Si jamais je te pince !…/Acte II
ACTE DEUXIÈME.
Scène PREMIÈRE.
Dites donc, les maçons !… si vous vouliez faire moins de bruit dans la cour !… hein ? (Se reculant.) Par exemple ! il me propose une chopine si je veux l’embrasser ! (Fermant la fenêtre.) Je vas toujours fermer la fenêtre… parce qu’avec leur grande échelle… les maçons, c’est entrepreneur ! (Regardant la pendule.) Sept heures et demie… M. et madame Faribol ne rentrent pas… Ce matin, Madame est sortie pour prendre l’omnibus… je ne sais pas ce qu’elle avait… elle est partie comme un coup de vent !… en fermant les portes… pif !… paf !… pan !… (Alexandra entre par le fond et referme la porte avec violence. Sursautant.) Ah ! mon Dieu !
Françoise !
Madame ?
Débarrasse-moi de ce parapluie !…
Qu’est-ce qu’elle a donc ?… (Haut.) Madame, faut-il servir ?
Je n’ai pas faim.
Je n’ai pas pu trouver d’aloyau… alors j’ai pris un morceau de veau !…
Du veau !… tant mieux ! Faribol le déteste !
Nous avons aussi une crème au chocolat… Monsieur aime bien ça !
Tu y fourreras de la moutarde !…
Comment !
Un pot ! deux pots ! dix pots de moutarde !… Va, fais ce que je te dis…
Qu’est-ce qu’elle a donc ?
Scène II.
Oh ! le gueux !… le paltoquet !… le chenapan !… il se souviendra de la rue Papillon, numéro 7… Et cette Pichenette, qu’est-ce qu’elle est ?… qu’est-ce qu’elle fait ?… oh ! je le saurai !… il faut qu’il me le dise… (On frappe doucement à la porte du fond.) On frappe !… (Faribol entr’ouvre la porte et se glisse timidement dans la salle à manger. Il tient à la main un énorme bouquet.) C’est lui !
Mon Dieu !… que c’est donc bête de se laisser pincer comme ça !…
Je me tiens à quatre pour ne pas sauter sur les pincettes !…
Hum !… hum !… (Alexandra ne bouge pas.) C’est moi… Bonjour, bonjour, chère amie !… Tu rentres de ta petite promenade ?…
Oui !… de ma… petite promenade…
Moi aussi… je rentre… et, en rentrant, comme tu aimes les fleurs… (Lui présentant son bouquet.) Veux-tu permettre ?
Merci !
Il n’y a pas de quoi ! (Tirant de sa poche un petit paquet enveloppé.) Je t’ai aussi acheté un baba… Tu aimes le baba ?…
Merci !
Sapristi ! (Haut.) Je t’ai encore acheté une montre en or… mais je te la donnerai dans un autre moment.
Voilà le potage. (Elle le pose sur la table.) M. de Saint-Gluten vient d’envoyer chercher des nouvelles de Monsieur.
C’est bien, merci… (Françoise sort.) Ce monsieur qui m’a offert un verre d’eau sucrée… il est très obligeant… Allons, à table (Il s’y place.) J’ai juste une heure à passer avec toi avant d’aller conduire le bal de M. Papavert… Si tu veux prendre place ?…
Je ne dîne pas !…
Voyons, Alexandra !… ma petite Alexandra !
N’approchez pas ! vous sentez la grisette !
Moi ?… Oh ! tiens, tu me crois coupable !… Je parie que tu me crois coupable ?…
Est-ce que vous auriez le front de me faire des histoires ?…
Non !… je vais être franc !… je n’ai rien à cacher… Cette maison de la rue Papillon… je sortais de chez un de mes élèves… un nommé…
M. Pichenette ?
Oye ! oye !… (Haut.) Pichenette ?… c’est sa mère !… la mère Pichenette… une pauvre petite vieille ratatinée… avec des lunettes vertes… qui branle la tête… elle est toujours de là…
Bien sûr ?
Veux-tu que je te jure ?
C’est inutile !… (Elle va prendre vivement son châle et son chapeau, et revient à Faribol.) Nous allons y aller !
Oye ! oye ! (Haut.) Impossible ce soir… (Discrètement) Elle a pris médecine, cette pauvre vieille !
Ah çà ! vous croyez donc avoir épousé une petite grue ?…
Comment ? tu ne me crois pas ? Mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ?
Une seule chose aurait pu me désarmer… peut-être !
Laquelle ?
Un aveu franc et complet de vos torts… Mais vous ne l’avez pas voulu !…
Eh bien, si !… ne t’en va pas ! je vais tout de dire… mais tu me pardonneras ?…
Marchez !
Oui !… D’abord, je n’ai jamais cessé de t’aimer… et si j’ai fait la connaissance de cette…
Allez donc !
Oui !… c’est bien pénible, va !… si tu savais comme c’est pénible !… c’est mon expiation… mais tu me pardonneras ?… bien vrai ?…
Ne bavardons pas !…
Oui !… D’abord, je n’ai jamais cessé de t’aimer !… et, si j’ai fait la connaissance de cette jeune personne…
Ah !… elle est jeune ?
Oh ! c’est-à-dire… mais très grêlée !… J’ai été attiré vers elle… par son air candide… elle est attachée au Conservatoire… ainsi !…
Après ?
Elle me demande des leçons de musique… Oh ! la musique… Le premier mois, nous n’avons fait que des gammes… ma parole d’honneur ! nous n’avons fait que des gammes ! Car je n’ai jamais cessé de t’aimer !…
Après ?…
Le second mois… elle me donna de ses cheveux… (Tirant une longue tresse de sa poche.) Tiens !… les voilà !… (Alexandra les prend et les jette par-dessus son épaule. — À part.) C’est nerveux !
Après ?…
Le troisième mois… le troisième mois…
Est-ce pour aujourd’hui ?…
Alexandra !… je suis un grand coupable !…
Ah !… très bien !… voilà ce que je voulais entendre… de votre propre bouche !
Et maintenant, tu me pardonnes ?…
Ah ! par exemple !… jamais !
Ah bah !… et moi qui… (À part.) Oh ! quelle boulette !… (Haut.) Comment ! tu persistes à vouloir te venger ?…
Une honnête femme n’a que sa parole !
Alexandra !
Il n’y a plus rien de commun entre nous !…
Avait pris femme
Le sire de Framboisy…
Scène III.
Framboisy !… Est-ce que ce serait sérieux ?…
Voilà la crème !… (À part.) J’en ai mis cinq pots à l’estragon.
Elle ramasse la mèche de cheveux, et la pose à droite sur le guéridon.
La crème !… la crème !… on ne dîne pas !… Emporte ça !
Comment, monsieur, on ne dîne pas ?…
Je te dis d’emporter… va donc !… (Françoise emporte la table et sort. — À lui-même.) Non ! c’est impossible ! Alexandra est corse… mais honnête !… (Par réflexion.) Oui ! mais… si elle allait être plus corse qu’honnête !… Sapristi !… sapristi ! il faut que je la raisonne. (Il ouvre la porte pour entrer dans la chambre et reçoit un soufflet.) Ah !…
Oh !… pardon ! vous êtes occupé ?…
Qu’est-ce que vous demandez ?
M. Faribol, s’il vous plaît ?
C’est moi : je n’y suis pas !
Léopardin jeune… je suis la flûte que vous avez demandée.
Ah ! très bien ! plus tard !… Bonjour, j’ai affaire…
Je suppose que Monsieur désire m’entendre… je vais jouer un petit air.
Ça suffit… je vous arrête… sept francs par soirée… Revenez à huit heures, j’ai un bal à conduire…
Scène IV.
Oui, oui, madame…
Qu’est-ce que c’est que ça ?
C’est votre lit que Madame vous envoie…
Comment, mon lit ?
À ce moment, un paquet de hardes, lancé de la chambre, tombe sur Léopardin.
Aïe !…
Aïe !…
Sacrebleu !
Aïe !… aïe !…
Finissez, finissez, madame !
Arrêtez ! arrêtez, morbleu !
Sur mon âme,
C’est infâme !
C’est assez, finissez ce jeu !
Tiens ! mon médecin !
Madame !… madame !… (La porte se ferme sur son nez ; une grande pancarte est accrochée dessus avec ces mots : le public n’entre pas ici. — Lisant.) « Le public n’entre pas ici ! »
Je venais vous chercher pour mon bal !…
Oh ! c’est trop fort !… m’expulser de la chambre conjugale !… Elle n’en a pas le droit !…
Il y a un nuage dans le ménage…
Oh ! quel désordre… ma tunique !… Elle ne respecte rien !
Ah çà !… je viens vous chercher pour mon bal.
Oui !… Donnez-moi un coup de main.
Oh ! mais non !
Portez ça dans mon cabinet…
C’est que, mon bal… je ne suis pas venu pour ça.
Vous savez bien, ma dent… je ne l’ai plus.
Je me fiche pas mal de votre dent ! (Il entre dans la chambre d’Alexandra. — Bruit d’un soufflet.) Aïe !…
Pas par là !
On vous dit : « Le public n’entre pas… »
Par ici !
Je ne suis pas venu pour ça !… Je m’en vais ! Dépêchez-vous ! nous vous attendons pour danser !
Vous, Léopardin… portez tout ça dans le cabinet, vous reviendrez prendre le matelas, la couverture… et le bonnet à poil !
Mais c’est que…
Puisque je vous paye !
Pour jouer de la flûte !
Puisque vous n’en jouez pas !…
À propos, je dois vous prévenir qu’il y a une note que je ne donne jamais… mon médecin me l’a défendu.
Ah bah !… laquelle ?…
Le la de la troisième octave… Cette note m’épuise.
Qu’est-ce que vous en faites ?…
Je l’escamote… je prends un temps !… Il faut vous dire que j’ai une gastrite, moi !
C’est bien ! allez donc ! (Après que Léopardin est entré dans le cabinet, il y lance les objets dont il est chargé, puis ramassant le matelas et le traversin.) Quel désordre ! quel boulvari !
J’en ai vraiment l’esprit troublé,
Rien ne m’est plus antipathique ;
Moi, musicien, qui suis réglé
Comme un vrai papier de musique :
Chez moi, le croiriez-vous jamais,
La femme qui fait ce ravage,
Je l’avais prise tout exprès
Pour ranger mon petit ménage.
Jusqu’à présent, j’ai employé la douceur, mais nous allons voir !… je veux qu’elle me demande pardon…
Scène V.
puis LÉOPARDIN.
Ah ! c’est vous, madame !
Pour que tout lien soit rompu entre nous, je vous rapporte ce dernier symbole d’une familiarité… grotesque !
Respectez mon bonnet de nuit, madame ! Il pourrait être le père de vos enfants !
Monsieur !
Quoi ?
C’est M. de Saint-Gluten qui renvoie chercher de vos nouvelles.
Encore ?… Ça va très bien ! merci ! (À part, agacé.) Il est obligeant, mais très ennuyeux !…
Madame, j’ai porté les lettres à l’étude… ils viendront tous !
Hein ?
Parfait ! tu feras du punch !
Du punch ?… cette robe de bal ?…
Oui ; j’attends du monde… je donne une soirée.
Une soirée ! en mon absence !… et à qui, madame ?…
J’ai mon cousin le second clerc… et je l’ai invité… avec toute son étude.
Comment ! des clercs de notaire ?…
Pourquoi pas ?… Ils sont français… et vaccinés !
Oh ! la bourgeoise ! (À Faribol.) Elle est très bien !
Tu m’ennuies ! (À Alexandra.) Madame, je vous défends…
Léopardin jeune… Je suis la flûte.
Qui vous dit le contraire ?…
Je vous défends de recevoir des clercs, madame !
Trop tard !… mes lettres sont parties… et puis j’ai un peu de migraine… j’ai besoin de quelques distractions !
Elle est gaillarde ! je suis fâché d’avoir une gastrite !
Ah ! c’est comme cela ?… Madame, je vous préviens que pas un homme au-dessous de cent dix ans ne mettra les pieds ici !
Turlututu ! turlututu !
Il n’y a pas de turlututu !… je vais donner des ordres. (Appelant.) Françoise ! Françoise !…
Scène VI.
M. le comte de Saint-Gluten…
Ah ! sapristi !
Excusez-moi, mon cher Faribol…
Lui !…
Je venais savoir de vos nouvelles…
C’est le ciel de la Corse qui l’envoie !…
J’étais dans une inquiétude…
Vous êtes bien bon !… je vous remercie !… (À part.) Il est très poli !
Il n’a pas cent dix ans !
Eh bien, êtes-vous tout à fait remis de votre petit accident ?
Quel accident ?
Madame Faribol, sans doute ?… Veuillez me présenter…
Certainement… (À part.). Que le diable l’emporte ! (Haut.) Ma chère amie… M. le comte de Saint-Gluten… (Alexandra se lève et salue en même temps que Saint-Gluten) qui a eu l’obligeance…
Oh ! le plaisir… (à Alexandra) de rendre un léger service à M. votre mari… pris d’un étourdissement… rue Papillon…
Ah !… numéro 7…
Oh ! c’est-à-dire… (À part.) Est-il maladroit de dire ça !
Il est bien beau, ce monsieur !…
Vous avez un petit appartement charmant…
Pardon !… j’allais sortir…
À votre aise !… (S’approchant d’Alexandra.) Oh ! la ravissante tapisserie ! on cueillerait ces fleurs…
Pardon !… j’allais sortir…
Faites !… faites, mon ami !… ne vous gênez pas.
Comment ! il s’installe ?…
Et notez qu’il n’a pas de gastrite !
Il n’y a pour faire ces merveilles de goût et de patience que la main d’une fée… ou celle d’une jolie femme !…
Ah ! flatteur !… ah ! flatteur !…
Patron ! ils se font de l’œil !…
Je le vois bien ! (Il prend une chaise et s’assied près de Saint-Gluten, en disant :) Pardon !… j’allais sortir…
Vous donnez un concert, n’est-ce pas ?… ce soir ?
Non… dimanche ! mais…
Toutes les jolies femmes de Paris y assisteront, et Madame en sera le plus gracieux ornement.
Patron, il a dit « ornement. »
Pardon !… j’allais…
Vos polkas font fureur !… la dernière surtout… c’est un miracle d’harmonie !
Oh ! monsieur !… (À part.) Pas moyen de le mettre à la porte avec ses politesses !
Aidez-moi donc !
Pardon… j’allais…
Elle est intitulée… Pichenette, je crois ?…
Hein ?…
Non !… Chiquenaude ! (À part.) Est-il bête de dire ça !
C’est votre nom, madame ?…
Nullement !
Un nom de fantaisie !
C’est comme moi… j’en ai fait une appelée : la Léopardine, de mon nom de Léopardin jeune…
Je ne connais pas !
Ignorant !… (À Faribol.) Dites donc, il se fait tard… si nous mangions un morceau… avant de partir ?…
Eh ! prends ce que tu voudras… et laisse-moi tranquille !…
De la crème au chocolat !…
Il lui parle bas.
Voilà qui est fameux pour ma gastrite !…
Vous causiez ?… peut-on savoir ?…
Oh ! rien !… Monsieur me dit que j’ai des mains charmantes… Cela ne vous regarde pas !…
Pardon, monsieur, vous avez désiré savoir des nouvelles de ma santé… je me porte très bien… je suis complètement guéri… et j’ai bien l’honneur…
Je vous comprends… je suis indiscret…
Mais… sans cérémonie…
Et c’est bien naturel !… avec une telle compagne !… chaque minute qu’on vous prend est un bonheur qu’on vous vole !
Ah ! çà ! il parle toujours et il ne s’en va jamais !…
Quant à moi, j’aime cette vie pure et honnête !… ce calme du foyer… près de sa femme… de ses enfants… (À Alexandra.) Vous avez des enfants, madame ?
Ah ! ouiche !
Comment !… paresseux…
De quoi se mêle-t-il ?… (Haut.) Monsieur, je vous salue… à la fin !
À demain, cher ami !
C’est inutile !
Nous vous recevrons toujours avec plaisir…
Elle le provoque ! (Haut.) Bonsoir ! bonsoir !
À demain ! (Bis.)
Moi, j’irai vous serrer la main.
Ne venez pas ici,
Restez chez vous, mon cher ami.
À demain ! (Bis.)
Je viendrai vous serrer la main.
Quand je fais un ami,
Moi, je n’aime pas à demi.
À demain ! (Bis.)
Revenez nous serrer la main ;
C’est le droit d’un ami
Quand il n’aime pas à demi.
Scène VII.
Ah !… enfin !…
Il est charmant, ce jeune homme !… il a un petit air anglais très comme il faut !
Vous trouvez ?…
Monsieur ?
Si M. de Saint-Gluten se présente ici… je n’y serai jamais !… Madame non plus !…
Bien, monsieur !…
Je n’aime pas qu’on ait un petit air anglais !… Je vais m’habiller !
Scène VIII.
Ah ! c’est comme ça ?…
Madame !…
Toutes les fois que M. de Saint-Gluten se présentera… vous le ferez entrer… et vivement !
Tout de suite, madame !… (Apercevant Saint-Gluten au fond, et annonçant.) M. le comte de Saint-Gluten !
Lui ?… Eh bien, tant mieux !
Madame…
Entrez donc, monsieur, entrez donc !
Vous m’en voudrez peut-être de revenir si tôt ?…
Pourquoi donc ?… je vous attendais…
Ah bah !… Je voulais simplement vous faire passer ce bouquet… oublié dans ma voiture…
Donnez !… ces fleurs sont charmantes !… charmantes !…
Que vous êtes bonne !… mais je crains d’être importun… Votre mari peut revenir…
Eh bien, qu’est-ce que ça me fait, mon mari !… Restez !…
Ah bah !
Tiens ! vous avez fourré un billet là dedans ?…
Oh ! pas devant moi !… quand je serai parti !
Mais pourquoi donc ? si vous l’avez écrit, c’est pour qu’on le lise… (Ouvrant le billet et lisant.) « Madame… c’est en tremblant que je prends la plume… mais rassurez-vous, ma passion ne sortira jamais des bornes du respect… »
Oh ! jamais !
Et vous appelez ça une déclaration ?… C’est un placet, une demande de secours ! c’est froid ! ça donne l’onglée !
Ah bah !… je vous en écrirai une autre !… plus chaude !
Attendez !… j’ai votre affaire ! un brouillon de lettre à Pichenette trouvé dans la poche de mon gueux de mari ! Quand on aime, voilà comme on parle ! (Lisant.) « Chère petite cha-chatte !… »
Hein ?
« Te voir, c’est le ciel !… te quitter, c’est l’enfer !… » (Parlé.) Le brigand !
Oh ! oui ! vous voir, c’est le ciel !…
« Quand je serai loin de toi, que j’aie du moins un souvenir de ta personne !… donne-moi… donne-moi de tes cheveux ! »
Oh ! je n’aurais jamais osé… une simple boucle me rendrait heureux !
Comment ! une boucle ?… une boucle !… (Courant à sa corbeille et en tirant la tresse de cheveux de Pichenette.) Tenez ! voilà ce qu’on lui a donné, à lui, le sacripant !…
Oh ! c’est trop ! c’est trop !
Non ! ce n’est pas trop !… œil pour œil ! dent pour dent ! (Elle défait ses cheveux et les laisse flotter.) Prenez ! coupez ! ne vous gênez pas !
Ô bonheur !…
Ah ! prelotte ! un bouton parti !
Mon mari ! à merveille !
Sapristi !
Mettez-vous là… prenez cet écheveau, et du sang-froid !
Scène IX.
puis FRANÇOISE.
Diables de boutons !… c’est toujours au moment de s’habiller… (Apercevant Saint-Gluten.) Hein !!!
Ah ! c’est vous, mon ami ?…
Bonjour, cher !
Et ses cheveux sont dénoués ! (Haut, avec colère, à Saint-Gluten.) Monsieur !… je vous croyais parti !…
Oui, mais, à peine au bas de l’escalier, je me suis aperçu que j’étais un malappris…
Un malappris !… (Passant entre eux et prenant l’écheveau sur ses deux mains.) Il me faut une explication !…
Rien de plus simple !… Vous donnez un concert dimanche et j’ai oublié de vous demander des billets ! J’en prendrai vingt !…
Oh ! c’est trop ! (À Faribol.) Remerciez donc !
Ah ! c’est pour ça ?… Mes billets sont placés, entendez-vous !…
Comment ! et vous ne m’en avez pas réservé un, à moi ? Ah ! Faribol, c’est mal !
Oh ! tout à l’heure ! je vais le flanquer par la fenêtre ! (Haut.). Monsieur… j’y vois clair !… Depuis une heure, vous faites la cour à ma femme !
Ah ! Faribol !… moi, votre ami !…
Oui, monsieur !… il faut que ça finisse ! je ne vous connais pas… je n’ai plus de billets, et vous me ferez plaisir en oubliant ma rue, ma porte et mon numéro.
Mais, mon cher, vous êtes malade !… Madame, faites-le soigner, je vais vous envoyer mon médecin !
Sortez, monsieur !… sortez !…
Scène X.
Rage ! rage ! mon chéri !… A-t-il été assez grossier, assez brutal avec M. de Saint-Gluten !… un homme du monde !… mais cela n’empêchera rien, ventre-bleu !
Il est parti ?…
Ah !… Mais non, monsieur…
Fichtre !
Vous entendez, portier !…
Vite cet écheveau !
Le portier est prévenu et… (Apercevant Saint-Gluten.) Hein ?… encore ! ! ! Mais c’est un dévidoir !… un métier à la Jacquard !… (Furieux et s’élançant entre sa femme et Saint-Gluten.) Est-ce que vous comptez jouer longtemps ce jeu-là, monsieur ?
Mon médecin est-il venu ?
Je n’en veux pas, de votre médecin !
Calmez-vous ! calmez-vous ! on va vous apporter un bain.
Décampez, ou j’appelle la garde ! (Il sort en poursuivant Saint-Gluten, et en criant :) À la garde !
La garde ?… Ah ! par exemple !…
Scène XI.
puis QUATRE CLERCS.
Quelle crème, madame !… elle est à l’estragon !… il me semble que j’ai un bain de pied à la moutarde dans l’estomac !… et ils appellent ça du chocolat de santé !…
Finissez donc, messieurs !… finissez donc !…
Hein ! qu’est-ce que c’est ?…
C’est les clercs que vous avez invités et qui ne veulent pas me laisser tranquille !
Mes clercs !… Bravo ! voilà le bouquet ! Entrez, messieurs, entrez !
Au rendez-vous,
Madame, nous accourons tous. (Bis.)
Chacun de nous,
Ici, de vous plaire est jaloux.
Bonsoir à tous,
Soyez les bienvenus chez nous. (Bis.)
Comme chez vous,
Chantez, riez, faites les fous.
Au rendez-vous,
Voyez, madame, ils viennent tous. (Bis.)
Et près de vous
Chacun de vous plaire est jaloux.
Pour son époux,
Comme c’est doux !
Au rendez-vous,
Nous voici tous.
Enchantée !… enchantée, messieurs !
Madame…
Je compte recevoir tous les lundis, mardis, mercredis, jeudis, vendredis…
Samedis et dimanches !…
Et si vous voulez me faire l’honneur…
Elle est enragée !
Que de bontés, madame !…
Une pareille bonne fortune !…
Que je suis donc fâché d’avoir ma gastrite !
Voici le punch !
Bravo !… bravo !…
Narguons à loisir
La mélancolie ;
Vive le plaisir !
Vive la folie !
Bon !
La farira dondaine,
Gué !
Farira dondé !
Femmes qu’on trahit,
Vos pleurs sont stupides !
Buvons au dépit
Des maris perfides !
Bon !
La farira dondaine,
Etc.
La farira dondaine,
Etc.
Chut !… voilà Monsieur !…
Le mari !
Restez, messieurs, restez tous !…
Mais il est furieux !
Furieux ?… ah ! sapristi !…
Scène XII.
Je l’ai conduit jusqu’à la porte… et j’espère qu’il ne reviendra pas !… Pour plus de sûreté, je vais vous enfermer à triple tour !…
Hein !…
Avance ici, toi !… donne-moi les clefs… les doubles clefs !…
Mais…
Bourgeois, ne faites pas cela !
Tu m’ennuies ! (Arrachant les clefs à Françoise.) Les clefs ! petite malheureuse !
Ah !…
Monsieur, ne me poussez pas à bout !
Ne la poussez pas à bout !… Si vous saviez…
Laisse-moi tranquille !
Enfermer quatre loups dans la bergerie !…
Et l’autre derrière moi, en sortant !
Monsieur !… je veux sortir… je sortirai !…
Turlututu !…
Il va prendre sa boîte à violon sous le fauteuil du fond.
Faut-il lui dire… ? Non ! ça lui ferait de la peine !…
C’est une infamie !
Mais marche donc, toi !
Voilà ! voilà !
Monsieur ! monsieur ! si vous avez le malheur de…
Tenez-vous les pieds chauds !…
Scène XIII.
puis LES QUATRE CLERCS.
Enfermée !
Bloquée !
Est-il parti ?
Messieurs, nous sommes prisonniers… comme Latude !
Saprelotte !
Mais je n’en aurai pas le démenti !… Messieurs, je vous invite tous à venir au bal !
Au bal ?
Chez M. Papavert !… je ne le connais pas… mais je vous présenterai !…
Ça va ! ça va !
Françoise, mon manteau !
Mais comment sortir ?
Une échelle de maçon !
Celle qui a servi à M. de Saint-Gluten !… je passe la première !…
Deux étages !… vous pouvez vous tuer !…
C’est juste ! (Elle court au guéridon de gauche et écrit.) « N’accusez personne de ma mort… c’est mon mari qui m’a flanquée par la fenêtre ! » (Parlé.) Comme ça, si je me casse le cou, il aura son affaire !
Bonne femme ! sa dernière pensée est pour lui !
En route, maintenant !… Et sans balancier !
La farira dondaine,
Gué !
La farira dondé.