice de leurs haines et de leurs crimes ; ils plantaient à côté de l’autel ces déplorables et sanglants trophées, témoignages de ces luttes fratricides que nous avons expiées par des siècles de servage et d’humiliation[34].

Sur l’un des autels de la nef droite, non loin des deux mâts, est le Christ que les Siennois portaient sur leur carroccio à Monte-Aperti. Les gibelins pensaient qu’il avait combattu avec eux, lui qui mourut pour tous les hommes, et lui donnaient la première part dans le triomphe !

Passons maintenant à un ordre d’idées plus sereines, à des gloires pures de toute tache et moins contestables. Voici la chaire de Niccolò Pisano, qui laissa dans ce monument un précieux exemple aux sculpteurs siennois. Ils en profitèrent si bien, qu’au commencement du quatorzième siècle ils purent disputer la prééminence a l’école de Pise et surpasser la florentine. Entre ces bas-reliefs de toute beauté, le plus remarquable est celui du crucifiement, qui rend avec tant de force et de vérité les émotions de ce drame poignant. Un vrai prodige d’élégance, qu’on ne se lasse jamais de regarder, ce sont les figurines placées sur les chapiteaux des colonnes. Dans l’exécution de cet ouvrage, qu’on lui avait commandé le 5 octobre 1266, le grand artiste fut aidé par son fils Giovanni et par ses élèves florentins, les trois frères Goro, Donato et Lapo, auxquels la république accorda, comme récompense, le droit de cité.


Chaire de la cathédrale de Sienne. — Dessin de H. Catenacci d’après une photographie.

L’escalier de la chaire fut dessiné par maestro Riccio, en 1570.

La chapelle de Saint-Jean, qui s’ouvre sur la gauche, vis-à-vis de celle del Voto, et dont les anciens guides attribuent le dessin à Baldassare Peruzzi, fut dessinée par Giovanni di Stefano, tandis que le premier n’était encore qu’un enfant (en 1482 environ). Le Pinturicchio y peignit à fresque, en 1504, huit petits tableaux, dont trois ont été restaurés un siècle plus tard par le Rustichino. Les fonts baptismaux ont été probablement sculptés par Giacomo della Quercia, et la belle statue de saint Baptiste, par Donatello.

Le monument du cardinal Petroni, qu’on voit en haut en sortant de la chapelle, est attribué à Tino di Camaino, l’un des plus vaillants sculpteurs du commencement du quatorzième siècle, qui a laissé plusieurs de ses ouvrages à Pise[35], à Florence et à Naples.

Le sarcophage de l’évêque Pecci, près de la sacristie, a été sculpté par Donatello en 1426.

L’autel de la famille Piccolomini a cinq statues de saints sculptées par Michel-Ange. Celle de saint François avait été commencée par le Torrigiano. On attribue aussi au grand maître les deux anges et la Résurrection qui décorent l’écusson des Bandini, entre cet autel et la porte de la célèbre Libreria.

La Libreria Piccolominea fut commencée dans les dernières années du quinzième siècle, par le cardinal François Piccolomini Todeschini, qui devint plus tard le pape Pie III, et qui voulait y conserver les écrits de Pie II, son oncle maternel, et les beaux livres enluminés qu’il avait recueillis.

Les deux grilles en bronze ont été fondues par Antoniolo Ormanni, en 1497. Les admirables bas-reliefs des piliers et toute la décoration de la porte sont de Lorenzo Marrina, ainsi que l’écusson des Piccolomini, avec les deux enfants en haut-relief qui le supportent. La peinture qu’on voit au-dessus de la porte, et qui représente le couronnement de Pie II, est de Bernardino Perugino, surnommé le Pinturicchio, auteur aussi des dix fresques de la vie de Pie II qui décorent l’intérieur de la Libreria, et qu’on a longtemps attribuées à Raphaël, sur la parole de Vasari. Mais il paraît désormais certain que Raphaël, qui était alors très-jeune, n’a fait autre chose que dessiner et exécuter en grand les esquisses du Pinturicchio.

Depuis que, sur le conseil de Pie IX, on a ôté du milieu de cette salle le célèbre groupe des Grâces pour le transporter dans la galerie des Beaux-Arts, il nous reste encore à admirer, sur les bancs sculptés par Barili[36], les vingt-neuf livres du chœur pleins de précieuses miniatures, parmi lesquelles on doit surtout remarquer celles de Sano di Pietro, Siennois, de Liberale da Verona, et de Girolamo da Cremona.

C’est une illustre maison que cette famille des Piccolomini, qui donna d’abord à l’Église Pie II (Enea Silvio), l’un des premiers littérateurs de son temps, auteur d’histoires et d’oraisons écrites dans une élégante latinité. Son neveu, Pie III, amateur généreux et intelligent des beaux-arts, aurait peut-être laissé, s’il eût vécu plus longtemps, son nom au siècle qui a pris celui de Léon X.

À cette même famille appartenait Ascanio Piccolomini, archevêque de Sienne, célèbre par l’amitié de Galilée et par l’hospitalité qu’il donna dans sa propre maison à l’infortuné vieillard lorsqu’il sortit des cachots de l’Inquisition. Il tâcha de lui faire oublier, par son amitié pleine d’égards, les persécutions qu’il venait de subir à Rome, et le philosophe put tranquillement reprendre chez le prélat le cours de ses études favorites, entouré de respect et comblé de courtoisies, que, dans ses lettres, il appelle inexplicables ! En effet, Galilée, condamné par Rome, recevant l’hospitalité et même fêté par un archevêque, c’était là un fait non-seulement inexplicable, mais à peu près impossible ailleurs qu’à Sienne.

B. Costantini.

(La fin à la prochaine livraison.)



  1. À Sienne, le thermomètre (centigrade) donne comme températures extrêmes − 9°9 et + 37°8 ; la moyenne est de + 13°8. — La quantité de pluie tombée dans une année est représentée par 757mm00. On compte dans l’année environ deux tiers de journées en partie ou tout à fait sereines. — Ces données sont dues à l’Observatoire de l’Université.
  2. En 1862, le loyer annuel d’une bonne maison était réglé sur la proportion de 33 fr. 60 cent. pour chaque chambre. Il se pourrait que, depuis, ce chiffre eût subi une légère élévation.
  3. Voilà comme s’exprime sainte Catherine, en parlant à Grégoire XI de ses concitoyens : « S’il y a des gens au monde qu’on puisse prendre avec l’amour, ce sont eux. » Et saint Bernardin de Sienne nous dit dans son naïf langage : Il sangue sanese è uno sangue dolce (le sang siennois est un sang doux).
  4. Ce jeune homme, l’élève chéri de M. Mussini, vient d’être nommé professeur de dessin dans l’Académie des beaux-arts.
  5. Inf. c. X, et Purgat. c. XI.
  6. Dans les archives diplomatiques de Sienne : Correspondance avec les États étrangers.
  7. Cent mille florins d’or. Les Siennois payèrent aussi leur contingent, et gardent encore une quittance de Conradin, datée de Pise, le 14 mai 1268, dans laquelle il déclare avoir reçu de la ville quatre mille deux cents onces d’or pour règlement de compte.
  8. La Bibliothèque Impériale de Paris possède, sous le no 7266, le manuscrit d’un lai de Conradin.
  9. L’armée de Charles était de beaucoup inférieure en nombre à celle de Conradin. Un vieux soldat des Croisades, Hérard de Valery, persuada Charles de se tenir en réserve derrière un coteau avec huit cents cavaliers choisis. Après une longue lutte, ils virent que les Français, poursuivis vivement par l’ennemi, commençaient à plier. Le roi voulait courir au secours des siens ; mais Hérard le retint longtemps, jusqu’à ce qu’il vît les gibelins éparpillés sur le champ à la poursuite des fuyards et à piller. Il se lança alors avec les huit cents chevaux sur l’ennemi, et fit changer en un clin d’œil le sort de la journée.
  10. Karoli Reg. ad Clem. IV., epist. 690. Martenne, Thesau. Anecd., t. II, p. 623.
  11. Mors Conradini vita. Karoli : telle aurait été la réponse de Clément IV à Charles d’Anjou, qui le consultait sur le sort de son prisonnier.
  12. Ottaker de Harneck composa sur ce navrant sujet Un poëme en huit cent trente chapitres.
  13. 11 juin 1289. — Dante, alors âgé de vingt-quatre ans, combattait ce jour-là dans les rangs des guelfes de Florence. L’évêque d’Arezzo, grande guerriere, comme a dit un chroniqueur du temps, conduisait les gibelins au combat, et resta sur le champ de bataille.
  14. Ribelles quam durius poteretis aggravetis, écrivait-il aux Siennois dans un diplôme, qu’on peut voir aux archives de Florence. Au demeurant, le bon rot Charles ne manquait pas d’ajouter l’exemple au précepte.
  15. Ce nom lui venait du nombre des individus qui faisaient partie alors de la magistrature.
  16. 2 septembre 1368. — Les Nobles chassent les Douze, et font un nouveau gouvernement composé de treize de l’ordre des Nobles et de trois des Neuf.

    24 septembre. — Après vingt-deux jours, ce gouvernement est à son tour expulsé par les Salimbeni, d’accord avec les Douze, et appuyés par cinq cents chevaux envoyés par l’empereur Charles IV. On installe un nouveau gouvernement, dans lequel entrent trois des Neuf, cinq du Peuple et quatre des Douze.

    11 décembre. — Les ouvriers de la Contrada del Bruco chassent cette magistrature et la remplacent par une autre, dite des Quinze réformateurs, exclusivement tirés du peuple.

    18 janvier 1369. — Les Salimbeni, les Douze et Charles LV chassent du palais les Quinze réformateurs.

    Le même jour. — Le peuple bat l’empereur et réintègre les Quinze dans le gouvernement.

    Lorsque les Quinze furent enfin dépossédés par les Douze, on n’exila pas moins de quatre mille personnes du parti vaincu, presque tous artistes et ouvriers, ce qui entraîna la ruine des industries de la ville.

  17. Sienne prêta de l’artillerie à l’armée impériale pour le siége de Florence.
  18. Henri II leur avait donné vingt drapeaux verts, sur lesquels on lisait ce vers de Dante :

    Libertà, vo cercando ch’è si cara.

    « Nous cherchons la liberté qui est si chère. » Hélas ! ils ne devaient pas la trouver !

  19. À 28° 59′ de long. et 113° 19′ de lat. nord, mér. de Paris.
  20. 1 721 mètres au-dessus du niveau de la mer.
  21. En 1301, la population de Sienne était d’environ 70 000 âmes. Le recensement officiel du 31 décembre 1861 ne trouva plus dans la ville que 21 902 habitants ! De ce nombre, 12 534 savaient lire ou écrire. Au même jour on trouva 165 individus âgés de 80 à 98 ans, et 2 331 de 60 à 98.
  22. Voici les noms de quelques-uns des architectes qui, avec le titre modeste de capomaestri, ont dirigé la construction de la cathédrale : Giovanni di Niccolò Pisano, an. 1284-88-90-95 ; Camaino di Crescentino, de 1310 à 1318 ; Tino di Camaino, 1319-1320 ; Giovanni di Maestro Agostino, 1336-1340 ; Lando di Pietro, 1339 ; Domenico di Maestro Agostino, 1350-54 ; Giovanni di Cecco, 1376-78 ; Domenico di Niccolò, 1413-23 ; Pietro del Minella, 1445-55 ; Antonio Federighi, 1454-68-75 ; Giacomo Cozzarelli ; Baldassarre Peruzzi, 1532 ; Vannoccio Biringucci, 1535-1537.
  23. Ce fléau fit dans la même année de terribles ravages à Florence. Selon une chronique du temps, les habitants de Sienne et des faubourgs emportés par l’épidémie auraient été au nombre de 80 000.
  24. Le pavé de la cathédrale laisse distinguer, dans son exécution différentes manières, où se résume l’histoire de cet art. D’abord on dessinait sur le marbre blanc le sujet, et après en avoir creusé les traits avec le ciseau, on remplissait les creux avec du stuc noir. Cette manière, assez primitive mais non sans élégance, pourrait se comparer à un graffito, ou mieux encore à un guillochis sur marbre. Plus tard on se servit des marbres de couleurs variées dans les ornements qui encadraient les dessins ; c’était de la marqueterie sur marbre. Beccafumi, laissant de côté le stuc et toute matière colorante, n’employa que du marbre, le blanc pour les couleurs claires, le gris de différentes nuances pour les demi-teintes et le noir pour les ombres. Tous ces marbres sont joints avec tant de soin qu’un observateur superficiel pourrait prendre ces grandes mosaïques pour un camaïeu peint sur une seule table.
  25. Ces cartons, dessinés de 1517 à 1547, sont conservés dans la galerie de l’Académie des beaux-arts. Ils représentent les histoires d’Achab, d’Élie et de Moïse.
  26. Sur le devant on voit la Vierge avec l’Enfant, assise sur le trône, environnée de plusieurs saints ; de l’autre côté, divisé en trente-quatre compartiments, Duccio représenta la vie de Jésus-Christ. On dit que cette peinture, dans laquelle sont largement employés l’or et le bleu d’outre-mer, fut payé 3000 florins.
  27. Francesco et Giacomo del Tonghio. — Mariano Romanelli. — Giovanni di Francesco del Cicchia. — Luca di Giovanni. — Barna di Turino. — Guido di Giovanni (moine). — Martino di Luca.
  28. Teseo Bartalini da Pienza. — Benedetto di Giovanni da Montepulciano. — Baccio Descherini et Domenico Chiari, Florentins.
  29. Ce tabernacle, du poids de 748 kil., fut commencé en 1465 et achevé en 1472, comme un le voit par l’inscription gravée à la base : « Opus Laurentii Petri pictoris, alias Vecchietta de Senis, 1472. »
  30. Francesco di Giorgio Martini, artiste d’un véritable génie, et le plus grand ingénieur de son époque, après le prodigieux Léonard. Il fut en même temps peintre, sculpteur, fondeur, ingénieur et écrivain. On peut le considérer comme le premier restaurateur de l’architecture militaire. On lui doit l’invention de la mine, qu’on a jusqu’ici attribuée à Pietro Navarro ; mais il est désormais hors de doute que ce terrible engin de guerre fut pour la première fois employé par lui en 1495, lorsque Charles VIII assiégeait Castel dell’Uovo à Naples. Dans sa ville natale, à Urbin, à Naples, à Lucques, à Milan, à Pavie, il donna des preuves éclatantes de son talent universel. Occupé sans cesse dans les arts de la paix et plus souvent dans ceux de la guerre, il trouva cependant le loisir d’écrire des livres remarquables sur l’architecture militaire et civile, sur l’hydraulique, sur la mécanique, sur la métallurgie et sur l’agriculture. M. Promis fit paraître en 1841, à Turin, une magnifique édition de son Trattato. Il eut le rare bonheur de jouir de son vivant et dans sa patrie des honneurs qu’il méritait, et lui, l’enfant d’un pauvre marchand de volailles, parvint à la suprême magistrature de la République.
  31. Le carroccio fut inventé par les Milanais. Celui des Florentins était « un char sur quatre roues, tout peint en vermeil ; il avait deux grands mais de même couleur, au bout desquels flottait le grand étendard de la commune de Florence, mi-parti de blanc et de vermeil. Il était traîné par deux grands bœufs couverts de draps vermeils, qui ne servaient qu’à cet usage. Et quand le peuple partait pour la guerre, on le conduisait sur la place du Mercao Nuovo, où les chevaliers le remettaient aux chefs du peuple qui le menaient ensuite au combat. Pour le garder on choisissait les citoyens les plus forts et les plus vaillants, et autour de lui se massait toute la force du peuple. » Ricordano Malespini, Storie Fiorentine, cap. CNXLV.
  32. Cette cloche, qu’on conservait dans le Mercato Nuovo, était portée au combat sur le Carroccio. Voici ce qu’en dit Michel de Montaigne dans ses Essais, liv. 1, chap. v : « Les anciens Florentins estaient si esloingnez de vouloir gaigner avantage sur leurs ennemis par surprise, qu’ils les avertissaient, un mois avant que de mettre leur exercite aux champs, par le continuel son de la cloche qu’ils nommoient martinella. »
  33. Giovanni Villani, liv. 6, chap. LXXXIX. Il dit qu’il n’y avait pas dans Florence une seule maison qui n’eût perdu un homme, tué ou prisonnier dans cette bataille.
  34. Les Florentins aussi ont étalé, pendant des siècles, à l’entrée de leur baptistère, les chaînes qui fermaient jadis le port de Pise ; mais, depuis bientôt vingt ans ces chaînes ont été rendues aux Pisans, qui les conservent dans leur Campo Santo. Pourquoi donc Sienne n’a-t-elle pas encore fait de même pour Florence ? Qu’elle y songe !
  35. Le monument de l’empereur Henri VII qu’on conserve encore dans le Campo Santo de Pise a été sculpté par Tino.
  36. Antonio Barili, célèbre sculpteur sur bois. À part ces bancs, on ne connaît plus qu’un petit nombre de ses ouvrages, qui sont parmi les plus parfaits qu’ait jamais produits cet art.