Si jamais je te pince !…/Acte III
ACTE TROISIÈME.
Scène PREMIÈRE.
Dix heures moins sept !… et pas d’orchestre, c’est inimaginable !…
Eh bien, monsieur… ces musiciens ?
Je n’y comprends rien !… voilà leur estrade… voilà leurs pupitres… et ils n’arrivent pas !…
Nos invités se promènent depuis une heure… Est-ce que vous comptez donner un bal sans musique ?
Mais non ! j’ai passé moi-même à huit heures et demie chez mon chef d’orchestre pour lui rappeler… je l’ai trouvé au milieu d’un déménagement… je l’ai aidé.
Oh ! quand les maris se mêlent de quelque chose…
Corinne ! tu es bien cruelle pour moi… Est-ce ma faute ?
Enfin, que voulez-vous que je fasse de nos invités ? les dames bâillent, les messieurs s’endorment…
Ah ! mon Dieu ! si tu disais à notre nièce Emerantine de leur chanter sa romance d’Amour et Tristesse ?
Emerantine s’habille… et vous savez qu’elle en a pour longtemps.
Oui, à cause de son épaule… Dis-moi, l’as-tu un peu cotonnée ?
Mais oui… cela ne vous regarde pas !…
Je crois lui avoir trouvé un prétendu… M. de Saint-Gluten m’a promis de venir.
M. de Saint-Gluten !… est-il riche ?
Dame ! il a un architecte ! (Tirant sa montre.) Dix heures ! Dis donc, Corinne, si tu leur chantais toi-même Amour et Tristesse ?
Allons donc !…
J’ai envie de louer un orgue !…
Scène II.
Monsieur, me voilà ! Faut-il passer les rafraîchissements ?
Pas encore… on n’a pas chaud… on n’a pas dansé !
Tenez-vous dans l’antichambre pour annoncer.
Bien, madame ! (À Papavert.) Monsieur est-il content de ma tenue ?
Parfait ! parfait !
Pourquoi des gants noirs ?
Madame, c’est moins salissant… Voilà quatre mois que je les porte… Voyez !… (Les mettant sous le nez de Papavert.) Monsieur peut sentir…
C’est bien… allez !… (Il remonte dans l’antichambre.) Encore une trouvaille de votre cru !…
M. et madame d’Apremont.
Mon Dieu ! encore du monde !…
Et pas de musique !…
Scène III.
LES QUATRE CLERCS.
Le nom de Madame ?
Va te promener !…
Madame de Va-te-Promener !…
Comment ?…
Ça y est !… j’y suis !… et rien de cassé !… Ah ! tu m’enfermes !
Qui faut-il annoncer ?…
Des navets !…
Messieurs des Navets !…
Qu’est-ce que c’est que ça ?…
Nous voici, par miracle,
Dans ce bal parvenus !
Il n’est jamais d’obstacle
Pour les cœurs résolus !
Chez nous, par quel miracle
Tous ces nouveaux venus ?
Quelle est cette débâcle
D’invités inconnus ?
Les connais-tu ?
Nullement !
Moi non plus !… (Saluant les clercs et Alexandra.) Messieurs… Madame…
Bonjour, monsieur Papavert.
Bonjour, monsieur Papavert.
Ils savent mon nom ! (À part.) Oserai-je vous demander… ?
Ah çà ! la musique n’est donc pas arrivée ?
Nous l’attendons… Mais…
Monsieur, un bal sans musique, c’est comme une dinde truffée…
Sans truffes !…
Et sans dinde !
Oui… (À part.) Qu’est-ce qu’ils me chantent ? (À Alexandra.) Oserai-je vous demander… ?
Quoi ?
Votre figure ne m’est pas tout à fait inconnue… Mais… à qui ai-je l’honneur de parler ?…
Diable ! est-ce qu’il voudrait nous camper à la porte ?
Nous ne tenons plus qu’à un fil !
Pardonnez-moi si…
Je vous présente ces messieurs… des parents… des amis…
Messieurs, je suis très honoré… mais… je n’ai pas le plaisir de…
Permettez-moi de vous présenter Madame.
Ils se moquent de nous !
Madame, je suis très honoré, mais tout ça ne me dit pas…
Monsieur, votre petite fête est charmante… Et Madame ?…
Elle va très bien !… mais…
Et M. votre fils ?
Je n’en ai pas.
Enchantée ! enchantée !…
Enchantés ! enchantés !…
Mais qu’est-ce que c’est que ces gens-là ?…
Scène IV.
M. le comte de Saint-Gluten !
Lui ?… il va nous présenter !
Mesdames !… (Apercevant Alexandra.) Elle !… (À Alexandra.) Ah ! que je suis heureux !… J’étais si loin de m’attendre…
Dites donc, présentez-nous, et chaudement !…
Vous connaissez cette dame ?…
Mais sans doute… c’est… c’est ma sœur !
Sa sœur !…
Qui arrive de voyage… de très loin… de Valparaiso.
Très adroit ! il a le fil !…
Oh ! que d’excuses !…
Cette chère madame de Va-te-Promener !
Hein ?
Vous n’avez pas froid ?
Vous n’avez pas chaud ?
Oh ! merci !… (À part.) Ils sont très gentils !…
Et ces messieurs ?…
Sont mes cousins !… Vous voyez, je suis venue en famille…
Et vous avez bien fait. (Aux clercs, en leur distribuant des poignées de main.) Messieurs des Navets…
Si nous sommes indiscrets… dites-le !…
Par exemple !… soyez les bienvenus !
Nous nous casons ! nous nous casons !
Mesdames, messieurs… voulez-vous que nous passions dans le salon gris pâle ?
Je vous présenterai à ma nièce.
Oui !… après souper !…
Non ! avant… (À part.) Comme il n’y en a pas…
Chère petite sœur !… (Bas, avec passion.) Oh ! j’ai des projets d’amour à vous communiquer.
Plus tard ! j’attends la musique !
Entre nous, vraiment ce bal
Promet d’être original !
Au salon, par politesse,
Suivons-le tant qu’il voudra ;
Mais, pour danser, je le laisse
Quand la musique viendra !
Entre nous, vraiment ce bal
Promet d’être original !
En attendant que du bal
On nous donne le signal,
Emerantine, ma nièce,
Au salon, vous chantera
Son air : Amour et Tristesse !
Cela vous amusera ;
En attendant que du bal
On nous donne le signal.
Scène V.
Arrive donc !… Quelle mâchoire que cette flûte ! il s’arrête chez tous les pharmaciens !
J’ai pris une petite botte de chiendent et de la guimauve… parce qu’en rentrant… Quelle crème, mon Dieu !…
Enfin ! vous voilà, monsieur le chef d’orchestre ! vous êtes en retard !… très en retard !
Au moment de partir… un petit incident…
Vite ! mes danseurs s’impatientent… (Montrant l’estrade.) Placez-vous là… tâchez de nous faire une musique… qui inspire des idées de mariage.
À vous, madame ?
Non ; au frère de madame de Va-te-Promener.
Scène VI.
Madame de Va-te-Promener ?…
Ce doit être une Hollandaise.
Plût à Dieu qu’Alexandra le fût !… mais elle est Corse !…
Corse ! Alors, patron, je ne voudrais pas vous faire de peine… mais vous êtes toisé !…
Moi ?… oh ! je suis bien tranquille !… pour ce soir du moins… J’ai la clef dans ma poche !… (Riant.) Doit-elle rager !…
Pauvre homme !… s’il savait que sa femme est enfermée avec quatre clercs !… Décidément, je vais lui dire !… (Haut.) Patron !…
Quoi ?
Non, rien !… (À part.) Ca l’empêcherait peut-être de jouer du violon !…
Nous allons prendre l’accord… Y êtes-vous ?
Allez !…
Voici mon la.
Voici le mien !
Mais ce n’est pas un la que vous me faites là !…
C’est le mien… en mineur… c’est un la mineur.
Et moi, je suis en majeur… Attention. (Il donne le la aux trois octaves. Léopardin donne le la des deux premières octaves et pas celui de la troisième. Il secoue sa flûte et la met sous son bras.) Eh bien… allez donc !…
Non !… c’est la note qui m’est défendue par mon médecin.
Comment ?
À cause de ma gastrite.
Eh bien, ça va être gentil !… Voilà un bal qui va être gentil !…
La santé avant tout !…
Ah ! mais un instant !… ça change les conditions !… Je vous donne sept francs, parce qu’il y a sept notes, mais du moment que vous n’en jouez que six… vous n’aurez que six francs.
Scène VII.
puis CORINNE, puis Invités,
puis ALEXANDRA et SAINT-GLUTEN.
Mais allez donc, l’orchestre !… il y a deux heures qu’on vous attend pour polker.
Tout de suite ! tout de suite !…
Tiens ! mon médecin !… (À Papavert.) Docteur, ça ne va pas mieux !… j’ai des réminiscences à l’estragon !…
Allez au diable ! Mes consultations sont de midi à quatre heures.
Allons, la flûte !
Voilà ! voilà !…
Attention !…
Enfin ! voilà mon bal lancé !
Hein ! elle !…
Qu’est-ce que c’est ?
Le mari !…
Allez, la musique !…
Avec lui !…
Mais que faites-vous donc ?…
Oui !… oui !… (Alexandra et Saint-Gluten passent dans un autre salon en polkant. Faribol les suit en jouant machinalement du violon ; des groupes, en passant, l’empêchent d’atteindre Alexandra et Saint-Gluten. Les suivant.) Monsieur !… madame !… monsieur !…
Eh bien ! où va-t-il donc ?
Scène VIII.
Mon orchestre qui déménage !… j’en tiens un morceau !…
Je suis mon chef !
Restez là, monsieur… et flûtez ! flûtez !… On vous paye pour ça !…
Docteur, une rapide consultation.
Je n’ai pas le temps !
Votre régime ne me réussit pas.
Voilà un joli bal !
Et pourtant, je ne me permets pas la plus petite distraction… je bois du lait… je mange de la crème au chocolat… je fuis l’amour…
Eh ! changez de régime ! buvez du punch ! et aimez tant qu’il vous plaira !…
Ah bah !… aimer !… Je, puis aimer ?…
Et jouez-nous quelque chose !
Oh ! les femmes !… les femmes !… Pristi !… quelles épaules !…
Mais ce sont les épaules de ma femme !… Flûtez donc, monsieur !… (Remontant.) Où est le violon, maintenant ? ne bougez pas !…
Scène IX.
et SAINT-GLUTEN.
Je puis aimer ! il me met aux spiritueux !… (S’exaltant.) Saperlicoquette ! si j’avais su ça à huit heures trois quarts, quand la bourgeoise !… Elle est belle… la bourgeoise !… Elle est spiritueuse… la bourgeoise !… La voici !… je m’embrase !…
Corbleu ! madame !… que faites-vous ici ?
J’danse la polka avec mes p’tits amis !
Il ne s’agit pas de framboiser.
Monsieur, je vous invite à être poli.
Je ne vous parle pas ! (À Alexandra.) Par où êtes-vous sortie ?… car j’ai la clef !… Par où ?…
Par la cheminée.
Comme les hirondelles !…
Vous allez vous asseoir là… près de moi… et je vous défends d’en bouger !… Avez-vous votre ouvrage ?…
Mon ouvrage !… Est-ce que vous croyez que je suis venue au bal pour ourler des mouchoirs ?
Ah ! la plaisanterie est bonne !
Je ne vous parle pas !
Permettez… permettez… Madame a bien voulu m’accorder la deuxième polka…
Et la troisième, et la quatrième.
Et la cinquième, et la sixième.
Je m’inscris pour les autres.
Prenez garde ! je vais faire un éclat !
Pas de menaces, monsieur.
Oh ! vous ne me faites pas peur !… J’ai des amis ici ! Je polkerai ! je valserai ! je mazurkerai ! à votre nez, à votre barbe !
Énergique ! énergique comme Mirabeau !
Et c’est vous qui me ferez sauter… avec votre imbécile de violon !… Allez, la musique !
Allez, la musique !
Est-elle spiritueuse !…
Scène X.
SAINT-GLUTEN, PAPAVERT, CORINNE,
LES QUATRE CLERCS, Invités.
Eh bien, l’orchestre !… la musique !
Ah ! c’est comme ça !… Eh bien, je ne jouerai pas du violon ! Je ne veux pas que Madame danse !… elle ne dansera pas !
Hein ?
Dans quel cabanon a-t-on pêché ce chef d’orchestre ?
Il est ivre !…
Pouah !
Payez-le, et qu’il s’en aille.
Oui ; voilà vos vingt-cinq francs… et fichez-nous le camp !…
À la porte ! à la porte !…
Très bien !… j’emmène Madame.
Ne touchez pas !…
Tiens ! je les reconnais ! elle a amené sa petite bande !
M’emmener ? et de quel droit ?
De quel droit ? (Se plaçant au milieu.) D’un mot, je vais la foudroyer ! (À tout le monde.) Messieurs… cette dame est ma femme !
Sa femme !
Madame de Va-te-Promener ?…
Ma sœur ?
Allons donc ! je ne connais pas ce musicâtre !…
Ah !…
Oh !!!
Oh !!!
C’est trop fort !… j’en appelle à la flûte… Parle, Léopardin…
Moi ?… dame !… pour rendre hommage à la vérité… je n’en sais rien !…
C’est une conspiration !… (Prenant la main d’Alexandra.) Suivez-moi, madame !…
N’approchez pas ! je me mets sous la protection du notariat français !
Cristi !… à la porte !… à la porte !…
À la porte ! à la porte !
À la porte !… à la porte !
Ah ! c’est un furieux !
Eh ! vite qu’on l’emporte
C’est un fou dangereux !
Scène XI.
puis LES QUATRE CLERCS, puis PAPAVERT.
Ah ! tu m’enfermes ! ah ! tu m’empêches de danser !…
Elle est seule ! j’ai envie de me déclarer !… (À Alexandra, avec passion.) Madame !… les instants sont précieux !… Permettez à une humble flûte…
Quoi ?
J’ai changé de régime, je suis aux spiritueux maintenant…
Eh bien ?…
Mon médecin m’a ordonné le punch… et le sentiment !… J’attends le punch… Quant au sentiment… (Tendrement.) Il est arrivé !…
Ah bah !…
Elle rit !… (Haut.) Madame… une petite promenade… (Avec passion.) en voiture !… en voiture !… (On entend rire les clercs. — À part.) C’est embêtant !… elle allait se rendre.
Eh bien, qu’est-ce que vous en avez fait ?
Nous en voilà débarrassés !… Comme il était très lourd, nous l’avons lancé dans l’omnibus de Chaillot.
Nous avions d’abord songé au pont des Arts.
Mais cela nous eût menés trop loin…
Le pont des Arts !…
Ils vont bien, les petits !
Allons donc, la flûte !… Nous n’avons plus que vous pour danser !…
On va danser !… Madame… une polka !… une polka !…
Un instant ! procédons avec ordre… (Appelant.) Numéro 1 !…
Présent !
Superbe organe !
Allons donc, la flûte !
Je vais vous flûter ma Léopardine !… (À part.) Puis, après, tout au punch et au sentiment !
Il joue. Ils sortent tous en dansant, par la porte des salons.
Ils ont l’air très gais, ses cousins !… et ils ne la quittent pas ! C’est une famille bien unie !…
Scène XII.
C’est moi… Me voilà revenu. J’ai sauté à bas de l’omnibus… ça m’a coûté six sous… Ah ! les gueux !… mais soyons sournois… on me reficherait à la porte !… Ah ! il va se passer des choses dramatiques !… Le commissaire de police est en bas avec deux gendarmes !… Quant à ma femme, je viens de lui faire parvenir un petit billet… je lui donne cinq minutes pour capituler… les cinq minutes sont expirées… (Apercevant Lucien qui entre du fond avec un plateau.) Ah ! Lucien !… (L’appelant.) Pst ! pst !
Un autre garçon ! Qu’est-ce que c’est que celui-là ?…
Va dire à madame Fari… (se reprenant.) à madame de Va-te-Promener que… les cinq minutes…
Dis donc, si tu voulais bien faire tes commissions toi-même, méchant limonadier !…
Hein ? (À part.) Ah ! oui !… il me prend pour… (Haut.) Tiens… voilà cinq francs !…
Cinq francs ! Serait-ce M. Tortoni lui-même ?…
J’ai lâché ma flûte, pour papillonner autour de la bourgeoise.
Encore un !…
Garçon ! je suis le vicomte de Léopardin, caché sous les habits d’un folâtre garçon… Tiens, voilà cent sous.
Bon ! je rentre dans mon argent.
Il y a, dans le bal, une dame du monde qui a un petit papillon pour moi ; je lui propose une promenade au bois de Boulogne, autour des lacs, tu vas lui porter ce message.
Hein ! madame Faribol !…
Oye !… finis donc ! Est-il bête !
Scène XIII.
puis PAPAVERT.
Où est passée la flûte, à présent ?… Vous n’avez pas vu la flûte ?
Elle nous quitte à l’instant !… Elle vient d’entrer là !…
Oui, là !… oui, là !…
Ah çà ! mais voilà bien des garçons !… Je n’en ai arrêté qu’un !…
C’est Lucien… un camarade… Il m’a prié de l’aider…
Moi aussi… de passer les rafraîchissements.
Eh bien, alors… passez-les !… Vous êtes là… plantés sur vos jambes…
Oui… c’est que j’attends quelqu’un…
Moi aussi…
Allez-vous-en !… allez-vous-en !…
Comment, que je m’en aille !… (Les poussant.) Voulez-vous circuler avec vos plateaux !…
Voilà ! voilà !…
Orgeat ! limonade ! glaces !…
Régalez vos dames !…
Grog, absinthe, vermouth !…
Ils reprennent ensemble leurs cris, et ils disparaissent.
Est-ce qu’ils vont beugler comme ça dans mes salons ?… (Courant après eux.) Taisez-vous donc !… taisez-vous donc !
Scène XIV.
Ah ! j’étouffe ! je suffoque !… j’ai envie de mordre !… M’envoyer une sommation ! me menacer des gendarmes !… Le brigand ! au lieu de me prendre par la douceur, il me prend par la gendarmerie… mais je ne l’attendrai pas !… je partirai !… je pars ! Où est le petit ?… où est la flûte ?… où est mon étude ?… n’importe qui… J’hésitais… je n’hésite plus !… je franchis l’isthme de Suez !… Mais où est donc le petit ?… (L’apercevant en train de causer à la porte du pan coupé.) Ah ! le voilà !
Elle court à lui, le prend par le bras, et l’amène en scène.
Madame !…
Monsieur, êtes-vous un homme ?…
Mais…
Alors enlevez-moi et chaudement !
Vous enlever !… où ça ?…
À Bastia… à Saint-Germain… à Asnières !… où vous voudrez !… Vite !… mon manteau ! un fiacre !
Oh ! tout de suite ! tout de suite !
Scène XV.
Elle est seule !… elle doit avoir reçu mon billet !… (S’approchant d’elle avec passion.) Madame !… le fiacre est à la porte !…
C’est bien, garçon !
Ô bonheur ! elle accepte !
Voilà votre manteau…
Vite, partons !…
Mais tout est perdu !… les deux portes sont gardées par les gendarmes !…
Les gendarmes ? Il vaudrait peut-être mieux renoncer à cette petite promenade…
Y renoncer ?… jamais !… Où est mon étude ? nous saurons bien nous frayer un passage.
Sapristi !…
Non… j’ai un moyen… nous sommes à l’entresol… et, en faisant avancer la voiture sous le balcon, si vous ne craignez pas…
Par la fenêtre ? ça me va ! j’en ai l’habitude… Marchons !…
Marchons !…
Marchons ! (À part.) Je regrette ma gastrite.
Scène XVI.
LES CLERCS, les Invités.
Orgeat, limonade, glaces !
Le mari !
Faribol !
Je suis pincé !
Qu’est-ce que c’est ?… qu’y a-t-il ?
Que fais-tu là, sur cette fenêtre ?
Je raconte une anecdote… M. Tortoni nous paye pour raconter des petites anecdotes dans les soirées qui languissent… c’est très comme il faut !…
Ah ! par exemple ! écouter un garçon limonadier !
Oh !…
Pourquoi pas ? puisqu’on ne danse pas, ça nous amusera.
Oui, oui… ça nous amusera !
Allons, parle… (À part.) Quelle drôle de soirée !
C’est un conte des Mille et une Nuits… arrivé à une sultane dont le mari tenait un café à l’enseigne du Homard repentant… à Bagdad…
Continuez, garçon !
Ce mari… un nommé Faribol-al-Raschild… était un assez vilain coco… un pas-grand-chose… qui ne craignit pas de tromper sa femme…
Pour une drôlesse…
De Bagdad !…
Oh ! c’est affreux !
C’est ignoble !
C’est abominable !
C’est un gueux !… Je demande qu’on le fasse asseoir sur quelque chose de pointu !
Dire que c’est là une soirée dansante !
Mais il en fut bien puni !… Sa femme… la sultane… qui était corse… de Bagdad… résolut de se venger !… Elle jeta les yeux sur un jeune calife…
Il m’a regardé, je suis le calife !
Continuez, garçon !
On convient d’un enlèvement… par la fenêtre… le palanquin était à la porte… la dame déjà son manteau sur les épaules et un pied sur le balcon…
Ca finira par du sang !…
Enfin, est-elle partie, votre sultane ?
Mais…
Eh bien, oui !…
Hein ?…
Elle sauta par la fenêtre malgré son mari, malgré les gendarmes, malgré tout !
Elle fit bien !
Oui !… mais sous le balcon… se tenait l’infortuné Faribol-al-Raschild, un verre de limonade à la main (prenant un verre sur le plateau de Léopardin) comme ceci… il dit à la sultane : « Étoile du matin ! si tu files… tu ne me retrouveras pas vivant ! »
Hein ?
Et il tira lentement de sa poche un petit papier… (Il l’en tire) il le déplia… et versa dans la limonade une petite poudre blanche…
Ah ! mon Dieu !…
Et il tourna… tourna… puis, il but… et, cinq minutes après, le docteur Ben Papavert balayait ses cendres, qui gênaient les dames pour polker.
Non ! arrête !… je te pardonne !…
Hein !…
Alexandra !…
Faribol !…
Qu’est-ce que vous faites donc ? un garçon de café !…
Non ! c’est ma femme !… j’ai retrouvé ma femme.
Madame de Va-te-Promener !… (Faribol ôte sa perruque ; même jeu de Léopardin. — Stupéfait.) Mon chef d’orchestre !… la flûte !… quel drôle de bal !…
Monsieur Papavert, je vous demande la main de votre nièce pour M. de Saint-Gluten.
Permettez…
Je vous l’accorde…
La bossue ?… Dans une heure je serai à Madagascar !…
Patron, votre histoire m’a donné des idées de mariage… Oui, c’en est fait, je me marie !
Jeune homme, vous allez vous marier… Écoutez les conseils d’un homard repentant… (À tout le monde.) Ne trompez jamais votre femme !
Ah ! c’est bien ! c’est bien !
Ou ce qui revient absolument au même : Ne vous laissez jamais pincer !
J’aime mieux ça ! (Apercevant Faribol qui boit, et avec un cri d’effroi.) Malheureux !… la poudre blanche !…
Ne dis rien… c’était du sucre râpé !
Indulgence et bonté,
Amour, fidélité,
D’un bonheur très parfait
Voilà tout le secret.
Avant d’entrer en ménage,
Écoutez du mariage
La morale douce et sage,
Qui promet
Bonheur parfait :
Indulgence et bonté,
Surtout fidélité !
Oui, voilà du mariage
La morale douce et sage ;
Elle promet en ménage
La félicité.
Oui, voilà du mariage,
Etc.
Oui, voilà du mariage,
Etc.