Sermon LIX. De l’oraison dominicale.

Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON LIX. DE L’ORAISON DOMINICALE[1]. modifier

ANALYSE. – Cette nouvelle explication de l’oraison dominicale ; adressée légalement aux Cathécumènes, est le résumé des précédentes.


1. Vous venez de réciter ce que vous croyez ; apprenez ce que vous devez demander. Vous ne sauriez prier Dieu sans croire en lui, car l’Apôtre dit : « Comment l’invoqueront-ils s’ils ne croient pas en lui[2] ? » Aussi vous a-t-on enseigné d’abord le Symbole qui contient la règle de votre foi ; règle singulière, aussi courte qu’elle est grande, car elle est courte en paroles et grande en pensées. Quant à la prière qu’on vous a donnée à apprendre aujourd’hui et à répéter clans huit jours, vous l’avez vu pendant la lecture de l’Évangile, elle a été enseignée par le Seigneur lui-même à ses Apôtres et des Apôtres elle est parvenue jusqu’à nous, car leur voix a retenti par toute la terre[3].
2. Gardez-vous donc de vous attacher aux choses de la terre, puisque vous avez un Père dans les cieux… Vous allez dire : « Notre Père qui êtes aux cieux. » A quelle grande famille vous commencez à appartenir ! Sous l’autorité de ce Père, le maître et le serviteur sont frères également ; sous lui sont frères, encore l’Empereur et le soldat ; le riche et le pauvre sont aussi ses enfants. Tous les chrétiens fidèles ont sur la terre des pères différents, les uns nobles et les autres roturiers ; mais tous invoquent un Père unique qui est dans les cieux. Or, si notre Père est là ; c’est là qu’il nous préparé un héritage ; car il veut que nous possédions avec lui ce qu’il nous donne. Il nous donne un héritage, mais ce n’est pas un héritage qu’il nous abandonne ne mourant. Il ne nous quitte pas, il reste où il est et nous appelle à lui. Nous savons qui nous devons prier ; sachons aussi ce que nous devons demander, pour ne pas offenser un tel Père par des suppliques inconsidérées.
3. Qu’est-ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous enseigne à demander à ce Père qui est dans les cieux ? « Que votre nom soit sanctifié. » Quel avantage y a-t-il pour nous de demander à Dieu que son nom soit sanctifié ? Le nom du Seigneur est toujours saint, et demander qu’il soit sanctifié n’est-ce pas demander que nous le soyons par lui ? Nous demandons que ce qui est toujours saint soit sanctifié en nous ; que ce nom soit sanctifié en vous quand vous recevrez le baptême. Vous le demanderez encore après avoir été baptisés : n’est-ce donc pas pour obtenir de conserver ce que vous recevrez alors ?
4. Voici une autre demande : « Que votre règne arrive. » Que nous le demandions ou que nous ne le demandions pas, le règne de Dieu viendra. Pourquoi le demander, si ce n’est pour obtenir qu’il vienne pour nous comme pour tous les saints, et que Dieu nous mette au nombre de ses saints, pour qui viendra son règne ?
5. Nous disons à la troisième demande « Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Qu’est-ce à dire ! Faites que nous vous servions sur la terre comme vous servent les Anges dans le ciel. Ses Anges saints lui obéissent, ils ne l’offensent pas et exécutent ses ordres avec amour. Nous demandons aussi la grâce d’accomplir avec charité les divins commandements. On peut encore entendre autrement ces paroles « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » En nous le ciel est l’âme, la terre est le corps. Comment expliquer alors : « Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ? » Que notre chair nous obéisse, comme nous obéissons à vos préceptes ; car si la chair et l’esprit luttaient contre eux, nous serions moins capables d’accomplir les divins commandements.
6. Nous lisons encore la même prière : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Que, nous entendions ici les choses dont le corps a besoin, comprenant dans le pain tout ce qui lui est nécessaire ; ou que nous ayons en vue ce pain quotidien que vous irez recevoir à l’autel ; nous avons raison de le demander à Dieu. Qu’implorons-nous en effet, sinon la grâce de ne faire aucun mal qui doive nous priver de ce pain ? La parole de Dieu que l’on vous prêche chaque jour est aussi du pain. Si elle n’est pas le pain du corps, il ne s’ensuit point qu’elle ne soit pas le pain de l’esprit. Mais après cette vie, nous ne chercherons plus le pain que réclament les besoins du corps ; nous n’aurons pas non plus à recevoir le sacrement de l’autel, puisque nous serons avec le Christ dont maintenant nous recevons la chair sacrée ; il ne faudra plus enfin nous adresser des paroles comme nous vous en disons, ni lire aucun livre, puisque nous verrons le Verbe même de Dieu, par qui tout a été fait, ce Verbe qui nourrit les Anges, qui éclaire les. Anges, qui donne la sagesse aux Anges, sans rechercher les termes d’une phrase embarrassée ; car ils boivent en quelque sorte à ce Verbe unique, et remplis d’une sainte ardeur ils chantent ses louanges sans se lasser jamais. « Bienheureux, dit un psaume, ceux qui habitent dans votre maison ; ils vous loueront aux siècles des siècles[4]. »
7. Aussi nous demandons encore maintenant ce qui suit : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » En recevant le baptême, tous nos péchés absolument sont effacés Mais on ne saurait ici vivre sans péché. Ces péchés peuvent n’être pas de ces grands crimes qui excluent de la table sacrée ; cependant personne ne saurait sur cette terre être exempt de fautes, et d’un autre côté nous ne pouvons recevoir qu’une seule fois le baptême. Aussi nous avons dans la prière le moyen de nous purifier chaque jour, d’obtenir chaque jour la rémission de nos péchés, mais à. la condition d’accomplir ce qui suit : « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Vous donc, mes frères, qui êtes mes enfants dans la grâce de Dieu et mes frères sous son autorité paternelle, je vous donne cet avis, lorsque quelqu’un vous a offensés, vous a manqué, s’il vient à vous et avoue sa faute, s’il vous demande pardon, pardonnez-lui aussitôt et pardonnez-lui du fond du cœur, afin de ne pas éloigner de vous le pardon que Dieu même vous envoie. Car si vous ne pardonnez pas, il ne vous pardonnera pas non plus ; et si nous faisons cette demande en cette vie, c’est qu’ici l’on peut pardonner, puisqu’ici peuvent se commettre des péchés ; tandis que dans l’autre monde on ne pardonne pas, puisque les péchés ne s’y commettent pas.
8. Nous ajoutons en effet : « Ne nous livrez pas à la tentation, mais délivrez-nous du mal. » Dans cette vie en effet il faut demander de n’être pas livrés à la tentation, car il y a ici des tentations ; et d’être délivrés du mal, parce qu’il y a du mal ici. Ainsi, de ces sept demandes, trois se rapportent à la vie éternelle et quatre à la vie présente. À la vie éternelle : « Que votre nom soit sanctifié », car il le sera toujours ; « Que votre règne arrive », car ce règne sera éternel ; « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel », car elle le sera éternellement. À la vie présente : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ; » car nous n’en aurons pas besoin toujours ; « Pardonnez-nous nos offenses ; » ce qu’il ne faudra pas faire éternellement ; « Ne nous livrez pas à ta tentation ; » ce quine sera pas toujours à craindre : « Mais délivrez-nous du mal », auquel nous ne serons pas toujours exposés. Ici seulement où se rencontre la tentation, où se rencontre le mal, on doit demander ces grâces.

  1. Mat. 6, 9-13
  2. Rom. 10, 14
  3. Psa. 18, 5
  4. Psa. 83, 5